Correspondance de Joseph Napoléon – Février 1814

Février 1814

 

Paris, 1er février 1814

À Napoléon

Sire, le général d’Ornano m’a annoncé qu’il avait aujourd’hui, en état de prendre les armes, 3 mille hommes d’infanterie et 500 de cavalerie. L’achat des chevaux était arrêté par le manque de fonds. M. de la Bouillerie s’est refusé à en fournir sur les 2 millions que l’on m’a annoncé avoir été destinés par Votre Majesté à la remonte de la garde. J’ai fait fournir quelques fonds particuliers au géné­ral Ornano, pour ne point arrêter un service aussi important, il sera bon que Votre Majesté veuille bien faire donner des ordres sur cet objet à M. de la Bouillerie. Les compagnies d’artillerie d’Espagne n’arrivent qu’aujourd’hui. Toutes les dispositions prescrites par Votre Majesté commencent à s’exécuter. Les cadres de la garde se réduisent à 22 ba­taillons, au lieu de 30. J’ai demandé au ministre de la guerre un travail pour la formation de tous les gardes forestiers et champêtres de la 1e division, et leur réunion ainsi que celle de la gendarmerie, pour que, le cas arrivant, tous ces hommes puis­sent se trouver réunis et s’opposer à l’ennemi avant que le danger ne les disperse, s’ils étaient surpris par les partis ennemis avant d’avoir reçu des or­dres et une organisation. Je viens d’envoyer à l’Impératrice un décret qui autorise cette mesure, approuvée par l’archichancelier et les ministres.

 

Paris, 1er février 1814

À Napoléon

Sire, les rapports qui m’ont été transmis hier et aujourd’hui font connaître les tentatives de l’ennemi sur Sens : elles ont été jusqu’ici infructueuses. Le général Allix a rétabli la confiance, et tous les secours en hommes, artillerie et munitions ont été dirigés, de Paris et de Melun, sur les points menacés. J’ai envoyé un aide de camp à Sens; un autre est parti pour Briare. La défensive est  organisée partout avec beaucoup de zèle. A Paris on s’occupe des travaux des barrières, et j’espère que, sous trois à quatre jours, ils seront achevés. La garde nationale commence son service après-demain. Elle aura un poste au palais, et un à la préfecture. Ce service pourra recevoir plus d’accroissement selon les évènements. J’ai vu aujourd’hui 6 mille hommes de la garde de Votre Majesté, qui sont partis d’après les ordres directs qui ont été donnés par le général Drouot au général Ornano, ainsi que 22 pièces de la garde.

(Deux ou trois lignes de cette fin de cette lettre in­déchiffrables.)

 

Paris, 2 février 1814

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté par laquelle elle m’annonce la répartition des fonds. J’en ai prévenu le général Ornano, commandant la garde. J’ai communiqué au général Ornano les ordres de Votre Majesté pour le départ des 4 à 5 mille hommes de sa garde. J’espère pouvoir lui faire partir en grande partie le 12. Les 12 bataillons partis hier ont dû coucher cette nuit à Meaux ; ils vont être dirigés sur Arcis-sur-Aube. Un officier parti ce matin de Montargis annonce que le commandant de cette ville et les habitants étaient sur leurs gardes, ayant appris que l’ennemi s’était présenté à Courtenay. Les habitants, sur toute la route, étaient bien disposés; mais ils avaient peu d’armes. Une lettre du général Rusca, de Soissons, à cinq heures du matin, annonce au ministre de la guerre l’arrivée d’un parti de 1,200 chevaux ennemis à Maubert-Fontaine, où ils ont exercé beaucoup de violences et massacré les malades. Les conscrits arrivent par 1,200 tous les jours. Les habits ne manquent pas. Tout le monde montre du zèle, mais les armes sont rares.

Paris, 3 février 1814

À Napoléon

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Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté d’hier. Demain je verrai les troupes, qui partiront immédiatement après, pour se rendre à la destination que Votre Majesté leur a fait donner. Je garderai ici à peine ce que Votre Majesté a destiné à la protection du palais. L’opinion était trop confiante hier et avant-hier; aujourd’hui elle est trop alarmée. J’ai visité les travaux des barrières de la rive gauche; ils seront terminés dans trois jours. J’ai été assez content de la physionomie des faubourgs, qui [deux lignes indéchiffrables). Votre Majesté n’a point ou­blié que j’ai au nombre do mes plus anciens servi­teurs le général Maurice Mathieu. Je prie Votre Majesté de me le donner : c’est un homme de con­seil et de cœur. L’Impératrice m’a fait demander un entretien; jai cherché à la rassurer. Je la reverrai aujourd’hui. On annonce la division Leval à Ver­sailles; demain, la division Boyer sera à Melun. Nous n’avons aucune nouvelle de l’armée d’Italie.

Paris, 5 février 1814

À Napoléon .

Sire, j’ai reçu votre lettre du 3. La division Leval a été retardée dans sa marche; on l’attend demain à Versailles. J’ai vu aujourd’hui 5 mille hommes d’infanterie et 1,200 chevaux de la garde, 600 chevaux du dépôt de Versailles. Je n’ai gardé ici que mille fantassins et 400 cavaliers. L’opinion était aujourd’hui abattue, et j’ai eu beaucoup de peine à soutenir l’espoir de beaucoup de personnes. J’ai vu deux fois l’Impératrice, et je l’ai laissée plus tranquille hier au soir; elle venait de recevoir une lettre de Votre Majesté, où il était question du congrès. Si Votre Majesté éprouvait de grands revers, quelle forme de gouvernement faudrait-il laisser ici pour empêcher les premiers intrigants de se mettre à la tête d’un mouvement quelconque ? Jérôme me demande quelle est la conduite qu’il doit tenir dans cette hypothèse ? Les hommes arrivent, mais l’argent manque pour les habiller. Le comte Daru ne peut obtenir du Trésor que 10 mille francs par jour, ce qui retarde singulièrement le moment du départ des troupes. Il y a ici deux bataillons de gardes nationales.

 

Paris, 5 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, d’après les nouveaux ordres que je reçois de l’empereur, les  600 hommes de cavalerie du général Roussel (Roussel d’Hurbal), qui doivent être dirigés par Corbeil sur Fontainebleau, doivent l’être sur Nogent, par Brie-Comte-Robert, Nangis et Provins. Je désire voir demain la division du général Leval, qu’on m’annonce être arrivée à Versailles hier soir, pour qu’elle puisse se rendre ensuite à Nogent par la même route. C’est aussi sur Nogent, et par cette même direction, que doivent être dirigées toutes les troupes d’Espagne et autres qui doivent renfor­cer l’armée de l’Empereur, moins celles que vous jugerez strictement nécessaires pour soutenir la ligne de l’Oing, sur laquelle, d’après l’avis que je reçois, il parait que l’ennemi ne dirige jusqu’à présent que des postes. Je vous prie de vouloir bien donner des ordres en conséquence.

 

Paris, 5 février 1814

À Napoléon

Sire, M. Colchen est arrivé; il croit avoir reconnu l’ennemi hier soir. Les préparatifs de défense se faisaient sur la communication qui jusqu’ici était ouverte sur Châlons. Le duc de Tarente était à Épernay hier soir (1). On ignore… J’envoie un officier pour le voir et connaître la situation des choses. Les forces disponibles de la garde sont parties pour Nogent ; la division Leval part demain. Il n’y a donc pas de troupes à Paris pour pouvoir marcher à la rencontre de l’ennemi et couvrir la capitale. M. Colchen croit que l’ennemi pourrait bien avoir 20 mille hommes sur la communication de Chalons. Je m’empresse de prévenir Votre Ma­jesté de cet état de choses, afin qu’elle puisse pren­dre les dispositions qui pourraient sauver la capitale, et ordonner la marche à suivre dans les diverses hypothèses. Le Trésor public est épuisé, et le ser­vice de la guerre en souffre beaucoup. Louis et Jérôme m’ont chargé de rappeler à Votre Majesté qu’ils étaient prêts à remplir la destination que vous jugeriez la plus convenable de leur donner. Je pense, en mon particulier, que si, par un des plus grands malheurs qui puissent arriver, l’ennemi devait entrer dans la capitale, il serait conve­nable qu’elle ne fût pas abandonnée par tous les frères de Votre Majesté. Il me paraîtrait qu’entre le départ de l’Impératrice et l’entrée de l’ennemi, il y aurait un intervalle pendant lequel une commis­sion du gouvernement provisoire devrait avoir à sa tête un prince. Le trésorier de la couronne me presse beaucoup pour être autorisé à faire trans­porter hors de Paris les objets qu’il ne saurait en enlever que vingt-quatre heures après en avoir reçu l’avis ; et il ne serait pas sûr que cet avis put lui en être donné vingt-quatre heures à l’avance. Pour gagner huit heures, j’expédie un courrier à Votre Majesté.

 

Troyes, 6 février 1814

Napoléon à Joseph

Mon frère, j’ai reçu votre lettre du 5 février à Troyes.

Le duc de Raguse est arrivé à Nogent avec son corps, pour contenir l’ennemi. Je me dé­ciderai le reconnaître ce matin, à m’y porter avec l’armée, et à quitter Troyes. Dans des moments extraordinaires, il me semble que le seul homme à laisser à Paris serait un commissaire impérial. Voyez sur qui le choix pourrait rouler; concertez cela avec l’archichancelier et les ministres des fi­nances, du trésor et de l’intérieur. Je suppose qu’il ne faudrait laisser aucun ministre (mais j’espère que le cas n’arrivera pas)

 

Troyes, 6 février 1814, 3 heures après midi)

Napoléon à Joseph

Mon frère, je reçois votre courrier. Je serai demain de bonne heure à Nogent; le duc de Raguse y est depuis le 5. Je suis donc en mesure de cou­vrir Paris. Faites-moi connaître la marche précise de toutes les troupes et de la 2e division d’Espa­gne, ainsi que les renseignements que vous avez sur la route de Châlons par Épernay, et sur celle de Vitry par Sézanne (Il est permis de supposer, d’après ces questions, que l’Empe­reur commence à songer à son plan contre Blücher). Il faudrait que le ministre de la guerre envoyât sur-le-champ des fusils et des cartouches à Montereau, à la Forte et à Meaux, pour armer les gardes nationales. Je suis très-contrarié de ces dispositions, car je voulais attaquer demain sur Bar-sur-Seine pour battre l’empereur Alexandre, qui me parait avoir fait de fausses dis­positions; mais je sacrifie tout à la nécessité de couvrir Paris. Envoyez des officiers sur les deux routes que je viens de vous indiquer, afin que je sois bien instruit. Envoyez le duc de Valmy à Meaux; il correspondra avec moi sur Sézanne. Dans tout événement imprévu, l’idée de mettre à la tête de Paris le roi Louis me paraît très-bonne. Vous vous souvenez de tout ce que je vous ai dit pour les princesses (L’Empereur avait prescrit à son frère, en cas     d’évacuation for­cée de Paris, différentes dispositions que l’on retrouvera dans sa
lettre du 8).

Au reste, par le parti que je prends, vous n’en serez pas là. Faites ôter de Fontainebleau tout ce qui est meuble précieux, et surtout ce qui pourrait être trophée, sans cepen­dant trop démeubler le château; mais il est inutile d’y laisser l’argenterie el tout ce qui peut se transporter promptement. J’écris à la Bouillerie de tenir un million à votre disposition, pour activer l’habillement et l’équipement des troupes.

 

Paris, 6 février 1814

À Clarke

Monsieur le duc, je reçois votre lettre et celle du général Guye. Il parait que le maréchal duc de Tarente n’est pas sur la communication de Châlons à Paris (Macdonald se trouvait bien réellement sur cette communication), et il n’y ici aucune cavalerie pour envoyer à Meaux ; je pense donc que vous devez en­voyer par un officier l’ordre aux 700 chevaux partis ce matin d’ici, et qui doivent être arrivés à Brie (cavalerie dirigée sur Nogent), de se rendre demain à Meaux, où ils se­ront aux ordres du général Guye; dès que nous sau­rons à quoi nous en tenir sur ce point, ils recevront d’autres ordres.

J’ai ordonné ce matin au général Hullin d’en­voyer 1,200 fantassins et 200 cavaliers, avec un général de brigade, à la Ferté-sous-Jouarre; mais comme ce mouvement pourra être tardif, les che­vaux devant venir à Versailles, et que le plus pressé aujourd’hui est ce qui peut se passer à Meaux, faites porter sur ce point les 700 chevaux qui seuls sont sous votre main.

