Correspondance de Joseph Napoléon– Janvier 1814

Correspondance de Joseph Napoléon

Janvier 1814

 

Mortefontaine, 1er janvier 1814

À Napoléon

Sire, je prie Votre Majesté d’accueillir mes vœux pour que l’année qui va commencer soit heureuse pour elle et pour ses peuples.

J’espère que celle qui va finir aura épuisé tous ses malheurs. Zénaïde, arrivée, il y a un instant, chargée des cadeaux de l’Impératrice, a failli être brûlée près de la cheminée de ma chambre : elle a été sauvée, et se porte bien. Cet accident ne me laisse pas la possibilité d’écrire comme à mon ordi­naire, n’ayant conservé que deux doigts libres. Je prie Votre Majesté de ne pas douter de mon tendre et entier dévouement.

 

Paris, 1er janvier 1814

Napoléon à Joseph

Mon frère, je vous remercie des vœux que vous faites pour moi, et des sentiments que vous m’exprimez à l’occasion de la nouvelle année. Je vois aussi avec satisfaction que l’accident arrivé à ma nièce n’a pas eu de suites fâcheuses.

 

Paris, 7 janvier 1814

A Napoléon

Sire, j’ai reçu la lettre de Votre Majesté. Elle me parle de son amitié, et j’avoue que je n’y comptais plus. Je respecte trop Votre Majesté et j’aime trop son amitié pour ne pas m’y livrer avec mon abandon d’autrefois. La première preuve que Votre Majesté peut m’en donner est de charger M. de Santa-Fé, ou tout autre, de la répartition des secours qu’elle accorde aux intéressantes familles qui ont abandonné l’Espagne à ma suite. La seconde, qu’elle trouve bon que je garde avec moi des officiers es­pagnols et français qui, m’ayant montré un dévoue­ment particulier, ne peuvent pas être abandonnés par moi sans me rendre le plus ingrat et le plus in­sensible des hommes.

 

Paris, 10 janvier 1814

Napoléon à Joseph

Mon frère, j’ai fait mettre à l’ordre du palais que vous seriez désormais annoncé sous le titre du roi Joseph, et la reine sous celui de la reine Julie, avec les honneurs et de la manière usitée pour les princes français. Je vous envoie une brochure que je reçois de Londres, et que le gouvernement anglais fait répandre. Je vous autorise à prendre l’u­niforme des grenadiers de ma garde, comme celui que je porte. Je pense qu’il est convenable que vous ne portiez aucun ordre étranger, et que vous soyez seu­lement décoré de l’ordre français. Faites-moi passer l’état des personnes dont vous voulez composer vo­tre maison ainsi que la maison de la reine, et indiquez-moi le jour où vous voulez recevoir la cour et les autorités.

 

Paris, 14 janvier 1814

À Murat

Mon cher frère, j’ai reçu votre lettre du 1er. Je suis charmé des espérances que vous me donnez, et je désire vivement apprendre bientôt que vos vœux pour une paix prochaine se réalisent. Je viens d’a­voir un long entretien avec l’Empereur, et je suis convaincu qu’il désire sincèrement la paix. Si vous pouvez y contribuer en quelque chose, ce ne peut être qu’en vous rangeant du côté où vous portent votre cœur, vos devoirs, et où vous savez qu’est aujourd’hui le désir sincère de la paix. Je ne puis pas dire la même chose des alliés, dont j’ignore les intentions. Vous ne pouvez pas oublier que votre intérêt politique est aujourd’hui d’accord avec le sentiment de l’honneur, qui doit vous porter à tous les efforts pour procurer à la France une paix qui consolide tous les établissements politiques aujour­d’hui existants. Je ne crois pas m’abuser en vous mandant ingénument mon opinion : Je suis convaincu que les malheurs de la France seront tôt ou tard vos malheurs. Une prompte paix sauve tout; vous devez donc la hâter de tous vos moyens, et être bien persuadé que cette paix vaut mieux pour vous que tous les avantages que pourraient vous promettre aujourd’hui les alliés. Ces promesses sont évidemment fallacieuses : le jour où vous serez livré à eux, il n’y a plus de lendemain pour vous, parce qu’ils n’auront plus aucun intérêt à vous ménager et qu’ils convoiteront, pour eux ou les leurs, la possession du plus beau pays de l’Europe. Votre exis­tence, mon cher frère, est certainement liée à l’exis­tence de la dynastie de l’Empereur en France. Si les Bourbons pouvaient renaître en France, pensez-vous que vous conserveriez longtemps Naples ? Ce­pendant la fortune a tourné, et les alliés sont au­jourd’hui les plus forts; mais si tous les princes de la maison de l’Empereur, si tous les Français sui­vent mon exemple, l’équilibre sera bientôt rétabli, la paix faite, et les divers États consolidés. Pour cela il faut faire abnégation de tout autre sentiment, et se jeter, avec ce noble enthousiasme du bien qui vous caractérise, dans la balance du devoir et de l’honneur. La France affaiblie sera relevée par la contenance assurée de tous ceux sur lesquels elle a droit de compter. La politique d’ailleurs le commande ainsi; mais je suis convaincu que l’honneur parle chez vous plus haut que l’intérêt; et lorsque l’intérêt est d’accord avec l’honneur, on a une rai­son de plus pour tout attendre de vous. Je serai bien aise de connaître l’impression que vous aura faite cette lettre. Je vous prie, dans tous les cas, de bien croire qu’elle est uniquement dictée par le sentiment de mon affection pour votre famille, dont le bonheur est inséparable de celui de la mienne et de la France entière.

