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La politique financière sous le Consulat et l’Empire

Banque de FranceBanque de France

Dans la Constitution de l’an VIII, trois articles (45, 56 et 57) énonçaient nettement le vote annuel de la loi de finances la direction des dépenses et des recettes, l’obligation de rendre des comptes:

  • Article 45. ­ Le gouvernement dirige les recettes et les dépenses de l’État conformément à la loi annuelle qui détermine le montant des unes et des autres…
  • Article 56. ­ L’un des ministres est spécialement chargé de l’administration du Trésor public : il assure les recettes, ordonne les mouvements de fonds et les paiements autorisés par la loi. Il ne peut rien faire payer qu’en vertu : 1) d’une loi, et jusqu’à concurrence des fonds qu’elle a déterminés pour un genre de dépenses ; 2) d’un arrêté du gouvernement ; 3) d’un mandat signé par un ministre.
  • Article 57. ­ Les comptes détaillés de la dépense de chaque ministre, signés et certifiés par lui, sont rendus publics.

En dépit de ces articles, pourtant clairs, il n’y eut jamais sous le Consulat une loi de finances annuelle fixant l’ensemble des recettes et des dépenses pour un exercice. Car il existera une différence de traitement entre eux quant à leur application. Si l’obligation de rendre des comptes sera toujours remplie, par contre, celle de diriger recettes et dépenses en vertu d’une loi les fixant annuellement ne se trouvera pas, dès l’an VIII, respectée de manière permanente. La place du pouvoir législatif dans l’établissement et le contrôle du budget se trouvera rapidement réduite et l’on se trouvera vite en face d’un budget discrétionnaire.

C’est ainsi : la volonté de Napoléon n’entendait pas que son action puisse être limitée par une loi.


S’il n’a pas inventé la formule l’argent est le nerf de la guerre, Napoléon fut de ceux qui comprirent que la guerre, qu’elle fut longue ou courte, nécessitait un système financier adapté et productif. Durant les années 1799­1814, de nombreuses tentatives d’amélioration du système financier français ont ainsi été effectuées, mais c’est surtout durant les années du Consulat que ces essais furent les plus importants. Il s’agissait, il est vrai,  de mettre, le plus rapidement, à disposition du nouveau régime le maximum de ressources possibles. Disons-le tout de suite : cette démarche ne fut jamais poussée à son terme.

Au moment de Brumaire, les connaissances financières de Bonaparte sont pour ainsi dire nulles.

Il comprenait peu la théorie du crédit public, et l’on voyait qu’il avait un secret penchant à traiter parmi nous la partie des finances dans le même système d’avanies adopté en Égypte, en Turquie, et dans tout l’Orient (Fouché – Mémoires)

Certes avait-il lu, certains soirs, et plus par curiosité, des ouvrages, à la vérité fort peu nombreux, d’économie politique et de finances.

En fait, c’est de sa propre expérience qu’il avait retiré quelque chose. En particulier, son sens de l’économie, qu’il gardera toute sa vie, lui venait de sa mère. La fortune qu’il laisse au soir de sa vie en témoigne. Il faut coumouler (selon son expression), et par tous les procédés : tels ces achats de titres étrangers, ou ses souscriptions à des emprunts de Naples et de Saxe, ou encore, l’acquisition d’obligations prussiennes, émises par ce pays en liquidation de sa dette de guerre…

Au contact des hommes,  Napoléon va mettre en application ce que l’éducation familiale lui a enseigné.  On se rappelle que, prenant le commandement de l’armée d’Italie, en 1796, il trouve des soldats mal vêtus, mal nourris … à qui la République doit tout et ne peut rien donner ...Alors, il écrit au Directoire, que, tant « que ses forces dureront » il fera la guerre aux Autrichiens…et aux « fripons ». Il réclame du régime qu’il soit  « purgé » des commissaires des guerres et qu’il lui en envoie des « probes »… »s’il y en a ». Car, ajoute-t-il, ils volent d’une manière si ridicule et si impudente que, si j’avais un mois de temps, il n’y en a pas un qui ne pût être fusillé… Je me garde plus d’eux que de Wurmser…

Passant de la parole aux actes, il fera jeter en prison des fournisseurs coupables de dilapidations et de prévarications et prescrit de mettre aux arrêts un adjudant-général pour avoir retardé le paiement du prêt de la troupe. Car c’est là pour lui la faute insigne : de toutes les dépenses, c’est la plus sacrée, et, il faut le souligner, il ne changera, sur ce sujet, jamais d’avis.

C’est au cours de la campagne d’Égypte que, pour la première fois, il pense à l’organisation d’un régime fiscal, comme il l’écrit à Kléber, la veille de son départ d’Égypte :

J’avais le projet, si aucun événement ne survenait, de tâcher d’établir, cet hiver, un nouveau système d’impositions. Cependant, avant de l’entreprendre, je vous conseille d’y réfléchir longtemps ; il vaut mieux entreprendre cette opération un peu trop tard qu’un peu trop tôt.

Aussi, lorsqu’il rentre en France, devant le chaos qui se présente à lui, il tire deux règles qui vont marquer sa politique financière dans le futur :

  • l’horreur du papier-monnaie. La peste du papier-monnaie ! L’expression n’est certes pas de lui, mais de Mollien, mais pourrait l’être.
  • une véritable aversion pour les spéculateurs et les trafiquants, dont, par ailleurs, il connaît les relations que Joséphine entretient ou a entretenu avec eux (Ouvrard ne va-t-il pas jusqu’à prétendre que c’est Joséphine qui le prévient, en 1800, de son imminente arrestation !)

Si cette « ancienne administration de la France – on ne craint pas de le dire, la plus parfaite qui ait existé – a péri, c’est par les finances ; si le Directoire a vu crouler sa puissance, la même cause a produit les mêmes effets ». Ainsi s’exprime Bonaparte peu de jours après son arrivée au pouvoir : pour lui, donc, la question financière sera constamment au centre de ses préoccupations. Pour l’aider, il compte sur son bon sens, que son génie, de temps à autres, complètera.

Mais il ne cachera jamais, du moins au début, son ignorance technique.

A cette époque (les premières années du Consulat), rapportera Chaptal, il ne rougissait pas du peu de connaissances qu’il avait du détail de l’administration.

Pour y pallier, il questionne, faisant preuve d’une curiosité insatiable (l’expression est de Mollien), n’hésitant pas, dans une séance au Conseil des Finances, à questionner vingt fois le directeur de la Dette publique (Lamolère), sur le Grand Livre de la Dette Publique. Il dira un jour que ce qui commença sa réputation fut que, vérifiant la balance d’une année lors du Consulat, (il releva) une erreur de 2 millions au désavantage de la République.

Plus tard, il n’hésitera pas à donner des leçons à ses collaborateurs. Comme lorsque, Champagny lui communiquant le budget du grand-duché de Parme, il fait observer qu’au « premier coup d’œil , il lui paraît absurde ». Ou, lorsque Eugène, proposant une mesure fiscale, il lui fait cette réponse cinglante : Mes peuples d’Italie me connaissent assez pour ne devoir point oublier que j’en sais plus dans mon petit doigt que dans toutes leurs têtes réunies.

« Il passait ensuite en revue ce qu’il eût proposé pour la postérité, les intérêts, la jouissance et le bien-être de l’association européenne. Il eut voulu les mêmes principes, le même système partout; un code européen, une cour de cassation européenne, redressant, pour tous, les erreurs, comme la nôtre redresse chez nous celles de nos tribunaux. Une même monnaie sous des coins différents (…) «  (Las Cases – Le Mémorial – 24 août 1816)

Mollien, son ex-précepteur , ne sera pas plus épargné et il prend un plaisir enfantin à étaler son savoir :  Les finances de l’Espagne, lui dit-il un jour, sont dans un désordre extrême. On m’a apporté toutes les pièces ; je vais voir s’il est possible de leur débrouiller tout cela. Ce qui ne l’empêchera pas, encore en 1810, de questionner ce dernier, sur des sujets qui, manifestement, lui étaient encore étrangers :

Faites-moi un rapport qui me fasse bien connaître ce que c’est que le dépôt de la Banque de France. Qui est-ce qui émet les billets ? Qui fait les profits ? Qui est-ce qui fournit les fonds ? ou de lui demander de lui envoyer tous les soirs une note sur la valeur des effets publics et sur les différentes circonstances du change », pour qu’il puisse connaître toutes les variétés qui existent dans cette partie de l’économie politique.


