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Marins havrais captifs d’Albion de 1800 à 1815

Prisonniers
Prisonniers

A moins de 180 km du Havre s’est déroulé à l’ère bonaparto-napoléonienne un drame affreux. Un drame qui pour Napoléon n’aurait jamais dû exister puisqu’il aimait à dire :

 « On ne se rend pas, on se fait tuer »

Malgré cela, à la chute de l’empire, la presse commentait l’évènement de la manière suivante :

« Cent mille braves que le fer des combats avait épargnés ont succombé en Angleterre aux horreurs de la faim et de la misère « .

Gardons les horreurs de la faim et de la misère pour plus tard et tentons de rectifier le chiffre de « 100.000 », par bonheur surestimé et probablement encore influencé par la propagande, par une valeur un peu plus ciblée.

Tout d’abord regardons le nombre de civils et militaires qui ont eu le malheur de visiter les établissements carcéraux anglais. En amalgamant les 70.000 prisonniers de guerre (P.G.) d’avant l’éphémère paix d’Amiens aux 122.000 hommes qui suivirent ce traité, c’est environ 200.000 de nos compatriotes et de nos coalisés qui ont endossé « l’habit de perroquet » des prisonniers de guerre que distribuait parcimonieusement l’administration du Transport Office (le T.O.) qui prenait nos hommes en charge outre Manche.

Si l’on ne considère que la période de 1803 à 1814, l’enquête officielle du Sieur Dupin effectuée en 1816 donne les chiffres suivants :

122.440 prisonniers de guerre y compris les étrangers dont 102.000 prisonniers de guerre français;

12.845 décès en captivité sont inclus dans ces chiffres

12.785 prisonniers de guerre seront libérés dans un état désespéré;

70.041 prisonniers de guerre rentreront avec plus ou moins de séquelles. Le cumul de ces chiffres si affinés dans leurs unités ne dit rien sur les 26.769 manquants.

Bien entendu les anglais du Transport Office n’ont pas les mêmes chiffres, ils annoncent :

10.341 décès en captivité et

17.607 libérations « humanitaires ».

Les registres conservés aux archives nationales françaises confirment grosso-modo le chiffre global de Dupin, nous verrons par la suite que les autres chiffres sont à utiliser avec beaucoup de précautions.

Pour une telle quantité de prisonniers, pour la plupart marins, quelles étaient les forces françaises et anglaises qui s’opposaient sur les mers :

Années Anglais Français
  vaisseaux frégates vaisseaux frégates
1804 120 84 50 50
1806 125 83 30 30
1814 120 80 70 40

(il s’agit là d’évaluation moyenne annuelle)

Il est inutile de faire des commentaires, une remarque cependant: compte tenu de la discipline, de l’entraînement des hommes et de la construction des bâtiments, il est de tradition de dire qu’un vaisseau anglais à la mer vaut deux vaisseaux français… Les batailles navales remarquables prouvent ce qui, malheureusement n’aurait dû être que propagande ou intimidation:

– Trafalgar amène en Angleterre 4.800 captifs,
– Santo-Domingo en amènera 1.200.

Pour exemple, du ler août 1809 au ler janvier 1814 : 72.243 prisonniers de guerre sont arrivés en Angleterre, soit le chiffre assez monstrueux de 1800 prisonniers de guerre par mois en moyenne… C’est l’entassement dans les établissements carcéraux du Transport Office.

Au niveau des prises de bâtiments, les Anglais rafleront aux Français 202 navires toutes catégories, en 4 ans, entre le 20 mai 1803 et le 27 février 1807; à ce moment il restait encore 7 ans de guerre à faire. Si nous sommes les maîtres continentaux, nous sommes indéniablement en état d’infériorité sur mer..

Entre 1806 et 1814 : la France compte 30 millions d’habitants, 800.000 hommes sont sous les drapeaux en 1807 dont 40.000 au service de la marine impériale.

En Angleterre, la population est tout juste de 12 millions d’habitants, 500.000 hommes sont sous l’Union Jack dont 145.000 au service de la Royal Navy ..

 

Les inscrits maritimes hâvrais prisonniers de guerre

 

Le Hâvre
Le Hâvre

Le Hâvre, ville enclose, avait encore une population modeste:

– En 1800 : 17.644 citoyens, (24.610 agglomération incluse)
– En 1815, il n’en reste plus que 16.231 (21.204 agglomération incluse)

Sur les registres de matricules de la marine, il est recensé pour Le Havre seul environ 2 500 inscrits maritimes navigants. Les navigants représentent donc 15 % de la population. La situation des gens de mer sera catastrophique lors du changement de régime de 1814. Si l’on décompte les A.S.N (absents sans nouvelle), les décédés officiels et hors service : seuls 27,3% de nos inscrits maritimes resteront au service de la mer.

Etat en % de la flotte commerciale hâvraise en 1814

Le commerce portuaire est très amoindri par le blocus, et l’ennemi taille dans notre flotte commerciale par ses « prises ». De 1803 à 1814, trente quatre des cent quarante bâtiments marchands inscrits au Havre vont être pris avec les équipages, on est sans nouvelle de trente six autres, soit une amputation de 14.812 tonneaux (8.634 tonneaux dont on est est sans nouvelles + 6.178 tonneaux pris) sur les 29.231 répertoriés. Bien entendu les armateurs, affréteurs ou simples spéculateurs commerciaux jouent de moins en moins leurs fortunes et attendent des jours meilleurs… Chômage, famine, épidémies sont alors le triste quotidien de notre ville à 200 km des dorures de l’Empire.

« On ne se rend pas, on se fait tuer !  » … On fait surtout ce que l’on peut lors d’un combat naval. Après avoir étudié celui de Santo-Domingo le 6 février 1806, on constate qu’il y avait d’autres critères qui jouaient hormis les exécutants, par exemple:

– la valeur et la bravoure du commandant d’escadre,
– la stratégie développée,
– l’entraînement des équipages au sein de l’escadre,
– l’état des vaisseaux. avant combat,
– le mode de construction des vaisseaux,
– le vent, les courants, la mer..

Le tafia distribué, les hommes n’ont plus qu’à subir. Certains se retrouvent prisonniers, d’autres meurent. En une heure et demie à Santo-Domingo, P. Gaspard Laignel, un de nos capitaine de vaisseau havrais deviendra captif. La bataille terminée, son Jupiter réduit à l’état d’épave, il va troquer pour huit années sa liberté et son commandement contre les geôles de la terrible Albion … Corsaires, troupes continentales et coloniales, équipages du commerce, de la pêche ou simples passagers vont aussi se faire « coincer » par les maîtres des mers qu’étaient les anglais. L’habitude de voir les marins partir de longs mois, voire même des années, sans autres nouvelles que le bouche à oreille de ceux de la corporation qui les rencontrent au hasard des relâches, amortit l’inquiétude des familles. Puis le doute s’installe. En ce qui concerne les arrivées de prisonniers de guerre en Angleterre, le très administratif Transport Office en adresse la liste environ tous les six mois et la fait transiter par le commissaire français basé à Londres, un dénommé Otto (NDLR. Louis-Guillaume Otto, comte de Mosloy, 1754-1817, diplomate, il rempli alors une mission à Londres). Un des rôles de ce fonctionnaire est de tenir à jour une comptabilité sérieuse des prises et des prisonniers par grade et par lieu de captivité. Lors d’un accord d’échange (cartel), c’est ce monsieur qui, homme pour homme, grade pour grade, rédigera le « certificat d’échange », sorte de passeport indispensable afin de retrouver sa patrie… Malheur à celui qui n’en aura pas; nous évoquerons ce problème plus tard lorsque nous aborderons « les évasions ». Le sieur Otto fait alors passer la liste diplomatiquement vers les ministères français concernés, à savoir : la guerre, la police générale, la marine et les colonies… Les ministres en prennent connaissance, chacun pour les besoins de sa fonction. On la copie, on dresse des bilans, on la certifie, on la découpe par « quartier maritime » pour enfin l’expédier au Commissaire de marine chargé de la région qui va lui- même la transmettre à l’ « inscription maritime » concernée par l’intermédiaire de ses subalternes… Le livre des matricules va pouvoir enfin être mis à jour. Six à huit mois, voire douze mois se sont alors écoulés. Alors commence l’incertitude des familles et à leurs difficultés de subsistance…

Doucement la misère qu’engendre ces « disparitions » émeut l’opinion publique. Maires, notables bien pensants, curés vont alors aux renseignements. Certains vont jusqu’à essayer d’adoucir la vie des familles et de leurs prisonniers. Au Havre ce sont les Homberg qui méritent une considération particulière; voici la lettre qu’ils rédigent au sénateur, ministre de la police générale de l’empire en avril 1807 :

« Monseigneur, avant le décret de sa Majesté Impériale qui défend toute communication avec les îles Britanniques, nous étions dans l’habitude de faire passer chaque semaine des secours modiques mais nombreux à ceux de nos concitoyens prisonniers en Angleterre. Le décret nous a privé de la possibilité de leur être utile et de remplir ainsi un des plus doux devoirs de l’humanité. Cependant une foule de familles désolées s’adresse journellement à nous et implore à cet égard notre intervention que nous sommes obligés de leur refuser.

On nous assure, Monseigneur, que cette considération serait à vos yeux un titre suffisant pour nous autoriser à reprendre une correspondance que son objet doit rendre honorable et légitime, nous sollicitons cette autorisation avec la confiance que nous inspire votre justice et votre désir de faire bien.

Vous pouvez être certain, Monseigneur, que nous n’en userons qu’avec discrétion, et dans la seule vue de contribuer au soulagement de nos malheureux compatriotes. Nous avons l’honneur.. 