 

Paris, 7 février 1814

A Napoléon

Sire, j’apprends par un particulier de Pont que le quartier impérial était attendu hier soir à Provins. J’envoie un courrier à Votre Majesté, pour gagner six heures sur l’estafette. J’ai écrit, il y a trois heures, assez longuement à Votre Majesté. Je l’ai prévenue que des partis ennemis s’étaient pré­sentés à la Ferté-sous-Jouarre ; qu’il n’y avait que 300 hommes à Meaux ; que j’ai envoyé à Meaux deux bataillons et 700 chevaux, pour ne pas per­dre le passage de la Ferté. L’opinion est fort abat­tue aujourd’hui. Nous n’avons pas de nouvelles de Votre Majesté.

 

Paris, 7 février 1814, 1 heure 1/2 du matin.

Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté d’hier, dans ce moment seulement; je que l’estafette est arrivée cependant à sept heures. J’apprends que le maréchal Macdonald a abandonné Châlons et la communication du Meaux (Joseph était dans l’erreur. Macdonald avait bien abandonné Châlons, se retirant devant des forces beaucoup trop supérieur mais il était venu prendre position derrière la Marne, à la Ferté-sous-Jouarre, et n’avait pas abandonné encore la communication de Meaux).

On envoie dans cette direction tout ce que l’on peut en cavalerie et in­fanterie, sous les ordres du général Minot. Je prie Votre Majesté de me donner des ordres pour M. de la Bouillerie et pour la direction à suivre. Je verrai l’archichancelier pour la personne dont Votre Ma­jesté me parle (dans une lettre du 6 février, Napoléon parle du choix à faire d’un commissaire impérial, en cas d’évacuation forcée de Paris).

 

Paris, 7 février 1814

À Napoléon

Sire, les événements deviennent de plus en plus graves. J’ai demandé au ministre de la guerre qu’il donnât au général Maurice Mathieu l’ordre d’être auprès de moi, comme major général. L’expé­rience m’ayant appris que le général Hullin est tellement occupé des affaires de la place de Paris, que des mouvements importants peuvent lui échap­per, j’avais donc besoin d’un général qui fût toujours avec moi. Maurice Mathieu arrive dans la première division. Il prendra sous mes yeux les mesures qu’il importe de prendre et d’ordonner au général Hullin, qui est plein de zèle et de bonne volonté. Le major Allant continue les mêmes rap­ports avec moi; il a beaucoup de besogne et s’en acquitte bien. J’ai été fort heureux de l’avoir; mais lui-même, ainsi que le ministre, m’ont pressé pour avoir un général expérimenté avec moi. J’ai en­voyé un officier au duc de Tarente, pour avoir de ses nouvelles. On m’a assuré qu’il était, le 4, à Épernay. J’ai donné ordre au général Hullin d’envoyer un général de brigade avec 1.100 hommes sur la Ferté-sous-Jouarre, pour se mettre en com­munication avec le maréchal Macdonald, observer toutes les communications, se rendre compte des mouvements de l’ennemi. Le général Leval est parti aujourd’hui, ainsi que 700 chevaux, du dépôt de Versailles. Les conscrits affluent; il en arrive 2 mille par jour. Votre Majesté sait ce qui nous manque malheureusement. La garde nationale éprouve le même besoin. C’est le manque d’armes, Sire, qui doit rendre supportables les conditions de l’enne­mi ; du reste, Votre Majesté aurait eu des hommes autant que cela aurait été nécessaire. J’ai écrit hier par un courrier que j’ai adressé à Votre Ma­jesté ; je la prie de m’envoyer des instructions sur les objets importants sur lesquels j’ai demandé ses ordres. M. de la Bouillerie me presse beaucoup pour avoir une décision.

L’évacuation de Chalons a jeté la consternation ici. L’article du Moniteur sur les négociations et sur les ministres plénipotentiaires a un peu neutralisé l’impression produite par l’évacuation de Chalons, malheureusement abandonné par le duc de Tarente. Soissons est aussi menacé. Des partis se sont pré­sentés près de Montargis. À une heure, le ministre de la guerre me mande que des partis ennemis se sont présentés à Maisonrouge. La Ferté-sous-Jouarre est menacée. Le général commandant le camp de Meaux m’écrit que la ville est encombrée de trains et d’équipages venant de Chalons. Il n’a avec lui que 300 hommes armés, et le reste de sa troupe est sans armes; il réclame de la cavalerie. Dans cet état de choses, n’ayant pas de cavalerie ici, ne pouvant en espérer de Versailles de quel­ques jours, et ignorant si ce qui s’est présenté à la Ferté est une force respectable, et si le maréchal Macdonald se trouve ou non sur cette communication, je me décide, quoique avec bien du regret, à faire donner l’ordre aux 6 à 700 chevaux qui sont partis ce matin de se rendre à Meaux demain; ils y seront suivis par 3 bataillons. Dès que je sau­rai à quoi m’en tenir, je ferai continuer leur route pour Nogent à ces 600 chevaux. L’état des esprits est tel aujourd’hui, qu’il est de la dernière impor­tance d’empêcher toute insulte sur les approches de la capitale.

 

Paris, 7 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, je vois que l’instant est venu de réaliser le projet de réunion de la gendarmerie et des gardes forestiers de la 1e division, sur des points tels que Claye et Fontainebleau, d’où l’on puisse les diriger sur les points menacés. Je vous invite à vouloir bien donner les ordres et faire les dispositions nécessaires pour l’exécution de cette mesure.

 

Paris, 7 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, l’Empereur me mande qu’il est fort important d’envoyer des cartouches et des fusils à Montereau, Pont-sur-Yonne et Meaux, pour les gardes nationales, ainsi qu’à Soissons. Je vous prie de me mettre en état de répondre à sa Ma­jesté.

 

Paris, 8 février 1814

À Napoléon .

Sire, je reçois votre lettre du 7. Je communique au ministre celle qui traite de la formation d’une armée de réserve. Je le harcèle sans cesse pour les fusils. Je le verrai tout à l’heure encore, et j’en écrirai après à Votre Majesté.

J’écris au duc de Conegliano pour renforcer les postes de la garde nationale aux barrières. Cette garde a déjà commencé son service. Ce qui lui manque, ce sont encore les fusils, et même les fusils de chasse. Les troupes parties pour la Ferté-sous-Jouarre sont commandées par le général Minot : elles se composent du 6e bataillon du 86e de ligne, du 1er du 28e léger, du 4e du 70e de ligne : total, 2 mille hommes. Le général Saint-Germain était à Compiègne; il vient de recevoir l’ordre de se ren­dre à Meaux. Soissons est menacé. Je viens d’or­donner au général Hullin d’y envoyer un bataillon. J’ai fait écrire au général Berruyer de s’y défendre; je lui fais réitérer les mêmes ordres. Il parait que les gardes nationales de Soissons n’ont pas de fu­sils. Je renvoie à Votre Majesté l’aide de camp que j’avais envoyé au duc de Tarente, et qui a rencontré cette nuit, près de la Ferté-sous-Jouarre, le général Minot avec ses troupes. Je verrai tout à l’heure les ministres de la guerre et de l’administration de la guerre pour l’exécution des ordres de Votre Majesté; mais je dois lui dire d’avance que le ministre de la guerre m’a répété dix fois qu’il n’a pas 5 mille fu­sils disponibles, et que le commandant de Vincennes, que j’ai vu hier, m’a dit en avoir 30 mille, mais à réparer. Dès hier, j’ai écrit au ministre de hâter par tous les moyens imaginables la réparation de ces armes, et de me rendre compte du produit probable d’ici au 20 et 30 du mois. Pour ne pas retarder le départ de l’officier, je n’en dis pas davantage dans ce moment à Votre Majesté.

 

Paris, 8 février 1814, 10 heures du soir

À Napoléon.

Sire, j’ai mis à la disposition du ministre directeur de l’administration de la guerre le montant de ce que Votre Majesté a accordé sur son trésor, à raison de 100 mille francs par jour. J’ai vu le mi­nistre de la guerre ; M. Gérard s’occupe de la for­mation des quatre divisions. J’en rendrai compte à Votre Majesté dès que je l’aurai. J’ai donné l’ordre semblable au général Ornano. Le ministre de la guerre m’a assuré qu’il avait à Vincennes aujour­d’hui 11 mille fusils en état. Les ouvriers de Charleville sont arrivés; on s’occupe de la formation de leurs ateliers. On attend aussi des envois de Saint-Etienne. J’ai ordonné au général Hullin de nommer un officier de la ligne pour commander chacune des barrières conservées. Le même général Hullin doit, dès ce soir, faire placer à chacune des barrières principales, et particulièrement sur la rive droite de la Seine, 100 soldats de la ligne, et le maréchal Moncey 150 de la garde nationale, armés de fusils d’ordonnance et de chasse. J’ai ordonné au général Ornano de mettre 6 pièces d’artillerie de la garde à la disposition du général Hullin.

Il existe à Vincennes près de 2 mille voitures d’artillerie et 700 pièces de canon non attelées. J’ai écrit ce matin quelles étaient les troupes parties pour Meaux. Le ministre de la guerre vient de me dire que 2 bataillons de gardes nationales de Lille y avaient aussi été envoyés; de manière qu’il y au­rait aujourd’hui à la Ferté 5 bataillons d’infanterie et près de 800 chevaux, dont 300 partis de Compiègne, de la division du général Saint-Germain, et 500 du dépôt de Versailles.

J’ai demandé aux ministres de la guerre et de la police d’envoyer des officiers et des agents sur les routes de Sézanne et de la Ferlé. Les armes pour 2 mille hommes des gardes nationales de Soissons étaient parties, et le général Berruyer était dans cette ville, témoignant beaucoup d’inquiétude. Il a écrit au ministre de la guerre de laisser à Soissons les 2 mille hommes auxquels sont destinées les ar­mes parties; ils seront plus utiles à Soissons, où ils seront armés, qu’ils ne le seraient à Meaux, où il y a des hommes qui n’ont pas de fusils. Votre Majesté verra par les lettres ci-jointes que des partis ennemis ont été à Montmirail et à Vieux-Maisons. Je reçois la lettre de Votre Majesté de ce matin, et j’ap­prends avec plaisir que le duc de Raguse est entré à Sézanne. Le ministre de la guerre m’assure qu’il adresse exactement à Votre Majesté tous les rapports qu’il me fait sur les mouvements des troupes dans la 1e division. Il me mande aujourd’hui que la 1e brigade du général Treilhard (dragons venant d’Espagne) sera rendue à Montereau le 10, le 15, le 17 et le 19, chaque régi­ment voyageant séparément.

 

Paris, 8 février 1814, minuit.

À Napoléon.

Sire, j’ai dit à M. de la Bouillerie de prendre des mesures de manière que, dans le cas où je lui donnerais l’ordre de partir avec son trésor, il pût l’exécuter six heures après. Cet avis l’a mis dans l’obligation de faire charger quelques fourgons, et de les remiser dans la cour du grand écuyer, sur la place du Carrousel. Cette opération a eu lieu de nuit, et les officiers chargés de la police du palais impérial ont pu seuls en avoir connaissance. Le directeur des musées est venu me dire aujourd’hui qu’il fallait fermer le Musée, et transporter ce qu’il y a de plus précieux hors de Paris, à moins d’or­dres contraires de ma part. N’en ayant aucun de Votre Majesté, je n’ai pu lui en donner. Si j’en re­çois de Votre Majesté, je ne tarderai pas à les lui communiquer. Je pense, Sire, que la solennité des prières publiques à Sainte-Geneviève n’aura pas un bon résultat. Les esprits sont trop abattus, et l’on est trop disposé à s’en remettre aux événements du soin de sa défense, pour exciter encore le sentiment de nonchalance par l’intercession religieuse. Je dis plus : pour les gens peu crédules, cet acte ne sera qu’une cérémonie qui ne prouvera que le danger et la défiance de ses propres forces. Pour les bons ca­tholiques, que Votre Majesté se persuade bien que, tant que sa réconciliation avec le vicaire de Jésus-Christ ne sera pas publique, le gouvernement n’ob­tiendra rien d’eux. Non, Sire, il n’y a pas en France d’autres sectaires religieux que ceux qui reconnais­sent le pape pour chef spirituel. Tous les autres ne sont pas des catholiques, mais des incrédules ou des protestants. Ainsi, tant que je ne lirai pas dans le Moniteur : « Le pape est retourné à Rome; l’Em­pereur a ordonné qu’il y fût accompagné et reçu comme il convient, » je ne pense pas qu’aucune cé­rémonie religieuse ait aucun bon effet pour Votre Majesté dans l’esprit des catholiques. Ceci, Sire, est la vérité. L’Impératrice est plus rassurée aujour­d’hui. J’ai passé la journée à donner des espérances à des gens qui ont bien moins de fermeté que l’Im­pératrice.

