[ed-logo id=’7324′]

Latest Posts

2 mai 1813 – Bataille de Lützen

Le baron Fain se souvient [1]Manuscrit de 1813

Le 2 mai, l’armée  s’était remise en route pour arriver à Leipzig.

Jacques-Alexandre-Bernard Law, comte Lauriston
Jacques-Alexandre-Bernard Law, comte Lauriston

Le général Lauriston avait pris les devants par la route qui vient de Merseburg; il arrive à neuf heures du matin devant Lindenau (faubourg de Leipzig); et, trouvant de la résistance, il est forcé de prélu­der par des coups de canon au passage de l’Elster et de la Pleisse.

La deuxième colonne de l’armée du vice-roi, partie de Markrannstaedt, s’avançait derrière le cinquième corps : c’étaient les troupes du duc de Tarente.

Tout ce qui avait passé la nuit à Lützen, la garde et le quartier impérial, venaient ensuite.

 

Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont
Auguste Fredéric Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse

Le sixième corps marchait entre Poserna et Lützen, et formait l’arrière-garde sous les ordres du duc de Raguse. Plus loin venait le qua­trième corps que le général Bertrand amenait de Nossen. Plus loin encore, entre Naumburg et Weissenfels, se trouvaient les troupes du duc de Reggio (le douzième corps).

À dix heures du matin, la route, depuis Weissenfels jusqu’à Lindenau, était couverte par l’armée française qui présentait une longue file de troupes, de pièces d’artillerie, d’équipages, en un mot, tous les embarras d’une armée en marche.

Le flanc droit de cette longue colonne restait couvert à la hauteur de Lützen par l’armée du prince de la Moskowa (troisième corps), qui occupait encore les villages où elle avait passé la nuit.

Le maréchal Michel Ney
Le maréchal Michel Ney

L’empereur était monté à cheval à neuf heu­res; il entendait le canon du général Lauriston; il lui tardait d’arriver à Leipzig. La nombreuse cavalerie de l’ennemi nous avait jusqu’à présent masqué toutes les routes, et nous dérobait les mouvements de l’armée opposée. Cependant l’em­pereur présumait que les masses de l’ennemi nous attendaient dans les plaines qui sont en ar­rière de Leipzig. La possession de cette ville devait promptement mettre fin à nos incertitu­des ; Napoléon avait recommandé qu’en y arri­vant on s’emparât des lettres de la poste, et qu’on recueillît avec empressement tous les renseignements qui devaient abonder dans cette capitale du commerce allemand. Il voulait que ses secrétaires et ses interprètes arrivassent en même temps que lui. Tout son monde était à cheval pour mieux le suivre, et le quartier qu’on allait prendre à Leipzig était signalé d’avance comme devant être un des séjours les plus actifs et les plus laborieux.

À onze heures du matin, Napoléon avait  dépassé le monument de Gustave-Adolphe. À ses côtés était le prince de la Moskova, qui était venu prendre lui-même les ordres de l’empereur pour le reste de la journée. On faisait route, et déjà on apercevait la fusillade de l’avant-garde du général Lauriston autour des premières mai­sons de Leipzig. L’empereur, impatient de savoir si la résistance est sérieuse, avait mis pied à terre et pointait sa lunette sur la ville. Il pou­vait distinguer les toits chargés d’habitants, spectateurs du combat.

Au moment où il remarque qu’aucune masse ennemie ne se présente en-deçà de la ville, une épouvantable canonnade se fait entendre sur notre droite, presque en arrière de nous, vers la position où les troupes du prince de la Moskowa ont passé la nuit.

L’empereur se tourne aussitôt du côté du maréchal, et celui-ci, reconnaissant une vive atta­que, part au grand galop pour se rendre à son poste.

L’attention continue de se porter sur ce point.