En matière de finances, la Constitution de l’an VIII avait clairement exposé  le programme du nouveau gouvernement:

L’ordre dans les recettes et les dépenses, et celle-cy (sic) ne peut avoir lieu que par la stabilité de l’organisation administrative, politique et judiciaire. Le défaut de l’ordre dans les finances a fait périr la Monarchie, mis en danger la liberté après avoir, pendant dix ans, englouti des millions. 

En clair : il faut avoir de bonnes finances, si l’on veut avoir une bonne administration. Pour appliquer ce principe, deux conditions s’imposent au nouveau maître de la France :

  • s’entourer de collaborateurs intègres, et d’une compétence indiscutable ;
  • contrôler soi-même le fonctionnement des rouages financiers.

Ces collaborateurs, dont l’origine lui importe peu, pourvu qu’ils veillent aux intérêts de la France, qui sont-ils ?

Gaudin, d’abord, qui sera l’inamovible ministre des Finances de Napoléon de 1799 à 1814 et aux Cent­Jours, et qui incarnait sans doute, pour lui, l’idéal du fonctionnaire. Son contemporain Beugnot en a fait le portrait :

Doué d’un esprit droit plutôt qu’étendu, exact, laborieux, rangé en tout, dans ses affaires comme dans sa toilette, assidu à l’Opéra, scrupuleux sur les devoirs de la société, inébranlable dans ses habitudes, fort révérencieux pour le pouvoir, un peu réluctant contre les nouveautés, il eût offert, dans l’Ancien Régime, le parfait modèle de ces premiers commis qui ne naissaient ni, ne mouraient, parce que, de génération en génération, on les trouvait toujours les mêmes. M. Gaudin avait, sans trop d’encombres, traversé la Révolution, offrant ce qu’il savait faire à qui en avait besoin ; travaillant sous le financier Cambon et le ministre Ramel pas autrement qu’il n’aurait fait sous M. de Fleury ou M. de Calonne ; une utilité financière et rien de plus. Il se trouva tout juste de mesure à servir sous un pareil maître. Apportant au jeu quelques bonnes vieilles notions, il les produisait sans y mettre de prétention, et les abandonnait sans plus de résistance ; au reste, introduisant l’ordre partout et curant, du soir au matin, les étables d’Augias, sans s’afficher pour cela pour un Hercule.

Martin Michel Charles Gaudin, duc de Gaëte
Martin Michel Charles Gaudin, duc de Gaëte

À Sainte-Hélène, l’Empereur dira de lui :

C’est un homme tout d’une pièce, et c’est une forteresse inattaquable pour la corruption.. Je me suis toujours applaudi de son concours, et je lui porte une amitié que je me plais à rappeler ici.

D’un genre totalement différent, probablement plus complexe, Mollien (un des meilleurs financiers de l’Europe, écrira de lui Napoléon), ancien commis de la Monarchie, fut sorti de l’inaction à laquelle l’avait forcé la Révolution,  par l’émergence du Consulat. Nommé, dès sa création, directeur de la Caisse d’amortissement, il devient, après la disgrâce de Barbé-Marbois lors de la crise de 1805, ministre du Trésor Public. Pendant quinze années il sera un conseiller toujours respecté et toujours écouté, même si sa supériorité de sa technique et son art de manier les idées, ne laissent pas d’agacer Napoléon.

Mollien avait ramené le Trésor public à une simple maison de banque : si bien que, dans un seul petit cahier, j’avais constamment sous les yeux l’état complet de mes affaires : ma recette, ma dépense, mes arriérés, mes ressources. (Napoléon à Sainte-Hélène)

Nicolas François Mollien
Nicolas François Mollien

Au cours de ses entretiens avec l’Empereur, il lui apprenait la science financière, lui donnant la sensation de l’écouter plus que de l’instruire. Comme il l’écrivit plus tard dans ses Mémoires :

Napoléon, créait à chaque instant des combinaisons nouvelles de chiffres qu’il prenait pour des créations de ressources… Ses erreurs provenaient surtout de doubles emplois, dont il ne se refusait pas le secours, et qu’il était assez difficile de rechercher et de démontrer à l’instant même dans des comptes de plusieurs millions. Il croyait pouvoir faire manœuvrer les chiffres comme ses bataillons et, comme souvent il avait fait prendre au même corps plusieurs positions dans la même bataille, il faisait revivre trois ou quatre fois la même somme, en lui assignant divers emplois… Il fallait quelque patience pour le désenchanter d’illusions sans cesse renaissantes, dans lesquelles il se complaisait…

Parmi les autres collaborateurs, l’histoire a retenu :

Barbé-Marbois, solennel et naïf, qui irritait Napoléon par ses lenteurs et ses hésitations;

François Barbé-Marbois
François Barbé-Marbois

Lebrun, le futur Architrésorier de l’Empire, écrasé par la personnalité de son collègue (qui est pourtant 30 ans plus jeune !), mais plein de bon sens et d’équilibre. C’est lui qui conseille à Bonaparte de nommer Gaudin au ministère, puis, plus tard, de placer Dufresne à la direction du Trésor public. Il poussera à la création de la caisse d’Amortissement et de la Banque de France. En fait, il donnera son avis sur pratiquement toutes les décisions financières ou économiques. Au poste d’Architrésorier, il aura à suivre les travaux des grands ministères et sera l’arbitre des grandes affaires d’économie politique;

Charles-François Lebrun duc de Plaisance (1807), Robert Lefèvre, musée de Coutances
Charles-François Lebrun duc de Plaisance (1807), Robert Lefèvre, musée de Coutances

La Bouillerie, qui sera chargé de la gestion du Domaine extraordinaire, dont l’ingéniosité et le zèle plairont à l’Empereur, mais qu’il ne traitera jamais qu’en intendant.

François Marie Pierre Roullet, baron, puis comte de La Bouillerie
François Marie Pierre Roullet, baron, puis comte de La Bouillerie (Wikipedia)

Louis XIV, prétendait l’Empereur, n’aurait pas été ruiné s’il avait su compter et faire un budget.

L’organisation de la Maison impériale sera, dans ce domaine,  un excellent exemple des méthodes napoléoniennes.

C’était un modèle d’ordre et d’économie. L’Empereur tenait des conseils avec tous les chefs ordonnateurs une fois par semaine. Là, il arrêtait ses comptes, ouvrait des crédits, se faisait présenter des états exacts, et par pièces, de toutes les dépenses, des ventes et des achats, et il ne se consommait pas un article, ni dans ses cuisines, ni dans ses appartements, ni dans ses écuries, dont il ne connût le prix…(Chaptal)

Cette peur d’être volé, Napoléon la ressentait plus intensément encore dans la gestion des deniers publics. C’est une victoire gagnée pour l’administration que la découverte d’un comptable infidèle, écrit-il au prince Eugène.

La création de deux ministères distincts, ministère des Finances et ministère du Trésor, constitua à ses yeux une garantie de bonne administration :

Mon budget sert à mettre toujours en guerre le ministre des Finances avec celui du Trésor, dit-il à Roederer. L’un me dit : « Je promets tant, l’on doit recevoir tant » ; l’autre : « On n’a reçu que tant.» C’est leur opposition qui fait ma sûreté.»

Il attache une grande importance à la comptabilité : le grand principe de l’administration  est que nul ne doit ordonnancer en sa faveur et se payer soi-même Sur ce point, il était impitoyable :

A Marmont : Vous n’avez pas le droit de disposer d’un sou sans que le ministre l’ait mis à votre disposition. 

A Fouché : Mon intention est qu’on exécute à la lettre les articles de mon budget… Je vois dans les comptes plusieurs dépenses qui sont irrégulières, telles qu’une somme de 5 400 francs pour une indemnité à des petits théâtres et 296 francs pour gratifications à un auteur. Ce n’est pas que ces dépenses ne puissent être nécessaires, mais le premier principe de l’administration est que toutes les dépenses doivent être faites par mon ordre. 

Ce souci des règles administratives  se retrouve dans la conception que Napoléon se fait de la fiscalité : la qualité de tout système fiscal est son rendement, quelles que soient ses répercussions économiques ou sociales. Il considère donc qu’il faut imaginer des taxes variées, d’application facile et d’une productivité automatique. Par conséquent, l’impôt idéal, c’est l’impôt indirect.