 

Paris, 9 février 1814, 4 heures du matin.

À Napoléon.

J’ai reçu la lettre de Votre Majesté pour faire suspendre l’insertion de la notice du Moniteur. J’ai envoyé mon aide de camp chez le duc de Cadore; j’espère qu’il sera arrivé à temps. La lettre ci-jointe fera connaître à Votre Majesté la position des affaires du côté de Laon.

Je n’ai pas encore reçu le travail de Gérard, de la guerre ; mais Votre Majesté sait déjà, par ce que je lui ai mandé hier soir, que le ministre de la guerre m’a dit, après s’en être bien assuré, qu’il n’avait que mille fusils, qu’il réservait plus particulièrement pour la garde impériale.

 

Paris, 9 février 1814, 4 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre d’hier, à onze heures, en réponse à celle qui accompagnait une lettre de Louis. Votre Majesté peut-être assurée que intentions seront remplies autant que cela dépendra de moi, et que dans divers cas cette lettre pourra être utile à l’accomplissement de votre vo­lonté, puisqu’elle en est l’expression; et que, sous ce rapport, ma lettre aura obtenu un grand but, celui de l’expression écrite de la volonté de Votre Majesté, ce qui peut devenir indispensable pour décider divers personnages, dont l’incertitude sera ainsi terminée.

 

Paris, 9 février 1814, 11 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je reçois vos lettres du 8, à huit heures du soir. J’envoie celle de l’impératrice Joséphine, et j’en attends la réponse par Tascher. Je verrai, après le conseil des ministres MM. de Feltre et d’Hauterive.

Je reçois une lettre du ministre de la guerre, que j’envoie en original à Votre Majesté; elle verra que nos ressources en fusils se réduisent à 6 mille; ainsi, qu’il est impossible d’espérer une armée de réserve de 30 à 40 mille hommes dans Paris. Les choses sont plus fortes que les hommes, Sire; et lorsque cela est bien démontré, il me parait que, la véritable gloire est de conserver ce que l’on peut de ses sujets et de son territoire; et le parti de commettre une vie précieuse à un danger trop évident n’est pas glorieux, puisqu’il n’est pas avantageux à une grande masse d’hommes qui ont attaché leur existence à la vô­tre. Votre Majesté peut être assurée que j’exécute­rai fidèlement ses dispositions, quelles qu’elles soient. Ici personne n’est pour rien, ni directement ni indirectement, dans ce que j’écris à Votre Majesté avec un entier abandon, tel que cela se pré­sente à mon esprit. Je vois un abattement tel, que je ne pense pas qu’il y ait rien de bon à espérer dans Paris pour une armée de réserve ni aucun effort extraordinaire; il faut donc obéir avec cou­rage à la nécessité, soit que cette nécessité vous per­mette de faire le bonheur d’un grand système d’hommes, ou qu’elle vous ordonne de vous soumettre, ne nous laissant plus de choix qu’entre la mort ou le déshonneur : et je ne vois pour Votre Majesté déshonneur, au point où nous en sommes, que dans l’abandon du trône, parce que cet abandon ferait le malheur d’un grand système d’individus qui se sont livrés à vous. Si donc vous pouvez faire la paix, faites-la à tout prix ; si vous ne pouvez pas, il faut périr avec résolution, comme le dernier em­pereur de Constantinople, à la bonne heure. Dans ce cas, Votre Majesté doit compter qu’en tout et pour tout je suivrai ses intentions, et que je ne fe­rai jamais rien indigne d’elle ni de moi.

 

Paris, 9 février 1814, midi

À Napoléon.

Sire, voici une lettre dont Votre Majesté appréciera la vérité. Si le maréchal Marmont a fait son mouvement sur Sézanne, elle doit être fausse. La garde aura 10 mille hommes le 10. La garde nationale a 3 mille hommes en service journalier, 1,500 aux barrières, et 1,500 en réserve. Pour le moment, elle ne peut pas davantage. J’attends l’état de si­tuation de la ligne.

 

Paris, 9 février 1814, 11 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre de ce matin, à trois heures. J’ai déjà écrit au ministre de la guerre pour activer l’armement, et envoyer aux bataillons de gardes nationaux les majors et officiers dont ils manquent.

J’ai mandé à Votre Majesté que nous avions à Vincennes une énorme quantité de voitures d’ar­tillerie. La lettre ci-jointe du ministre de la guerre mettra Votre Majesté à même de m’indiquer si elle approuve le déplacement, et quel est le point sur lequel il convient de diriger toute cette artillerie. J’attends impatiemment quel aura été le résultat du mouvement du duc de Raguse en faveur du duc de Tarente. Voici des nouvelles du général Minot, de la Ferté-sous-Jouarre, Beaucoup de personnes partent de Paris.

Le directeur du Musée me suit partout, pour être autorisé par moi à fermer le Musée et à emballer les objets les plus précieux. J’ai écrit pour cela hier à Votre Majesté. Je ne donnerai aucun ordre sur cet objet important sans recevoir ceux de Votre Majesté. Cette mesure achèvera l’opinion.

 

Paris, 9 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, je crois qu’il est important de faire reconnaître les ponts de la Marne, tels que Charenton, Saint-Maur, Lagny, Meaux, Trilport, etc., et  les moyens d’ôter ces passages à l’ennemi, s’il avait pénétré, entre Nogent et Montereau, dans le pays compris entre la Seine et la Marne, et qu’il vou­lût jeter de la cavalerie à la droite de la Marne et de la Seine jusqu’à l’Oise, ce qui ôterait à Paris les vivres qu’il tire de ce pays, et permettrait aux partis de se montrer sur les hauteurs qui do­minent la capitale.  Ces passages ôtés à l’ennemi ne lui laisseraient plus de moyens d’arriver sur Paris qu’en marchant à la gauche de la Seine, puis­que sa ligne d’opérations entre Seine et Marne finit au confluent de ces rivières; on l’empêcherait de se porter sur cette gauche en lui ôtant les passages de Choisy, Corbeil et Melun. C’est en ce sens que l’Empereur recommande, dans les notes dictées la veille de son départ, de bien assurer la défense de tous les ponts de la Seine, depuis Arcis-sur-Aube jusqu’à Choisy. Je crois qu’il a été donné des ordres pour la défense ou la rupture de ces ponts, jusques et y compris celui de Melun ; je vous prie de les étendre à ceux de Corbeil et de Choisy. On ôte­rait à l’ennemi les passages de la Marne et de la Seine, dans l’hypothèse où il aurait passé la Seine entre Nogent et Montereau. Il resterait à se défen­dre contre les partis qui tenteraient de marcher di­rectement à la gauche de la Seine, en passant le canal de Loing. S’il voulait pénétrer par Moret  et Nemours, il aurait à forcer ces postes et les posi­tions en arrière ; je crois qu’il faut les bien reconnaître et fortifier avec soin, et, s’il se peut, y mettre de l’artillerie, du moins à Moret. Fontai­nebleau me paraît bien choisi pour la défense d’une réserve destinée à les soutenir, et disputer les rou­tes dans les rochers et la forêt. Mais il faut entre Fontainebleau et Paris une position intermédiaire, sur laquelle se replieraient les troupes qui auraient défendu la forêt et le canal. Cette position me pa­raît être celle d’Essonne, en occupant, comme poste avancé, le contre-fort de la rive droite en­tre la rivière et la Seine, de manière à couvrir les moulins de Corbeil et les moulins à poudre. Je vous prie, Monsieur le duc, de faire reconnaître cette position et les moyens de la défendre. Cette recon­naissance se lie à celle du pont de Corbeil, qui doit couvrir la gauche. Enfin, il convient de pré­voir le cas où l’ennemi, par Montargis et les autres ponts du canal entre Nemours et Briare, tacherait de jeter des partis sur la route d’Orléans, afin de marcher contre Paris par les deux grandes communications qui sont à la gauche de la Seine. Dans cette hypothèse, il faut une position qui tienne à la fois les deux routes; cette position me parait être celle de Longjumeau, indiquée par le maréchal de Puységur pour une armée, s’il est possible de la resserrer en occupant, comme postes de flanc, les points où il appuyait ses ailes. Je vous prie, Mon­sieur le duc, de faire reconnaître cette position, et les moyens de la disputer à l’ennemi. Enfin, il ne sera pas inutile de voir le parti qu’on peut tirer des positions d’Antony et de Bagneux, qui laissent à l’ennemi les plaines de Longjumeau et d’Ivry, mais qui peuvent servir comme position de retraite aux troupes obligées de quitter celle de Longjumeau. Ce travail aurait pu être fait par les officiers du génie et les ingénieurs-géographes de la lre di­vision militaire, si le personnel du génie de la di­vision était organisé pour un service de guerre. En attendant, je vous serais obligé de le faire faire par les ingénieurs-géographes ou topographes, sous les ordres de M. le comte Dejean, qui sen est, je crois, occupé comme président du comité de dé­fense. Vous jugerez, sans doute, convenable d’orga­niser le personnel et le matériel de l’artillerie et du génie de la 1re division militaire, de manière que le service extérieur et de guerre soit assuré dans tou­tes les circonstances. Cette organisation me parait devoir être indépendante de celle de l’artillerie et du génie de la garde nationale, dont la destination est de défendre l’enceinte même de Paris contre les partis. Dès que je connaîtrai cette organisation, les points occupés et les ouvrages qu’il faut y faire, je m’occuperai de suite des dispositions nécessaires pour les garder et les soutenir.

 

Paris, 10 février 1814, à midi.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu vos lettres du 9 de onze heures du matin et de deux heures après-midi. La lettre de l’impératrice Joséphine est partie par l’estafette de ce matin : elle est aussi pressante que possible. Je recommande à la police la distribution des imprimés dont Votre Majesté me parle. J’ai donné tous les ordres au ministre de la guerre, au comte Dejean, premier inspecteur général du génie, au général Ornano et au comte Hullin, pour l’exécution des di­verses mesures prescrites par vos lettres. Ainsi, les ministres de la Guerre et de l’administration de la guerre ont eu communication cette nuit de la lettre de Votre Majesté. Le ministre de l’administration a fait les dispositions pour le cas d’une bataille; celui de la guerre est prévenu pour compléter les cadres de l’artillerie et les faire venir des dépôts. Le comte Dejean reçoit de nouveau l’ordre pour fortifier les ponts de Corbeil et de Choisy ; le général Hullin, ce­lui de les faire défendre en y envoyant des troupes. Le général Ornano doit envoyer les deux bataillons, l’un à Compiègne, l’autre à Fontainebleau. Celui-ci aura l’ordre, dans les événements de force majeure, de se porter sur Corbeil, et de contribuer à la défense de ce point important. Le comte Hullin reçoit l’ordre de s’occuper de l’organisation de son artil­lerie, afin de laisser à la garde ses 22 pièces. Celte batterie n’avait été mise à sa disposition que d’après l’ordre que Votre Majesté m’en avait donné. Il doit passer demain en revue la garde nationale. Le duc de Conegliano désire beaucoup qu’elle place un poste au palais, la garde nationale mettant beaucoup d’importance à cette marque de confiance, et sachant que Votre Majesté l’a dit ainsi au ministre de l’intérieur, en ma présence, le soir de la veille de son départ. J’ai donné les ordres nécessaires pour le palais de Compiègne au duc de Cadore; j’avais précédemment donné l’ordre pour celui de Fontai­nebleau.

 

 

Paris, 10 février 1814, midi.

À Napoléon.

Sire, le major Gros, commandant à Montargis, m’écrit, en date du 9, qu’une colonne ennemie s’étend de Courtenay jusqu’à Fontenay; que quelques Cosaques ont été sur Château-Landon. J’envoie co­pie de cette lettre au duc de Reggio, à Provins. J’ai fait donner l’ordre au général Roussel de se porter à Fontainebleau pour prendre le commandement de toute cette partie, sous les ordres du général Pajol, conformément à un article des instructions que Votre Majesté m’a laissées. Le général Ornano m’apprend à l’instant qu’un bataillon de la garde, aux ordres d’un colonel de la garde, se trouve déjà à Fontai­nebleau.

 

Paris, 10 février 1814, midi.

À Napoléon.