Bientôt l’œil découvre au fond de la plaine plusieurs colonnes d’une noire profondeur. L’empe­reur observe la direction que prend l’attaque. Des aides de camp ne tardent pas à arriver; leurs rapports sont alarmants ; des tourbillons de fumée s’élèvent des villages qui sont au milieu de la plaine : c’est l’armée ennemie qui débouche toute entière de Pegau, et tombe sur notre flanc. L’empereur prend sur-le-champ son parti. «Nous n’avons pas de cavalerie, dit-il; n’importe : ce sera une bataille d’Égypte ; partout l’infanterie française doit savoir se suffire, et je ne crains pas de m’abandonner à la valeur innée de nos jeunes conscrits [2]Napoléon ne s’attendait pas à être attaqué ni ce jour-là, ni dans cette position. Ainsi cette bataille doit être rangée au nombre des opérations militaires les plus habiles et les plus … Continue reading )»

Il envoie aux troupes du duc de Tarente l’or­dre de revenir sur le feu; le général Flahaut, qui est envoyé de ce côté, trouve l’ordre à moitié exécuté. Le vice-roi, par une inspiration digne de lui, a déjà suspendu la marche de ses  colonnes et placé le duc de Tarente dans la direction in­diquée; mais la distance est telle qu’il faut encore trois heures au moins pour que les colonnes pussent arriver.

Des officiers d’ordonnance sont dépêchés à toute hâte pour dire au duc de Raguse de presser le pas et de se porter à travers champs sur l’en­nemi. Il formera notre droite.

On envoie avec la même rapidité au général Bertrand l’ordre d’accourir pour soutenir le duc de Raguse ; mais il est encore à plusieurs lieues de nous.

Quant à toutes les troupes qui sont en colonne sur la route de Leipzig, entre Lützen et Markrannstaedt, elles se sont arrêtées ; elles ser­rent les rangs, font demi-tour à droite, et dé­veloppent aussitôt leur ligne dans la plaine.

Cette grande manœuvre est admirable, et ferait honneur à une armée de vétérans.

Tandis que l’armée s’avance ainsi au pas de charge au secours du maréchal Ney, l’empereur la devance et se porte de sa personne où le canon l’appelle.

Mais suspendons ce récit ; voyons ce qui s’est passé chez l’ennemi, et comment il a pu débou­cher sur nous d’une manière aussi inattendue. L’armée russe de Miloradovitch  avait quitté Dresde le 23 avril. Les réserves de Tormasof étaient enfin arrivées, et l’armée ennemie s’était mise en mouvement. [3]Dans la première quinzaine d’avril, l’armée des alliés prit lentement sa route, entre Rochlitz, Altembourg et Chemnitz; la deuxième armée russe sous les ordres de Miloradovitch … Continue reading

Portrait de Miloradovich par G. Dawe (Hermitage)
Portrait de Miloradovich par G. Dawe (Hermitage)

Pendant que toutes les forces françaises avaient suivi la route de Dresde par Leipzig, les alliés avaient marché sur Altembourg par la route directe de Dresde à Iéna. Miloradovitch était en tête, et se trouvait déjà entre Altembourg et Gerau. Blücher, avec ses Prussiens, les Gardes et les autres troupes d’élite, marchait au centre, et le corps de Tormasof faisait l’arrière-garde.

L’empereur Alexandre et le roi de Prusse avaient quitté Dresde, le 30 avril, pour suivre la marche de leur armée.

Les alliés croyaient Napoléon encore à Erfurt. On pensait être à temps pour déboucher sur lui dans la plaine d’Iéna, et les Prussiens s’y promettaient une revanche. Mais le combat de Weissenfels n’avait pas tardé de révéler le véritable état des choses. L’empereur Napoléon n’était plus du côté d’Erfurt; il avait déjà dépassé leurs têtes de colonne : il avait franchi la Saale, il avait terminé sa jonction avec le prince Eugène ; et, longeant leur droite à quelques lieues de distance seulement, il marchait vers Leipzig, menaçant de les prendre de revers sur la Pleisse et d’interrompre leurs communications avec Dresde. Dès lors, il avait bien fallu renoncer au plan si longtemps caressé de marcher sur Iéna.

Peter Christianowich Wittgenstein
Peter Christianowich Wittgenstein

Le général Wittgenstein venait de succéder dans le commandement au vieux Kutusoff-Smolenskoi, qui, exténué par la campagne de Russie, n’avait pu arriver jusqu’à l’Elbe, et était tombé mort à Bunzlau, en Lusace, dans le courant d’avril.

Le nouveau général voyant l’empereur Na­poléon s’avancer si vivement sur Leipzig, avait résolu de saisir l’instant où une partie de l’armée française serait engagée du côté de cette ville pour battre le reste.