En dehors des contributions directes, les impôts comprenaient alors (pour moins d’un tiers) les droits d’enregistrement et de timbre, les taxes postales, les droits de douane et enfin quelques impôts de consommation créés depuis l’an IV sur les tabacs fabriqués, les voitures publiques, la garantie des matières d’or et d’argent, les cartes à jouer. Bonaparte et Gaudin auraient souhaité étendre cette sorte d’impôts, mais il parut impolitique de heurter trop tôt le sentiment populaire, et le ministre ne put, en l’an VIII, décider le Premier Consul à proposer de rétablir l’impôt sur le sel. On s’en tint d’abord au plan communal. Pendant l’an VII, 34 villes, dont Paris, avaient été autorisées à établir des octrois. La loi du 5 ventôse an VIII rendit cet impôt obligatoire dans les villes dont les hospices manquaient de ressources. On ne s’en tint pas là : il existait en l’an XII plus de 2 000 octrois. A partir de l’an XI, l’État préleva 5 % de leur produit dans toute commune de plus de 4 000 habitants.

Plus tard, il précisera ses idées devant le Conseil d’État :

Mon système de finances consisterait à établir un grand nombre de taxes indirectes, dont le tarif très modéré serait susceptible d’être augmenté à mesure des besoins… Je veux faire le bien de mon peuple, et je ne serai point arrêté par les murmures des contribuables ; je vis pour la postérité ; il faut à la France de grandes contributions ; elles seront établies.

Dans ces conditions, les impôts directs ne pouvaient jouer qu’un rôle secondaire, mais, Bonaparte insistait pour qu’ils obéissent à des règles fixes. Peu après Brumaire il déclare :

Votre système d’imposition est le plus mauvais de toute l’Europe. Il fait qu’il n’y a ni propriétaire ni liberté civile, car la vraie liberté civile dépend de la sûreté de la propriété. Il n’y en a point dans un pays où l’on peut, chaque année, changer la cote du contribuable… Pourquoi n’avons-nous pas d’esprit public en France ? C’est que le propriétaire est obligé de faire sa cour à l’administration. S’il est mal avec elle, il peut être ruiné. On n’a jamais rien fait en France pour la propriété. Celui qui fera une bonne loi sur le cadastre méritera une statue.

C’est Gaudin qui est chargé de procéder au recensement et au classement de la propriété foncière. L’Empereur se montrera fier à ce sujet, disant à Sainte-Hélène

le cadastre eût pu être considéré à lui seul comme la véritable constitution de l’Empire, c’est-à-dire la garantie des propriétés et de l’indépendance de chacun ; car une fois établi, et la législature ayant fixé l’impôt, chacun fait aussitôt son propre compte, et n’a pas à craindre l’arbitraire de l’autorité, ou celui des répartiteurs, ce qui est un point essentiel et le moyen le plus sûr pour forcer à la soumission 

Sur les problèmes du crédit, les idées de l’Empereur sont élémentaires, voire primitives. Beugnot, commissaire impérial du grand-duché de Berg, rapporte une anecdote significative. Ayant employé l’expression perdre son crédit, Napoléon lui rétorque

Qu’entendez-vous par ces paroles, et qu’est-ce que votre crédit, s’il vous plaît? Je ne vous ai pas envoyé ici pour faire des affaires : c’est un marchand, c’est un banquier, qui a besoin de crédit ; quant à vous, c’est de l’ordre que je vous demande.

Le sens de l’économie évoqué au début se reflète dans le soucis (mais la plupart des écrivains financiers de l’époque partagent ce point de vue) d’avoir toujours des réserves, destinées aux mauvais jours, seule forme de prévoyance à ses yeux. Il estime que la Dette publique ne doit pas dépasser 80 millions de rentes. Il répugne par ailleurs à solliciter ou accepter le concours des capitaux privés, qu’il assimile à la déchéance de la puissance publique. Il se méfie tout autant des fournisseurs, dont il est persuadé qu’ils n’ont qu’une idée : le tromper.

Tout comme dans la vie politique, il était, dans la vie économique, hostile à toute forme de libéralisme, disant un jour:  beaucoup de lois, encore plus de règlements, voilà les moyens de gouverner .

Son attitude à l’égard de la Bourse est dans ce domaine significative : la spéculation lui parait tout simplement une atteinte à son pouvoir. Il ne voit dans  tout fléchissement de la rente, qu’ une manœuvre politique, qu’il doit combattre immédiatement. Ainsi, en 1805, à la veille d’Austerlitz

Avant quelques jours, j’aurai battu les Russes, les Autrichiens et les joueurs à la baisse. 

Lui qui affecte un réel mépris de l’opinion, est en fait plus sensible que quiconque à la tenue des fonds publics. Dans cette optique, la Caisse d’amortissement est pour lui une institution destinée à alléger la Dette, plutôt qu’un organisme destiné à soutenir le du marché : il en attend donc la fixité des cours, qui, pratiquement, ne se réalisera jamais.

En matière de finances, Napoléon affichera toujours une certaine rigidité, synonyme d’ordre et de discipline. Il en va du prix de l’argent comme des cotations de la Bourse. Il fait déclarer usuraire tout intérêt supérieur à 5%, car :

il faut fixer l’intérêt légal; ce sera une règle pour l’honnête homme. Les économistes ont fait de l’homme une brute en soutenant que sa conscience ne pouvait être affectée par la déclaration d’un intérêt légal.

Dans ces conditions (montant de la Dette publique, cours de la rente, prix de l’argent, tout doit être arrêtés une fois pour toutes) on imagine mal la place d’emprunts éventuels, auquel Napoléon se refusera toujours :

 » … Ce moyen à la fois immoral et funeste, qui impose à l’avance les générations futures, qui sacrifie au moment présent ce que les hommes ont de plus cher, le bien-être de leurs enfants ; qui mine insensiblement l’édifice public et condamne une génération aux malédictions de celles qui la suivent  » (Préambule du décret du 29 décembre 1810 sur le monopole du tabac).

Vue du XXIe siècle, l’originalité du règne de Napoléon est certainement l’absence, malgré quinze années de guerre, de toute dévaluation de la monnaie. Mais Napoléon resta toujours inflexible sur ce point, tant l’idée d’inflation lui inspirait d’aversion. Ce fléau du papier-monnaie, l’Empereur voulait à tout prix l’épargner à la France :

Sa Majesté a voulu qu’il fût bien clairement exprimé que, jamais, sous son règne, aucun papier-monnaie, aucune altération de la monnaie n’auraient lieu. Comment, en effet, l’un ou l’autre pourraient-ils se renouveler sous son gouvernement, lorsque l’Histoire de tous les siècles nous confirme que ces expériences désastreuses ne sont faites que sous des gouvernements énervés ?

est-il écrit dans l’exposé du budget de 1806.

En pratique, la pression des évènements suscitera des contradictions entre les idées et la réalité de la politique.

Le 18 Brumaire, la rente de 5% cote 11 francs 38 ; le prix de l’argent oscille entre 3% et 4% par MOIS ; le déficit se monte à 250 millions, soit presque le tiers du budget ; dans les caisses du Trésor,  guère plus de 167 000 francs, qui proviennent d’ailleurs de l’avance de 300 000 francs obtenue à grand-peine la veille du coup d’État.

Au  20 Brumaire an 8, il n’existait réellement plus vestige de finances en France. Une misérable somme de 167.000 francs, était à cette époque tout ce que possédait, en numéraire, le Trésor Public d’une nation de trente millions d’hommes. C’était le produit d’une avance de 300.000 francs que l’on avait obtenue la veille, et sur laquelle on avait fait cette réserve, pour le service du lendemain (…) Rien n’avait encore été préparé pour l’Assiette des perceptions de l’année courante. Tout était donc à faire et tout à changer pour remédier aux maux que le système (si on peut l’appeler ainsi) qui avait été suivi jusque là aurait rendus bientôt sans remède. (Mollien)

Qu’en est-il quatre ans après ? Les fonds publics ont atteint le cours de 60 francs ; l’escompte des effets de commerce se négociait à 6%  l’AN, et descendront bientôt 5%, puis 4%; recettes et charges publiques sont équilibrées ; la trésorerie fait face ponctuellement aux dépenses de l’État. La situation financière s’améliore au point de permettre, au début de l’an IX, le paiement des pensions et des rentes en numéraire.