Signé : Veuve Homberg et Homberg Frères. »

Malheureusement la correspondance analysée ne nous indique pas la suite donnée à cette affaire. A l’arrivée dans le royaume du roi George III,  c’est la répartition. On sépare, on isole les durs que l’on a observés durant le voyage et qui doivent être « cassés » en priorité. Le Transport Office est bien rodé à ce genre de besogne. Les officiers, dont P. G. Laignel, sous condition d’un serment, seront dirigés vers des « cautionnements ». Ce sont des privilégiés que l’on nomme « prisonniers sur parole »; les autres bien moins heureux vont être entassés dans les baraques, des camps ou enfermés entre les murs d’une prison pendant de longues années. Enfin, ceux que l’on a repérés, les durs, les forts, les ingénieux, iront vieillir prématurément à bord des terribles et humides Hulks ou pontons que la littérature nous a laissé sous les noms flatteurs de : sépulcres, tombeaux, cercueils flottants, bateaux de la mort ou sarcophages noirs… Ces pontons ne sont autres que de vieux vaisseaux de 74 canons et plus, réformés au service à la mer. Ces vieilles carcasses sont ancrées dans estuaires ou arrière-ports de Chatam, Portsmouth, Plymouth…

Les inscrits maritimes havrais ont environ 500 collègues dans ces conditions. A ce chiffre nos concitoyens doivent malheureusement ajouter tous les prisonniers de l’importante conscription de la période bonaparto-napoléonienne et les officiers ou officiers mariniers entretenus par la marine d’Etat comme notre ami P. Gaspard Laignel. Les captivités seront longues. Parfois, comme le matelot havrais L’huilier, on s’offrira deux fois les « bienfaits » du Transport Office.

Ce matelot sera une première fois pris du 27 avril 1797 au 9 mars 1802, puis après l’éphémère paix d’Amiens il sera repris du 19 juillet 1808 au 3 juin 1814… Soit 10 ans 8 mois et 26 jours de captivité… Le cas ne sera pas spécialement isolé, de toutes façons 60 % de nos prisonniers de guerre resteront captifs d’Albion entre 6 et 12 années ! (16% y séjourneront onze ans)

L’administration maritime du Havre met d’abord les absences constatées sur le registre des A.S.N. ( absents sans nouvelles ). 1.404 noms durant la période des quatorze années y seront enregistrés. Ce surprenant chiffre comprend les désertions, les disparitions par naufrages et combats. Ces dernières sont d’ailleurs extrêmement courantes puisque dans le déroulement d’une bataille navale on « virait » par dessus bord tous les corps qui gênaient la manoeuvre … Les invalides de la marine, sécurité sociale et caisse de retraite avant l’heure ne dénombreront que 334 pensionnés durant onze ans de guerre.

Il est temps maintenant de montrer par un graphique combien les inscrits maritimes du Havre ont payé de leurs personnes durant ces années de guerre bonaparto-napoléonienne :

Dans 22,1 % de « hors services » (H.S.), il faut mentionner que certains d’entre eux reprendront du service. Les « hors services » sont ceux qui généralement ont reçu une ou des blessures et sont parfois pensionnés. A remarquer que pour recevoir une de ces pensions il faut être vraiment disloqué…

Les morts officiels peuvent être associés malheureusement aux « absents sans nouvelle » (A.S.N.), ils représentent conjointement 45 %.

Répartition des I. M. du Hâvre en 1814
Répartition des I. M. du Hâvre en 1814

Notre côté humain de cette fin du vingtième siècle, nous incite à nous intéresser au cas des mousses et des novices. Durant les onze années de guerre, ces dures années au risque maximal, il y aura au Havre six cent vingt deux enrôlements de mousses et sept cent quarante de novices. Qu’en dirait-on à notre époque ? Un exemple pour comprendre ce délicat problème.

Louis François Désiré Faston, né au Havre Fils de Louis Faston (marin de métier)
Embarqué en 1806 à l’âge de 9 ans
Pris par les Anglais à 12 ans
Revenu par échange un an et demi après via Morlaix.

Il deviendra matelot en 1814 … Son père connaissait pourtant la gravité de la situation sur mer puisqu’il était du métier, mais c’était les moeurs du moment… !

Revenons à l’accueil anglais. Le premier tri était pratiqué par les marins rompus à une discipline de fer; dans la Royal Navy jamais de sortie pour les marins. Les « queens charlote daughters » viennent sur ordre à domicile, ceci évite émeutes, désertions et d’autres tracasseries que la marine française connaît si bien. Ces bonnes brutes vont appliquer aux prisonniers leur propre « hygiène de vie » mais sans les « queens charlote daughters » … On dirige les captifs vers trois types de camps disséminés aux quatre coins de l’Albion. Trois régimes de captivité sont appliqués :

– le cautionnement ou la prison sur parole;
– La prison
– Le ponton ou hulk

 

Le cautionnement ou la prison sur parole 

Les prisonniers de guerre sur parole sont placés dans les villages ou bourgs sous la responsabilité d’un notable, lui-même en contact avec l’administration du Transport Office qui régit l’ensemble des prisonniers de guerre sur le territoire Anglais. Les officiers pour la plupart s’intègrent à la population. P.G. Laignel est parmi les prisonniers sur parole ; il passera 6 ans à Wincanton dans le Somerset et 2 ans à Kelso dans le Roxburg à 50 km dans le sud d’Edimbourg en Ecosse. (voir aussi notre article sur Moretonhamstead)

Durant les guerres napoléoniennes, des prisonniers de guerre français, espagnols, portugais et italiens, capturés sur des vaisseaux français et dans les colonies, furent amenés à Wincanton). On les disait originaires de familles respectables. Ils eurent ici une usine de soie. Ils furent jusqu’à près de 500, logés pour la plupart à Bayford et apportèrent à la ville, frappée par une grande pauvreté, un nouvel essor. (NDLR)

Ces hommes bien jugulés par le Transport Office touchent la 1/2 solde (tout au moins les marins), et certains ont des familles très aisées qui les aident matériellement. Le commerce des villages d’accueil est donc très favorisé par la présence de ces étrangers.

Les occupations de ces prisonniers de guerre sont multiples. Les Français sont en général bien vus surtout chez les Ecossais pas si proches de la couronne que l’on pourrait penser .. On fabrique, on écrit, on donne des cours de français, de latin, de mathématiques, d’art, d’escrime, de danse … On monte des pièces de théâtre, on implante le billard en Angleterre… A Wincanton, Patrice Gaspard Laignel invente et met au point un télégraphe maritime qu’il fait parvenir au Ministre Decrès par l’intermédiaire d’officiers échangés. Malheureusement pour lui, son innovation tombera entre les mains d’un monsieur peu scrupuleux qui met le projet à son nom … L’infortuné P.G. Laignel, à sa rentrée en 1814, s’apercevra avec colère que son télégraphe est en fonction, mais que son nom n’y est pas attaché…

Lorsqu’il sera à Kelso, P. G. Laignel verra avec ses collègues la presse locale vanter leurs mérites… On verra ces français partir avec regrets en mai/juin 1814, voire même avec tristesse puisque des idylles se sont nouées, tellement nouées d’ailleurs que certains de nos noms français feront souches dans ces localités écossaises. « Jamais Anglais n’avait vu tant d’ingéniosité... » affirme le maréchal de camp Pillet avec un peu de chauvinisme… L’ingéniosité ira parfois jusqu’à l’échafaud avec la fabrication de fausse monnaie.

Les dogmes ne sont pas oubliés. Les loges maçonniques existent chez les Anglais ; les Français y accèdent et s’y intègrent.

Selon les endroits et les responsables des lieux, le courrier est plus ou moins surveillé. Selon l’honnêteté du Transport Office, les annonces d’arrivées de fonds seront soit communiquées aux intéressés soit détournées. Nous reverrons ce phénomène dans les autres régimes carcéraux. Les sommes expédiées sont parfois importantes. Le Marquis d’Hautpoul nous apprend que son beau-frère lui a fait transférer 4 000 livres … De plus le cumul des demies soldes des marins n’est pas négligeable. C’est l’administration du T.0 qui régule et distribue toutes les arrivées de fonds. Elle en prélève jusqu’à 25%. Si l’agent du Transport Office est véreux, la ponction peut s’alourdir encore… C’est pour cette raison que seuls les pauvres sont transférables de prison à prison… Ceux qui « reçoivent » sont choyés et maintenus.

En principe le Transport Office doit redistribuer l’argent des prisonniers à raison de deux livres par semaine. Le premier shilling leur sera payé après deux ou trois mois malgré un règlement qui limite à 5 jours ce délai de carence.

L’argent des prisonniers transite obligatoirement par l’intermédiaire de deux banquiers agréés par les gouvernements. Pour la France c’est la maison Pérégaux-Laffitte de Paris; à Londres ce sera Coult. L’interdiction de communiquer ne leur est pas appliquée. Pérégaux-Laffitte compense la perte de change … Coult prélève au passage ses droits bancaires de sorte qu’avant l’intervention malhonnête du Transport Office, les sommes sont déjà bien écornées … Les indemnités officielles sont les suivantes :

De 1803 à 1813 Grade supérieur à capitaine = 27 livres 37 par an
Après 1813 . Grade supérieur à capitaine = 36 livres 26 par an
De 1803 à 1813. Grade inférieur à capitaine = 23 livres 72 par an
Après 1813.  Grade inférieur à capitaine = 31 livres 02 par an
En 1813 un ouvrier agricole Anglais reçoit = 42 livres 02 par an

En 1815 : 1 livre vaut 24 francs.

Les prisons

 

Norman Cross
(Cambridgeshire – 130 km au nord de Londres)

Monument de Normann Cross
Monument de Normann Cross

Durant les guerres napoléonienne, plusieurs milliers de prisonniers français et hollandais furent détenus aux Yaxley Barracks, construction en bois de 88.000 m2 de surface couverte sur une superficie de 17 hectares. En 1810, il y avait là près de 6.300 détenus, dont 1770 trouvèrent la mort.

Les bâtiments, désaffectés en 1814, furent démolis en 1816. Un monument, inauguré en 1914, a été élevé à cet emplacement.

Certains prisonniers sur parole se marièrent dans les villes et villages environnants.


« Et quel endroit étrange, ce Norman Cross, alors appelée une prison française, c-à-d., un réceptacle pour des captifs faits dans les guerres contre la France. Elle consistait, si je me rappelle bien, d’environ cinq ou six casernes, très longues, et immensément hautes, chacune isolée des autres, sur un bout de terre qui pouvait faire en moyenne dix acres, et qui était clôturée de palissades élevées, l’ensemble étant entouré par un mur très haut, sous lequel, à intervalles, des deux côtés, des sentinelles étaient postées, tandis qu’à l’extérieur, sur le champ, s’élevait des casernes en bois spacieuses, capable de contenir deux régiments d’infanterie, prévus pour servir de garde aux captifs. Telle était la prison de Norma Cross, où environ six mille français et d’autres étrangers, partisans du célèbre Corse, étaient désormais enfermés.