Les troupes alliées avaient donc suspendu leur marche ; par une évolution sur leur droite, elles étaient venues se concentrer entre Zwenc­kau et Pegau, à l’entrée méridionale de la plaine de Lützen. En même temps le général en chef Wittgenstein, qui était à Leipzig, avait quitté cette ville, n’y laissant que le corps de Kleist. Dans la nuit du 1er au 2 mai, il avait amené au rendez-vous général de Zwenckau son propre corps d’armée, celui de Wintzingerode et celui d’Yorck. Les Russes de Tormasof arrivaient d’Altembourg ; les Prussiens de Blücher étaient déjà à Pegau.

Ainsi, toute l’armée ennemie avait passé la nuit à moins de trois lieues de nous, et se présentait sur une ligne parallèle à celle que nous suivions. Il n’y manquait que le corps de Miloradovitch, qui, revenant avec indécision sur ses pas, était encore flottant entre Zeits et Nossen.

Le 2 mai au matin, le général ennemi, au bruit du canon de Lindenau, persuadé que la plus grande partie de l’armée française était déjà de ce côté, avait jugé le moment venu de jeter son infanterie sur la route de Lützen, et de lan­cer vingt-cinq mille cavaliers sur Weissenfels, pour couper entièrement nos communications avec la Saale.

Aussitôt le corps de Blücher, qui formait la première ligne, s’était porté sur les villages de Gross-Gorschen, Klein-Gorschen,  Rahna et Kaya. Mais les troupes du maréchal Ney y étaient encore !

Blücher, ayant trouvé une résistance sur la­quelle il ne comptait pas, avait fait avancer successivement toutes les troupes de son corps d’armée. Ne se trouvant pas encore assez fort, il avait appelé à lui l’armée d’Yorck.

Une fois engagé, Wittgenstein n’a plus pensé qu’à soutenir l’attaque ; il y emploie une partie de ses réserves. À gauche, il a disposé de Tormasof et de sa cavalerie pour déborder la droite du maréchal Ney, et, sur l’aile opposée, il a fait avancer le prince Eugène de Wurtemberg pour opérer un mouvement semblable sur la gauche de l’armée française. Au centre, le combat est devenu terrible. L’ennemi veut à tout prix dé­boucher sur Lützen ; il vient d’enlever les quatre villages.

La présence de l’empereur pouvait seule ar­rêter l’élan des Prussiens et changer la fortune. Nos jeunes conscrits, ne voulant pas fuir sous les coups qui les dispersaient, tournoyaient dans les champs de Raya, cherchaient à se rallier en se pelotonnant, et ne cessaient de crier vive l’empereur !  Il arrive enfin, et sa vue produit sur les troupes l’effet accoutumé. L’enthousiasme de la victoire reparaît sur toutes ces figures ensanglantées; les rangs se reforment, les colonnes d’attaque s’épaississent, et le combat recommence avec fureur. [4]Dans le moment de l’arrivée de l’empereur à Kaya, la chance du combat paraissait contre lui. Ney était obligé de céder. La présence de l’empereur enthousiasma les troupes ; quoique la … Continue reading ).

Bientôt la Garde paraît. Napoléon la fait placer en échelons par bataillons carrés, entre Lützen et Raya.

Les deux seuls régiments de cavalerie dont on puisse disposer s’avancent sur la droite, et la vigueur des charges auxquelles ils s’abandonnent fait illusion sur leur nombre.

Les premières dispositions de Napoléon ont pour objet de reprendre le village de Raya. Il charge son aide de camp le comte de Lobau (Mouton) de diriger l’attaque. Les conscrits de la division Ricard sont ramenés au feu par ce vétéran. Ils s’élancent ; le bruit le plus épouvantable de mousqueterie se fait entendre ; bientôt aux cris des combattants succède un moment de silence : le village est repris.

Sur notre droite, l’armée du duc de Raguse entre en ligne presque en même temps. Les corps de cavalerie et d’infanterie que l’ennemi croyait jeter sur Weissenfels sont arrêtés tout court au village de Starsiedel. C’est la division de la marine qui reçoit leur premier choc. Cette brave infan­terie, assaillie par une nuée de cavaliers, s’éche­lonne en bataillons carrés, ayant à sa tête le gé­néral Compans ; elle soutient jusqu’à sept char­ges à fond, et donne le temps au reste de la droite de développer son mouvement [5]Peu de temps avant la bataille,  Napoléon avait suspendu pour quelque faute un chef de bataillon de son emploi. Ce même bataillon s’avançait pour l’attaque de Starsidel. … Continue reading ).