Faut-il parler de miracle, voire de la marque de génie d’un seul homme ? En fait, les moyens employés, pour redresser la situation, par Bonaparte et ses collaborateurs, vont être, somme toute, banals :

  • un concours bancaire assure, tout d’abord, le règlement des échéances immédiates. Pour couvrir, malgré la détresse du Trésor, les besoins les plus urgents, le pouvoir nouveau recourt, pendant presque tout l’an VIII, aux expédients, emprunte, non sans peine, aux banquiers et aux commerçants, aliénie des immeubles et des rentes foncières de l’État, fait verser des cautionnements par des agents financiers autres que des comptables et par les notaires, huissiers, avoués, etc.
  • reprise en main des administrations défaillantes. Dès le Consulat provisoire, la loi du 3 frimaire an X ôte la confection des rôles individuels aux municipalités, dont l’inertie, voulue ou non, entraînait un retard considérable, souvent de plus d’une année, et entravait ainsi le recouvrement. Elle créa dans chaque département une direction des recouvrements des impositions directes.

Elle fut remplacée par une Direction Générale établie, en vertu de la loi du 3 frimaire (…) à l’instar de l’ancienne Direction générale des vingtièmes, et composée pour chaque Département, d’un Directeur, d’un Inspecteur, pour le seconder et le suppléer au besoin, et d’un contrôleur par arrondissement, chargé de faire confectionner, sous leur responsabilité, les Rôles des contributions directes, après avoir recueilli les renseignements nécessaires, sur les mutations de de propriété ou de domicile , et de vérifier les réclamations des contribuables, afin de mettre l’administration locale à portée de leur rendre justice (Mollien)

Par la loi du 5 ventôse an XII, tous les percepteurs des impôts directs sont désormais des fonctionnaires d’État professionnels;

  • des économies, partout où il est possible d’en trouver ;
  • pas d’impôts nouveaux, si ce n’est 25 centimes additionnels au principal des contributions foncière et mobilière ;
  • abolition de l’emprunt forcé ;
  • vente de biens nationaux; apurement de l’arriéré par remise de rentes aux créanciers ;
  • défense aux fournisseurs titulaires de délégations de recettes de se payer directement sur les caisses publiques ;
  • création d’une Direction générale des Contributions directes, chargée de préparer les rôles d’impôts, puis d’une Régie des Droits Réunis, destinée à permettre le rétablissement ultérieur des taxes indirectes ;
  • institution de percepteurs à qui est confié le soin du recouvrement ;
  • reconstitution et extension des octrois ;
  • organisation d’une Caisse de garantie où, grâce à la centralisation des cautionnements, les traites des receveurs généraux sont désormais assurées d’un escompte facile ;
  • mise sur pied d’une Caisse d’amortissement des fonds publics et d’un Institut central d’émission ;
  • définition légale de la monnaie par rapport au métal-argent, qui permettra au franc de Germinal (la loi du 7 germinal an XI fait du franc une unité monétaire métallique à valeur stable et à frappe libre);
  • paiement des rentes en numéraire.
Un franc de l'an XI - Graveur : Pierre-Joseph Tiolier - Ateliers de Paris. Un franc de l'an XI - Graveur : Pierre-Joseph Tiolier - Ateliers de Paris.

ièce de 20 Frans or - Avers
Pièce de 20 Frans or – Avers

Pièce de 20 francs or - Revers
Pièce de 20 francs or – Revers

Pièce de 40 francs or - Avers
Pièce de 40 francs or – Avers

Pièce de 40 francs or - Revers
Pièce de 40 francs or – Revers

 

Les prédécesseurs, au sein des Assemblées de la Révolution, avaient, il faut le reconnaître, remarquablement travaillé, en établissant, en particulier, un nouveau système fiscal, basé, notamment, sur la contribution foncière, la contribution mobilière, la patente.

Toutefois, au moment de sa nomination à la tête ministère des finances (il en sera l’inamovible chef jusqu’en 1815 !), Gaudin sait que le système est loin de fonctionner de telle manière à pouvoir fournir les recettes suffisantes, pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles :

  • mauvais établissement de l’assiette et de la répartition des contributions,
  • admission en paiement des valeurs créées pour les besoins du Trésor,
  • délégation anticipée des ressources que l’on présumait pouvoir obtenir en numéraire,
  • réquisitions forcées, mécontentement dû à l’établissement d’un impôt progressif sous la forme d’un emprunt forcé

Il faut donc modifier le système pour l’améliorer, exercer une surveillance étroite de son fonctionnement, enfin apurer le passé.

  • Modifier le système pour l’améliorer

Les nouveaux maîtres du pays instaurent alors des changements immédiats et commencent des modifications à moyen termes.

Les premiers vont intervenir dès les premiers mois, et portent sur la perception des impôts existants.

L’agence des contributions directes, qui avait été créée par la loi du 22 brumaire an VI (12 novembre 1797) et qui avait montré peu d’empressement dans la confection des rôles est supprimée, est remplacée par une Direction des recouvrements des impositions directes (un directeur par département, un inspecteur et des contrôleurs), qui est chargée uniquement de la formation des matrices de rôles. Ainsi se trouvent substitués des fonctionnaires dépendant du ministère à des corps électifs incompétents (loi du 3 frimaire an VIII ­ 24 novembre 1799).

Ceci assure, au moins théoriquement, la perception et rend possible l’obtention d’avances sur des rentrées certaines. Les receveurs généraux sont alors obligés de souscrire des obligations, payables par douzième, du montant des contributions directes de leur département et à verser un cautionnement en espèces (productif d’un intérêt de 10 % et égal au vingtième du montant de la contribution foncière du département) à une caisse séparée de la Trésorerie nationale et chargée de garantir le remboursement des obligations protestées (loi du 6 frimaire an VIII ­ 27 novembre 1799).

Ce système est étendu (loi du 7 ventôse an VIII ­ 26 février 1800) à l’enregistrement, au domaine, aux douanes, aux postes, à la loterie nationale, aux notaires avec la création d’un fonds spécial pour le paiement des intérêts (5 %) . Il en est de même pour les receveurs particuliers d’arrondissement qu’elle institue (versement égal au vingtième de la contribution foncière dont la perception leur incombe), les avoués et les huissiers (loi du 27 ventôse­ 18 mars 1800), les agents de change et les courtiers de commerce (loi du 28 ventôse an VIII ­ 19 mars 1800) et, enfin, les payeurs et caissiers du Trésor public (loi du 4 germinal an VIII ­ 25 mars 1800).

La loi du 4 pluviôse an XI ­ 24 janvier 1803 établi des receveurs particuliers dans les communes où les rôles dépassent 15 000 F : ils doivent fournir en numéraire un cautionnement égal au vingtième de la contribution foncière qu’ils ont à percevoir. La loi du 5 ventôse an XII ­ 25 février 1804 crée les percepteurs.

La Caisse d’amortissement (ancienne Caisse de garantie et d’amortissement) est maintenant chargée de garantir le paiement des obligations en souffrance, de contribuer à l’amortissement de la dette, et….de concourir à l’établissement de la Banque de France par un achat d’actions pour un montant de cinq millions, soit près de la moitié de son capital initial. Régie par trois membres dont Mollien (arrêté du 8 frimaire an VIII ­ 29 novembre 1799), ce dernier en devient le seul directeur (décret du 23 messidor an IX ­ 13 juillet 1801).

  • Surveiller le fonctionnement du système

Au niveau du Trésor public,  les commissaires de trésorerie sont supprimés, en même temps qu’une Direction générale du Trésor (subordonnée au ministère des Finances) est créée  et confiée au conseiller d’État Dufresne, (loi du 1er pluviôse an VIII ­ 12 janvier 1800). Quinze inspecteurs généraux du Trésor public sont créés; leur fonction est de vérifier les caisses des Receveurs généraux et particuliers, des payeurs généraux et des préposés de ces comptables (arrêté du 19 fructidor an IX ­ 6 septembre 1801).

Finalement, le ministère des Finances est dédoublé, par la création du ministère du Trésor public (issu de la Direction générale du Trésor), qui se voit attribué la dépense. Il est confié à Barbois­Marbois (5 Vendémiaire an X ­ 27 septembre 1801).

  • Apurer le passé

Au terme de la loi du 11 frimaire an VIII ­ 2 décembre 1799 tous les acquéreurs de biens nationaux en retard dans leur paiement doivent s’en acquitter sous peine de déchéance, et ceci avant le 1er vendémiaire an IX (23 septembre 1800) par un paiement en numéraire. Il est également procédé à un  » assainissement des valeurs mortes « , l’État n’en ayant pas disposé d’autres pour régler la plupart de ses créanciers. Bons de réquisitions, délégations et autres bons de rente vont être retirés progressivement des caisses publiques.

Parallèlement, des modifications à moyen terme sont amorcées.