Quel aspect étrange avaient ces casernes puissantes, avec leurs murs blancs aveugles, sans fenêtres ni ouverture, et leurs toits inclinés, d’où, par des orifices dont les tuiles avaient été enlevées, on voyait dépassées des douzaines de têtes sinistres, régalant leurs yeux malades de prisonniers de cette large étendue de pays dévoilée de cette hauteur. Ah ! il y avait beaucoup de misère dans ces casernes ; et de ces toits, sans aucun doute, plus d’un regard désenchanté se tourna dans la direction de la belle France. Les pauvres détenus eurent beaucoup à endurer, et beaucoup à se plaindre – au déshonneur de l’Angleterre, il faut le dire – de l’Angleterre, en général si aimable et bienfaisante. Rations de viande de charogne, et pain dont j’ai quelque fois vu les chiens se détourner, étaient un indignes même pour l’ennemi le plus brutal, même délaissé et prisonnier. captif ; tel était pourtant l’ordinaire dans ces casernes.

Et puis, ces visites, ou plutôt ces incursions impitoyables, appelées dans l’argot de l’endroit ‘strawplait-hunts », quand à la poursuite de quelque article de contrebande, que les prisonniers, afin de se procurer un peu du confort de l’existence, avaient l’habitude de faire, des bataillons en habit rouge entraient dans les prisons, pour, à la pointe de la baïonnette, apporter ravage et ruine dans chaque misérable refuge que de pauvres ingénieux avaient essayé d’élever autour d’eux.; puis la sortie triomphante avec le butin malheureux ; enfin, le pire, le feu maudit, devant de la caserne, de la contrebande entassée, sous les yeux écarquillés, depuis ces toits élevés, au milieu des hurrahs des troupes, fréquemment submergés par les malédictions venant d’en haut, se déversant comme la tempête, ou les terribles cris de guerre de ‘VIVE L’EMPEREUR’ ! « 

Borrow, George, 1851 Lavengro: The Scholar, the Gypsy, the Priest 3 Volumes, London, John Murray

Nos compatriotes prisonniers de guerre sur parole ne représentent que 3,5 à 4 % de la population carcérale pour toute la durée de la guerre… Examinons le cas des prisons. Il y a neuf « dépôts » en Albion : Dartmoor, Norman Cross, Millbay, Stapleton, Valleyfield, Forton, Portschester, Chatham et Perth. C’est le régime carcéral le plus fréquenté (sic). L’ensemble de ces dépôts ont un potentiel de :

50.000 en 1809
72.000 en 1814

Soit entre 60 à 75 % de l’ensemble des prisonniers de guerre.

Les prisonniers de guerre sont groupés par baraque ou chambre ou salle. Chacune de ces sections reçoit de 500 à 600 individus. Il existe aux archives municipales du Havre le journal d’un jeune prisonnier de Dartmoor. Anonyme pour l’instant, ce prisonnier probablement proche de la famille Eyriès, voire même un de ses membres, nous a laissé dans une écriture simple et émouvante un témoignage qui va nous permettre de comprendre ce qui se passait dans ces prisons. Notre anonyme parle peu de la chiourme qui est composée, à part les cadres, d’une milice locale. Cette main d’oeuvre est moins onéreuse pour l’administration du Transport Office que les Royal marines dont on ne conservera qu’officiers et masters. Le maréchal de camp Pillet lui, n’hésite pas à la définir ainsi :

« Composée des plus misérables rebuts de la société, d’hommes coupables ou complices de quelques grands crimes, auxquels le magistrat n’a laissé que l’alternative d’entrer soldats dans la marine ou d’être pendus… « 

Le même auteur ajoute en ce qui concerne la milice :

 » .. Les prisons sont habituellement gardées par la milice, et les sentinelles, dans beaucoup de cas, se sont montrées beaucoup trop légères à faire feu sur les prisonniers, et y ont été incitées même par des officiers inexpérimentés. Il en résulte que plusieurs hommes ont été tués surplace… « 

Une tentative d’évasion en masse (500 captifs) à Normancross se soldera par 50 hommes qui ne se sont jamais relevés…

A Dartmoor voici ce qu’en dit notre anonyme :

« 9 mars 1809… Les anglais agissent avec nous avec une inhumanité sans pareille, ils nous forcent de rester dehors des journées entières malgré le froid le plus vif. J’ignore comment des malheureux absolument nuds peuvent y rester. La providence veille évidemment sur tout, quelqu’indigne qu’en soit l’objet…  » 

Le climat de Dartmoor situé dans les montagnes des Cornouailles n’a rien de très clément surtout l’hiver, mais cette phrase fait apparaître d’autres éléments :

« malheureux absolument nuds… « . 

Là, nous allons pénétrer dans la cour des miracles… L’entente fraternelle que l’on était en droit de s’imaginer n’existe pas. Chacun pour soi et la « providence veille« . Le monde des P.G. a ses castes, ses usuriers, sa mafia, son « mont de piété, ses jeux, sa débauche et sa déchéance…  » les malheureux absolument nuds » sont des êtres rejetés par la société des prisonniers de guerre, par ses castes qui sont au nombre de quatre comme dans les huit autres prisons :

Les Lords : Officiers du grand corps ou de hauts grades. Ils ont généralement échoué dans les prisons après une tentative d’évasion malheureuse de leurs cautionnement.

Les Laboureurs ou Respectables : C’est la classe de notre anonyme de Dartmoor, classe industrieuse qui améliore son ordinaire par son travail.

Les Indifférents : Désoeuvrés, sans métier ou fainéants qui se contentent des maigres rations.

Les Misérables ou les Raffalés ou les Romains : déchéance humaine, malpropres, n’ayant qu’une mauvaise couverture pour habit. Ils ont élu domicile dans les greniers (au Capitole). Ils ont tout vendu pour boire ou pour jouer ou pour d’autres débauches. Ils sont rongés de vermine, elle est indestructible, ils en inondent tout le monde.

La prison en général sourit aux débrouillards. On y trafique dans tous les sens. On s’établit banquier, prêteur sur gages. On triche, on y pratique le racket, on est de connivence avec la chiourme… Les pauvres bougres qui sont victimes de cette mafia en arrivent à vendre tout ce qu’ils ont sauvé du désastre de leur capture. Notre anonyme vendra des objets auxquels il attache une grande valeur sentimentale. Certains dans ce milieu sans femme iront jusqu’à vendre leurs corps… Voici ce que le futur Amiral Bonnefoux, lui aussi prisonnier, dit à ce sujet :

« il n’existe ni crainte ni retenue ni amour propre, on y voyait donc régner insolemment l’immoralité la plus perverse, les outrages les plus honteux à la pudeur, les actes les plus dégoûtants, le cynisme le plus effronté.. Une misère plus grande que l’on peut imaginer.. »

Valeurs et argent sont apparemment les seuls traits d’union entre les prisonniers d’un même établissement. Les relations de notre anonyme cessent lorsqu’il n’y a plus rien à partager ; elles cessent aussi lorsque l’on passe d’une classe à une autre. De plus ce jeune homme a terriblement faim. Il sort d’une maladie (sans doute l’épidémie de grippe) et a terriblement besoin de se refaire une santé. Mais castes et argent l’isolent :

« 18 décembre 1809… Nous approchons des fêtes de Noël, on se propose de célébrer de tous côtés, chacun se cotise, s’invite se dispose à faire ce jour là un petit extraordinaire mais moi, l’on me délaisse – la raison en est bien simple, je suis sans argent – J’ai souffert de la faim depuis 2 jours. Est-il affreux Mon Dieu de n’avoir pour nourriture que de mauvais pain et de l’eau et n’en avoir pas assez. Ouf, j’ai reçu 6 sous et ai mangé des patates simplement cuites dans l’eau, pas même un peu de sel pour en relever le goût – N’importe, elles m’ont semblé délicieuses tant il est vrai que de tous les cuisiniers, la faim est le plus adroit et le meilleur ».

Notre homme, pour manger ira jusqu’à vendre une montre que lui a confiée sa mère… De bonne éducation, perdu dans cette tourmente. Il va d’abord laisser ce bijou en gage chez un prêteur « à un intérêt monstrueux, 25 % par mois… « . L’argent qu’il espère ne rentre toujours pas, alors la mort dans l’âme la montre sera cédée à vil prix… On ressent dans ce passage de journal toute la peine d’un homme qui laisse filer son dernier lien… A partir de cet instant la récupération de cet objet devient une véritable obsession. Il travaillera dur pour ça, à savoir : peinture d’oiseaux pour un collègue d’Honfleur qui tente d’en faire commerce, cours d’arithmétique (il aura deux élèves), tresse de paille… Mais froid et faim ont raison de ses économies. L’instinct de conservation sera plus fort que l’objet :

« 10 décembre 1809. Elle aura (Maman) même la bonté, j’en suis persuadé, de ne m’en marquer aucun ressentiment ; de me dire mon fils je te préfère vivant à la possession d’un objet de luxe… »

Louis GARNERAY
1783 – 1857

Louis Garneray
Louis Garneray

Louis Garneray est le fils aîné de Jean-François Garneray, lui même peintre et élève de David qui lui enseigna la peinture et le destinait à la carrière des arts. Mais il s’engage comme mousse à l’âge de 13 ans et parcoure toutes les mers du globe en compagnie de Surcouf et Dutertre puis comme timonier dans l’escadre de l’amiral Linois.

En 1806, il est fait prisonnier par les Anglais, avec l’équipage de la « Belle Poule » et subit à Portsmouth une difficile captivité, émaillée de tentatives d’évasions. Peu à peu Louis Garneray parfait sa connaissance de la langue anglaise et rend quelques services de traduction dont les gains lui permettent d’acheter crayons, papiers, pinceaux et couleurs. Un marchand de tableau anglais reconnaît le talent du captif, lui passe quelques commandes et parvient à alléger un temps la rigueur de son sort. Louis Garneray ne retrouve cependant la liberté qu’à la fin de la guerre, le 18 mai 1814 après 8 années d’emprisonnement..

La suite de la vie de Louis Garneray est consacrée à la peinture : nommé peintre de la marine, il collabore aux travaux de la manufacture de Sèvres après avoir été un moment conservateur du musée de Rouen.