Mais toutes les forces dont le général en chef Wittgenstein peut disposer ne cessent de s’accu­muler au centre : c’est sur Lützen que ses grands efforts d’infanterie et d’artillerie sont toujours dirigés.

Le maréchal Ney est partout et fait face à tout; son chef d’état-major, le général Goûté, est tué près de lui. L’un de ses plus braves lieutenants, le général Girard [6]Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ de bataille ; il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses troupes, puisque le moment était arrivé pour tous … Continue reading ) tombe blessé ; le gé­néral Brenier est également blessé. Les généraux Cheminaux et Guillot sont amputés. Le général Grimer est tué; les officiers d’ordonnance Pretet et Béranger sont blessés en portant les ordres de l’empereur; mais les généraux Souham, Ricard et Marchand restent debout au milieu du feu. Pendant plus de quatre heures on se bat avec une animosité toujours croissante ; les villages sont pris et repris, et la bataille semble devoir épuiser tous ses feux avant qu’aucun des deux partis songe à céder du terrain.

Les conscrits de la France et les jeunes gens de la Prusse, la fleur des universités du Nord; les enfants des meilleures familles de Berlin et de Paris sont là pêle-mêle, luttant corps à corps dans les décombres de ces malheureux villages. Des deux côtés ils font leurs premières armes ; des deux côtés cette brillante jeunesse répond également à l’appel de la guerre; pourquoi les rives de la Seine gémiraient-elles plus que celles de la Sprée ? Les deux nations ne doivent-elles pas s’enorgueillir également d’avoir produit de tels enfants ? [7]Plus des trois quarts de la perte de cette journée porta sur l’armée prussienne. Les gardes et les volontaires de Berlin souffrirent surtout beaucoup. Cette dernière perte fut une plaie dont … Continue reading

Ils combattent sous les yeux de leurs souverains : l’empereur Alexandre et le roi de Prusse, placés sur une éminence derrière le village de Gorschen, et tournant le dos à Pegau, encouragent par leurs regards les attaques que multi­plient leurs généraux.

À l’opposite, l’empereur Napoléon est devant Kaya, à demi-portée de canon, soutenant le combat, malgré l’infériorité du nombre, veillant à ce qu’on relève les troupes fatiguées par des troupes plus fraîches, pressant l’arrivée des ren­forts, ralliant lui-même, derrière le front des premières lignes, les bataillons qui sont rame­nés, ayant toujours sous sa main, au milieu de ce grand désordre, des lignes intactes à opposer à l’ennemi, trouvant enfin dans la force de sa volonté, dans le dévouement de ses généraux, et dans la confiance de ses jeunes soldats, de quoi suffire à tous les incidents [8]Napoléon s’arrêta presque tout le jour derrière Kaya, dans la direction do Lützen. Il s’exposa au feu de l’ennemi peut-être plus que dans aucun des autres combats qui furent … Continue reading . Les batteries prussiennes qui étaient établies près de Gorschen et de Kaya frappaient sur la garde impériale.  Les boulets et les grenades arrivaient jusqu’à Na­poléon, les balles même sifflaient autour de lui. (Le major saxon d’Odeleben, témoin oculaire, t. i, p. 53 et 56.).

Mais abrégeons ces heures si longues, pendant lesquelles la mort ne cesse de frapper sans que la victoire se décide.

En défendant la position de Kaya, l’empereur a donné le temps aux deux extrémités de sa ligne d’arriver. L’on commence enfin à apercevoir sur la droite, dans le lointain, la poussière et les premiers feux du général Bertrand. Au même mo­ment, sur la gauche, derrière les bouquets de peupliers qui bordent le Floss-Graben  [9]C’est un ruisseau encaissé dans un fossé large et pro­fond,  qui traverse la plaine de Lützen  dans toute son
étendue
, on en­trevoit d’autres feux qui signalent l’arrivée du vice-roi. Le onzième corps entre en ligne, et le maréchal Macdonald, à sa tête, aborde les vil­lages où l’ennemi appuie sa droite.

Nos deux ailes se prolongent alors comme les cornes d’un vaste croissant, et menacent d’en­velopper les forces que l’ennemi n’a cessé d’ac­cumuler au centre.