J’apprends à l’instant que le duc de Tarente a été obligé d’abandonner la Ferté-sous-Jouarre, et qu’hier il avait pris position à Meaux, en avant du pont de Trilport, il doit avoir été rejoint aujour­d’hui par les troupes parties d’ici, et on m’assure qu’il doit se trouver aujourd’hui à la tête de 15 mille hommes.  Je lui  fais envoyer 10 mille paires de souliers : ils seront transportés en poste à Meaux, d’après l’assurance que j’ai reçue des besoins de son corps d’armée, qui sont généraux et extrêmes. Il parait que le général Molitor aurait perdu hier trois pièces, ce qui a donné de la confiance à l’ennemi, au point qu’il s’est avancé presque jusqu’à Meaux.

J’augure toutefois bien de cet événement, si Votre Majesté a pu effectivement exécuter celui dont elle me parle dans sa lettre d’hier. J’envoie cet avis, quelle que puisse en être l’utilité, par un courrier.

 

Paris, 11 février 1814, 7 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre de Sézanne du 10, à dix heures du matin, aujourd’hui seulement à heures du matin. J’ai expédié un courrier au marécha .Macdonald, en lui donnant avis de l’arrivée de Votre Majesté à Champaubert sur les derrières de la colonne ennemie qui était à Montmirail. Il n’y a rien de fort extraordinaire ici. L’opinion est toujours la même. Les femmes et les enfants de beaucoup de premiers fonctionnaires publics ont quitté la capi­tale. La hausse qui a eu lieu hier au soir est attri­buée à une lettre du duc de Vicence, faisant espérer une heureuse issue aux négociations. Tout le monde étant convaincu d’ailleurs que c’est la seule manière de rétablir les affaires; la situation du Trésor, des arsenaux, n’étant plus un secret pour personne, et quels que soient les prodiges que l’on espère encore de l’expérience et de l’habileté de Votre Majesté, on ne pense pas qu’elle puisse lutter seule contre la difficulté des choses et des hommes. Votre Ma­jesté aura sans doute été instruite par ses ministres de l’arrivée d’un Bourbon à larmée de lord Wel­lington, et d’un autre en Hollande. Il est arrivé ici beaucoup de malades. L’argent manque pour la paye des troupes; aussi commettent-elles beaucoup de dé­sordres, qui aigrissent tellement les habitants (et je puis parler plus particulièrement de ceux de Ver­sailles, de Compiègne, et de Senlis), qu’il n’est pas extraordinaire d’entendre dire publiquement : « Les ennemis ne feront pas pis. » Je ne mande pas ces vé­rités désagréables à Votre Majesté dans le but de l’engager à la paix : je sais qu’elle la désire plus que qui que ce soit; mais c’est pour le consoler, si elle est obligée à des conditions auxquelles la France ne serait point réduite, si la force d’âme de tous était en rapport avec celle du chef. Je prie Votre Majesté de croire que je tiens un langage fort différent avec tout le monde; mais je suis forcé de convenir que nous n’avons de salut que dans la paix la plus prochaine, quelles que puissent en être d’ailleurs les conditions. Je ne sache personne qui ne pense ainsi; les serviteurs les plus dévoués de Votre Majesté se distinguent plus particulièrement par l’intime conviction qu’ils ont qu’avec la paix Votre Majesté trouvera dans les ressources de son génie, et dans la confiance de la nation, les moyens de rétablir bientôt les affaires.

 

Paris, 11 février 1814, 9 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, le maréchal Macdonald écrit de Meaux, le 10 février après-midi, qu’il avait été obligé de se retirer après avoir soutenu plusieurs combats contre des forces supérieures. Il n’avait encore aucune connaissance des troupes du duc de Raguse. Il de­mande au ministre de la guerre des renforts de toutes les troupes disponibles, sans quoi il croit que Paris court les plus grands risques. Il propose d’agir entre la Seine et la Marne. D’un autre côté, le général Pajol rend compte, par une lettre datée de Fossarts hier, à 8 heures du soir, que Platow avait passé l’Yonne le 8, à Villeneuve-le-Roi, avec plus de 6 mille chevaux et 8 pièces de canon ; plusieurs ré­giments l’avaient encore rejoint sur Courtenay, où il s’était dirigé. Son intention paraissait être de marcher sur Nemours et Fontainebleau. Le général Pajol doit réunir aujourd’hui à Moret 2,000 gardes nationaux et 1,200 chevaux, avec lesquels il espère retarder la marche de l’ennemi. Dans cet état de choses, j’attends des ordres de Votre Majesté, et je me dispose à parer autant que possible au plus pressé. La garde impériale a aujourd’hui 13 mille hommes disponibles et 22 pièces d’artillerie.

 

Paris, 11 février 1814, 4 heures après midi.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté au moment où je passais la revue de la garde nationale parisienne dans la cour des Tuileries. J’ai fait connaître aux officiers les bonnes nouvelles que le courrier m’apportait : elles ont excité le plus vif enthousiasme. 6 mille hommes de garde nationale ont défilé dans une bonne tenue et dans de très-bonnes dispositions. Le roi de Rome était à sa fenêtre, et a été parfaitement accueilli aux cris de Vive l’Empereur ! J’ai communiqué les mômes nouvelles aux conseillers d’État, et tout Paris est dans la joie: car enfin l’honneur national n’est pas mort. L’Impé­ratrice, que j’avais vue avant sa promenade, et que je viens de revoir, a ordonné qu’on tirât le canon, et qu’on publiât ces nouvelles au spectacle ce soir. Je fais communiquer ces événements aux ducs de Reggio, de Tarente et de Bellune, qui les auront probablement déjà reçus du quartier impérial.

 

Paris, 11 février 1814, 11 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je reçois des nouvelles du maréchal Macdonald d’aujourd’hui, en date de Meaux, qui prouvent qu’il ignorait encore les événements d’hier. Il en sera instruit dans ce moment par l’aide de camp que je lui ai envoyé aujourd’hui, avec les nouvelles que Votre Majesté avait bien voulu me faire connaî­tre; elles ont exité une grande joie dans Paris. J’ai déjà écrit à Votre Majesté aujourd’hui, en ré­pondant à sa lettre du 10 à huit heures du soir, que je l’avais reçue pendant la revue qui avait eu lieu dans la cour des Tuileries. Les 6 mille gardes nationales ont montré beaucoup de bonnes disposi­tions. Je ne puis assez faire l’éloge du zèle des chefs et de la bonne tenue des troupes. Sa Majesté ayant ordonné que ces nouvelles fussent publiées sur les théâtres, elles l’ont été avec beaucoup de succès. J’attends avec impatience les événements qui auront suivi ceux du 10. Je n’ai pas connaissance qu’il se soit rien passé de majeur sur les autres points de la ligne.

 

Paris, 12 février 1814, 10 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, les fonds affectés au service de la garde sont épuisés. Le crédit est nul, et le général Ornano me presse beaucoup pour obtenir de Votre Majesté un nouveau crédit d’un million, qui pourrait être réparti ainsi qu’il suit : À la cavalerie 500 mille fr., et 500 mille fr. à l’infanterie. Faute d’argent, les hommes et les chevaux resteraient dans l’état où ils se trouvent aujourd’hui. Il existe aujourd’hui 1.000 hommes qui ont besoin d’être habillés. Votre Majesté sait qu’il en arrive journellement 1.000 à 1.300 pour la garde. Il faudrait aussi une remonte de 1.000 chevaux, faute de quoi les ca­valiers restent ici inutiles. J’envoie à Votre Majesté la situation de la garde ; aujourd’hui, je compte la voir à midi. Le maréchal Macdonald me mande qu’il n’avait pas de nouvelles de Votre Majesté di­rectement. Il a reçu celles que je lui ai envoyées hier de l’affaire de Champaubert. Il a entendu une forte canonnade dans la direction de Montmirail. Le général Saint-Germain, avec 300 chevaux, avait été dirigé par le maréchal sur ce point. Il avait pris quelques cavaliers à Saint-Fiacre. On avait commis une grande faute en faisant sauter le pont de Trilport; un officier, que j’avais envoyé hier à Meaux, m’assure que l’on se hâte de préparer des radeaux pour le passage. Il pense que l’artillerie ennemie ne pourra pas se retirer, les ponts ayant été coupés vers la Ferté-sous-Jouarre.

 

Paris, 12 février 1814, 4 heures du soir

À Napoléon

Sire, j’ai reçu les nouvelles de la journée d’hier ; elles ont été publiées sur-le-champ ; et ont fait la plus vive sensation. Demain, on me promet mille hommes de plus, et on me demande 200 mille francs, dont 100 mille pour la cavalerie et 100 mille pour l’infanterie. Faute de fonds, les troupes ne peuvent plus être habillées. J’ai donc pris sur moi d’autoriser M. de la Bouillerie à accorder 200 mille fr. pour la garde, à compte d’un qua­trième million que je suppose que Votre Majesté ac­corderait. Je ne prendrai pas sur moi de donner d’autorisation de ce genre dès que je saurai que Votre Majesté a reçu cette lettre : que Votre Majesté n’oublie pas cet objet si pressant. J’adresse à Votre Majesté les copies de lettres du duc de Reggio et du général Pajol. C’est en conséquence de ces let­tres que j’ai donné l’ordre au général Ornano de faire partir , pour occuper les positions de Corbeil et d’Essonne , couvrir Fontainebleau et se lier avec les mouvements du général Pajol et du duc de Reggio , une division de la garde avec 8 pièces de canon et deux escadrons, aux ordres du général Charpentier. Les communications de Fontainebleau et Melun me paraissent dans ce moment les plus découvertes.

 

Paris, 13 février 1814, 8 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté du 11 à huit heures du soir, aujourd’hui seulement à heures du matin. J’ai écrit hier à Votre Majesté, et lui ai adressé copie de deux lettres du duc de Reggio et du général Pajol, d’où il résulte que l’en­nemi avait devancé le généra! Pajol sur le Loing, et occupe en forces la grande roule de Fossart à Moret. Le général Pajol continuait avant-hier, à six heures du matin, à garder le poste de Fossart avec une partie de sa cavalerie et un bataillon de gardes nationales. Il craignait que, si l’ennemi forçait le pont de Nemours et de Moret, il ne prît Fontainebleau et ne marchât sur Paris. Le duc de Reggio écrit de Provins, le 11, la même chose que le général Pajol, et dit qu’il importe de prendre promptement des mesures pour s’opposer au mouvement de l’ennemi, qui parait se porter décidément sur Paris. Le duc de Reggio, ayant envoyé la division Leval et la cavalerie du général Blancard à la Ferté-Gaucher, n’a plus aucune troupe à sa disposition , puisque la division Rothenbourg est particulièrement affectée à la garde du grand quartier général et des parcs de l’armée , et qu’elle est à peine suffisante pour cela. Le général Allix a évacué le 10, à sept heures du soir, la ville de Sens, après y avoir combattu toute la journée contre un corps de 10 mille hommes de toutes armes, dont 15 pièces de canon et un cin­quième de cavalerie. Il s’est retiré sur Pont-sur-Yonne, d’où il écrit le 11 février, à onze heures du soir, et d’où il doit se porter le lendemain matin sur Montereau. Une brigade de la garde impériale est partie hier au soir pour Villejuif, d’où elle s’est mise on marche ce matin pour Fontainebleau. Une autre brigade de la garde est partie ce matin de Paris pour aller prendre position à Essonne. Cette division est sous les ordres du général Charpentier.

 

Paris, 13 février 1814, 11 heures du matin.

Sire, j’adresse à Votre Majesté deux lettres que m’envoie le ministre de la guerre. D’après ces lettres et d’autres rapports dont je sais que le ministre envoie à Votre Majesté les originaux, je donne l’ordre au général Ornano d’envoyer une troisième brigade de la garde à Essonne : elle relèvera celle qui est partie ce matin avec le général Charpentier. Ce général pourra ainsi réunir toute sa division pour marcher sur Fontainebleau et se porter où elle sera nécessaire, en liant ses mouvements avec ceux du duc de Reggio et les points importants de Corbeil, Essonne, Choisy et Longjumeau, qui tiennent les deux routes de Melun et de Fontainebleau, qui seront occupés. Le pont de Choisy le sera aussi. Ce point permettra à ces troupes d’exécuter tout autre mouvement que Votre Majesté pourrait être dans le cas d’ordonner.

 

Paris, 13 février 1814, à midi.

À Napoléon.

Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté du 12, datée du faubourg de Château-Thierry. J’ai compte à Votre Majesté des dispositions que j’ai faites en envoyant trois brigades de la garde pour soutenir le duc de Reggio, si l’ennemi continuait son mouvement sur Paris.