Il s’agit d’élargir le système fiscal en vue d’obtenir des recettes supplémentaires ou encore du retour aux contributions indirectes. Ces modifications s’imposent parce que les contributions directes sont mal réparties, oppressives et de rentrée lente et difficile, au contraire des impôts indirects, « indolores » et entrant rapidement dans les caisses.

Au printemps 1800, Gaudin présente des propositions que Bonaparte (qui considère alors que son pouvoir n’est pas encore suffisamment solide pour qu’il puisse rompre avec les idées de la Révolution). Mais les circonstances (la poursuite de la guerre impose de recourir à de nouvelles contributions indirectes) l’amène à revoir cette position et d’accepter, comme le propose Gaudin, un changement dans la répartition de la charge fiscale.

L’établissement de la contribution personnelle mobilière et somptuaire, était, dans certaines grandes villes, difficile, pour de multiples raisons: fixation de l’assiette, dissimulation des prix par les propriétaires et les locataires, changements de domicile, recherches longues et coûteuses, rôles tardifs, réclamations. Pour l’an XI, elle doit rapporter 32,8 millions, comparés aux 220 millions de la contribution foncière, aux 17,5 millions de la patente et aux 16 millions des portes et fenêtres.

Il est alors décidé de supprimer :

  • à Paris, la contribution mobilière, et de la remplacer,  par une augmentation des droits d’octroi (26 germinal an XI ­ 16 avril 1803),
  • dans d’autres villes comme Marseille (loi du 26 pluviôse an XII ­ 16 février 1804) ou Lyon (Loi du 13 pluviôse an XIII ­ 2 mai 1805) la contribution mobilière et somptuaire, remplacée par un droit sur les consommations. Plus tard, la loi du 24 août 1806, étendra cette faculté de remplacement à toutes les villes à octroi.

Si elle représente environ un tiers des recettes (an XI), la contribution foncière est lourde, inégale dans sa répartition et son recouvrement. L’arrêté du 12 brumaire an XI ­ 3 novembre 1802 vise à une meilleure répartition par la confection d’un nouveau cadastre et l’adoption du cadastre par épreuve  (dans toute l’étendue de la France, deux communes sont tirées au sort dans chaque arrondissement, cadastrées par des géomètres­arpenteurs et leur revenu territorial bien déterminé, ce qui permet juger de l’excès ou de l’insuffisance de l’imposition des communes de la région, alors que le contrôle par masses de culture juge de la contenance et du rapport des différentes catégories de terres de chaque commune, sans distinguer et estimer les propriétés individuelles, ce qui ne permet pas de remédier à l’inégalité entre propriétaires. Le système sera étendu à l’ensemble des communes par l’arrêté du 27 vendémiaire an XII – 20 mai 1803. Dans l’intervalle, un allégement est adopté.

Le projet de loi relatif au budget de l’an XII va rétablir, dans une certaine mesure, les anciens droits sur les boissons, sous le nom de droits réunis. Leur régie lève également les droits à l’importation du tabac et les droits sur les cartes à jouer (loi du 5 ventôse an XII ­ 25 février 1804 – dans les attendus de laquelle il est précisé qu’il s’agit d’une mesure destinée à assurer le financement de guerres longues.

Ces améliorations et tentatives d’élargissement du système fiscal vont toutefois se trouver amoindries par d’importantes lacunes, dont la moindre n’est sans doute pas le refus de recourir à l’emprunt.

La loi du 30 ventôse an IX ­ 21 mars 1801 lance la politique de liquidation de la dette publique . Les arriérés des exercices antérieurs à l’an VIII avaient été évalués à environ 90 millions ; ils sont remboursés par de la rente à 3 % (soit 2,7 millions de rentes à inscrire au Grand Livre). De leur coté, les créances de l’an VIII avaient été estimées à 20 millions : leurs titulaires (pour la plupart des fournisseurs du Directoire ayant autrefois majoré leurs prix) reçoivent un million de rentes à 5 %.

Le tiers provisoire est pris en considération. Ce sont les créances qui, réduites au tiers par la banqueroute de vendémiaire an VI (septembre/octobre 1797) avaient été privées d’arrérages. Le paiement des intérêts est alors ajourné au 1er vendémiaire an XII (24 septembre 1803). Des dispositions sont prises pour l’amortissement de la dette ainsi légèrement accrue.

Au 1er vendémiaire an VIII (23 septembre 1799) le montant des rentes consolidées s’élevait à environ 36 millions. La consolidation de l’arriéré de l’an VIII et des années antérieures compte pour 1,9 million, celle des bons deux tiers pour 0,5 et celle du tiers provisoire pour 3,3. D’autres liquidations (notamment celle des rentes consolidées perpétuelles) comptent pour 3,7 millions. On arrive ainsi à un total de 46,6 millions au 1er vendémiaire an XI (23 septembre 1802), puis 45,2 millions à la fin du Consulat (1er germinal an XII – 22 mars 1804).

L’effort de simplification sera poursuivi. La loi du 21 floréal an X ­ 11 mai 1802 complètera celle du 30 vendémiaire au IX ­ 21 mars 1801 : la dénomination de tiers consolidé est alors remplacée par celle de 5 % consolidé. Enfin, les produits de la contribution foncière seront affectés en priorité à son paiement et le crédit des ministères soldé après que ce paiement ait été assuré.

Parallèlement, des principes sont énoncés, qui seront très largement suivis :

  • faire en sorte que le montant de la dette publique n’augmente pas (ou peu), soucis qui sera toujours celui de Napoléon :

« Je vois avec plaisir que le cours des 5 % n’a pas été au­dessous de 80… Je ne regrette pas les 30 millions que vous y avez employés : dût­il en coûter autant, je désire que vous teniez la main à ce que ce cours soit maintenu… Ce n’est qu’ainsi que les 5 % prendront de la valeur : chacun sera sûr de ce qu’il a dans sa poche lorsqu’il ne craindra pas que les 5 % baissent au­dessous de 80 F. Je n’admets aucune excuse : que nos 5 % ne tombent pas au­dessous de 80 « (lettre à Mollien, 15 décembre 1808).

  • éviter la dégradation des cours de la rente,
  • payer exactement les intérêts échus.

Un autre aspect exceptionnel de la situation réside dans l’absence de budget ou, plutôt, dans l’existence de ce que l’on pourrait appeler un budget discrétionnaire.

Nous l’avons dit, trois articles (45, 56 et 57) de la Constitution de l’an VIII énoncent nettement le vote annuel de la loi de finances, la direction des dépenses et des recettes, l’obligation de rendre des comptes. Pourtant, si l’obligation de rendre des comptes sera toujours remplie de façon précise et détaillée, par contre celle de diriger recettes et dépenses en vertu d’une loi les fixant annuellement ne sera pas, et ce dès l’an VIII, respectée de manière permanente. Napoléon n’entend pas, en effet, que son action puisse être limitée par une loi. La place du pouvoir législatif dans l’établissement et le contrôle du budget se trouve donc fatalement réduite de telle sorte qu’on peut effectivement parler d’un budget discrétionnaire.

Il résulte de cette absence du respect des articles 45 et 56 de la Constitution un mode d’établissement bien particulier des budgets des années du Consulat.

  • Les prévisions, pour l’an IX se montent à 427, 5 millions de recettes (loi du 25 ventôse an VIII ­ 16 mars 1800) et 415 millions de crédits ouverts (loi du 19 nivôse an IX ­ 9 janvier 1801) dont la répartition est fixée par l’arrêté du 12 ventôse an IX ­ 3 mars 1801 : les dépenses militaires se montent à  288,5 millions (guerre : 208, marine : 80), le reste représente 126,5 millions. Les contributions extérieures à lever sur les territoires occupés sont estimées à 87 millions, ce qui fait une prévision de dépenses de 502 millions dont 375 pour les dépenses militaires.

La réalité va être autre. Les dépenses se montent à 526,5 millions dont 236 pour la guerre et 91 pour la marine. Les recettes s’élèvent à 450 (ou 455) millions et à 495 millions avec les recettes extérieures et les ventes de biens nationaux. L’équilibre comptable est alors atteint en recourant à des fonds prélevés sur les exercices précédents. Les contributions directes représentent 308,3 millions.

