Mémoires du Prince de Metternich, Chancelier de Cour et d’État.

CHAPITRE II

ENTRÉE DE METTERNICH AU SERVICE DE L’EMPIRE (1801-1803).

Lors de la conclusion de la paix de Lunéville (1801), la faiblesse du cabinet autrichien et ses éternelles fluctuations étaient arrivées à leurs dernières limites. Pendant une lutte de dix ans, la Cour impériale avait opposé aux principes subversifs de tous les gouvernements qui s’étaient succédé en France depuis 1792, une digue tantôt puissante, tantôt fragile; ces alternatives de force et de faiblesse ne montraient que trop l’absence totale d’un plan suivi. C’était là précisément la grande faute du cabinet; c’est là ce qui explique ces triomphes d’un jour effacés par les revers du lendemain. Plus qu’à toutes les autres causes, la France doit ses succès prodigieux à l’inconséquence des ministères qui prirent successivement la direction des affaires publiques après la mort du grand homme d’État qui pendant quarante ans était resté à la tête du cabinet de Vienne, mais qui par malheur n’avait pas été, dans les derniers temps, épargné par les infirmités de l’âge. Les vues qui ont toujours formé la base de la politique autrichienne sont les plus pures qu’on puisse concevoir, mais jamais peut-être on ne s’y prit plus mal pour les réaliser.

Le ministère du baron de Thugut ne montre qu’une suite non interrompue de bévues et de faux calculs. Lorsqu’il était à l’apogée de sa puissance, il y avait deux partis qui, selon leur point de vue, suspectaient le ministre pour des raisons diamétralement opposées. On l’accusait d’être vendu à la France ; on prétendait qu’il était à la solde de l’Angleterre. Il est regrettable pour son nom et pour l’Autriche que personne n’ait voulu affirmer que Thugut a servi son pays avec désintéressement.

Pour nous, qui croyons que l’influence étrangère n’a été pour rien dans l’attitude politique de Thugut, nous n’avons pas même l’idée d’attribuer sa conduite à la trahison; car trahir, c’est toujours le moyen le plus dangereux et le moins certain pour réussir.

Sorti d’une humble condition, fils d’un batelier de Linz, Thugut avait été élevé à l’Académie orientale et formé en vue d’un emploi subalterne. Habile et rusé, il ne dut ses succès dans la carrière politique qu’à ces qualités, qui, soutenues par une profonde dissimulation et par le goût de l’intrigue, ne passent que trop facilement pour des talents réels.

Il avait placé en fonds français la plus grande partie de la fortune qu’il avait amassée à Constantinople ; ce fut sans doute le désir de conserver cette fortune qui, au début de la Révolution française, l’aveugla ou du moins le fit rester dans l’inaction. Ce fut aussi à cette époque que le parti anglais commença à le soupçonner d’être vendu à la France. Quand plus tard la Terreur lui ôta toute espérance de sauver de la banqueroute générale même la moindre partie de sa fortune, quand avec un parfait sans gêne il changea d’allure politique, le public attribua cette volte-face à l’or anglais.

Non sans talent, revêtu de la plus haute dignité de l’État, vivant dans l’obscurité d’une retraite volontaire sans que sa froide ambition cessât de s’immiscer dans tous les détails du gouvernement, Thugut était, malgré tout, au-dessus de la corruption. L’histoire de son ministère peut se résumer en une série de faux calculs qui, tous, n’ont fait que contribuer à soutenir et à augmenter la prépondérance de la France.

A la suite de la paix de Lunéville, le baron de Thugut se retira des affaires. Le comte de Cobenzl fut rappelé de Saint-Pétersbourg; et nommé à la direction des affaires étrangères, sous le titre de vice-chancelier de la Cour et de l’État. Le comte, plus tard prince de Trauttmansdorff, premier grand maître de la Cour, eut le portefeuille par intérim. La paix avec la France devait tout naturellement donner une nouvelle impulsion à la diplomatie autrichienne.