 

J’ai envoyé hier soir le général Strolz, un de mes aides de camp, pour savoir par lui le véritable état des choses sur le canal de Loing et de Moret. J’attends son retour. Quel que soit son rapport, le mouvement des trois brigades dans la direction de Melun et de Fontainebleau peut être fort nécessaire, et dans aucun cas nuisible. J’espère que Votre Ma­jesté aura eu le temps d’achever l’armée de Silésie. Toutes ces bonnes nouvelles ont singulièrement amélioré l’opinion et exalté la garde nationale, qui m’a demandé de passer une seconde revue dimanche prochain. Les chefs espèrent qu’elle sera bien plus nombreuse que la dernière, où il y avait cepen­dant de 5 à 6 mille hommes bien habillés et équipés, et passablement armés.

 

Paris, 13 février 1814, cinq heures du soir.

À Napoléon.

Sire, le ministre de la guerre vient de me communiquer la lettre du duc de Reggio, dont j’ai l’honneur d’adresser copie à Votre Majesté. Le général Strolz, mon aide de camp, que j’ai envoyé nuit au général Pajol, et qui est parti ce matin à quatre heures de Montereau, me fait le rapport suivant :

« Le 11 au soir, la cavalerie du général Pajol a été chassée de Bray; elle est allée prendre poste à Marolles. Le général Allix a quitté Pont-sur-Yonne, sans y avoir attendu l’ennemi, le 12 au matin. Le général Pajol m’a dit qu’il n’en avait pas fait sauter le pont. Cependant on m’a assuré que ce pont avait été endommagé par l’effet de la mine, et que l’en­nemi l’avait réparé. Un courrier du duc de Vicence à l’Empereur y a passé cette nuit, et m’a fait ce rap­port : L’ennemi est entré à Sens le 11, au soir; on n’en a pas fait sauter le pont. L’ennemi, c’est-à-dire un parti de 8 mille chevaux et de 10 pièces d’artillerie légère, commandé par l’hetman Platow, s’était établi le 11 à Égreville; il faisait des démonstrations sur Montargis et Nemours. Hier au soir, Nemours et Moret tenaient encore. On assurait que Nogent-sur-Seine était évacué par nos troupes, et qu’on en avait fait sauter le pont : cette dernière nouvelle n’était pas sure. L’ennemi, fort de 40 mille hom­mes, a débouché de Sens hier 12, à trois heures après midi. C’est le général Giulay qui commande ce corps. On dit que le prince de Schwarzenberg s’y trouve; on dit aussi qu’une autre colonne a marché directement de Troyes sur Nogent. Le gé­néral Pajol s’est battu hier, une bonne partie du jour, sur la route de Fossart à Moret. Ce matin, à cinq heures, tous ces corps, qui étaient en avant, devaient se mettre en mouvement pour venir se concentrer à Montereau. On s’attendait à y être at­taqué, et on se disposait à y faire une bonne défense. Le duc de Reggio devait faire ce matin, au point du jour, un mouvement sur Bray, pour y reconnaitre l’ennemi et tâcher de le rejeter de l’autre côté de la Seine, s’il ne se trouvait pas en forces trop supérieures. Le général Pajol devait coopérer à ce mouvement, en jetant de ce côté 600 hommes de cavalerie. J’ai vu à Melun, à mon retour, à six heures du matin, la 2ebrigade, commandée par le général Chassé, de la 2e division venant d’Espa­gne, monter sur des chariots qui étaient réunis, pour être transportée à Nangis.

Hier et ce matin, j’avais fait partir, pour les diriger sur Fontainebleau, 12 bataillons, 3 escadrons et 12 pièces de la garde. Je fais arrêter toute cette troupe à Essonne , et je charge le général Charpen­tier, qui la commande, de se mettre en communica­tion avec le duc de Reggio, et de le soutenir au be­soin. Je fais encore partir à Villeneuve-Saint-Georges, en ce moment, 6 bataillons et 2 pièces de la garde, pour éclairer le pays entre Seine et Marne, et ser­vir, si cela devient nécessaire, de réserve au duc de Reggio.

 

Paris, 14 février 1814, 9 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je reçois la lettre de Votre Majesté du 13, dix heures du matin. Je vous ai envoyé hier par duplicata les lettres que je recevais du duc de Reggio, et du général Pajol sur le mouvement de l’ennemi, qui parait être prononcé sur Paris avec des forces très considérables. J’adresse ci-joint copie de la dernière lettre du général Pajol. Je suis bien aise d’apprendre que Votre Majesté était dans l’intention de se porter elle-même à Montereau. Votre Majesté aura vu, par mes dépêches d’hier, que j’avais déjà ordonné le mouvement d’une partie de la garde sur Essonne, et que l’autre était cantonnée entre Charenton,  Villeneuve-Saint-Georges et à Paris. Je vais faire rectifier ces dispositions, conformément à celles prescrites par Votre Majesté. J’envoie à un officier pour prescrire de nouveau au général Berruyer de tenir à Soissons et je lui fais connaître l’importance de contenir le corps qui fuit devant Votre Majesté, et qui n’a pas d’autres passages que celui que pourrait lui offrir cette ville.

 

Paris, 14 février 1814, 10 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre du 13, deux heures après midi. J’ai déjà répondu par ma lettre précédente sur les dispositions ordonnées pour le mouvement de la garde impériale. Je vous adresse l’état d’organisation des divisions de la ligne. J’en­voie ce qui est déjà organisé à Villeneuve-sur-Seine, et j’écris au ministre de la guerre pour faire donner à ces troupes l’artillerie nécessaire. L’officier d’ordonnance que Votre Majesté m’annonce n’est point encore arrivé. Je n’ai point reçu non plus les dispositions que vous avez faites pour la défense de Montereau, et que doit me faire connaître le major général. Toutefois, comme les instants sont précieux et que le mouvement de l’ennemi me paraît pro­noncé et en grandes forces, j’écris au duc de Bellune de se porter de Nogent à Montereau, pour appuyer le duc de Reggio. Je lui prescris de faire sauter le pont de Nogent, et de laisser sur la rive droite les troupes nécessaires pour empêcher l’ennemi de ré­tablir le pont. J’écris aux ministres de la guerre et de la police d’envoyer des agents pour être instruits de l’effet qu’aura produit sur l’ennemi, qui agit contre Nogent et Montereau, le désastre de Sacken et d’York.

 

Paris, 14 février 1814, 10 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, l’intention de Votre Majesté est que deux divisions de la garde soient complétées généraux. Le général Ornano me rend compte qu’il manque en ce moment quatre généraux de brigade ; je demande au ministre de la guerre d’en désigner trois dans le nombre des généraux qui sont à sa disposition, et les plus près de Paris; quant au quatrième, d’après ce que Votre Majesté m’a écrit en réponse à la lettre que je lui ai adressée par le général Lecapitaine, j’ai pensé que je pouvais le proposer à Votre Majesté pour cette place. Le général Lecapitaine est un bon officier; il a toujours commandé des troupes. Il est plus propre à ce genre de service qu’à tout autre, et dans le cas d’agir avec succès sur les hommes qui seraient sous ses ordres.

Ces considérations, et l’opinion que Votre Ma­jesté elle-même a conçue de cet officier, me déter­minent à le désigner à Votre Majesté. Mais je n’ai point voulu l’indiquer au ministre sans l’agrément de Votre Majesté.

 

Paris, 14 février 1814, 1 heure après midi

Sire, je remets à Votre Majesté copie de la lettre du duc de Reggio au ministre de la guerre.

Elle y verra les mouvements de l’ennemi, et ceux qu’ont fait en conséquence les ducs de Reggio et de Bellune. Les ordres que j’avais donnés relativement au pont de Montereau devenant sans objet, je m’arrête aux dispositions que Votre Majesté trou­vera dans la copie de l’ordre ci-joint, afin de maintenir libre la communication de Meaux à Melun, qui doit servir au mouvement de Votre Majesté. Je pense que cette circonstance est de nature à la faire hâter. Je compte que Votre Majesté, recevant cette lettre douze heures après sa date, pourra être avec les troupes des ducs de Reggio, de Bellune et de Tarente, dans la matinée de demain. Le ministre de la guerre m’instruit, en me donnant copie de la lettre du duc de Reggio, que l’original a été expé­dié à Votre Majesté ce matin.

 

Paris, 14 février 1814, 2 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je vous envoie copie de la lettre du duc de Reggio. Votre Majesté sentira combien il importe de donner une direction et un chef aux troupes et aux trois maréchaux qui vont se trouver réunis ce soir sur le même point. J’espère que Votre Majesté pourra s’y porter elle-même, conformément à ce qu’elle me mande par sa lettre de ce matin. L’officier porteur de la lettre du duc de Reggio m’assure que la division Treilhard n’était pas encore arrivée.

 

Paris, 14 février 1814, 3 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre du 14, datée par erreur du 15. J’exécuterai les dispositions qu’elle contient. J’adresse à Votre Majesté le duplicata de ma lettre de ce matin, dont est porteur le jeune Montesquiou. Je ne doute pas que Votre Majesté ne hâte son arrivée et son mouvement pour couvrir Paris. Le général Reynier, à qui le duc de Rovigo a parlé, et qui vient de traverser l’armée ennemie, dit que cette armée, qui agit sur Paris, est de 120 mille hommes. Le ministre envoie à Votre Majesté son rapport sur cette conversation. Je l’envoie la rédiger. Le général Reynier a parlé aux empe­reurs Alexandre et François ; l’un et l’autre lui ont dit que la France n’aurait la paix qu’en se bornant à ses anciennes limites.

 

Paris, 14 février 1814, 10 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, j’adresse à Votre Majesté copie du rapport que je reçois du général Pajol. Cette lettre est la sixième que j’écris à Votre Majesté aujourd’hui. J’attends avec une grande impatience le résultat des événements qui auront eu lieu aujourd’hui sur la Seine et sur la Marne. Les inquiétudes commencent de nouveau à se manifester à Paris.

 

Paris, 14 février 1814,

 

À Clarke.

 

Monsieur le duc, l’Empereur, par une dépêche en date d’aujourd’hui, me prescrit de vous inviter de donner des ordres pour que l’on continue de fortifier le poste important de Soissons.

 

Paris, 14 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, l’Empereur m’écrit qu’il importe que vous accélériez la formation de la 2e division de réserve de la ligne, en vous rappelant qu’a­vec des conscrits il vaut mieux que les bataillons soient de 300 hommes que plus nombreux. Dès qu’il y aura une division d’organisée, il faudra la diriger sur Villeneuve-sur-Seine, et la pourvoir de l’artillerie convenable. L’Empereur me prescrit en général de vous engager à agir sans attendre son approbation pour accélérer l’organisation militaire, tant que les circonstances actuelles dureront.

 

Paris, 14 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc , j’ai écrit au duc de Reggio de donner une direction aux troupes de la division Treilhard, qui doivent être arrivées à Fontainebleau.

Quant aux régiments qui sont en arrière, j’approuve fort la proposition que vous me faites d’envoyer un officier à leur rencontre, avec l’ordre de les faire diriger sur Corbeil et les engager à se garder mi­litairement.

 

Paris, 14 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, l’Empereur me mande qu’il est nécessaire que vous mettiez sur-le-champ à la disposition du général Ornano les deux compagnies d’artillerie venant d’Espagne avec 16 bouches feu; vous formerez une réserve avec ce qu’il y a déjà.

 

Paris, 14 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, il résulte de votre correspondance et de plusieurs autres rapports que le major Gros a évacué Montargis et s’est dirigé sur Gien et Orléans, ce qui met à découvert la route de Paris à Orléans et à Chartres ; puisque les partis peuvent, de Montargis, se porter par Pithiviers sur Angerville et Étampes, d’où ils menaceraient Chartres et Rambouillet. Ce mouvement de troupes légères de l’ennemi devient plus probable, s’il est vrai, comme l’annonce la correspondance de la gendarmerie, que l’ennemi ait fait sonder les gués et travailler au rétablissement des ponts du Loing, entre Moret, Nemours et Montargis, et qu’il ait demandé des vivres pour 10 mille hommes aux communes du canton de Chapelle-la-Reine ; ce qui annonce l’intention de déboucher sur Fontainebleau, Milly ou Étampes, pour agir sur les routes de Fontainebleau et d’Orléans, inquiéter celle de Chartres, et se porter plus tard sur les ponts de la Seine inférieure, pour cerner Paris de ce côté et couper la retraite sur l’Eure comme sur la Loire. La division de la garde, et les autres troupes dirigées sur les positions d’Essonne et de Fontaine­bleau, ne défendent que la route de Bourgogne. La position de Juvisy, Longjumeau, Palaiseau, tient les deux routes de Bourgogne et d’Orléans, mais près de Paris. Au-delà, les routes d’Orléans et de Char­tres ne sont ni défendues ni même éclairées. Je vous prie d’y pourvoir autant que les circonstances et nos ressources le permettront.