  • Les crédits ouverts par la loi du 25 ventôse an IX ­ 17 mars 1801 pour les dépenses pour l’an X (1801­1802)  sont de 200 millions, plus 300 autres (loi du 17 floréal an XI  – 7 mai 1803) : 315 millions pour la guerre (210) et la marine (105). Du côté des recettes, les impôts directs comptent pour 273 millions. Les réalisations sont conformes aux prévisions.
  • Dès l’an XI (1802­1803) les montants augmentent sensiblement : l’étendue du territoire a en effet augmenté (par exemple réunion de six départements piémontais dont la France prit la dette à sa charge). La loi du 4 germinal an XI ­ 25 mars 1803 prévoit des dépenses pour 590 millions, les dépenses militaires atteignant 369 millions (guerre : 243, marine : 126). Les réalisations sont (dans le texte de loi) de 619,5 millions, mais en pratique de 632,5. Quant aux recettes, les impôts directs prévus s’élèvent à 304 millions et les recettes totales à 625,2 millions. L’équilibre sera réalisé en recourant à des ressources extraordinaires (par exemple, vente de biens nationaux).
  • Pour l’an XII, enfin (1803 ­ 1804) la loi du 4 germinal an XI ­ 25 mars 1803 accorde un acompte de 400 millions et la loi du 5 ventôse an XII ­ 25 février 1804 lui ajoute 300 millions, fixant le budget à 700 millions. Les dépenses militaires s’élèvent à 448 millions (guerre : 268, marine : 180). Pour ce qui est des recettes les impôts directs doivent rapporter 316 millions, les autres impôts 235 millions, et les 149 millions manquants viendront pour 100 millions des ressources extérieures.
Dépenses Dépenses totales Dépenses militaires
  Total Guerre Marine Total %
an IX 502 208 80 288 58
an X 500 210 105 315 63
an Xl 632,5 243 126 369 58
an XII 700 268 180 448 64

 

Recettes Recettes totales Contributions
directes
% Autres
an IX 495 308 70 197
an X 500 273 54 211
an XI 625 304 48,6 285
an XII 700 316 45,1 235

 


En 1804, après la rupture de la paix d’Amiens et à la veille d’une lutte contre une nouvelle coalition, les choses sont donc claires : Napoléon n’a pas les moyens financiers de sa politique et il est à craindre qu’il ne parvienne jamais à les avoir.

De fait, de nouveaux objectifs sont énoncés. Certes, le budget de l’an XIII (1804­1805) est fixé à 684 millions (loi du 2 ventôse an XIII ­ 21 février 1805), mais il est proclamé peu après que les dépenses du temps de guerre devront se monter à 800 millions et celles du temps de paix à 600 millions (Exposé de la situation de l’Empire ­ 5 mars 1806). L’effort fiscal demandé va donc augmenter.

La guerre,  à partir de 1805, va profondément modifier les données du problème financier. Dès le début de l’Empire un scandale, suivi d’une panique, montre que le redressement des cinq dernières années est, quoiqu’on en pense, précaire.

La Banque de France avait été constituée le 13 février 1800; ce n’était alors qu’un organisme privé, prenant la suite de la Caisse des Comptes courants créée en 1796. Elle bénéficie, il est vrai, du prestige que lui vaut l’appui du Premier Consul : ce dernier n’a-t-il pas souscrit à trente actions et en a fait acheter à son entourage. Mais elle doit toutefois partager son privilège avec deux rivaux, la Caisse d’escompte et le Comptoir commercial, situation qui déplait à Bonaparte, qui n’aime pas, dit-il à Mollien, ce conflit de trois banques qui fabriquent concurremment une monnaie de papier. Qu ‘à cela ne tienne : le 14 avril 1803, la Banque de France obtient, pour quinze ans, un monopole d’émission. Elle est administrée par quinze régents, élus par les deux cents plus forts actionnaires, elle est indépendante de l’État. Il s’agit là d’une première étape visant à redonner confiance aux français.

Gabriel Julien Ouvrard
Gabriel Julien Ouvrard

Les évènements vont se charger d’accélérer le mouvement. Le financier Ouvrard avait conçu un projet pour le moins attirant : avec l’accord du gouvernement espagnol, il ne s’agissait pas moins que d’acheter, au Mexique, des piastres à 3 francs 75 et de les revendre, en France, 5 francs. Il constitue pour cela la société des Négociants Réunis.  Un régent de la Banque de France, Desprez, un fournisseur aux armées, Vanderberghe, ont apporté la caution de leur titre et de leur expérience. Pourtant , l’affaire était pour le moins aléatoire:  on imagine mal, en effet,  comment les vaisseaux chargés de leur précieuse cargaison auraient pu échapper à la flotte anglaise. Pourtant, Barbé-Marbois se laisse convaincre., Peu à peu,  s’établit, entre le gouvernement, la Banque et les Négociants Réunis, un enchevêtrement de créances et de dettes, où il devient bientôt impossible d’y voir clair.

Quelques piastres franchirent les océans, pas assez pour soulager un Trésor, déjà dans l’embarras, mais suffisamment pour perpétuer les illusions du ministre. Dans le même temps, Ouvrard et ses associés inondent la place de leurs traites collusoires (dixit Mollien). La Banque ne se refusa pas à les réescompter, pas plus qu’elle n’osait rejeter les demandes réitérées d’avances que Barbé-Marbois lui adresse.

L’inquiétude gagne le public, alors que Napoléon quitte justement Paris pour rejoindre la Grande Armée (24 septembre 1805). Dès lors, les bruits les plus divers sont colportés ; on murmure que l’Empereur a emporté ce qui restait de l’encaisse de la Banque. La faillite de Récamier (un des régents de la Banque) donne créance aux pires rumeurs. Les porteurs de billets se précipitent alors aux guichets. La police doit intervenir. Le malaise est encore accru par les mesures que l’Institut d’émission croit bon de prendre : limitation des remboursements à un billet par personne, obligation aux demandeurs de présenter leur passeport ou leur carte civique, lenteur systématique des opérations, heure de fermeture avancée, etc.)

La victoire d’Austerlitz réussit pourtant à le dissiper.

Napoléon est de retour à Paris le soir du 26 janvier 1806. Le lendemain, après avoir reçu Cambacérès, il fait entrer dans son cabinet ses deux ministres, Gaudin et Barbé-Marbois, Mollien, qui est encore directeur général de la Caisse d’amortissement, les conseillers d’État, Defermon et Crétet, enfin les trois associés des Négociants Réunis, ainsi qu’un commis du Trésor, Roger, soupçonné d’avoir touché un pot-de-vin d’un million.

La scène a été rapportée par Mollien :

Alors, pendant une heure, il me sembla que la foudre tombait sur trois individus sans abri. L’un, Desprez, fondait en larmes ; l’autre, Roger, balbutiait des mots incohérents ; le troisième, Ouvrard, restait immobile comme un roc, ne proférant pas une parole, semblant dire par son attitude que, rien n’étant plus passager qu’une tempête, il suffit de savoir en attendre la fin. (Mollien, Mémoires)

Barbé-Marbois tente de se disculper.  J’ose espérer, que Votre Majesté ne m’accusera pas d’être voleur. Ce qui lui vaut pour réponse : Je le préférerais cent fois : la friponnerie a des bornes, la bêtise n’en a point.

Le soir même, son porte-feuille lui est retiré, au profit de Mollien.

J’allais quitter les Tuileries, lorsque l’empereur Napoléon me fit rappeler, et au moment où je rentrai dans son salon où il était seul, il me dit << Vous êtes ministre du Trésor; vous prêterez serment ce soir; il faut, dès ce soir même, prendre possession du ministère : M. de Champagny préviendra M. de Marbois. Je ne veux pas en charger le ministre des Finances, parce qu’ils sont mal ensemble.>>

Quelques jours plus tard, les Négociants Réunis sont mis sous séquestre, déclarés débiteurs du Trésor pour 87 millions (bientôt portés à 140).

Cette affaire montrait que la Banque s’était révélée inférieure à sa tâche. Trois mois plus tard, l’Institut d’émission fut doté d’un nouveau statut (il  fonctionnera jusqu’en 1936): à côté du Conseil de Régence, représentant les actionnaires, un gouverneur et deux sous-gouverneurs, nommés par l’État, étaient chargés de veiller à ce que les intérêts généraux eussent toujours priorité sur les besoins individuels.