Les postes de Londres, de Berlin et de Saint-Pétersbourg étaient occupés; il y avait des ministres plénipotentiaires à Stockholm et près quelques petites Cours d’Allemagne et d’Italie. L’Empereur éprouva le besoin de combler les lacunes que le baron de Thugut avait laissées se produire, fidèle en cela au système qu’il exagérait quelquefois. Uniquement absorbé par la guerre avec la Révolution française, Thugut n’accordait aucune attention à ce qui ne lui semblait pas se rapporter directement à cette guerre. Il en vint à ne plus lire les dépêches des envoyés de second ordre, et, par suite, à ne plus y répondre. Quand il quitta le ministère, il fallut nommer une commission pour décacheter et mettre aux archives des centaines de rapports qui émanaient de ces légations.

Quelques jours après avoir pris le portefeuille, le comte de Trauttmansdorff me fit appeler et m’informa que l’Empereur, ayant résolu de pourvoir aux vacances diplomatiques, lui avait dit de me laisser choisir entre le poste de Dresde ou de Copenhague ou celui de ministre de Bohème près la diète de l’Empire. Je lui demandai le temps de réfléchir, et me rendis auprès de l’Empereur. J’exposai franchement à Sa Majesté mes idées sur la manière dont j’entendais la vie, et sur les aptitudes que je croyais avoir, ainsi que sur celles que je me déniais. L’Empereur accueillit ma profession de foi avec sa bonté habituelle, et quand il fit appel à mon patriotisme, je me rendis. « VotreMajesté, lui dis-je, veut que je me lance dans une sphère que je ne crois pas être la mienne. Je me soumets à ses ordres. Que Votre Majesté ne mette jamais en doute ma bonne volonté ; mais qu’elle se défie plutôt de mes aptitudes. Je vais tenter l’épreuve; mais Votre Majesté me permettra de me retirer du service le jour où je craindrai de n’être pas à la hauteur de ma tâche. «  L’Empereur me répondit en souriant : « Quand on a ces craintes-là, on ne risque pas de mal faire; d’ailleurs, je vous promets d’être le premier à vous avertir si vous faites fausse route. »

Je me décidai pour la mission de Dresde, celle de Danemark me paraissant trop éloignée; d’autre part, il me répugnait d’aller à Ratisbonne uniquement pour assister aux funérailles de ce noble Empire d’Allemagne. Dresde, par contre, qui est une étape sur la route de Berlin ou de Saint-Pétersbourg, avait, à mes yeux la valeur d’un poste d’observation où l’on pourrait dans la suite rendre des services. Comme j’étais forcé de m’engager dans cette carrière, je voulais du moins garder l’espérance d’être utile. Jamais je n’ai rien voulu à moitié : une fois devenu diplomate, je résolus de l’être tout à fait, et dans le sens que j’attache à ce mot. La suite a montré que mes calculs étaient justes; car les événements ne m’ont que trop poussé à marcher en avant dans la voie que je suivais.

En commençant le récit de mes débuts politiques, je me propose de ne raconter que ce qui concerne ma personne, ou plutôt ce qui peut servir à combler les lacunes des correspondances officielles; car, bien que ces documents seuls puissent donner l’image fidèle des travaux de l’homme d’État, une foule de détails ne sauraient y trouver place. Je souhaite que ceux de mes lecteurs à qui leur position permet l’accès des Archives impériales, consultent les pièces officielles à mesure qu’ils liront le présent travail : puisant à cette double source , ils pourront mieux juger la grande époque pendant laquelle j’ai rempli la lourde tâche que m’avait imposée la destinée, et joué un rôle actif sur la scène du monde. Mais avant de raconter les nombreux et mémorables événements qui ont signalé ma carrière, j’exposerai fidèlement les principes sur lesquels reposaient les actes de ma vie politique. Cet exposé servira à expliquer mes actions et à éclaircir plusieurs points de l’histoire de mon temps.