Louis Garneray meurt à 74 ans laissant 141 tableaux, 176 gravures et 22 aquarelles ; il repose au cimetière Montmartre.

L’artisanat des laboureurs (sans doute un dérivé du labor anglais) va très loin. Marins ou terriens sont généralement des manuels, ils ont souvent de bons métiers et il y en aura pour tous les goûts. Un très sérieux marché s’organise autour de ces productions avec des négociants extérieurs. Une main d’oeuvre à bon prix qui n’est même pas « délocalisée » donc frais de transport en moins… Les artisans anglais ne voient pas ces beaux produits d’un bon oeil et les plaintes ne sont pas rares. Les meilleurs artistes sont protégés par la chiourme qui se commissionne sur les affaires. Officiellement ce commerce va être interdit par le Transport Office en 1807. Mais entre l’officiel et la réalité le fossé restera large… Les matières premières employées (souvent importées par les gardes moyennant finances) sont : l’os, le bois, le fer, les métaux non-ferreux, les tissus, le fil, la paille, le papier, le carton… Les produits manufacturés sont: des maquettes dont certaines ornent aujourd’hui le musée de Peterborough, des statuettes, des jeux d’échecs, des compositions sculptées, des tableaux (ceux de L. Garneray notamment), de la dentelle, des gants, des chapeaux, des paniers…

Un matelot de Forton doué en maquettes rapportera en France lors de sa libération un pécule de 16.500 francs (à titre de comparaison un ouvrier tailleur de pierre/maçon = 600 francs l’an … ).

Certains captifs sont si industrieux qu’ils en emploient des dizaines d’autres ; ce qui peut s’assimiler a des PMI. carcérales…

Le jeu entraîne dans la spirale infernale une bonne partie de la population des prisons. Il touche toutes les castes. Il commence à engloutir les fortunes puis entraîne l’homme vers la bassesse, la débauche voir même la déchéance la plus totale. C’est le pourvoyeur principal du monde des romains ou des rafalés. On vend tout pour jouer ; nous en avons déjà eu un aperçu lors de la présentation des castes. On vend son hamac, ses habits, sa couverture et aussi sa ration alimentaire… Lorsque l’on a plus rien, on vole, on trahit… La mafia organise et anime les jeux… Ils prendront une telle ampleur à Dartmoor, qu’en 1813, l’administration pénitentiaire décidera de jeter au cachot un bon nombre de « brokers » (organisateurs des jeux). Le T.O. en tire les conséquences à sa manière :

« … il entraîne des dépenses considérables pour le gouvernement, non seulement en cercueils, mais en frais d’hôpitaux. Ceux ci sont encombrés de ces malheureuses épaves( … ) victimes de la cruauté de ceux qui ont acheté leurs vivres, la honte de la chrétienté et de leur pays quel qu’il soit… « .

Notre anonyme de Dartmoor ne joue pas mais se fait exploiter et témoigne de sa mésaventure à la suite de la vente de la « montre à maman ». Il insiste fort en expliquant que cette transaction n’est pas pour « des frivolités, des dépenses peu nécessaires, le libertinage peut-être … !« . Le prêteur sur gage à qui notre homme a confié ce bien si précieux est moins scrupuleux car il « s’avisa d’aller jouer à une banque et d’y perdre tout ce qu’il possédait… « 

Dans les prisons, l’autojustice est de règle. Un tribunal s’improvise et l’on y condamne : tatouage de « traître à la patrie » sur le front du mouchard ou la mort si la trahison est d’importance. Les rivalités entre prisonniers sont aussi régies par ce code d’honneur ; les duels ne sont pas rares.

Dans sa longue attente le prisonnier guette le moindre détail qui le rapprochera des siens. Notre anonyme de Dartmoor ne reçoit pas de courrier pour une raison qui nous reste inconnue, il en est terriblement déprimé :

« 15 décembre 1809.. Beaucoup de personnes reçoivent de France des lettres et des secours. Dieu veuille que mon tour vienne – J’en ai besoin… »

« 2 mars 1810 .. Je ne reçois aucune nouvelle de France… »

« 9 mars 1810 .. Il est arrivé aujourd’hui beaucoup de lettres de France mais il n’y a encore rien pour moi… « .

Alors notre anonyme se raccroche à un vague cousin nommé Pain et qui habite l’Angleterre. Ce bonhomme dont il ignore pratiquement tout est durant de longs mois son seul espoir… Enfin une missive de ce cousin lui parvient, mais par une filière parallèle au courrier normal :

« 1er avril 1810… Un anglais pharmacien à Dartmoor et qui s’étant chargé de me faire parvenir la lettre de mon cousin m’a fait l’honneur de m’écrire une lettre très honnête dans laquelle il m’engageait à lui adresser ma réponse, que lui se chargerait de faire parvenir à son adresse ou ailleurs… « 

Il est difficile de s’imaginer que ce garçon ne reçoive jamais de courrier. De bonne éducation, écrivant correctement il est de toute évidence issu d’un milieu aisé :

« 1er janvier 1810.. Je fais tous mes efforts pour la rendre (sa conduite) telle que vous pouvez la souhaiter, en me fondant sur les principes que vous m’avez inculqués dès l’enfance, et que je n’oublierai jamais… « . 

De plus sa mère compte énormément dans son récit, et ne fait pas allusion à une quelconque mésentente avec ses proches. Tout au contraire, il parle de « mes frères et soeurs  » …

Quelques tentatives d’explications peuvent être avancées :

– Toutes les lettres sont lues par la chiourme. Ce n’est pas une nouveauté puisque c’est encore en pratique de nos jours… Par contre, dans ces lettres il peut y avoir des passages très intéressants pour un lecteur malhonnête ; les annonces d’arrivée d’argent par exemple. L’agent véreux dissimule le pli précieux et attend les fonds… Pas de lettre, pas d’argent !.

– Un autre élément défavorable pour notre anonyme est qu’à un moment donné il aurait changé de nom :

« 1er avril 1810.. En relisant la lettre de mon cousin j’ai cru m’apercevoir qu’il doutait que je fusse vraiment sont parent lui ayant donné un autre nom que le mien, que j’ai changé quelques temps afin de pouvoir jouir d’un peu plus de liberté… « .

Effectivement dans la littérature, il est souvent relaté des changements de noms, simple emprunt, utilisation du nom d’un mort temporairement ou définitivement voir même l’achat d’un nom…

En ce qui concerne notre anonyme le simple emprunt d’identité peut s’expliquer ainsi : à Dartmoor, il y a un hôpital dont une salle est spécialement réservée aux officiers. Les soins y sont meilleurs, les rations mieux adaptées à une bonne convalescence, une ambiance meilleure qu’au coeur de la masse. Notre anonyme obligé de rentrer à l’hôpital a réussi à être accepté dans la section des officiers. Il est donc possible que pour la circonstance il ait utiliser le nom d’un officier.. Simple hypothèse bien entendu.

Changer de nom dans l’enfer carcéral parait une démarche courante. Lors des évasions nous le retrouverons dans « l’achat d’un tour d’échange « . L’utilisation du nom d’un collègue décédé sera aussi fréquent. On conserve son corps le plus longtemps possible afin de profiter de sa ration… on dit alors que « l’on vit de son mort ».

 

Les pontons (2)

Un ponton anglais
Un ponton anglais

Le troisième régime de captivité, le plus dur, le plus destructif pour l’humain, le ponton sera selon Pillet un  » … lieu de séjour, d’angoisse et de mort« . Vieilles carcasses de navires, souvent des 74 canons réformés, ancrés dans les estuaires ou arrière-ports anglais. Le mot hulk (ponton en anglais) prononcé par les responsables des « cautionnement » ou par la chiourme des prisons, faisait à lui seul tressaillir leurs interlocuteurs… Même les plus braves se taisaient devant cet argument ; exemple le marquis de Hautpoul qui avait osé mettre l’honnêteté du Transport Office en doute, s’entendit répondre :

« Si vous attaquez encore le crédit de la banque, je vous ferai conduire aux hulks …… »

De Hautpoul conclut piteusement : « Il fallut me résigner..« .

Malgré le coût de gestion énormes de ces pontons, le T.O. en favorisera toujours l’existence environ 10 sh/P.G/Jour sur les pontons et environ 5 sh/P.G./Jour dans les prisons (en tenant compte de l’investissement d’une prison qui s’élevait pour Dartmoor à 135 000 livres st.).

La quantité des prisonniers de guerre entassés dans les hulks est très importante : en 1809 – 21 pontons – 11.247 prisonniers. (25 % des captifs); en 1814 – 51 pontons (45 % des prisonniers d’Angleterre).

Le hulk à deux ponts peut recevoir entre 700 et 900 captifs. Celui à trois ponts peut en contenir 1.200. A Chatam, sur neuf pontons il y avait 6.550 prisonniers.

En 1809 pour ces 21 pontons il fallait : 543 Officiers et matelots – 748 Royal marines.

Ph. Masson ( tente une explication quant au choix des hulks :

– Les fonctionnaires du Transport Office sont issus de la Royal Navy,
– Le prisonnier de guerre est isolé de la population anglaise, la haine est donc entretenue.
– Psychologiquement ceux qui naviguent encore, doivent avoir peur de la captivité sur ces hulks.
– Enfin le côté dissuasif ; un prisonnier ne s’évade pas facilement d’un ponton… (Nous verrons que, malgré tout, le pourcentage d’évasion des pontons restera le plus important).

La garde et la maintenance d’un ponton est assuré selon les types de vaisseaux 2 ou 3 ponts par : 20 à 30 officiers et matelots, 30 à 50 soldats.

A bord du ponton Le Prothé où séjourne notre concitoyen Henry Vatinel, il y a aussi le célèbre peintre de marine Louis Garneray qui en écrira l’histoire. Dans son ouvrage « Mes pontons  » L. Garneray donne la répartition de la garde :

16 à 18 sentinelles sont de jour,
18 à 20 sentinelles sont de nuit.

La nuit il y a en plus un officier de service et une bordée de matelots. Henry Vatinel, notre Havrais, va donc savourer le confort et les rations du Prothé, à savoir :

 

Logement,

310 m3 réservés aux prisonniers, batteries et faux ponts.
397 m3 réservés à la chiourme et à l’équipage
110 m3 de dunette réservés au Commandant et à sa famille ( quelques officiers et sous-officiers ont leur famille à bord)

Henri Vatinel n’aura que 0,4 m3 à lui le soir lorsque son hamac sera disposé : soit en longueur : 1m.70, en hauteur: 0,5 m. et en carrure : 0,45 m.

