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Le général Séruzier à la Bérézina

Construction des ponts sur la BerezinaConstruction des ponts sur la Berezina

Lorsque nous arrivâmes au bord de la rivière de la Bérézina, nous trouvâmes l’armée russe , qui s’était préparée à en disputer le passage : elle avait eu le temps de faire toutes ses dispositions et son avantage était fort grand sur nous, car il ne pouvait manquer d’y avoir beaucoup de désordre  dans notre armée après les malheurs qu’elle avait éprouvés.

II y eu donc sur les bords de la Bérézina un combat fort opiniâtre , qui dura pendant trois jours, sans aucune combinaison savante ni d’un côté ni de l’autre; en effet il s’agissait simplement pour eux d’empêcher le passage sur divers points, et pour nous de le forcer à ces mêmes endroits.

Pendant ces trois jours nos pontonniers étaient enfin parvenus à établir deux ponts sur le fleuve à Wéselòwo. On avait pas hésité long-temps pour savoir dans quel endroit on effectuerait le passage : comme j’ignore quelles étaient les intentions et les motifs de l’Empereur, je ne puis dire ici que ce que j’ai fait; je reçus donc l’ordre de faire établir ces deux ponts, et j’obéis malgré les difficultés sans nombre qu’il me fallut surmonter : l’un était destiné au passage de l’infanterie, et l’autre de la cavalerie et de l’artillerie. Malheureusement, ces deux ponts, jetés avec tant de peine, avaient éte fortement endommagés par le feu des pièces  russes, qui n’avaient cessé de les canonner; nous redoublâmes donc nos efforts, et vinmes à bout de les rétablir de nouveau malgré l’ennemi.

Il s’en fallait de peu que notre retraite ne devìnt impossible; je vis l’instant où les deux ponts allaient être coupés par les Russes, qui revenaient toujours à la charge avec une nouvelle ardeur.

Je détachai deux batteries  d’artillerie à cheval sous le commandement du chef d’escadron Pons, et je secondai le mouvement en marchant à la tète de plusieurs escadrons de toutes armes j’avais réunis comme je l’ai dit plus haut.

Dès que les deux batteries du chef d’escadron Pons eurent commencé à ébranler les Russes par les obus.et.Ia mitrailIe, je chargeai vivement avec notre cavalerie, et je rejetai l’ennemi assez loin. Il battit retraite aussitôt et m’abandonna quelques vivres qu’il avait enlevés Ies jours précédens à nos vivandières et cantinières.

Après cette attaque, nous  fûmes en repos pendant la nuit du 26 au 27 novembre. Le duc de Reggio passa le premier avec le 2e corps . L’Empereur et sa Garde passèrent ensuite; puis les 3e et 5e corps. Pendant le passage, ces ponts construits à la hâte se rompirent plusieurs fois ; mais grâce à l’activité de nos intrépides pontonniers, on parvint à les rétablir; je passai la Bérésina sans inquiétude avec mon artillerie et ma cavalerie.

Claude Victor Perrin - Gros-1812 - Château de Versailles
Claude Victor Perrin – Duc de Bellune – Gros-1812 – Château de Versailles

Pendant la matinée du 27 le maréchal duc de Bellune arriva dans l’après-midi sur les hauteurs de Weselowo, et y prit position pour soutenir la retraite;mais nous apprimes par un bataillon de l’extrême arrière-garde de la division Partouneaux, qui arriva fort tard , que ce général, s’étant trompé de route,  avait été fait prisonnier avec trois mille hommes d’infanterie et deux régimens de cavaIerie.

Cette nouvelle ayant donné l’éveil à tout l’attirail qui suit une armée en retraite il se forma un encombrementconsidérable aux environs des ponts : les uns voulaient passer, et forçaient toutes Ies consignes; les autres voulaient rester, en disant qu’ils seraient pris de l’autre côté : cette hésitation avait tellement détruit l’ordre que personne ne voulait obéir.

L’Empereur avait bien senti qu’il fallait empêcher l’ennemi de nous suivre, et que par conséquent, il était nécessaire de passer très vite, et de brûler les ponts aussitôt après le passage. Comme la foule des voitures ne pouvait que retarder et compromettre le sort de l’armée , l’Empereur avait donné l’ordre formel d’incendier toutes celles qui ne seraient pas utiles : pour ôter tout prétexte de désobéissance, et faire voir l’importance de cette mesure, il avait commencé par faire mettre le feu aux siennes.