J’ai déjà dit que j’avais de la répugnance à embrasser une carrière publique. Convaincu que chacun doit être prêt à répondre des actes de sa vie, reconnaissant combien il était difficile de soutenir efficacement une société qui croulait de toutes parts; d’un autre côté, désapprouvant devant le tribunal de ma conscience presque toutes les mesures que je voyais prendre pour essayer de sauver le corps social miné dans sa base par les erreurs du dix-huitième siècle; enfin, trop modeste pour me croire de taille à mieux faire en faisant autrement, j’étais décidé à me tenir éloigné d’une scène où je ne pouvais consentir à descendre à un rôle secondaire, vu l’indépendance de mon caractère, tout en ne me croyant pas capable de jouer celui d’un réformateur.

Le soin avec lequel on avait dirigé mon éducation du côté du vaste champ de la politique m’avait habitué de bonne heure à en mesurer l’étendue. Je ne tardai pas à remarquer que ma façon de comprendre la nature et la valeur de ce domaine différait essentiellement de la manière de voir de l’immense majorité des hommes appelés à jouer un grand rôle politique. C’est le moment de parler des principes très-simples auxquels j’ai ramené de tout temps la science communément désignée sous le nom de politique et de diplomatie.

La politique est la science des intérêts vitaux des États dans l’ordre le plus élevé. Toutefois, comme il n’y a plus d’État isolé, comme les États de ce genre ne se trouvent que dans les annales du monde païen ou dans les abstractions de soi-disant philosophes, on ne doit jamais perdre de vue la société des États, cette condition essentielle du monde moderne. Chaque État a donc, en dehors de ses intérêts particuliers, d’autres intérêts qui lui sont communs, soit avec tous les autres États réunis, soit avec de simples groupes d’États. Les grands axiomes de la science politique dérivent de la connaissance des véritables intérêts politiques de tous les États; c’est sur ces intérêts généraux que repose la garantie de leur existence. Par contre, les intérêts particuliers, à qui les faits politiques journaliers ou accidentels donnent parfois une grande importance, et dont le soin constitue la sagesse politique aux yeux d’une politique  inquiète et bornée, n’ont qu’une valeur relative et secondaire. L’histoire nous apprend que, chaque fois que les intérêts particuliers d’un État sont en contradiction avec les intérêts généraux, et qu’on néglige ou méconnaît ces derniers pour travailler exclusivement à suivre les premiers, ce fait doit être regardé comme une exception, comme une maladie dont le développement ou la prompte guérison décide en dernier ressort de la destinée de cet État, c’est-à-dire de sa chute prochaine ou de sa renaissance. Ce qui caractérise le monde moderne, ce qui le distingue essentiellement du monde ancien, c’est la tendance des États à se rapprocher les uns des autres et à former une sorte de corps social reposant sur la même base que la grande société humaine qui s’est formée au sein du christianisme. Cette base n’est autre que le précepte formulé par le Livre par excellence : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse. » Appliquée à l’État, cette règle fondamentale de toute société humaine s’appelle réciprocité; dans la pratique, elle détermine ce que dans le langage de la diplomatie on nomme les bons procédés, ou, en d’autres termes, la prévenance réciproque et l’honnêteté dans les rapports. Dans le monde ancien la politique se renfermait dans l’isolement et pratiquait l’égoïsme le plus absolu, sans autre frein que la prudence humaine. La loi du talion élevait des barrières éternelles et provoquait d’éternelles inimitiés entre les différentes associations: à chaque page de l’histoire ancienne se retrouve la réciprocité du mal qu’on se faisait. La société moderne, au contraire, nous montre l’application du principe de la solidarité et de l’équilibre entre les États, et nous offre, le spectacle des efforts réunis de plusieurs États pour s’opposer à la prépondérance d’un seul, pour arrêter les progrès de son influence et le forcer de rentrer dans le droit commun. Le rétablissement des rapports internationaux sur la base de la réciprocité, sous la garantie de la reconnaissance des droits acquis et du respect de la foi jurée, constitue de nos jours l’essence de la politique, dont la diplomatie n’est que l’application journalière. Entre les deux, il y a, selon moi, la même différence qu’entre la science et l’art.