 

Emploi du Temps,

Branle bas à huit heures l’hiver et six heures l’été, suivi du nettoyage. Les rations à onze heures.

13 heures: récupération des broches en cuisine (1 broche pour douze avec deux bidons de bouillon).

17 heures l’hiver, 19 heures l’été : soupe du soir, fermeture des locaux après installations des hamacs.

20 heures l’hiver, 22 heures l’été : extinction des feux.

Du fait de l’isolement, le trafic n’est pas aussi intense que dans les prisons. Pour l’argent, le Transport Office emploie les mêmes principes, c’est à dire 25 % ponctionnés à l’arrivée et deux mois pour le distribuer toujours à raison de deux livres par semaine.

Si Henry Vatinel désire un extra, deux possibilités se présentent à lui :

– les canots des commerçants qui ont obtenu le privilège de vendre à vil prix quelques denrées ou objets qui amélioreront le moral, à savoir : thé, café, sucre, beurre, chandelles, pommes de terre, tabac… (prix à bord = un tiers plus élevé que le prix à terre),

– les épouses des Royal marines de la garnison du bord qui vont et viennent à terre et qui prennent des commandes bien que le règlement l’interdise formellement. Ces services sont payés d’avance… Pillet dit de ces coursières :  » … que ces vampires doublent les prix... « 

Ces épouses sont malgré tout bien placées pour ne pas être fouillées et les marchandises qu’elles rapportent vont un peu au delà de celles colportées par les canots agrées. Par exemple : journaux, alcools, outils et même cartes géographiques qui fleurent bon l’évasion…

Le prix pratiqué peut dépasser celui des « vampires » de Mr Pillet selon l’ampleur du service et le risque encouru… Les « compagnons de la flibuste » se placent généralement entre la fournisseuse et le client ce qui n’arrange pas les choses. De toutes façons si l’objet n’est pas conforme à la commande, il n’y a aucun recours.

Là aussi la loi du silence est de rigueur pour ne pas compromettre les futurs services : « That’s too good for frenchs dogs ! « 

Malgré le manque de place l’artisanat occupe mains et esprits. Ils sont de même nature que ceux des prisons. Par contre le marché de l’offre et de la demande n’existe pas. Les seuls acheteurs sont les privilégiés du commerce par canots et les épouses de royal marines. Le monopole d’achat est bien évidemment au détriment de l’ingénieux fabriquant.

On retrouve la faune des prisons un peu plus concentrée. Les castes sont elles aussi toujours présentes. Quelques appellations diffèrent en respectant la même hiérarchie:

les officiers,
les bourgeois ou messieurs
les raffallés ou manteaux impériaux.

La promiscuité de toute cette foule pèse sur chaque homme… Voici ce qu’en dit le corsaire Marotte :

« … de cette foule s’élevait un choeur discordant de vociférations, de jurements, de cris de douleur, d’imprécations et parfois aussi quelque refrain cynique ou impie fredonné par la voix enrouée d’un de ces malheureux. Je passai toute la soirée dans la poignante contemplation de ces misères inouïes, de ce comble d’abaissement et de dégradation « .

Pour bien comprendre la vie de Henry Vatinel à bord de son Prothé, il faut aussi s’arrêter sur ses nuits… Sur l’emploi du temps, nous avons vu qu’après la soupe du soir, (17 h l’hiver/19 h l’été), il y a fermeture des mantelets de sabords, hublots et des panneaux entre cale, faux pont, batterie et parc. Par définition un bateau si vieux soit-il est étanche. La fermeture de ces orifices le rend donc pratiquement hermétique à l’air.. C’est dans cette claustration qui peut durer 15 heures que vont se propager toutes les maladies. C’est aussi dans cette atmosphère à oxygène réduit qu’Henry Vatinel va être confiné et surchauffé… A plusieurs reprises dans les textes, il est dit qu’à l’ouverture des panneaux lors du « branle bas », les odeurs pestilentielles et méphétiques faisaient reculer les anglais très vite pendant qu’un panache de vapeur s’échappait… Si par autorisation exceptionnelle un sabord ou un hublot est ouvert gare à celui qui couchera aux abords; le flux froid dirigé sur son corps mouillé par la transpiration fera de lui un futur malade des poumons. Les hamacs sont imbriqués les uns dans les autres et les uns sur les autres, la tête de l’un entre les pieds de l’autre…

Les raffallés, les manteaux impériaux, ceux qui ont tout vendu pour jouer sont là à même le tillac. Les haleines et la chaleur de la masse des corps se condensent sur les murailles en formant des dégoulinades visqueuses. Ces pauvres types dorment dans ce cloaque serrés les uns au contact des autres, partageant une couverture sauvée de la débauche et qui regorge de vermine… C’est pourtant là qu’il apparaît un semblant de solidarité dans la détresse… On dort tous sur le même côté ; toutes les trois heures un « maître de sommeil » intervient avec un impératif : « Parés à virer !… « Virez flanc gauche ! (ou droit)« . Les pauvres bougres font alors demi tour en attendant le prochain commandement…Comme en prison il existe débauche, délation, auto-justice. Quant au courrier, les nouvelles d’Angleterre et de France suivent en gros le même processus que dans les prisons.

Aux trois régimes énoncés s’ajoutent malheureusement d’autres geôles extérieures à l’Albion. Celles-ci dépassent le cadre de notre sujet, nous n’en dirons que quelques mots. Certains de nos compatriotes iront en Espagne, à Gibraltar, à Ténériffe, aux Açores, au Portugal et aux Baléares.. En parlant de ces Baléares qui font rêver les touristes d’aujourd’hui, il faut savoir qu’une des îles de cet archipel de soleil nommée Cabrera (1) fut le théâtre d’une captivité tout à fait particulière. Imaginons 6.000 hommes jetés sur un îlot désertique avec un seul filet d’eau devant lequel il y a une queue permanente de jour comme de nuit … Comme dans certains lieux d’Espagne, cette île tragique à sept lieues de Palma approchera les soixante-dix pour cent de mortalité.

Pierre Nicolas Boucher de Fontaine la Mallet y restera de 1809 à 1814; cet homme avait participé à deux campagnes. Arrivé à Cabrera avec l’un des premiers contingents de P.G. que Théophile Geisendorf des Gouttes situe au 5 mai 1809. Cet auteur caractérise ainsi cette captivité toute spéciale :

« en regard des Cabrériens, Crusoé tout seul dans son île semble privilégié du sort« .


La Famine

La faim, la mal nutrition, les mauvaises rations furent une obsession majeure chez les prisonniers de guerre des prisons et pontons anglais. Notre anonyme de Dartmoor dans son journal nous situe ce calvaire a plusieurs reprises.

Sa souffrance est telle qu’il est indispensable de le citer sur ce sujet :

« 10 décembre 1809… Depuis 3 jours, j’étais aux prises avec la faim dévorante et la cruelle incertitude d’un avenir effrayant qui se peignait à mes yeux sous la plus noire couleur »

« 25 décembre 1809.. ma santé se rétablit de jour en jour et la faim ne m’abandonne pas une minute, il me semble qu’elle m’a désigné pour être le signe de son Empire. Si elle connaissait le chagrin que me cause une telle préférence, elle se désisterait, je crois d’un tel acharnement… « 

« 7 janvier 1810.. J’ai vendu un pantalon (…) 0! vous qui paraissez marquer du seau de la débauche celui qui vend ses habits, ne me confondez pas, excusez moi au contraire plaignez moi ou autrement, je soutiendrai, et avec raison, que vous n’avez jamais souffert de la faim et que c’est après un souper et devant un bon feu que vous me jugez. Mais j’ai mangé, j’ai apaisé la faim qui me dévorait… « .

« 9 mars 1810.. on nous donne quelquefois de la morue pour ration. Je ne l’aimais pas, mais actuellement je la mange avec plaisir crue ou cuite ».

La faim chez cet homme jeune revient inlassablement; elle est le catalyseur de son moral. Parfois on rencontre notre anonyme l’estomac vide sombrer dans le désespoir le plus noir. A d’autres moments son travail ou ses cours de mathématiques l’aident à oublier sa famine et il redevient optimiste :

« 15février 1810.. Depuis quelques jours je suis plus occupé (cours de math) et souffre moins de la faim, cependant elle ne cesse pas de me presser vivement de temps en temps… « 

En matière de famine la prison de Portchester semble détenir la palme. Son gouverneur en souligne l’horreur dans un de ses rapports :

« Les prisonniers sont d’une maigreur effrayante. Beaucoup ressemblent à des squelettes ambulants. Ce matin un des captifs a été trouvé mort dans son hamac et un autre était dans un tel état de faiblesse qu’il est décédé de la chute de son hamac. La plupart de ceux que l’on envoie à l’hôpital meurent en quelques jours » 

Officiellement pourtant les rations bien que minces paraissent correctes. On distingue deux jours « maigres » et cinq « gras ». La base commune à ces jours est de 1,5 livre de pain (1 livre anglaise = 453,5 grammes) et 1 livre de pommes de terre, sept once (199,5 gr) de viande les jours gras, ou bien harengs saurs ou morue salée les jours maigres. Le soir de la soupe aux légumes….

La réalité, en fait, est toute autre. Les récits d’époque sont unanimes sur ce sujet ; l’excès de rationnement alimentaire et le trafic alentour ont été le départ du processus de dégradation des santés. Si l’on ajoute à cela les retenues (1/3) que font les Anglais pour punir les évasions et rembourser les déprédations inhérentes (trous dans coque, vol de canots … ) et les prélèvements sur la caisse noire des prisonniers de guerre pour acheter le journal et mettre quelques sous de côté pour les amateurs d’évasion. C’est quelquefois les 2/3 des rations qui disparaissent des estomacs. A ce sujet, selon Louis Garneray, sur le Prothé d’Henry Vatinel, certains prisonniers revendent les harengs de leurs rations 2 sous … le célèbre peintre de marine, prisonnier du Prothé ancré à la file de huit autres dans la rivière de Portchester depuis 1806, insiste sur le fait que ces « gendarmes » sont immangeables et que certains, par ce stratagème, ont « fait les dix ans... « .