 

Paris, 30 janvier 1814

A Clarke

Le ministre de la police, Monsieur le duc, doit vous avoir communique un projet pour la réunion des gardes forestiers et des gendarmes de la 1e di­vision. Je désire connaître votre opinion sur le fond du projet, et vous prie de me communiquer le ta­bleau des hommes à pied et à cheval qui devien­draient disponibles, sans nuire trop essentiellement au service ordinaire.

 

Brienne, 31 janvier 1814.

Napoléon à Joseph.

Vous m’écrivez que le général Ornano n’a pas d’argent. Le payeur m’a instruit que le douzième million avancé à la garde par mon Trésor a été distribué depuis mon départ de la manière suivante : 400 mille francs à la cavalerie, 250 mille aux grenadiers à pied, 250 mille aux chasseurs à pied, 70 mille à l’artillerie, et 30 mille aux équipages. Le baron de la Bouillerie, ayant reçu cette distribution, a dû la payer. Si, par un événement quelconque, cette distribution ne lui était pas parvenue, vous présenteriez cette lettre à la Bouillerie, qui payerait ce million, ainsi qu’il est dit ci-dessus. Proposez-moi la distribution d’un treizième million, mais prévenez Ornano qu’il doit prendre garde à ses quartiers-maîtres : je crois qu’ils me volent.

  1. S. Le treizième million vient d’être réparti par le général Drouot. »

 

Brienne, 31 janvier 1814

Napoléon à Joseph

Vous aurez vu par le bulletin les événements qui se sont passés. L’affaire de Brienne a été fort chaude. J’y ai perdu 3 mille hommes, et l’ennemi y a perdu 4 à 5 mille hommes. J’ai poursuivi l’en­nemi à mi-chemin de Bar-sur-Aube. J’ai fait réparer les ponts de l’Aube qui avaient été bridés. Encore un moment, et le général Blücher et tout son état-major eussent été pris. Le neveu du chancelier de Hardenberg a été pris à côté d’eux ; ils étaient à pied, et ne savaient pas que j’étais à l’armée. Depuis ce combat de Brienne, nos armées sont en grande réputation chez les alliés. Ils ne croyaient plus à l’existence de nos armées. J’ai lieu de croire, quoi­que je n’en aie pas la certitude, que le duc de Vicence est arrivé au quartier général de l’Empereur à Chaumont. Cette affaire de Brienne, la position de nos armées, et l’opinion qu’on en a, pourraient accélérer la conclusion de la paix. Il est convenable que les journaux montrent l’intention de Paris dans l’intention de se défendre, et beaucoup de troupes comme y arrivant de tous côtes.

J’ai donné l’ordre qu’on fit partir de Paris une colonne do 1.000 à 1.200 chevaux de la garde, 2 pièces de canon, 3 à 4 caissons d’infanterie et 3 à 4 mille hommes de la jeune garde, ce qui ferait une colonne de 4 à 5 mille hommes. On y joindrait une compagnie d’équipages militaires de la garde, s’il y en avait une de formée. Cette colonne se dirigera sur Nogent, sur Fismes, où elle attendra de nou­veaux ordres. Le duc de Trévise avait évacué Troyes pour se porter sur Arcis-sur-Aube; mais je lui ai donné l’ordre de revenir à Troyes, et il y est arrivé ce soir à sept heures. Il est bien important d’aug­menter le plus tôt possible la division qui est à Troyes.

 

Paris, 31 janvier 1814

A Clarke.

Monsieur le duc, le ministre de la police m’instruit qu’un parti de quelque mille chevaux s’est dirigé sur Sens (Quelques cosaques de Platow), ou je désire que vous envoyiez un officier au général Treilhard, en lui prescrivant de hâter la marche de sa division, et de vous faire connaître le jour où les escadrons les mieux montés arriveront à Fontainebleau. Il serait bon que les corps d’infanterie qui les suivent reçussent le même avis, afin qu’ils pressent leur marche et soient sur leurs gardes.