Une des mesures à prendre me paraît être de charger le général commandant les dépôts de cava­lerie à Versailles d’employer les dépôts et ce qu’il pourra maintenant organiser de cavalerie pour occuper Rambouillet, et s’il se peut Étampes, et dé­fendre, ou du moins éclairer, les routes d’Étampes et de Chartres. Pour les défendre, il faudrait que cet officier général eût sous ses ordres quelque in­fanterie, et une batterie au moins d’artillerie légère. Je vous prie de vouloir bien donner sur cette défen­sive les ordres qui vous paraîtront les plus conve­nables.

 

Paris, 15 février 1814, 5 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, le général Bordesoulle est arrivé ici avec les deux lettres que j’adresse en original à Votre Majesté. Ce général m’apprend qu’il est de toute urgence que Votre Majesté détermine quel est celui des trois chefs qui doit commander. Tous désirent que Votre Majesté se trouve elle-même à la tête de ces trois corps d’armée : il est indubitable qu’ils seront attaqués demain, et les chefs ne paraissent pas avoir une grande confiance l’un dans l’autre. J’écris au ministre de la guerre pour qu’il fasse diriger sur Brie-Comte-Robert toute la cavalerie disponible du dépôt de Versailles. La garde impé­riale qui se trouvait à Paris va aussi se trouver en­gagée dans cette affaire décisive, de manière que, si elle tournait à notre désavantage, je n’aurais pas de troupes pour faire escorter l’Impératrice et le roi de Rome. Il n’est pas douteux que la présence de Votre Majesté dans une affaire aussi importante ne soit d’un poids immense pour le succès de ses ar­mes; et comme le salut de la capitale, et peut-être de l’empire, peut en dépendre, je ne doute pas qu’elle ne se hâte d’arriver, quels que soient d’ail­leurs les événements qui se passent sur la Marne. Je n’ai pas encore de nouvelles de l’arrivée de Treilhard à Fontainebleau. Je lui fais envoyer l’or­dre de se diriger sur Corbeil.

 

Paris, 15 février 1814, 10 heures du matin.

Sire, je n’ai pas eu de nouvelles de Votre Majesté ni des ducs de Reggio, de Bellune et de Ta rente, depuis les dernières lettres de Votre Majesté du champ de bataille de Vauchamps.

J’ai écrit à Votre Majesté par duplicata, et j’attends avec la der­nière impatience pour connaître les dispositions qu’elle ordonnera pour les corps des ducs de Bellune, de Reggio et de Tarente. Votre Majesté n’a pas besoin que je lui dise combien sa présence me paraît indispensable sur ce point, où l’on est à la veille d’une bataille générale dont dépendra le sort de l’empire. Le général Bordesoulle m’a répété que le mouvement des ducs de Reggio et de Bellune a dû commencer la nuit passée à neuf heures, pour se porter sur la petite rivière d’Yères, appuyant leur gauche à Remy et à la forêt de Crécy. J’ai recommandé au général Bordesoulle d’engager les maréchaux à contenir l’ennemi, afin de donner le temps à Votre Majesté d’arriver. Votre Majesté verra, par la lettre ci-jointe, la nécessité où je me suis trouvé d’engager M. de la Bouillerie à avancer une somme de 50 mille francs à prélever sur le 14million accordé à la garde, qui n’a pas besoin au­jourd’hui moins de ce vingtième de son crédit, et qui pourra attendre le temps convenable pour que Vo­tre Majesté puisse accorder les 100 mille francs que demande le ministre de la guerre pour un objet qui ne peut pas être retardé d’une heure. Une lettre du ministre de la guerre m’annonce dans ce moment l’arrivée bien positive du général Treilhard à Fon­tainebleau. Ce général doit avoir reçu l’ordre qui lui a été expédié de se porter sur Corbeil et Brie-Comte-Robert. Par excès de précaution, j’adresse à Votre Majesté un triplicata des dépêches des ducs de Reggio et de Bellune.

 

Paris, 15 février 1814, 3 heures après midi.

À Napoléon.

Sire, je reçois vos lettres du 14 et du l5 à trois heures du matin. Je préviens les ducs de Reggio et de Bellune de ces grands avantages. Je reçois en même temps la lettre ci-jointe du général Pajol. J’ai prévenu le maréchal Moncey pour les fusils de la garde nationale et pour les prisonniers; ils seront reçus par 2 à 3 mille grenadiers. J’ai fait envoyer les effets de campement et les l. 200 fusils dont on avait besoin à Montereau. Les troupes doivent les avoir reçus. Les ponts de la Seine sont bien gardés. J’ai fait aussi envoyer de la cavalerie de Versailles pour protéger Rambouillet, et éclairer les routes de Chartres et d’Étampes. J’ai fait partir un bataillon pour occuper le pont de Lagny. L’occupation de Soissons par l’ennemi se confirme. Elle a eu lieu hier par un parti venu de Laon. .

 

Paris, 15 février 1814

À Berthier.

Je remercie Votre Altesse des bonnes nouvelles qu’elle me donne du champ de bataille de Vau champs, le 14 à une heure après midi. Je désire bien que l’Empereur soit en route à cette heure, pour se rendre aux corps des ducs de Bellune, de Reggio et de Tarente, qui sont en présence de l’ar­mée autrichienne, qui a passé la Seine et marche sur Paris.

 

Paris, 1e février 1814.

À Clarke

Monsieur le duc, il est important que vous envoyiez de suite des ordres à Versailles pour en faire partir le plus promptement possible toute la cavalerie disponible, qui se rendra par la roule de Choisy à Brie-Comte-Robert, où elle recevra des ordres du gé­néral Bordesoulle. Veuillez aussi en envoyer sur la route de Fontainebleau, pour accélérer l’arrivée de la cavalerie venant d’Espagne, qui devrait aussi se rendre à Brie-Comte-Robert, en passant la Seine à Melun ou à Corbeil.

 

Paris, 16 février 1814, 9 heures du matin.

 

À Napoléon .

 

 

Sire, j’ai reçu votre lettre du 15 à deux heures, de la Forte, et celle de Meaux a six heures. Les ordres sont donnés pour le poste de Bicêtre et pour les barrières du jardin, des Plantes. J’y ai un aide de camp, qui ne quittera pas que toutes les dis­positions prescrites n’aient été exécutées. Le grand parc de l’armée a été dirigé sur Charenton. J’ai or­donné la construction de deux ponts de bateaux, l’un à Villeneuve-Saint-Georges, et l’autre à Port-à-l’Anglais, où il y a eu un bac et des routes qui aboutissent à celles de Vitry et d’Ivry. Je pense que Votre Majesté est sur les lieux à cette heure. Elle donnera ses ordres sur ces deux objets.

 

Paris, 16 février 1814, 11 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, je rappelle à Votre Majesté que le dépôt de Versailles a dû envoyer de la cavalerie à Rambouillet, pour y protéger ce point et observer les routes Chartres. La grande communication de Soissons a aussi besoin d’être observée. Depuis que cette ville est tombée au pouvoir de l’ennemi nous n’avons pas de cavalerie à Paris.

 

Paris, 16 février 1814, midi.

À Napoléon.

Sire, les lettres que je reçois de l’armée confirment de plus en plus l’hésitation de l’ennemi, et peut-être sa retraite. D’un autre côté, le général Ornano m’annonce qu’il a l’ordre de faire partir sur Brie-Comte-Robert tout ce qui est disponible de la garde, et surtout la vieille garde. Le duc de Reggio désire aussi que le grand parc se dirige sur Brie-Comte-Robert. J’ai donné l’ordre pour que ses intentions soient remplies. Ainsi, le parc est en marche sur Brie-Comte-Robert à cette heure. Votre Majesté lui fera donner les ordres ultérieurs.

 

Paris, 16 février 1814, 3 heures après midi.

À Napoléon.

Sire, j’envoie un bataillon à Lagny, un à la Ferté-sous-Jouarre, Meaux et Bicêtre. Soissons est aujourd’hui le point d’où l’ennemi peut menacer Paris. Il nous reste très-peu de troupes.

 

Paris, 16 février 1814.

À Napoléon.

Sire, je fais donner l’ordre à la vieille garde de partir; même ordre à toute la cavalerie disponible de Versailles et Rambouillet sur Corbeil. J’ai prescrit la construction du pont de Villeneuve-Saint-Georges.

 

Paris, 16 février 1814.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre d’aujourd’hui à quatre heures. J’ai déjà écrit à Votre Majesté que toute la cavalerie disponible est partie pour Brie. L’infanterie part, entre autres les deux bataillons de Rochefort; les traîneurs des 7e et 9e divisions d’Espagne ; le 6e bataillon du 122e. Le général Lecapitaine part pour prendre le commandement de la division de la garde du général Boyer. Le général Reynier est venu me voir; il désire être employé sur-le-champ, et attend des ordres pour partir. Voici une lettre du général Charpentier, qui annonce que Fontainebleau a été évacué. Le préfet de Melun est reparti.

 

Paris,16 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, quoi que j’aie pu vous dire sur le mouvement de cavalerie que je désirais qu’on fît dans la direction de Chartres et de Rambouillet, je vous prie de révoquer les ordres qui ont été don­nés, et de rappeler ce qui serait déjà en route vers ces points.  L’Empereur me marquant à l’instant qu’il fallait diriger de suite toute la cavalerie dispo­nible sur Fontainebleau, veuillez bien donner ces ordres et renvoyer à Essonne, où elle recevra de nouveaux ordres.

 

Paris, 17 février 1814, 10 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté au soir à six heures. Conformément à ses intentions, j’ai donné des ordres pour que les partis de cavalerie envoyés à  Rambouillet soient réunis comme réserve à Paris, en mesure d’être dirigés sur Villers-Cotterêts et sur Soissons, si cela deve­nait nécessaire. Le général Dombrowsky restera à aux ordres du duc de Trévise, qui est prévenu de cette disposition. Les remontes de cava­lerie au dépôt général de Versailles se continueront. La garde nationale escortera les prisonniers dans Paris seulement. Comme on n’a pas pu jusqu’ici lui fournir de fusils, son armement est irrégulier, et la sortie de quelques centaines de gardes nationaux de Paris eût empêché l’équipement et l’armement de plusieurs milliers, qui est en bon train. L’insti­tution de la garde nationale a singulièrement amé­lioré l’opinion : elle a aussi un grand avantage comme force municipale intérieure; mais on per­drait les avantages qu’on peut en tirer, si on vou­lait la regarder comme une force capable d’agir au-delà des barrières : mon opinion est en cela, con­forme à celle de tous les chefs.

 

Paris, 17 février 1814, 11 heures du matin.

Sire, je reçois votre lettre d’aujourd’hui à quatre heures, avec le rapport du ministre de la guerre et du trésorier général de la couronna relativement au crédit ouvert au ministre de l’admi­nistration de la guerre sur le trésor général de la couronne. Je reçois en même temps une lettre du général Préval, chargé du dépôt de Versailles depuis le départ du général Roussel. Il se plaint du manque
de fonds, et cependant 1,500,000 francs restent en­core intacts au trésor de la couronne, à la disposition du ministre directeur de l’administration de la guerre. Cet état de choses vient de ce que cette somme parait avoir été destinée spécialement à l’achat de chevaux, et non à la confection des effets d’habillement et d’équipement. Comme le but de Votre Majesté est d’avoir des cavaliers habillés et équipés sur-le-champ, je demande au ministre directeur de l’administration de la guerre, ainsi qu’au trésorier général de la couronne, que les fonds destinés aux remontes doivent s’entendre l’être à l’équipement et à l’habillement. Je les engage donc à ne mettre aucun retard au payement de ces dé­penses ; et je fais part de ces dispositions au géné­ral Préval, en lui recommandant de presser par tous les moyens possibles l’achat et le harnachement des chevaux, l’habillement et l’équipement des hommes.

 

Paris, 17 février 1814, midi.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu vos lettres d’aujourd’hui à cinq heures et à six du matin. J’ai déjà donné les ordres qu’elle me prescrit au ministre de la guerre, au général Ornano, au duc de Padoue. Ce dernier va se rendre à Villeneuve-Saint-Georges. La garde impériale, reçoit tous les jours au moins mille conscrits. Votre Majesté comprend l’énorme dépense que nécessitent leur habillement, leur équipement, l’achat des chevaux, leur harnachement. Le général Ornano m’annonce que l’organisation est arrêtée par l’épui­sement du 14e million. Il est urgent que Votre Majesté ouvre un nouveau crédit pour cette dé­pense. Je pense qu’il faudrait ouvrir sur M. de la Bouillerie, à la garde, un crédit d’un million, appli­cable par moitié à la cavalerie et à l’infanterie. »

 

Paris, 18 février 1814, 7 heures du matin.