Enfin l’anecdote la plus étonnante est sans doute la mésaventure du cheval d’un colonel de la prison de Portchester que René Martin Pillet nous conte ainsi :

« Milord Cordower, colonel du régiment de Carmathen de garde à la prison de Portchester, entré un jour dans l’enceinte avec son cheval qu’il attache à une des barrières, en dix minutes son cheval fut dépecé et mangé… « 

Chez les prisonniers sur parole, ce problème de famine n’existe pas. La solidarité chez ces prisonniers de guerre privilégiés est nettement meilleure que dans les autres régimes carcéraux. Il est vrai cependant que certains dont le revenu se limite aux indemnités légales ont recours aux plus riches pour améliorer l’ordinaire.

A Kelso où se trouve notre Havrais P. Gaspard Laignel en 1812, les écossais flattent, entr’autres, les talents culinaires de nos compatriotes. On y déguste des fricassées de cuisses de grenouilles; on y pêche et prépare le saumon… C’est un peu gênant de parler de ces mets après avoir fait remarquer les souffrances des 115 000 autres prisonniers .

 

L’habillement

Passons maintenant au vestimentaire en reconsultant le journal de notre anonyme de Dartmoor :

« 13 décembre 1809… Comme les effets que l’on reçoit du gouvernement anglais sont très mal faits et mal cousus, on est obligé de les refaire. C’est à quoi je m’occupe actuellement »

De même que les rations alimentaires, les dotations officielles d’habillement donne aussi l’impression d’être suffisantes… Dans un mariage de couleurs criardes, les prisonniers devaient recevoir tous les 18 mois : deux paires de bas, deux chemises, un bonnet de coton, un caleçon jaune serin, une capote vert pomme marquée Transport Office en jaune dans le dos, une paire de souliers, une veste à manches, un gilet sans manche et un pantalon … R. Martin Pillet parle ainsi de ces dotations :

« les pantalons n’ont ni fond, ni ceinture, il en entre ordinairement trois dans la recoupe de deux… « 

Les gilets aussi, peu portés, servent à réajuster les pièces vestimentaires d’usage courant.

Mais tout ceci est théorique ; les gens arrivent plus ou moins habillés après un combat naval. Ceux dont les vêtements sont corrects ne reçoivent rien. Le Transport Office attend qu’ils soient réduits à l’état de guenilles pour faire une première distribution…. et le cycle des 18 mois n’est valable que sur le papier (en réalité Pillet dit 4 ans). De plus par le truchement des pertes au jeux, les habits, les souliers et les hamacs passent de mains en mains.

Outre « l’uniforme », il y a aussi la « débrouille ». L’hiver est ressenti avec beaucoup de rigueur et notre anonyme qui sort de l’hôpital tient à se protéger au mieux du froid :

« 13 décembre 1809 .. J’ai fait teindre ma couverture en bleu et vais en faire faire un hulot… « .

« 15 décembre 1809 .. J’étais nuds-pieds mais de deux paires de souliers qui m’ont coûté 40s, j’en ai fait faire une passable qui me revient à 56s. Dieu veuille qu’ils durent peu si je dois les porter en France… « .

Là encore il faut parler des prisonniers sur parole. A Kelso, P.G. Laignel et ses collègues sont dits bien habillés et soignés. Moyennant finances le blanchissage est même réalisé par les anglaises…

 

Age moyen des prisonniers de guerre

L’âge moyen des prisonniers de guerre, bien que la moyenne des durées d’incarcération soit de 6 ans, se situe autour de 30 ans. Certes nous rencontrons des garçonnets de 10 ans et des gens de mer âgés d’une soixantaine d’années, mais les prises de bateaux de pêche hors zones décrétées par les accords entre les gouvernements nous apprennent que la tranche d’âge entre 19 et 45 ans n’existe plus dans cette corporation qui tente de survivre dans cette longue guerre. A titre d’exemple dans les équipages de quatre bateaux de Dieppe repris à l’ennemi nous trouvons :

4 mousses entre 13 et 15 ans
2 novices de 15 à 18 ans
13 matelots de moyenne d’âge de 45 ans
1 pilote âgé de 48 ans
2 maîtres de 41 et 45 ans
1 aspirant de 34 ans (!)

Excepté ces derniers, la tranche d’âge entre 18 et 45 ans manque… Elle est au service de l’état ou A.S.N. ou décédée ou prisonnière.

 

Maladies – Mortalités

Dans l’enquête de Dupin mentionnée au début de cette étude, deux des chiffres nous indiquaient : 12.845 décès en captivité et 12.785 libérations désespérées … Avec ces données, essayons d’analyser l’état de santé des prisonniers de guerre qui selon la propagande anglaise n’avait rien d’alarmant. Voyons ce qu’en rapporte Monsieur Pillet :

 » … qu’il n’y a point de maladie aiguë parmi les prisonniers français, qu’on y remarque seulement quelques rhumes, et que jamais les prisonniers ne se sont mieux portés… « 

D’ailleurs le Commissaire français de Londres semblait lui aussi bien imprégné de ces bruits de salon puisqu’il écrivait le 3 mai 1814 que sur un total de 65.731 prisonniers de guerre, le nombre des malades n’était que de 992…

Havrais, Fécampois et Dieppois qui assistaient aux débarquements de la misère des « parlementaires » savaient que toutes ces belles phrases étaient fausses… Parmi les nombreux rapports sur le sujet retenons celui du sous-préfet de Dieppe

« 36 malheureux prisonniers ont été mis à l’hospice : trois étaient morts dans la traversée… leur débarquement offrait le spectacle le plus douloureux, les figures pâles, tristes, annonçaient que ces infortunés avaient longtemps souffert… « . 

C’est ce que les Anglais nommaient « libérations humanitaires ». On renvoyait les gens mourir chez eux… l’oeuvre était accomplie et la statistique de mortalité n’en souffrait pas. Le Commissaire français de Londres pouvait ainsi garantir les 992 malades restant dans les hôpitaux carcéraux juste avant le « grand retour » ou plutôt « le grand voyage » … Pour bien comprendre le problème des maladies pendant les captivités, il faut repartir à l’origine des captures. Tous les marins ne sont pas sains sur les vaisseaux français… La pathologie maritime comprend: fièvre jaune (mal du Siam), paludisme, dysenterie amibienne ou flux de sang, maladies vénériennes, scorbut, catarrhes pulmonaire, fluxion ou inflammation de poitrine, asthme, ulcères divers, rhumatismes, gale, furonculose, éthylisme… « l’hôtellerie », « le service » et la « table » du T.O. vont aggraver tous ces maux dans le dur climat anglais : 30% des décès de nos prisonniers de guerre font suite à la phtisie; le typhus viendra en seconde position.

Reconsultons notre anonyme de Dartmoor qui a probablement subi les méfaits de l’épidémie de grippe qui frappe la prison en 1809/1810. L’hôpital regorgeait de malades :

« 12 janvier 1810… depuis 2 mois et demi la mort a déjà moissonné près de 700 hommes et continue toujours ses ravages…  » (le chiffre du Transport Office sera de 419 morts à Dartmoor suite à cette épidémie en 1810). La médecine de l’époque est encore celle de Diafoirus (dixit Ph. Masson) (3): saignées vésicatoires, bains glacés…. qui affaiblissent plus qu’ils ne guérissent. Dans les médecins on rencontre des originaux, tel ce chirurgien anglais qui tâtait le pouls et le ventre des malades atteints de dysenterie avec sa canne, sa main gantée de surcroît. Mais attention, il y a des exceptions partout. La plupart des médecins anglais sont valables, seuls moyens et circonstances sont critiquables. Notre anonyme de Dartmoor dit avoir été bien traité dans la section officiers de sa prison. J.J. Vidal qui soutiendra sa thèse de médecine en 1820 sur les maladies des prisonniers tentera un classement en employant le vocabulaire de son temps de « six choses non naturelles » liées à la captivité

1 – Choses environnantes
2 – Choses appliquées à la surface du corps
3 – Choses introduites par voie alimentaire
4 – Exercice insuffisant ou à mauvais escient
5 – Choses liées au manque de femme et tabagisme
6 – Choses consécutives à l’affection de l’âme.

Au sujet de l’affection de l’âme, notre anonyme de Dartmoor s’extériorise à plusieurs reprises. Dans ce journal, date après date, événement après événement, nous apparaît tour à tour découragement et énergie. Il y a le « bruit qui court », de bouche à oreille, amplifié, déformé, celui qui enfonce ou qui soutient 6.500 personnes d’une prison… La douche écossaise de l’échange ou du non-échange est l’exemple le plus dur. Ph. Masson nous présente le grand « cafard » des prisonniers de guerre par cette définition :

« la nostalgie est une idée fixe du coeur qui concentre tous les regrets, toutes les aspirations sur un seul point : le pays natal… « . 

Les six choses non naturelles de la thèse de Vidal conduisent tout droit vers la mort. Les morts sont jeunes, la moyenne d’âge se situe autour de trente ans … La mortalité générale de 1803 à 1814 s’établit ainsi :

 % de P.G Régime carcéral Mortalité Observations
4% Cautionnement 1,5%  
54% Prison 7,0%  
42% Pontons 16,0% Taux variant de 2 à 4% selon le ponton
100% En général 10,5%  Chiffres Dupin

Dans cette mortalité les cas de suicide sont peu fréquents. Paradoxalement le suicide s’appliquera plus couramment aux prisonniers de guerre sur parole. Le terme « consomption » s’applique plus particulièrement aux prisons et pontons.

Les chiffres ci-avant ne tiennent pas compte des rapatriements « humanitaires » (morts en transport ou immédiatement après). Si les maladies des prisonniers de guerre sont en quantité négligeable pour les anglais, le constat global des santés est une tout autre réalité au moment des grands retours de mai à septembre 1814.