Quelques mois plus tard, une Caisse de Services est créée, chargée de centraliser les recouvrements fiscaux et d’en assurer l’utilisation. Une partie des recettes du budget, celle pour laquelle les Receveurs généraux émettent des obligations ne parvenant au Trésor qu’en dix-huit mois, celui-ci se trouve obligé de payer en douze mois plusieurs dizaines de millions de plus qu’il n’en reçoit. Il est alors prévu de fournir au Trésor la disponibilité des revenus publics, non à l’échéance des engagements souscrits par les comptables mais au fur et à mesure de leurs recouvrements effectifs, en envoyant leurs états trois fois par mois à la Caisse centrale de service qui en aura ainsi la disposition et, par là, pourra les utiliser pour ses besoins. La Caisse reçoit alors des dépôts abondants à faible intérêt et peut remplir l’office de caisse de compensation. La marche du Trésor se trouve ainsi facilitée.

La Constitution de l’an VIII (art. 89) avait établi une commission de comptabilité qui avait été organisée peu après (arrêté du 29 frimaire an XI – 20 décembre 1800). La loi du 16 septembre 1807 crée alors la Cour des Comptes, dont le premier président sera Barbé­Marbois, avec pour tâche de vérifier la gestion des comptables, sans avoir à connaître de la légalité des dépenses, ni avoir de pouvoir judiciaire sur les comptables.

Cette pénible affaire, cependant, n’arrête pas les réformes du système fiscal, amorcées dès 1804, et qui prendront peu à peu de l’ampleur. En particulier, et pour obtenir davantage de ressources, l’accent est mis sur le développement des impôts indirects et leur diversité.

  • des taxes sont instituées (sel), supprimées (droit de passe sur les routes), augmentées (boissons) (loi du 24 avril 1806). Un droit de mouvement sur les boissons est instauré (loi du 25 novembre 1808). Un peu plus tard le monopole du tabac (achat, fabrication, vente) est confié à la Régie des droits réunis (loi du 29 décembre 1810);
  • de leur côté les travaux du cadastre se poursuivent rapidement, surtout à partir de 1808 ­ 1809. Au début de 1813, 10 000 communes, sur les 47 000 de l’Empire, sont arpentées et 6 000 expertisées.

La Quatrième Coalition va correspondre à une coupure dans l’histoire des finances napoléoniennes. Depuis Brumaire, et jusqu’en 1805, le niveau des budgets n’a pas vraiment augmenté, tournant autour de 700 millions. Les choses ne tardent pas à changer.

Les budgets sont de plus en plus complexes, étant couverts, plus encore que par les années passées, par diverses lois. Chacune d’elle ne concerne pas un seul budget mais en prépare de futurs, en remanie d’anciens, s’occupe de celui auquel elle se réfère. Chaque loi porte en moyenne sur trois budgets, remonte parfois à quatre années en arrière, arrive à des révisions en hausse parfois d’un tiers. Dans ces conditions, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver :

  • Le budget de l’an XII (1803­1804) avait été fixé à 700 millions par la loi du 5 ventôse an XII ­ 25 février 1804 ; qui, en outre, ouvrait pour 400 millions de crédit sur le budget de l’an XIII;
  • La loi du 2 ventôse an XIII ­ 21 février 1805 accorde 284 millions supplémentaires pour le budget de l’an XIII et 400 millions de crédit au budget de l’an XIV;
  • La loi du 24 avril 1806 apporte 16 millions au budget de l’an XIII, fixe le budget de l’an XIV ­ 1806 à 894,2 millions, ouvre 500 millions de crédit au budget de 1807;
  • La loi du 15 septembre 1807 fixe le budget de 1807 à 720 millions et celui de 1808 à 600 millions;
  • La loi du 25 novembre 1808 élève le budget de l’an XIV ­ 1806 à 902 millions, celui de 1807 à 731 et alloue un crédit provisoire pour le budget de 1809;
  • La loi du 15 janvier 1810 revient encore sur le budget de l’an XIV ­ 1806 en le fixant à 899 millions et sur celui de 1807 avec 733,8 millions ; elle élève le budget de 1808 à 740 millions et fixe celui de 1810 à 710 millions;
  • La loi du 20 avril 1810 attribue 740 millions au budget de 1809, porte le budget de 1810 à 740 millions et ouvre un crédit de 720 millions pour le budget de 1811;
  • La loi du 15 juillet 1811 fixe le budget de 1808 à 722,7 millions, augmente le budget de 1809 à 786,7 millions et celui de 1810 à 795,4 millions.
  • Enfin, la loi du 20 mars 1813 diminue légèrement le budget de 1810 à 785 millions, élève fortement celui de 1811 à 1 100 millions, fixe celui de 1812 à 1 030 millions et celui de 1813 à 1 150 millions.

Dès 1806, on reconnaît donc officiellement que 800 millions seront nécessaires du fait de la guerre chiffre qui sera maintenu tant bien que mal jusqu’en 1810. Mais après dette date, il a fallu faut admettre des prévisions bien supérieures : cela ira de 954 millions en 1811, à 1030 en 1812, 1150 en 1813, prévisions qui s’avèreront d’ailleurs insuffisantes. L’évolution des dépenses totales (crédits ouverts définitivement) se présente donc de la manière suivante (en millions de francs courants).

an XIII 684
an XIV – 1806 (465 jours) 899
1807 734
1808 723
1809 788
1810 785
1811 1000
1812 1030
1813 1150

Ce tableau montre que, si de l’an XIII à 1810, les dépenses totales s’accroissent de manière continue mais relativement faible (+ 14,6 %), cette hausse atteint, en 1811, 14 % en un an, et d’un tiers en 1813. Les dépenses militaires évoluent de la même façon :

Années Armée Marine Total % des dépenses totales
an XIII 271,5 140 411,5 60,1
an XIV­1806 390,5 105/110 495,5/500,5 55,6
1807 321,4 105/110 426,4/431,4 58,7
1808 335,1 105/110 440,1/445,1 61,5
1809 340,1 105/110 445,1/450,1 57,1
1810 350 105/110 455/460 58,6
1811 460 155 615 61,5
1812 520 159 679 65,9
1813 585 167 752 65,4

On remarque une augmentation lente, suivie d’une hausse rapide après 1810, mais cette hausse est supérieure à celle des dépenses totales : 25 % en 1811 par rapport à 1810 et 64 % en trois ans de 1810 à 1813, puis 55,6 % en l’an XIV ­ 1806 enfin 65,9 % en 1812.

À coté de ces dépenses, les recettes (contributions directes – contribution foncière, contribution mobilière, portes et fenêtres, patente – et indirectes  – enregistrement, domaines et bois, douanes, droits réunis) sont loin de les égaler, et n’évoluent guère au fil des années :

  Directes Indirectes Total Dépenses %
an XIII 311 256 567 684 82,8
1808 273 289 562 723 77,7
1813 340,7 576 916,7 1150 79,6

On voit donc que, quelle que soit l’année, les contributions directes et les principales contributions indirectes ne couvrent que 80 % des dépenses, sans que ce maximum puisse être dépassé. On s’aperçoit également que les contributions indirectes finiront par représenter 50% des dépenses totales.

Comment expliquer ces augmentations continues des budgets ?

D’abord, les dimensions du territoire ne sont plus, en 1813, les mêmes qu’en 1800. Le Grand Empire s’étend jusqu’à Rome et Hambourg, alors que la République consulaire est dans ses « frontières naturelles », la comparaison est donc impossible. Il faut ensuite distinguer dépenses civiles et militaires : les premières, de 1803 à 1811, ne se sont accrues que de 19 millions (dont 16,5 millions pour le budget du Culte qui n’existait pas avant le Concordat), alors que les populations d’obédience française sont passées de 32 à 40 millions. Et encore faudrait-il tenir compte de la hausse des prix qui se développa pendant cette période.

En fait, l’accroissement des budgets trouve presque entièrement son origine dans la progression des dépenses militaires : 40% du total vers 1806, près de 60% sept ans plus tard. En fait, pour les deux ministères les plus dépensiers, celui de la Guerre et celui de l’Administration de la Guerre, il est quasi impossible de déterminer des chiffres exacts.

Par quels moyen Napoléon parvint-il à assumer des charges si lourdes ?

On le sait, aucune manipulation monétaire ne fut pratiquée. Jusqu’en 1811, la Dette ne s’accrut que de 18 millions, chiffre insignifiant en dix années de guerre. Restent les ressources fiscales. Par contre, la progression des ressources fiscales est indiscutable : 685 millions en 1803, 1 milliard en 1813. La part des nouveaux départements correspond alors au tiers de ce total ; de plus, leurs frais d’administration sont si élevés qu’ils finissent par coûter au Trésor plus qu’ils ne lui rapportent. En fait, le seul accroissement d’impôt fut le rétablissement, en 1806 et en 1808, des droits sur le sel et sur les boissons, ainsi que du monopole du tabac, compensé par un allégement des impôts directs : le principal de l’impôt foncier et celui de la contribution mobilière s’élevaient, respectivement, à 240 millions et à 60 millions en 1791 ; en 1810, après dix-huit ans de guerre, ils avaient été abaissés à 172 et à 27 millions.