Sire, j’ai reçu votre lettre du 17 à trois heures après midi. J’ai écrit au ministre de faire rentrer à Vincennes les 1000 fusils qui avaient été envoyés pour armer les gardes nationales à Brie-Comte-Robert. Je réitère l’ordre pour la réunion des gardes nationaux et des troupes de ligne, afin de les diriger sur l’armée. Un officier danois, porteur d’une dé­pêche pour le ministre de sa nation, est arrivé cette nuit, accompagné d’un aide de camp du duc de Trévise, qui l’a adressé au ministre de la guerre. J’ai fait dire au ministre de la guerre que cet officier devait être accompagné par un officier français, qui surveillerait sa conduite jusqu’à ce qu’il ait connu la volonté de Votre Majesté à son égard. Tout Paris s’est porté à la rencontre des prisonniers : le public a montré beaucoup de réserve et de bon esprit. La garde nationale a remplacé la troupe de ligne dans
beaucoup de postes, aux barrières; elle va aussi oc­cuper les postes intérieurs aux divers établissements publics. Le ministre de l’intérieur a envoyé un audi­teur, des commissaires, pour recueillir les fusils (quelques mots indéchiffrables) qui en manque.

 

Paris, 18 février 1814, 11 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, le ministre de l’intérieur me communique une dépêche du comte Boissy-d’Anglas en date du 16, dont il résulte que le dur de Dalmatie a donné l’avis général Rivaud, commandant la 12e division, du débarquement prochain qui paraît être tenté par les Anglais sur les côtes de cette division. Le maré­chal ajoute qu’il y avait tout lieu de croire que le duc de Berry se trouvait avec les troupes de débarquement. Le comte Boissy-d’Anglas ne dissimule pas que si le débarquement avait lieu, il craignait beaucoup que la Vendée ne se soulevât de nouveau. J’ai cru ce fait assez important pour en prévenir Votre Majesté, quoique je ne doute pas que le ministre de la guerre n’ait envoyé un rapport en règle et les pièces à l’appui. J’ai sous les yeux les journaux italiens des 5 et 8 février : l’esprit de vertige fait tous les jours plus de progrès. Il s’est répandu, du royaume de Naples, par les États romains, jusque dans la Toscane; cette province est même plus mal disposée que les États ro­mains. Les victoires de Votre Majesté confondront les espérances de ses ennemis les plus éloignés. C’est en traitant directement avec les puissances ennemies qu’elle vient de vaincre, que Votre Majesté comblera les vœux des Français, et répandra autant de bonheur sur la France qu’elle a acquis de gloire      {Trois à quatre lignes indéchiffrables)

Le ministre de la guerre met beaucoup d’activité et de zèle dans ses rapports avec moi.

 

Paris, 18 février 1814, onze heures du soir.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu la lettre par laquelle Votre Majesté veut bien m’annoncer la demande que l’ennemi fait d’une suspension d’armes, et l’intention où elle est de signer avant tout la paix. Il est de fait qu’il y a assez longtemps que l’on traite pour être en état de signer des préliminaires sur-le-champ; et l’ennemi ayant proposé lui-même des bases à Francfort avant du passer le Rhin, ces bases peuvent très-convenablement être signées par les deux parties. Quant à Votre Majesté, que l’ennemi ait ou non repassé le Rhin lors de la signature, peu importe, s’il signe en deçà du Rhin ce qu’il a pro­posé au-delà. Cette signature prouvera qu’il a eu tort de refuser des conditions qu’il avait proposées d’abord , et je trouve l’honneur français aussi sauf par la signature des conditions proposées à Franc­fort, soit qu’elles soient signées ici ou là, pourvu que les limites naturelles soient reconnues. Il est évident que l’ennemi, étourdi par les manœuvres de Votre Majesté, doit désirer une suspension d’ar­mes pour avoir le temps de se reconnaître, de réunir son armée et ses forces dispersées, et que Votre Majesté doit faire ce qu’elle fait. J’ai présenté les choses telles qu’elles sont; et, quelle que soit la soif qui dévore pour la paix, tous les esprits convien­dront de la sagesse dont fait preuve Votre Majesté à vouloir sur-le-champ la signature de la paix que l’ennemi avait admise à Francfort.

 

Paris, 18 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, conformément aux ordres de l’Empereur, je vous prie de nouveau, 1° d’ordonner la réunion des gardes nationales et des troupes de ligne, afin de les diriger sur l’armée; 2° de faire rentrer à Vincennes les 1000 fusils qui avaient été envoyés à Brie-Comte-Robert pour armer les gardes nationales.

 

Paris, 19 février 1814.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu avec une grande satisfaction la nouvelle que m’a donnée le ministre, de l’occupation des ponts de Montereau, à la suite de la défaite du corps de de Wrede. Ces succès justifient le refus de Votre Majesté à la demande d’une suspen­sion d’armes faite par l’ennemi. Je fais donner l’ordre à 700 cavaliers arrivés ici de Versailles de conti­nuer leur route par Montereau en passant par Melun. Votre Majesté sera en mesure de leur faire donner une autre direction. L’ennemi a évacué Soissons. Les divers rapports portent que Wintzingerode a de ces cotés 20 à 25 mille hommes sous ses ordres.

Le maréchal Augereau a 10 à 15 mille hommes à Lyon. Je suppose que Votre Majesté pourra en tirer parti en les faisant porter sur Autun, d’où ils menaceraient le flanc droit de l’ennemi, et pourraient se porter, selon les événements, sur Langres, Vesoul ou Besançon, au moment de sa retraite. 3 mille hommes de la garde sont ici réunis et ar­més : ils ne sont pas habillés, faute de fonds. Je rappelle à Votre Majesté cet objet, et, pour ne point perdre de temps, j’autorise M. de la Bouillerie à faire une avance de 200 mille francs. »

 

Paris, 19 février 1814.

À Napoléon.

Sire, le ministre de l’administration de la guerre doit avoir rendu compte à Votre Majesté que les hôpitaux de Paris contiennent déjà plus {quatre à cinq lignes à peu près illisibles, et qui se rapportent évidemment aux nombreux malades entrés aux hôpitaux de Paris). Le ministre de l’intérieur pro­pose de disposer de l’hôtel impérial des Invalides pour recevoir les malades, et de placer les invalides chez les particuliers. D’autres proposent de disposer plutôt de la grande caserne de Courbevoie, qui est peu habitée aujourd’hui. La garde pourraitfaire le triage des conscrits, qu’elle fait aujourd’hui à Courbevoie, à l’École militaire. Mon opinion, Sire, est de ne rien déranger à l’hôtel des Invalides. Je ver­rais moins d’inconvénient à disposer de la caserne de Courbevoie. Toutefois, il m’a paru devoir con­sulter Votre Majesté et prendre ses ordres sur cet objet. La correspondance du midi rend probable un mouvement de lord Wellington sur l’armée d’Es­pagne. Je n’ai rencontré personne qui n’ait beau­coup loué la conduite de Votre Majesté, qui se pro­nonce pour une paix prompte et définitive, et écarte des suspensions qui pourraient n’être em­ployées par l’ennemi qu’à réunir ses forces, con­centrer ses moyens d’attaque, et éloigner pour tou­jours la paix. J’ai fait envoyer un officier pour avoir des nouvelles du duc de Raguse.

 

Paris, 19 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, je reçois la lettre dans laquelle vous m’informez qu’une colonne de cavalerie de 700 chevaux, commandée par le général Wathier, est arrivée à Paris, où elle attend les ordres de l’Empereur. Je crois qu’il serait utile, pour ne pas perdre une ou deux marches, d’envoyer cette co­lonne sur Montereau, par Melun. Il sera facile de modifier la direction sur la route même, d’après la destination que l’Empereur lui assignera.

 

Paris, 19 février 1814

À Clarke.

Monsieur le duc, l’intention de l’Empereur est que tout ce qui appartient aux gardes d’honneur et au 10e régiment de hussards soit dirigé du côté de Compiègne, où est le corps du duc de Trévise, afin de renforcer son armée; je vous prie de donner des ordres en conséquence.

 

Paris, 20 février 1814, 10 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, les rapports que je reçois d’Orléans sentent celte ville comme menacée par un corps de 1,500 chevaux. Votre Majesté aura, sans doute, reçu les mêmes rapports que m’adresse le ministre de la guerre. Cependant, je juge devoir fixer un moment l’attention de Votre Majesté sur ce point. La brigade de dragons du général de Sparre doit arriver aujourd’hui ou demain à Orléans. Votre Majesté jugerait-elle devoir l’autoriser à s’arrêter le temps nécessaire pour chasser l’ennemi des envi­rons de celle ville ? Soissons continue à être me­nacé. L’ennemi s’est aussi porté sur Reims. Une lettre du préfet de l’Aisne du 17, de Noyon, se termine ainsi : « Les nouvelles de Laon annoncent un passage de troupes considérables, et l’arrivée du prince de Suède. » Le général Maison écrit de Lille, le 18, au ministre de la guerre, qu’il s’était retiré de Tournay devant des forces supérieures.

 

Paris, 20 février 1814, 11 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre d’aujourd’hui. J’ai aussi reçu les propositions des ennemis. Je suppose qu’elles sont dues à vos victoires ; on ne peut s’empêcher de convenir qu’elles sont plutôt une capitu­lation qu’un traité de paix. Après la destruction de l’armée de Silésie et la retraite des souverains alliés au-delà de Montereau et de Nogent, ils doivent avoir d’autres idées. Votre Majesté a lieu de croire que ses vœux pour une paix honorable, sur les bases avouées à Francfort, seront remplis. Je ne pense pas qu’il y ait un seul Français qui puise avoir des opinions différentes.

 

Paris, 20 février 1814

Au duc de Bassano.

Monsieur le duc, j’ai reçu le projet que vous m’avez adressé J’espère que les événements qui ont eu lieu depuis le 9 ont changé la manière de voir des alliés. L’Empereur a bien le droit de prétendre aux conditions de Francfort, et les amis de l’huma­nité doivent faire des vœux pour que les princes coalisés soient aussi raisonnables que l’Empereur.

 

Paris, 21 février 1814

À Napoléon.

Sire, l’Impératrice a tenu un conseil aujour­d’hui, dans lequel on a arrêté le moyen le plus pra­ticable pour avoir les 2 mille chevaux que Votre Majesté a demandés au ministre de la guerre. M. d’Hauterive me dit que M. de Saint-Charles avait reçu l’ordre de se rendre an quartier général de Votre Majesté. Elle trouvera ci-joint une pièce qui prouvera de plus en plus qu’il n’y a aucun fond à faire sur les princes; ils ne pourront jamais rien en faveur de Votre Majesté. Le bulletin d’aujourd’hui n’a pas été trop bien accueilli : on a interprété quel­ques passages comme devant faire craindre pour l’issue des négociations. Tout le monde convient que Votre Majesté n’a pas dû accorder de suspen­sion d’armes. Tout le monde désire la paix avec les limites naturelles. Personne aujourd’hui ne voudrait des anciennes limites.

 

Paris, 22 février 1814.

À Napoléon.

Sire, Votre Majesté verra par l’extrait ci-joint d’une lettre de M. Bastarrèche de Bayonne, que m’a communiquée le duc de Cunégliano , quelle est la situation des choses à l’armée du duc de Dalmatie. Le ministre de l’intérieur, celui de la police et l’archichancelier sortent de chez moi ; ils m’ont fait la peinture la plus désastreuse des choses à Tou­louse et à Bordeaux. L’esprit de ces deux grandes villes est très-mauvais, et un Bourbon y serait ac­cueilli s’il se présentait. Si Votre Majesté n’a pas ordonné sa retraite, elle sera étonnée de la con­duite du duc de Dalmatie : c’est le seul homme en place dont je pourrais me permettre de suspecter les intentions.

Un autre rapport ci-joint donnerait quelque vraisemblance à ce que vient me dire le ministre, de la nouvelle qui annonce l’entrée de l’ennemi à Amiens. Ces deux ministres m’assurent que les pro­clamations répandues par les Russes en faveur des Bourbons trouvent de l’écho. Je suppose que nous sommes à la veille d’une bataille. Quels qu’en soient les résultats, l’état actuel ne peut pas durer. Les deux ministres m’ont déclaré devant l’archichan­celier que l’administration tombe partout en disso­lution, que l’argent manque, et le système des réquisitions finit par neutraliser toutes les affections et isoler le gouvernement. Quelque dures que soient ces vérités, comme Votre Majesté ne peut pas les entendre de la bouche de ses ministres, je n’hésite pas à m’imposer le pénible devoir de vous les faire connaître,.