L’accueil dans les ports est réparti de la manière suivante :

DUNKERQUE 10,5%
CALAIS 10,5%
BOULOGNE 5,3 %
LE HAVRE 21,1 %
DIEPPE 10,5%
CHERBOURG 21,1 %
ST MALO 10,5%
MORLAIX 10,5%

Le Havre lance une souscription portant essentiellement sur du matériel, bois de lit, paillasses, couvertures, draps… Nos citadins sont généreux sans doute parce qu’ils connaissent l’ampleur du désastre ; toujours selon Mr Pillet : 

« les populations côtières, dont pour une grande partie pour la Normandie, assistent avec stupeur et chagrin au retour lamentable des prisonniers de guerre hâves, épuisés par des années de captivité, brisés physiquement et moralement… « 

Ces retours tragiques nous montrent que le degré de civilisation de nos deux peuples était proche de la sauvagerie. Dans cette belle Europe du presque 21e siècle, avons nous véritablement changé ?

 

Les retours

Retour, mot magique tant attendu… Deux familles de retour peuvent être considérées : les retours officiels et les retours par évasion.

Les retours officiels sont de trois types :

– les libérations sur parole, ,
– les libérations « humanitaires »,
– les libérations par échange.

La libération sur parole s’applique surtout aux prisonniers de guerre en cautionnement.

La libération humanitaire est une liberté de dernière extrémité. Cette libération tient compte aussi des infirmes, des enfants comme Louis François Désiré Faston et des vieillards.

La libération par échange, est le fruit d’un accord Franco-Anglais ou « cartel » lorsqu’il existe. Le Sieur Otto, Commissaire français à Londres détermine un « tour d’échange » qui semble être établi avec honnêteté. Il tient compte du grade, du temps de séjour, de l’état de santé. Rares sont les passe-droits. Decrès lui même évite d’entrer dans ce jeu sauf cas extrême. Le Sieur Otto délivre le « certificat d’échange », passeport que le prisonnier de guerre devra porter pour accéder au bateau Parlementaire qui le ramènera dans sa patrie. Ces parlementaires relâchaient dans nos ports de Normandie notamment au Havre, à Fécamp et à Dieppe. En l’an XI, on choisira Morlaix.

Pour les cloîtrés des pontons et prisons le mot échange a quelque chose de magnifique. A plusieurs reprises notre anonyme de Dartmoor s’accrochera à cette chimère :

« 2 mars 1810 .. On nous donne beaucoup d’espoir et un échange projeté, Dieu veuille que cela réussisse, je le désire ardemment ».

« 24 avril 1810… Nous sommes très certains maintenant que l’on négocie l’échange, mais nous flottons toujours dans la plus accablante inquiétude « .

« 26 avril 1810.. On n’entend plus que de faux bruits qui mènent à rien « .

« 28 avril 1810… Point de nouvelles, peu d’espoir, triste situation ». 

« 7 mai 1810.. La nouvelle rassurante et mon espoir revient »

Son espoir s’est-il concrétisé ? Le journal s’arrête le 9 mai 1810, sans nous apporter de réponse….

D’autres échanges se font par Jersey, ou directement en mer de bâtiment à bâtiment par des accords que l’on passe entre marins ou corsaires. Plus rarement, des navires qui ne sont pas jugés « de bonnes prises » seront renvoyés dans leur patrie avec un équipage de prisonniers libérés dans le cadre d’un échange. C’est le cas de l’Eléonore appartenant au Sieur Lecanu de Dieppe qui en 1812 ramènera ainsi 38 personnes dont 6 femmes et 5 enfants.

 

Les évasions

L’évasion, le fameux devoir du prisonnier.. Elles ne furent pas rares et notre Normandie fut souvent leur terre d’échouage. Il est vrai que ces audacieux en mal de pays, qui n’avaient plus que leur vie à perdre n’avaient pour la plupart pas le choix de leurs itinéraires.

L’étude a mis en évidence divers modes d’évasion qui n’étaient pas toujours du goût de la bonne administration bonaparto-napoléonienne. Le vocabulaire qu’employaient les militaires, les policiers ou les secrétariats en parlant de ces hommes qui avaient osé réussir un retour par leurs propres moyens est parfois choquant :

Pour le prisonnier de guerre sur parole, il était de rigueur (par ordre ministériel) de lui reprocher d’être revenu du « cautionnement qui lui avait été assigné en Angleterre » et de bien lui rappeler qu’il « avait rompu cet engagement sacré ».

Pour ceux des prisons (peu) et des pontons on emploiera les tournures suivantes :

« … le procès verbal d’arrestation sur les côtes de trois aspirants évadés… »

« … marin français échappé des prisons d’Angleterre … »

« … lequel a déserté les prisons d’Angleterre … »

« … des individus revenus frauduleusement des prisons d’Angleterre … »

Mais la plus remarquée, celle qui cadre le mieux la mentalité d’accueil, bien qu’elle ne s’attache pas directement a une évasion, est la suivante :

« .. dans le nombre des prisonniers qu’ils ont mis en liberté, il s’est trouvé quelques pêcheurs, ce ne sont que des vieillards et des infirmes qui étaient une charge pour eux sans être d’aucune utilité pour nous… ».

Dans toutes les évasions de nos prisonniers de guerre d’Angleterre, il y a eu deux dangers majeurs :

Le premier est l’évasion proprement dite du pénitencier, du village ou du ponton. L’organisation d’une évasion est un sujet mûrement réfléchi bien que quelques cas relèvent de la plus pure opportunité.

Le second est le franchissement du « Channel ». Ce fossé est certes incontournable mais pas infranchissable et beaucoup de candidats à l’évasion s’y risqueront. Combien ont échoué ? Combien ont réussi ? Dieu seul le sait…

Lorsqu’on s’évade d’un ponton, c’est souvent en pratiquant un trou dans la coque. L’opportunité d’une corvée peut s’appliquer aux prisons et aux pontons. Statistiquement les évasions en masse ont été dramatiques. Par contre les évasions individuelles ou à deux ont eu des succès indéniables

Les Anglais offrent des primes à ceux qui dénoncent les évadés… Le trajet est alors épuisant, quelquefois plusieurs jours avec un minimum de vivres.

Pour franchir la mer les moyens sont les suivants:

– vol d’une chaloupe ou d’un bâtiment plus sérieux avec ou sans équipage.
– achat d’un bateau à un Anglais (réseaux d’évasion).
– achat d’un passage à un Anglais (réseaux d’évasion).
– s’embarquer clandestinement sur un bateau en partance.
– s’embarquer clandestinement sur un parlementaire.
– beaucoup plus aléatoirement s’éloigner de la côte sur un objet flottant et se faire recueillir en mer par un bateau de passage (ce moyen a réussi, l’évadé s’est retrouvé ainsi à l’étranger).

Un autre type de retour que l’on peut aussi classer dans les évasions c’est l’achat d’un « tour d’échange ». Le prisonnier de guerre sort des geôles sous un autre nom que le sien… Lorsqu’il arrive en France il décline sa véritable identité.

Si l’évadé parvient en France, il met très souvent le pied à terre entre Le Tréport et Cherbourg. Là sur le sol de sa patrie, les tracasseries commencent… Tout homme arrêté sur les côtes de France, prisonnier de guerre ou non, est suspecté d’intelligence avec l’ennemi. Ce sera le commissaire de marine (administrateur) qui accueillera obligatoirement ce suspect. C’est d’ailleurs cet homme qui reçoit aussi lors des retours officiels, les « listes d’échange » ou le « certificat de renvoi sur parole » dûment visés par le Sieur Otto. Si tout est en règle, c’est la remise du marin à son quartier d’inscription en lui fournissant au préalable « un feuillet de route ». Si c’est un militaire il est mis à la disposition du commandant de la place militaire la plus proche. Dans le cas où le suspect ne satisfait pas à ces dernières conditions, le commissaire de marine le remet à l’administration municipale (maire et adjoints) qui organise ‘l’interrogatoire » ainsi que la « mise sous surveillance ». L’interrogatoire peut être mené conjointement avec le Commissaire de la police générale ou séparément.

Les renseignements recueillis sont envoyés aux inscriptions maritimes, aux préfectures, aux ministères de la police générale et de la marine et des colonies… En priorité c’est le ministre de la police qui fait remonter la décision par la même filière soit pour :

– contre-interrogatoire,
– renseignements complémentaires ou
– relaxe avec remise aux autorités dont dépend le suspect.

Un feuillet de route lui est alors remis pour renvoi à son lieu d’inscription ou « levé pour le service immédiat ».

Les chiffres concernant les évasions ne sont pas nombreux. Pour les officiers ou plus exactement pour les 5.000 prisonniers de guerre sur parole, qui n’avaient pas beaucoup de parole selon les anglais, 1150 tentatives d’évasion se soldèrent par 70% de réussite. Côté prisonniers anglais en France 26 cas d’évasion sont cités.

Pour ceux qui sont soumis aux régimes carcéraux durs, nous n’avons que les rapports de police pour tenter une statistique.

Les filières anglaises des réseaux d’évasion atteignent un maximum d’efficacité dans les années 1810/1811. Les prix sont fluctuants ; disons qu’ils sont à hauteur de 100 à 300 guinées par homme (une guinée égale vingt et un shillings). L’achat d’un bateau est une décision très ponctuelle, d’aucun l’ont revendu à l’arrivée conformément à une décision ministérielle s’appuyant sur un décret du 18 brumaire de l’an II.

Les récits d’évasion sont assez nombreux. Citons celui-ci :

21 mai 1810.  » … Sept Français évadés des pontons en rade de Portsmouth dans la nuit du 13 au 14, sans vivre ni boussole, étaient entrés en ce port (Fécamp) la veille au soir dans une chaloupe qu’ils ont détaché d’un vaisseau de guerre désarmé ( … ) ces individus sont de Dieppe, Le Havre, Bordeaux, Alençon et Vannes… ». 

Du 14 au 20 mai, ils n’avaient rien mangé et bu que de l’eau de mer, ils seront envoyés à l’hôpital après interrogatoire.

Comme évasion type avec prise de bateau et équipage, voici comme troisième exemple, l’aventure de Leloquet et Dubois.