Le général en chef ennemi voit le danger qui grandit autour de lui; mais il s’obstine à frap­per un coup décisif sur Raya. Ses dernières li­gnes s’ébranlent. Blücher, Yorck et la division russe de Berg, se jettent à corps perdu dans Kaya. Le général prussien Scharnhorst [10]Le général prussien Scharnhorst, blessé à Lutzen, est le rédacteur des fameux règlements de la landwehr et de la landsturm; il est mort de ses blessures à Prague en Bohème, le 28 juin. Les … Continue reading et le prince de Mecklembourg-Strelitz [11]Le prince de Mecklembourg-Strelitz, dont le corps a été trouvé par l’armée française à Pegau, a reçu de l’état-major français, dans cette ville, la sépulture et les honneurs … Continue reading sont blessés à mort; le prince Léopold de Hesse- Hombourg  est tué

Léopold de Hesse- Hombourg

[12]Le prince Léopold de Hesse-Hombourg était tombé blessé. Un hussard l’emporta, sur le devant de son cheval, à quelque distance. Mais bientôt le prince expira. On l’inhuma sur le … Continue reading ; Blücher lui-même est blessé : enfin ils enlèvent le village. Notre centre fléchit, quelques bataillons se débandent; mais Napoléon se jette encore à la traverse : « Conscrits, quelle honte ! C’était sur vous que j’avais fondé mes espérances; j’attendais tout de votre jeune courage, et vous fuyez ! » À sa voix, cette valeureuse jeunesse est aussitôt ralliée; elle se reporte en avant.

Le moment de crise qui décide du gain ou de la perte de la bataille est arrivé: il n’y a plus un instant à perdre. L’empereur fait avancer les seize bataillons de la Jeune Garde, commandés par le général Dumoustier, et il ordonne au duc de Trévise de les conduire sur le village, d’y marcher tête baissée, de reprendre Kaya, et de faire maîtresse sur tout ce qui s’y trouve.

General_Antoine_Drouot
General Antoine Drouot

La division de vieille garde du général Roguet est disposée en échelons comme réserve. Les six bataillons qui la composent se forment en carrés et présentent l’aspect de six redoutes. Pour rendre l’attaque irrésistible, l’empereur ordonne à son aide de camp le général Drouot de réunir une batterie de quatre-vingts pièces, et de la placer en écharpe pour déborder le village par la droite. Un mouvement de cette importance n’est que l’affaire d’une parole ; les généraux Drouot, Dulauloy et Devaux l’exécutent en un clin d’œil. L’empereur est au milieu des pièces, que l’ennemi couvre de mitraille. En même temps, la Jeune Garde s’est précipitée dans Kaya. Le duc de Trévise [13]Mortier est à sa tête; mais il disparait dans la mêlée : son cheval est tué sous lui. Le général Dumoustier tombe de même. Tous deux, dégagés de leurs chevaux, se relèvent. Cette fois nos conscrits luttent contre les vétérans de l’armée prussienne; ils emportent le village, culbutent l’ennemi, et le poursuivent au pas de charge. Enfin cette masse de feux, de poussière et de fumée, qui est restée si longtemps immobile sur le même point de la plaine, a pris son cours et repasse à travers les villages d’où elle est venue. Le canon, qui s’éloigne avec elle, atteste que de tous côté, l’ennemi est en retraite.

Des courriers s’élancent alors du champ de bataille, et vont porter à Paris, dans toute l’Europe, et jusqu’à Constantinople, la nouvelle que l’empereur Napoléon a ressaisi la victoire.

La droite de l’armée française s’étend pour se réunir plus promptement au général Bertrand.    

Eugène de Beauharnais
Eugène de Beauharnais

Sur la gauche, le grince Eugène a opéré la diversion la plus décisive. Non seulement il a culbuté l’aile droite du général Yorck sur le village d’Elsdorf, mais il a si habilement dirigé le corps du maréchal Macdonald, qu’il a coupé à l’ennemi toute retraite sur Zwenckau. Le général russe Konowitzin et le général prussien Hunnerbein se sont fait blesser en voulant résister sur ce point à la vivacité de notre attaque.

L’empereur a défendu qu’on poursuivît l’en­nemi. Il connaît la nombreuse cavalerie dont les alliés peuvent disposer ; il a remarqué qu’une partie n’a pas donné pendant la bataille ; il craint quelque surprise pour la nuit. On allume les feux du soir sur les dernières positions qu’on vient d’enlever, et l’on forme les carrés. L’empereur va reconnaître lui-même comment nos avant-postes sont établis.

On a fait tout au plus deux mille prisonniers, parmi lesquels nos soldats voient pour la première fois des troupes de la landsturm, des volontaires noirs, et des cosaques prussiens. L’em­pereur de Russie et le roi de Prusse se sont retirés du champ de bataille sur le village de Lobstadt, du côté de Borna.