 

Paris, 22 février 1814.

À Napoléon.

Sire, j’adresse à Votre Majesté deux projets de lettres que l’Impératrice est disposée à signer dès qu’ils auront reçu votre approbation. J’ai vu le mi­nistre de l’intérieur; il écrit à Votre Majesté. L’idée des députations de quelques villes au conseil général de la commune de Paris ne lui paraît pas dépour­vue d’inconvénients. Je partage cette opinion, et je suis certain que si Votre Majesté a eu le temps de reporter une seconde fois sa pensée sur cet objet, elle y aura renoncé.

Le ministre, le duc de Conegliano, pensent aussi qu’il serait impossible de doubler la garde natio­nale sans la dénaturer : l’invincible difficulté du
manque d’armes est d’ailleurs toujours existante; on a demandé au ministre de la guerre………………………….. {Quelques lignes indéchiffrables) Quant à la garde na­tionale, telle qu’elle est aujourd’hui, c’est une sauvegarde contre les désordres anarchiques; elle est bien intentionnée; elle comprend l’intention du gouvernement; elle a été électrisée par le récit des prodiges opérés en peu de jours par Votre Ma­jesté ; elle désire que la paix la ramène dans sa capitale; elle est disposée à l’aimer autant qu’elle l’admire. Celte opinion de la garde nationale est celle de la capitale; mais dire au-delà, Sire, serait se tromper et tromper Votre Majesté. Cette ville de Paris, si mauvaise pour le gouvernement il y a un mois, si touchée de la confiance que Votre Majesté lui témoigne en lui confiant sa femme et son fils, si hardie, si émerveillée des succès obtenus par Votre Majesté, n’est pas cependant dans un état tel qu’on puisse espérer d’elle autre chose que fidélité et obéissance. Elle a admiré votre génie; mais elle ne peut être mue, exaltée que par l’espoir d’une paix prochaine, et n’est nullement disposée à entreprendre aucune défense réelle contre un corps d’armée, ni à envoyer hors de son enceinte des détachements de sa garde nationale. Voici, Sire, l’exacte vérité. Que Votre Majesté ne compte sur aucun effort au-delà de ce qu’il est permis d’attendre d’une popu­lation ainsi disposée.

 

Paris, 22 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, l’Empereur prescrit que la ville de Soissons soit mise dans le meilleur état de défense possible. J’écris au ministre de l’intérieur, pour qu’il y fasse former la garde nationale; je vous prie d’ordonner, en ce qui vous concerne, tout ce qui pourra concourir à ce but. Le ministre de l’in­térieur a aussi l’ordre de faire organiser la garde nationale de Montargis, Nemours, Beauvais, etc., et Sa Majesté l’Empereur désire que vous envoyiez partout des piques. Veuillez prendre les mesures les plus convenables pour remplir ses intentions.

 

Paris, 23 février 1814.

À Napoléon.

Sire, le ministre directeur me répond que, conformément aux ordres que je lui ai transmis de la part de Votre Majesté, il a été établi pour les ma­lades et blessés une ligne d’évacuation sur Rouen

 

Paris, 23 février 1814.

À Napoléon.

Sire, pour le dépôt de cavalerie à Versailles, l’intervention du duc de Valmy dans ces opérations les retarde, au lieu de les accélérer.

Le général Préval est entré en service le 15 de ce mois. Il a fait partir le 16, 405 hommes montés ; le 18, l.245 ; le 21 , 1,019 ; total, 2.669.

Il espère en envoyer 800 pour le 24. Le général Préval met beaucoup de zèle dans son travail.

 

Paris, 24 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, je reçois votre lettre de jour, relative au renfort qu’il convient d’envoyer à Soissons. Je ne puis qu’approuver la mesure que vous proposez, de diriger sur cette place les 10 com­pagnies disponibles des 2 bataillons du régiment de la garde nationale mobile du département de la Seine, et je vous prie de donner les ordres pour qu’elles y arrivent le plus tôt que faire se pourra.

 

 

Paris, 25 février 1814

 

À Napoléon.

 

Sire, je vois avec peine et je rends compte à Votre Majesté que l’arrivée des conscrits diminue sensiblement. La garde impériale en a reçu 2.236 depuis le 17 jusqu’au 23 inclus de ce mois. Hier, elle n’en a reçu que 95. La ligne n’a reçu depuis le 17, jusques et compris le 22 de ce mois, que 604 conscrits. Le 23, elle n’en a reçu que 25. J’en­tends par la ligne le dépôt général de Paris, sous l’inspection du général Fririon.

 

Paris, 25 février 1814, 9 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, j’ai eu occasion de voir aujourd’hui les ministres dans un conseil que l’Impératrice a tenu, à 9 heures et j’ai été bien aise d’avoir à leur parler des succès de Votre Majesté et de ses espérances. Celui de l’in­térieur travaille beaucoup dans le sens prescrit par elle. Demain, il y aura conseil à la commune. M. de Montalivet est extrêmement zélé pour le service de Votre Majesté. Je désire bien apprendre un armistice, si Votre Majesté juge qu’il sera suivi de la si­gnature des préliminaires; car il paraît que l’en­nemi attend des renforts de …. et quelques troupes russes, dont la tête serait à….Si la paix générale est impossible, on espère (Deux lignes indéchiffrables.)

 

Paris, 25 février 1814, 9 heures du soir.

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre d’hier à sept heures. Les publications sur les positions abandonnées par l’ennemi ont commencé. Le ministre de l’intérieur s’occupe depuis hier des communications avec le conseil général de la commune de Paris. Je crois devoir mettre sous les yeux de Votre Majesté les pièces ci-jointes, dans le cas où elles ne lui seraient pas encore parvenues.

 

Paris, 26 février 1814.

À Napoléon.

Sire, le ministre de la guerre me communique les lettres des ducs de Trévise et de Raguse. Votre Majesté verra que l’un de ces maréchaux croit avoir devant lui des forces infiniment supérieures aux siennes; que le second a dû se retirer devant 20 mille hommes et découvrir la Marne. J’envoie un officier à Meaux et un autre à Lagny, pour m’assurer de l’état des choses sur ces deux points. J’ai approuvé la proposition qui m’a été faite par le mi­nistre de la guerre, de faire diriger sur Meaux les forces qui sont à Orléans, où elles ne paraissent pas nécessaires dans ce moment. Je n’ai pas de lettre de Votre Majesté depuis celle du 24 à six heures du matin.

 

Paris, 27 février 1814

À Napoléon.

Sire, je n’ai d’autre nouvelle des ducs de Raguse et de Trévise que celles contenues dans la lettre ci-jointe. J’ai fait partir ce matin 3 mille hommes pour Meaux, Lagny et Sainte-Maure. J’ai passé aujourd’hui en revue 8 mille hommes de la garde nationale bien habillés et passablement ar­més, et 3 mille de la garde impériale. J’ai envoyé un homme de confiance à Lille, d’où il se dirigera où se trouve le prince de Suède. Je m’occupe de l’autre expédition pour l’Italie. L’alarme se ré­veille dans Paris, depuis les nouvelles de la retraite du duc de Raguse. J’attends impatiemment les nou­velles de Votre Majesté, qui, dès le 25, avait le projet de faire marcher sur les derrières du général Blücher.

 

Paris, 28 février 1814.

A Murat.

Mon cher frère, j’ai répondu il y a longtemps à la lettre que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire le 31 décembre. Je sais qu’elle ne vous est pas par­venue, et je m’empresse de réparer un oubli invo­lontaire en vous renouvelant ma reconnaissance de tout ce que votre lettre contient de bon et d’aima­ble pour moi. C’était à l’expression de ces senti­ments que se bornait ma réponse ; mais je pense au­jourd’hui vous devoir, à vous et à votre, famille, l’expression de ma manière de voir et de sentir dans une circonstance aussi importante que celle où nous nous trouvons. Je n’entre pas dans des dis­cussions politiques; mais ce qui me frappe, comme tous les Français, c’est qu’il est impossible que vous soyez heureux si la France est malheureuse; c’est qu’il est impossible que vous soyez heureux si vous devenez ennemi de la France. Ou je vous connais mal, ou vous ne supporterez pas le rôle odieux d’ennemi du pays à qui vous devez votre gloire même : vous êtes trop bon et trop loyal pour que vous n’ayez toute votre vie à gémir même du succès que pourrait obtenir l’ordre de choses dans lequel vous entreriez en opposition avec la France.

D’ailleurs il est de fait que vous n’avez à la longue rien à espérer des Anglais ni des alliés; ainsi donc votre rôle doit suivre votre cœur : rien n’est encore désespéré, puisque aucune hostilité n’a encore eu lieu. Je m’estimerai doublement heureux si je puis réemployer à rétablir entre l’Empereur et vous le bon accord qui doit toujours exister, pour le bien de la France, de vos peuples et de notre famille. Je désire donc que vous me mettiez dans le cas de vous prouver, dans cette circonstance décisive pour votre bonheur, que je suis véritablement votre ami.

J’ai beaucoup causé avec M. Faypoult, qui a toute ma confiance et qui mérite la vôtre. Je désire qu’il vous en inspire assez pour me rapporter votre vo­lonté, et me mettre à même d’arriver au but que nous devons désirer… Parmi les personnes qui vous servent, combien peu en est-il qui aient les mêmes intérêts que vous ? Si vous les examinez de bien près, vous verrez que vous devez peu les écou­ter : les ennemis de la France, les ennemis de l’Empereur sont les vôtres.

 

Paris, 28 février 1814.

À Napoléon.

Sire, le duc de Raguse a envoyé cette nuit un colonel de son état-major au ministre de la guerre, pour l’informer que l’ennemi, en forces supérieures, l’a obligé de se retirer à Jouarre, d’où il doit se porter ce matin à Meaux. Le duc de Trévise l’a joint, et suivra son mouvement. Ce maréchal se re­tire aussi devant des forces ennemies considérables qui viennent du coté de Reims. Le duc de Raguse pense que l’ennemi va marcher sur Paris; il de­mande des renforts à grands cris, et il y a ici bien peu de moyens de lui en donner. Je vais tout disposer pour faire garder les ponts de Lagny, Saint-Maur et Charenton, et pour avoir une petite ré­serve.

 

Paris, 28 février 1814, 9 heures du matin.

À Napoléon.

Sire, j’ai reçu vos lettres du 26 et 27. J’en ai communiqué le contenu au duc de Trévise, qui se trouve réuni avec le duc de Raguse à Meaux. J’ai envoyé à ce maréchal hier un renfort de troupes de la garde. Je lui envoie aujourd’hui tout ce qui est disponible, consistant en infanterie, 3 mille hom­mes; cavalerie, mille. La garde a donc fourni plus de 6 mille hommes.

 

Paris, 28 février 1814, 1 heure après midi.

À Napoléon.

Sire, voici la réponse que je reçois du duc de Trévise à une lettre de cette nuit de deux heures. Le général Expert doit être rendu dans deux heures au plus tard à Meaux. Il fera hâter le passage de la Marne par les troupes des deux maréchaux.

 

Paris, 28 février 1814,

À Napoléon.

Sire, je reçois votre lettre de ce matin à deux heures. J’ai envoyé au duc de Trévise un officier général avec l’avis de tous les mouvements de Votre Majesté. Un de mes officiera arrive de Meaux. L’ennemi parait avoir commencé son mouvement de retraite ce matin : malheureusement le pont avait été coupé. Un autre officier arrive de Lagny. Hier au soir, un général de cavalerie du corps du duc de Raguse a aussi fait brûler un pont. Je donne l’ordre pour que l’on s’occupe de leur réparation. J’attends dans la nuit un autre aide de camp.

 

Paris, 28 février 1814.

À Clarke.

Monsieur le duc, je reçois votre lettre d’aujourd’hui. Dès hier, j’ai fait envoyer aux ponts de Charenton et de Saint-Maur un bataillon de 700 hom­mes de la garde impériale, en sus des forces que le général Hullin y avait déjà placées. Je vous ai fait informer hier des dispositions prises par le général Maurice Mathieu, qui a remis la lettre au colonel Balthazar, votre aide de camp.

Je suis bien aise de l’ordre que vous aviez donné pour que 6 pièces de canon et les canonnières soient envoyées à chacun de ces ponts : je désire que vous vouliez encore y envoyer un officier général et un officier du génie, avec ordre de défendre ces deux ponts, et de ne les faire sauter qu’à toute extré­mité.