« ce jourd’hui vendredi vingt huit août mille huit cent sept en l’hôtel de ville du Havre, heure de midi, devant nous Guillaume Séry, maire de la ville du Havre, heure de midi, est comparu le Sieur Nicolas Leloquet âgé de 36 ans originaire et domicilié à Granville lequel a déclaré que s’étant embarqué sur le corsaire La Réciprocité armé à Dieppe au mois de mars 1806 ( … ) l’ayant placé en qualité de capitaine sur une prise faite par le dit corsaire, il aurait eu le malheur d’être pris lui même par les Anglais le 6 du dit mois de mars, qu’il fut conduit à Portsmouth où il est resté détenu comme prisonnier de guerre jusqu’au 23 de ce mois, que ce dit jour étant parvenu à mettre en défaut la surveillance de son gardien il se serait échappé accompagné du nommé Pierre Dubois détenu comme lui et ayant gagné le rivage ils se seraient embarqués dans un canot monté par un seul homme et aurait forcé ce dernier à les conduire jusqu’à la côte de France, ce qu’ayant fait le comparant et son camarades ont débarqué avant hier matin à Etretat… « 

Le 7 septembre 1807, le ministère de la marine et des colonies – 5e division – écrit au sous préfet du Havre en ajoutant que Leloquet et Dubois avaient trompé l’anglais par un déguisement et concluait :

 » … Sa Majesté ayant bien voulu approuver le renvoi du patron avec son bateau, vous lui permettrez de remettre en mer » 

Cette aventure peut être cataloguée « douce » ; il y a eu des cas beaucoup plus violents tels que ces trois frères malouins qui profitant de la descente à terre de la plus grande partie de l’équipage d’une goélette anglaise, s’introduisirent à bord après avoir nagé jusqu’à son mouillage. Tout en épargnant le jeune mousse, ils poignardèrent un officier et un matelot de garde et gagnèrent Morlaix.

La psychose entretenue de l’anglais n’échappe pas au Havre. Deux anecdotes méritent d’être citées pour en mesurer l’ampleur. La première sera l’affaire des 154 pêcheurs d’Honfleur:

Le 9 juillet 1808 deux frégates et une corvette composant la « station » anglaise quasi permanente devant Le Havre sont à poste. L’un des bâtiments ennemis arbore pavillon blanc, celui des parlementaires. Une chaloupe portant le même signal se détache du groupe et arrive aux abords de la petite rade.

Notre flottille menée par C.V. Hamelin refuse de communiquer selon les ordres supérieurs. Pourtant cette fois là, nos ennemis ramènent des prisons de Portsmouth 154 pêcheurs de Honfleur qu’ils détenaient. La « cargaison » est encombrante et le commandant anglais pense qu’en prévenant les familles, il sera entendu aussi des autorités françaises. Il fait donc écrire les pêcheurs. Deux des leurs sont mis à terre avec mission de distribuer les lettres. La réaction ne se fait pas attendre. Les familles mettent neuf barques à l’eau à Honfleur, cap sur leurs hommes. Sur les missives il était indiqué que si rien n’était fait le jour même, les prisonniers retourneraient aux pontons. A l’aller, la marée s’opposa à une manoeuvre du C.V. Hamelin, mais les barques seront interceptées au retour. Familles et prisonniers sont arrêtés : soit 196 personnes en prison. On interroge. Le commissaire de police craint une insurrection ouvrière en solidarité avec ces drôles de détenus. L’affaire monte au ministre de la police. Une enquête est décidée quant au laxisme des responsables du port d’Honfleur qui n’ont rien tenté à la sortie des barques. L’ordre est donné de retrouver toutes les lettres, la crainte de l’espionnage monte. Les deux pêcheurs Duchemin et Laumosne désignés pour la distribution des lettres sont soupçonnés d’intelligence avec l’ennemi. Ils subissent des interrogatoires poussés. Laumosne qui a le grand tort de parler anglais est maintenu en détention alors que les familles et autres prisonniers sont enfin remis en liberté « surveillée »…

La deuxième anecdote se nomme « L’affaire de L’homme et Goule (ou Goulay) :

« le 21 nivôse de l’An XIII, l’ennemi met à terre deux individus sous la falaise d’Octeville. Vus par les douaniers, ils sont arrêtés et conduits devant le maire d’Octeville qui les remet au sous-préfet … Le préfet de la Seine-Inférieure est prévenu. La mayonnaise monte. De mains en mains les deux hommes abasourdis passent aux aveux : 

« le 14 nivôse Jacques L’homme, charpentier de marine et Guillaume Goule, scieur de long, tous les deux d’Ingouville, partent chercher quatre mâts à Honfleur à l’aide d’un canot pour le compte d’un constructeur havrais. Les mâts liés ensemble sont alors à la traîne du canot… ». 

Devant Le Havre, un fort courant les entraîne sous la Hève. Faux marins ils paniquent, tentent en vain de mouiller puis décident de se libérer de leurs mâts en coupant la remorque… Les deux marins dérivent toute la nuit et se retrouvent le matin à quatre lieues d’Antifer. La station anglaise les aperçoit et leur porte assistance. Il n’en fallait pas moins au moment pour moisir sur un « hulk » de longues années, mais le commandant de la frégate anglaise, magnanime, les nourrit et les amène à une lieue de terre avant de les remettre dans leur canot…

La tempête se lève, malgré leurs efforts, il leur est impossible d’atterrir. C’est une nouvelle nuit en mer, une très dure nuit… Un cutter anglais les croise, à peine sauvés par l’ennemi, leur canot coule. Encore une fois la prise n’intéresse pas le capitaine anglais qui les fait conduire à terre sous la falaise d’Octeville le 21 nivôse…

Il y a eu deux communications avec l’ennemi. Interrogatoire, contre interrogatoire, liberté surveillée, nouvelle arrestation … Les deux infortunés seront enfin blanchis le 13 pluviôse; ils peuvent enfin reprendre le travail. Un mois de perdu, le canot, les mâts.. quelles pertes pour des journaliers mais quelle aventure !

Enfin pour conclure, la guerre finie, ces pauvres anglais font leurs comptes. Le perfide et minutieux Transport Office (T.O.) annonce le montant de ses dépenses d’entretien (sic) de nos prisonniers pour la période de 1803 à 1814:

6.871.614 £ 14 sh. et 11 pences …

Bravo le Transport Office pour la précision des 11 pences…

 

NOTES

(1) NDLR. On lira à ce sujet avec intérêt l’article d’Alain Pigeard, « Les prisonniers de Cabrera » dans le n° 23 de la revue Napoléon Ier (Novembre 2003)

(2) Voir aussi sur ce site : les Pontons

(3) in J. Tulard. Dictionnaire Napoléon

 

BIBLIOGRAPHIES

SOURCES MANUSCRITES          
  • Public Record Office (London) ADM 103 et HO 28
  • Scottish Record Office (Edinbourg) GD i 405 1
  • Peterboroug Museum Library
  • Archives municipales du HAVRE

Journal du P.G. DARTMOOR (sans référence)
FM 12 3 à 7
PR 12 48
FM 6P9 de 23 à 55 Recensement 1808

  • Archives municipales de FECAMP 1H 161
    4H 101
    5Q 301
    21504 et 505 Archives départ. de la Seine Mme IM 209
    2R RP 10733
    3R RP 11384
    6P5 de 59 à 76
    6P6 (MI 39 et 40)
  • Archives du S.H. Marine (Vincennes) Dossier P.G. LAIGNEL
  • Archives nationales (CARAN) BB4
    FF2
    GGI
  • Archives SH Armée de terre (Vinc.) YJ 1 à 17
SOURCES IMPRIMEES
  • CHAMBERS’S JOURNAL 1854
  • A.V.H. N’ 44 1987 – Le Havre et ses environs d’après A. LESUEUR Information sheet -The Norman- Crossbarracks
  • ACERRA/MEYER (Martine/Jean) – Marine et révolution Fr. 1989
  • BOURGEON (François) – Les passagers du vent (les pontons), Glenat 1980
  • DUPONT (Maurice) – L’amiral Decrès et Napoléon
  • FORBES (Macbeth) -The french prisoner of war in the border towns 1803-1804 (Harwick Archaeologial Sy Transaction 1912)
  • GARNERAY (Louis) -Mes pontons – Exelsior 1933 – (réf. Musée de la marine Paris : V 1086)
  • GEISENDORF DES GOUTTES (Théophile) – Geôles et pontons d’Espagne 1932 (réf BMH 62172/l/2)
  • HAUTPOUL (Alphonse) -Souvenir de captivité en Angleterre (réf BMH 39440)
  • HOWE (Martin D.) – Die lagerfur Napoleonische kriegs gefangen NORMAN-CROSS 1796-1816 (coll. internat. de MINDEN 1982)
  • JURIEN de la GRAVIERE (Pierre Roch) – Souvenir d’un amiral. Hachette 1860
  • LARDIER (A) – Histoire des pontons et prisons dAngleterre 1845 (réf Musée marine Paris R 3733 et 3734)
  • LECENE (Paul)-Les marins de la République et de lEmpire 1793-1815 Paris 1884 (réf Musée de la marine Paris : R 4022)
  • LEDRU (Jean-Pierre)

– Marin d’acier pour marine en bois – P.G. LAIGNEL 176911855 – (réf AMH MAR 150 et 151).
– Texte complet de  » Marins Captifs d’Albion  » (ref. AMH MAR 167).

  • LEGOY (Jean) – Le peuple du Havre et son histoire de 1800 à 1914 (réf AMH C 0330)
  • MASSON (Philippe) – Les sépulcres flottants – France 1987
  • MIELKE (Heinz Péter) – Louis GARNERAY voin gefangen zum etablierten kunstler. verlag musers grafik druck kg 1987
  • MORISS (Roger) – The royal dockyards during the révolutionnary and Napoleonic wars Leicester university press 1983
  • PILLET (René Martin) – L’Angleterre vue à Londres et dans ses provinces… Alexis Emery 1815 (réf BMH 41668)
  • SAVINE (A) – Une captivité en France. Journal d’un prisonnier Anglais de guerre en France 181111814 (réf BMH 50093)
  • SWEETMAN (George) – The French in Wincanton 1897 (Wincanton library réf 0320794)

Orthographe et ponctuation, de l’époque, respectées dans les textes cités.

REMERCIEMENTS

Je remercie globalement mais non moins chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à cette enquête et plus particulièrement:

Madame Sylvie BAROT
Mrs Mary HARPER
Madame Winnie HANSON (traduction)
Monsieur Jôrg BOGUMIL (traduction)
Mr Mike REED
De même que direction et personnels des archives, bibliothèques, musées nationaux, départementaux et locaux tant en France qu’à l’étranger.

Auteur


Centre Havrais de Recherche Historique

© A2003 – J-P. Ledru