Alors ? Si ni dévaluation ni endettement ne fournissent à l’Empire des ressources nouvelles, si le fardeau des contribuables ne s’alourdit guère, il faut bien en conclure que l’exploitation des pays vaincus explique à elle seule comment Napoléon va pouvoir faire face à dix années de guerre, sans que la situation financière du pays soit réellement compromise.

Sous le Consulat, les armées françaises procédaient, au hasard de leurs besoins, à des réquisitions de vivres et de marchandises et levaient des contributions en argent : c’était là le moyen d’assurer leur subsistance, tout en affaiblissant les territoires qui n’étaient pas destinés à rester entre leurs mains. Bonaparte l’écrit à Brune : Vous devez lever de fortes contributions sur les pays vénitiens, parce que vous les évacuerez à la paix et que ce sera autant de ressources de moins pour les ennemis.

Dès 1805, ces pratiques vont être régularisées : désormais, les produits de la guerre, lorsqu’ils ne sont pas immédiatement utilisés par les troupes sont mis en réserve, au profit d’une caisse particulière, le Trésor de l’armée, renommé, en 1810, Domaine extraordinaire.

Il sera alimenté par :

  • les subsides des pays alliés ou feudataires, tels l’Espagne, le royaume d’Italie (48 millions par an pour l’une, 30 millions pour l’autre et sur lesquels, bien sûr, il ne faudra plus compter après leur réunion à l’empire), le royaume de Westphalie, le grand-duché de Berg;
  • les prélèvements effectués (tant que les hostilités perdurent) par les conquérants. Il s’agit alors
  • des saisies pures et simples de caisses publiques ;
  • de la perception pour le compte du vainqueur des impôts locaux, quitte à discuter leur imputation ultérieure ;
  • des confiscations de biens fonciers, c’est-à-dire du Domaine publie des États vaincus.

D’autres recettes seront tirées :

  • de l’Autriche, après la campagne de 1805 ­1806 et s’élèveront à 118 millions (pendant la campagne et par le traité de Presbourg) : 75,5 millions seront effectivement levés, 27 étant dépensés à l’armée et 48,5 ramenés en France ; de même en 1809, sur 250 millions, 164,5 seront perçus, 76 dépensés sur place et 88 ramenés en France.
  • de la Prusse et de ses alliés de l’Allemagne du Nord après la campagne de 1806 ­ 1807, pour un total de 470 millions, y compris la contribution (septembre 1807) de 154,5 millions, réduite le 8 septembre 1808 à 140 et à 120 un mois après à l’entrevue d’Erfurt; en 1811,48 millions seront  encore dus, devant être acquittés sous forme de fourniture de guerre et de coopération militaire contre la Russie.
  • du Portugal, mais sur les 100 millions demandés, 7 seulement furent perçus.

Cette volonté de faire payer le vaincu est d’ailleurs moult fois attestée. Ne dit-il pas à l’ambassadeur de Russie :

« Toutes les troupes dont l’entretien est trop pesant, il faut les envoyer en territoire ennemi : c’est ainsi que j’en use et mes finances s’en trouvent bien » ou à Mollien : « Si je suis obligé d’entre- prendre une nouvelle guerre, ce sera sans doute pour quelque grand intérêt politique ; mais ce sera aussi dans l’intérêt de mes finances, et précisément parce qu’elles présentent quelques signes d’embarras. N’est-ce pas par la guerre que je les ai toujours rétablies ? N’est-ce pas ainsi que Rome a conquis les richesses du monde ? »

Quelles que soient les évaluations (qui varient, pour le principal, de 800 millions à 2 milliards) quant au montant exact du Domaine extraordinaire, son rôle fut sans conteste très important. Outre le financement des guerres, il fut utilisé pour :

  • alimenter des caisses secrètes
  • aider au financement des travaux publics
  • récompenser « ses soldats et les grands services civils ou militaires rendus à l’État…  » . Ainsi, Berthier se verra doté de 1 260 000 francs de revenu ; Masséna, 951764 ; Ney, 725 647 ; le cardinal Fesch, 400 000 ; Duroc, 370 882 ; Bessières, 278 647 ; Augereau, 196 764 ; Oudinot, 186 383, etc. Toutefois, certains de ces revenus sont d’origine française: Berthier, par exemple, touche 50 800 francs sur le Grand Livre et 200 000 sur l’octroi du Rhin

Ces interventions du domaine extraordinaire permettront  d’aider le Trésor dans les moments difficiles : prêt de 84 millions en 1808 par le Trésor de l’armée ; prêt de 45 millions en 1810 par le domaine extraordinaire pour couvrir les déficits des budgets de 1801 à 1809.

Les dernières années de l’Empire, durant lesquelles les défaites s’ajoutent aux défaites, supprimant une source considérable de revenus, va voir une détérioration considérable des finances. Déjà, à la fin de 1813, le Domaine extraordinaire a fondu comme neige au soleil.

A la veille de la première abdication, fin mars 1814, la rente ne cote que 45 francs 25, soit 48 francs de moins qu’en 1807. Depuis 1812, le déficit des budgets n’a fait que grandir. L’Empire va léguer à la Restauration un arriéré de 500 à 600 millions.

Pourtant, on avait consenti à un énorme accroissement des impôts : 50 centimes additionnels à la contribution foncière, 100 centimes sur la personnelle mobilière, 10 centimes sur les contributions indirectes et sur l’octroi ; une retenue de 25 pour 100 sur les traitements des fonctionnaires, etc., etc. Rien n’avait pu ramener l’équilibre, définitivement compromis. L’encaisse de la Banque de France a alors diminué de près de 100 millions en trois ans et est inférieure à 9 millions, soit à peu de chose près sa valeur en 1800. On a de nouveau recours à des expédients, et la trésorerie doit faire des prodiges pour assurer le paiement des besoins les plus impérieux de l’État.

Un an plus tard, mais ce sera au lendemain de Waterloo (alors que Napoléon se trouve encore entre la Belgique et Paris) on discutera à la Chambre des Représentants du principe d’un emprunt forcé, que Bonaparte, quinze ans plus tôt, s’était empressé de supprimer, et que, devenu Napoléon, il avait toujours refusé.

Comment expliquer cette évolution fatale ? Ni l’Empereur, toujours aussi attaché à l’équilibre des budgets, ni ses ministres, toujours aussi attachés à l’ordre et à l’économie, ne peuvent en être tenus directement responsables. Seulement, la guerre d’Espagne, et ce qui avait suivi, avaient détruit le bel édifice si patiemment construit.

Robert Ouvrard – Milou (Émile) Rikir

 

 

Quelques Sources

­ Audriffet (Marquis d’) (1 840). : Système financier de la France 2 vol., Paris., P. Dufart.

­ Gaudin (1826) : Mérnoires souvenirs opinions et écrits du duc de Gaëte , 2 tomes, Paris, A. Colin, 1926.

­ D’Ivernois (1811) : Napoléon, administrateur et financier.

­ Las Cases E. de (1823­1824) : Mémorial de Sainte­Hélène, Paris, Éd. Dunan, Flammarion.

­ Lefebvre G. (1935) : Napoléon. Dans  » Peuples et civilisation « . Tome XIV, Paris, F.

­ Madelin L. (1937­1946) : Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, Hachette.

­ Marion M. (1925) : Histoire financière de la France depuis 1715 , tome IV, 1797 ­ 1818, Paris, Rousseau et Compagnie.

­ Mollien (1898) : Mémoires d’un ministre du Trésor public, 1780 1815, 3 tomes, Paris.

­ Stourm R. (1902) : Les finances du Consulat, Paris, Éd. Guillaumin.

­ Thiers A. (1845 ­ 1869) : Histoire du Consulat et de l’Empire.

­Vandal A. (1903) : L’avènement de Bonaparte.

­ Wolff J. (1980) :  » Économie de guerre. Finances de guerre « , Dictionnaire de la Seconde guerre mondiale , Larousse.

Wolff – Les insuffisantes finances napoléoniennes : Une des causes de l’échec de la tentative d’hégémonie européenne (1799-1814) – Revue du Souvenir Napoléonien