Vers neuf heures du soir, l’empereur revenait à Lützen, à travers le champ de bataille. La nuit devenait sombre. Au moment où son escorte côtoyait une haie assez épaisse, on est salué tout à coup par un feu de mousqueterie. Presque dans le même instant l’alerte devient générale. Ce que l’empereur a prévu ne tarde pas à se réaliser. L’ennemi veut profiter de l’immense supériorité de sa cavalerie et de la nullité presque absolue de la nôtre; il essaie de se jeter à travers le premier désordre d’un campement de nuit : mais les bivouacs contre lesquels il s’élance sont ceux de la division Dumoustier (Jeune Garde). Un fossé les protège, et l’on est promptement sous les armes. Les cavaliers ennemis, emportés par leurs chevaux, sont reçus par une fusillade à bout portant, tombent dans les ravins et s’y culbutent les uns sur les autres. La plupart y expirent étouffés. Le reste reporte dans le camp ennemi la honte de sa défaite.

L’empereur arrive à Lützen à dix heures du soir ; il y dicte le bulletin de la bataille [14]Parmi tous les récits ou bulletins publiés par les feuilles françaises, on doit distinguer comme le plus exact celui du combat de Lützen. La marche de l’événement y est parfaitement … Continue reading

Le lendemain 3, au lever du soleil, il remonte à cheval et fait l’inspection du champ de bataille. Après avoir donné des ordres pour faire achever l’enlèvement des blessés, il va rejoindre ses colon­nes, qui sont sur les pas de l’ennemi [15]L’empereur fut salué par les vives acclamations de ses troupes. La bonne tenue militaire qui dominait dans cette nouvelle armée sortie de terre et rassemblée d’un coup de baguette … Continue reading .


 

References

References
1 Manuscrit de 1813
2 Napoléon ne s’attendait pas à être attaqué ni ce jour-là, ni dans cette position. Ainsi cette bataille doit être rangée au nombre des opérations militaires les plus habiles et les plus heureuses de Napoléon. (Voir l’ouvrage du major saxon d’Odeleben, témoin oculaire, tom. I, page 49
3 Dans la première quinzaine d’avril, l’armée des alliés prit lentement sa route, entre Rochlitz, Altembourg et Chemnitz; la deuxième armée russe sous les ordres de Miloradovitch avança avec tout aussi peu de promptitude par la haute Lusace. Une forte division dé cosaques, qui arrivait de Dresde le 15 avril, ouvrit la marche. Le lendemain, la première division de Miloradovitch, composée tant, d’infanterie que de cavalerie, entra, à Dresde. Des nuées de Kalmouks en faisaient partie. Une longue file de fourgons, de voitures, de cantiniers et de charrettes conduites par des paysans russes retraçaient aux spectateurs l’image d’une armée asiatiqueLa nuit était tombée, et l’œil ne découvrait point encore la fin de cette marche. En queue de cette armée était fermée par quelques divisions d’excellente cavalerie, comprenant quelques pulks (régimens) des cosaques du Don et des cosaques de l’Ukraine, couverts de manteaux de frise cendrée, coiffés de bonnets, de feutre de la même couleur, et ornés d’une croix en métal. Je fus frappé de la nombreuse cavalerie qui faisait partie de cette armée, et qui me parut en disproportion avec l’infan­terie. ( Voir l’ouvrage du major saxon d’Ôdeleben , témoin oculaire, tom. 11, pag. 15.
4 Dans le moment de l’arrivée de l’empereur à Kaya, la chance du combat paraissait contre lui. Ney était obligé de céder. La présence de l’empereur enthousiasma les troupes ; quoique la plus grande partie du coprs de Ney ne consistat qu’en jeunes conscrits, qui peut-être allaient au feu pour la première fois. Aucun blessé ne passait devant Napoléon sans le saluer du cri de Vive l’Empereur. Ceux mêmes qui avaient perdu un membre, et qui dans peu d’heures allaient être la proie de la mort, lui adressaient cet hommage. J’ai entendu de mes propres oreilles les cris de ces fanatiques à demi-morts (Voyez l’ouvrage du major saxon d’Odelb, témoin oculaire, tom. 1, p. 50). Les ambulances et le champ de bataille offraient le spectacle le plus touchant ; les jeunes soldats, à la vue de l’empereur, faisaient trêve à leurs douleurs, en criant vive l’empereur ! Il y a vingt ans, dit l’empereur, que je commande des armées françaises, et je n’ai pas encore vu autant de bravoure et de dévouement (Bulletin
5 Peu de temps avant la bataille,  Napoléon avait suspendu pour quelque faute un chef de bataillon de son emploi. Ce même bataillon s’avançait pour l’attaque de Starsidel. L’empereur reconnaît dans les rangs le chef de bataillon suspendu. Il savait que cet officier était aimé de ses soldats ; il court à lui, arrête le bataillon, et lui en rend le commandement. Les cris de joie de la troupe retentis­sent au loin. Elle forme aussitôt la tête de la colonne d’attaque aux acclamations des autres régiments témoins de cette scène. ( Voir l’ouvrage du major saxon d’Odeleben, témoin oculaire, tom. 1, pag. 55.
6 Blessé de plusieurs balles, le général Girard voulut rester sur le champ de bataille ; il déclara vouloir mourir en commandant et dirigeant ses troupes, puisque le moment était arrivé pour tous les Français qui. avaient du cœur de vaincre ou de périr. (Bulletin de la bataille.
7 Plus des trois quarts de la perte de cette journée porta sur l’armée prussienne. Les gardes et les volontaires de Berlin souffrirent surtout beaucoup. Cette dernière perte fut une plaie dont la Prusse se rient encore, par le grand nombre de jeunes gens voués à la culture des arts et des sciences qui perdirent la vie à Lützen. (Guerrede 1813, par le général Guillaume de Vaudoncourt, pag. 81, édition 4e 1819.)