De même que les hommes enfreignent journellement les lois de la société civile, de même les États ne violent que trop souvent les règles qui président à leur association. Les fautes des hommes et celles des États sont soumises aux mêmes peines; la seule différence consiste dans la gravité de la faute, qui est proportionnée à l’importance de l’individu coupable.

En face de ces vérités, que devient la politique de l’égoïsme, la politique du bon plaisir ou de l’ambition mesquine, et surtout celle qui recherche l’utile en dehors des règles les plus élémentaires du juste, qui se rit de la foi jurée, et qui, en un mot, repose uniquement sur les vaines prétentions de la force ou de l’habileté ?

On peut juger, d’après cette profession de foi, quelle valeur j’ai toujours attribuée à des politiques de la taille, ou, si l’on veut, du mérite d’un Richelieu, d’un Mazarin, d’un Talleyrand, d’un Canning, d’un Capo d’Istria, d’un Haugwitz et de tant d’autres plus ou moins célèbres. Résolu à ne pas suivre la même voie qu’eux, et désespérant de me frayer un chemin selon ma conscience, je devais naturellement préférer ne pas me lancer dans les grandes affaires politiques, où j’avais bien plus de chances de me perdre matériellement que d’arriver au but; je dis matériellement, car, quant à succomber moralement, je n’en ai jamais eu la crainte. L’homme public garde toujours un moyen sûr d’échapper à ce danger, c’est de se retirer des affaires.

Ce fut au mois de janvier 1801 que je fus nommé envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la Cour de la Saxe électorale. La paix entre l’Autriche et la France venait d’être conclue à Lunéville lorsque, vers la fin de la même année, j’entrai en exercice à Dresde. Napoléon Bonaparte était le premier consul de la République française, qui d’un gouvernement républicain n’avait plus que le nom. L’Empire d’Allemagne était visiblement menacé d’une dissolution prochaine. Au mois de mars de la même année, l’Empereur Paul était mort de mort violente. L’Europe était préoccupée, anxieuse : c’était le résultat naturel de l’incertitude qui planait sur toutes les existences. A cette époque, Dresde et particulièrement la Cour de la Saxe électorale jouissaient d’un calme qui contrastait étrangement avec l’inquiétude universelle : on eût dit une oasis dans le désert. A ne juger que d’après l’aspect de cette Cour, on aurait cru que le monde s’était arrêté. Tout y était arrangé, réglé comme à la mort du dernier Auguste. Si l’étiquette, le costume et la régularité automatique pouvaient être une base solide pour les États, la Saxe électorale eût été invulnérable. Les modes, les jours de gala, les usages, rien n’y avait changé depuis le milieu du dix-huitième siècle. Après avoir renversé l’ancienne monarchie, la Révolution française en était déjà au consulat de Bonaparte, lorsqu’à la Cour de Saxe les dames portaient encore des paniers.

Le prince électeur Frédéric-Auguste avait des qualités solides, et la Saxe, ce pays tranquille et laborieux, aurait longtemps béni le souvenir de son règne, si la tempête qui éclata quelques années plus tard n’avait mis violemment fin à ce régime doux et paisible.