Les chasseurs de la garde prussienne donnaient une idée des sacrifices qu’avait faits la Prusse, et de l’esprit qu’on avait inspiré à toutes les classes de ses habitants. Plus de mille jeunes gens, au nombre desquels on voyait les fils des meilleures familles, marchaient avec ardeur aux combats ; et, si l’on en excepte quelques centaines, tous y ont trouvé la mort. Les divisions des volontaires vêtus de noir étaient encore plus nombreuses. Ces jeunes gens venaient de quitter les collèges et les universités, plusieurs de leurs professeurs étaient au nombre de leurs officiers. La plupart de ces jeunes soldats étaient dans un âge si tendre qu’on ne pouvait guère espérer qu’ils résistassent aux fatigues de la guerre. (Voir l’ouvrage du major saxon d’Odeleben > témoin oculaire, tom. u, pag   93.).

8 Napoléon s’arrêta presque tout le jour derrière Kaya, dans la direction do Lützen. Il s’exposa au feu de l’ennemi peut-être plus que dans aucun des autres combats qui furent livrés en Saxe
9 C’est un ruisseau encaissé dans un fossé large et pro­fond,  qui traverse la plaine de Lützen  dans toute son
étendue
10 Le général prussien Scharnhorst, blessé à Lutzen, est le rédacteur des fameux règlements de la landwehr et de la landsturm; il est mort de ses blessures à Prague en Bohème, le 28 juin. Les Prussiens lui élevèrent un monument. Presque tous les blessés de quelque importance se sont fait transporter de Lützen en Bohème, pour être plus promptement à l’abri des armées françaises.
11 Le prince de Mecklembourg-Strelitz, dont le corps a été trouvé par l’armée française à Pegau, a reçu de l’état-major français, dans cette ville, la sépulture et les honneurs militaires.
12 Le prince Léopold de Hesse-Hombourg était tombé blessé. Un hussard l’emporta, sur le devant de son cheval, à quelque distance. Mais bientôt le prince expira. On l’inhuma sur le champ de bataille, au pied d’une petite colline du haut de laquelle le roi de Prusse et l’empereur Alexandre étaient témoins du combat.
13 Mortier
14 Parmi tous les récits ou bulletins publiés par les feuilles françaises, on doit distinguer comme le plus exact celui du combat de Lützen. La marche de l’événement y est parfaitement représentée. (Voir l’ouvrage du major saxon d’Odeleben, témoin oculaire, tom. i, page 60.).
15 L’empereur fut salué par les vives acclamations de ses troupes. La bonne tenue militaire qui dominait dans cette nouvelle armée sortie de terre et rassemblée d’un coup de baguette était véritablement admirable. Rien n’est plus fait pour exciter l’étonnement que l’esprit militaire, l’activité