Dresde possédait toujours un nombreux corps diplomatique. Parmi mes collègues, l’envoyé d’Angleterre, M. Elliot, se distinguait par son tour d’esprit original. Ce diplomate avait un passé curieux. Étant jeune officier de la milice, il s’introduisit dans le grand monde grâce à un trait singulier. Tous les ans, aux revues de Potsdam, une foule de militaires étrangers se pressaient autour de Frédéric II. Dans ces occasions, le Roi de Prusse ne cachait pas sa préférence pour les Français; aussi le grand maréchal du palais, qui était chargé de la présentation des étrangers à la Cour, devait-il présenter chaque officier français individuellement; les officiers anglais, au contraire, tous en bloc. Un jour, le jeune Elliot se trouvait au nombre des officiers qui devaient être présentés. Le grand maréchal du palais ayant dit au Roi ; « J’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté douze Anglais », Elliot l’interrompit à haute voix en disant: « Vous vous trompez, monsieur le maréchal, il n’y en a que onze » ; puis il fit demi-tour et s’en alla. Quelques années plus tard, Elliot vint à Berlin comme envoyé extraordinaire. Frédéric II n’avait pas oublié la scène de Potsdam, et le Roi était médiocrement flatté de sa nomination, Elliot n’ayant que le rang de major. Il résolut de faire sentir sa mauvaise humeur à la Cour de Londres ainsi qu’à celui qui la représentait, et choisit un certain comte Lusi pour le poste de Londres. Le comte de Finkenstein fut chargé de notifier cette nomination à l’envoyé d’Angleterre, et il le fit dans les termes suivants : « Le Roi a choisi pour son représentant à Londres le comte Lusi, major dans son armée, dont le nom doit vous être connu d’après la réputation qu’il s’est faite comme partisan lors de la guerre de Sept ans. Sa Majesté se flatte que la Cour d’Angleterre sera satisfaite de ce choix » Elliot répondit sans hésiter : « Le Roi votre maître n’a pu certainement choisir personne qui fût plus digne de le représenter. » Il est évident qu’avec des manières pareilles M. Elliot ne pouvait guère se faire aimer en Prusse.

Par suite de circonstances qui tenaient à l’attitude particulière qu’il avait prise, il fut rappelé de Berlin et envoyé à Copenhague, où de son propre chef il déclara la guerre au Danemark, dans le dessein de sauver le Roi de Suède du danger auquel ce prince était exposé par suite de la prise de la place de Gothenbourg. Grâce à ce coup de génie, il atteignit en effet son but; mais il n’en perdit pas moins, et cela non sans raison, ce deuxième poste, et vint à Dresde, où il était déjà depuis plusieurs années comme envoyé d’Angleterre lorsque j’arrivai dans cette ville.

A ce moment-là, il y avait longtemps qu’il s’était calmé; mais il avait gardé une vivacité extraordinaire, qui lui faisait une place à part dans les relations de la vie sociale. Je n’ai jamais connu un homme d’un commerce plus agréable; avec un genre d’esprit comme celui du prince de Ligne, il ne le cédait en rien à celui-ci, et lui était peut-être supérieur. Je le vis souvent pendant mon séjour à Dresde, et je compte mes relations avec lui au nombre de mes meilleurs souvenirs. Père d’une nombreuse famille, il cherchait à faire aux siens une belle position. Il réussit à se faire nommer gouverneur des îles Barbades; plus tard, il échangea ce poste contre celui de gouverneur des Indes orientales, et mourut dans ces fonctions à un âge très-avancé.

La légation de Dresde offrait de l’intérêt comme poste d’observation pour les Cours du Nord; c’est donc de ce côté que je tournai mes regards, et je pus me convaincre de cette vérité, que dans la diplomatie il n’y a pas de poste insignifiant. Je m’appliquai à transmettre fidèlement à ma Cour le résultat de mes observations, et n’eus garde de recourir à l’expédient de mon ami Elliot. Un jour que je lui demandais comment il faisait pour envoyer un rapport par chaque courrier (il y en avait deux par semaine), il me répondit: « La chose ne vous paraîtra pas difficile si je vous dévoile mon secret. Si j’apprends quelque chose qui puisse intéresser mon gouvernement, je l’en informe; si je n’apprends rien, j’invente mes nouvelles, et je les démens par le courrier suivant. Vous voyez que je ne puis jamais être à court de matières pour ma correspondance. »

Ce trait ressemblait bien à M. Elliot. Quoi qu’il en soit, il n’est pas rare de rencontrer des correspondances diplomatiques fabriquées d’après la même recette, non pas dans le but d’inventer des nouvelles, mais par suite d’une trop grande crédulité. Ce défaut provient d’une certaine faiblesse de jugement, d’un manque de saine critique; or, dans la carrière diplomatique plus que dans n’importe quelle branche de l’administration, il faut un jugement droit.