Avant l’arrivée du bataillon de la divisiou Partourneaux,  le passage s’effectuait avec assez de régularité. J’avais reçu du général Eblé l’ordre de faire rompre et sauter les ponts dès que le corps du duc de Bellune et Ies voitures conservées seraient de l’autre côté ; j’étais chargé de presser le trajet de ces dernières: je mis donc toute la célérité et toute la fermeté possible dans cette commission ; mais quand on sut que les Russes aapprochaient, il me fut impossible de faire entendre raison aux conducteurs de voitures de bagages, de cantinières et de vivandières;  j’eus beau dire qu’avec de l’ordre, tout monde se sauverait; que leur salut dépendait de la promptitude de leur passage, et que celui de nos troupes exigeait que l’on rompit les ponts, ils passèrent en petit nombre avec leurs voitures légères; mais la plus grande partie s’obstina à rester sur la rive gauche avec le duc de Bellune.

Ma situation était pénible; l’ennemi reparaissait, et le danger devenait plus grand de minute en minute. Le maréchal duc de Bellune, qui avait tenu longtemps sur la rive gauche contre une armée triple en force du corps qu’il commandait,  se vit contraint d’ordonner la retraite. Ce fut alors que les conducteurs des voitures qui étaient restés sur cette rive, virent le danger, mais il n’était plus temps:  le corps du duc de Bellune passa en désordre; les voitures d’équipages, d’artillerie, de blessés, encombrèrent I’entrée du pont: on se frayait un passage à coups de baionnette; plusieurs hommes se jetèrent à la nage, et périrent.

L’ennemi, qui nous saluait à coups de canons,  et qui nous envoyait force obus, acheva de mettre le désordre; enfin une partie des troupes passa, mais je voyais plusieurs centaines de voitures chargées qui restaient de l’autre côté. L’encombrement détruisait tout espoir de passage; une foule d’hommes et de femmes allaient être sacrifiés lorsque j’aurais détruit les moyens de nous rejoindre: c’était bien leur faute; malgré cela j’attendis pour remplir cette mission pénible aussi longtemps qu’il me fut possible et ce ne fut qu’à la dernière extrémité c’est-à-dire lorsque l’artillerie russe me harcela de toutes parts que je me déterminai, avec un vif regret, à exécuter l’ordre du général, qui était celui de l’Empereur.

A l’instant je fis brûler les ponts, et je fus témoin du spectacle le plus affligeant’qu’on puisse voir. Les cosaques se précipitèrent sur ces malheureux abandonnés; ils pillèrent tout ce qui était resté du côté opposé du fleuve , où il y avait une grande quantité de voitures chargées d’immenses richesses ; cèux Iqui ne furent pas massacrés dans cette première charge furent faits prisonniers, et leur fortune devint la proie des cosaques [1]On ne peut évaluer ici la perte de l’armée française ; elle fut incalculable : douze ou quinze mille hommes furent faits prisonniers pour n’avoir suivi les ordres qu’ils avaient … Continue reading ).

Le maréchal Michel Ney
Le maréchal Michel Ney

Après le passage de la Bérésina, le maréchal Ney, prince de la Moskowa, reçut le commandement de l’arrière-garde de l’armée.

Je reçus également le commandement de l’artillerie sous ses ordres. Nous continuâmes de nous retirer en ordre , en couvrant l’armée dont nous protégeâmes la retraite jusqu’à Wilna sans être entamés ; mais, en approchant de cette ville , comme nous étions plus fortement pressés que jamais par les Russes , je me disposai à leur tenir tête avec toutes mes pièces.

Je combinai ma défense de manière à mettre l’ennemi en désordre, en le forçant à deux combats à la fois : je partageai mes pièces , et leur fis suivre les deux routes qui tournaient la ville ; ensuite je fis attaquer les Russes sur deux points à la fois , en avant et en arrière de Wilna, calculant mon mouvement de telle sorte, que mes deux divisions après s’être séparées pour attirer sur deux points les forces des Russes, devaient se rejoindre dès qu’elles auraient dépassé la ville. Si mon projet réussissait je me trouvais en état d’opposer mes deux divisions réunies, aux efforts des troupes ennemies, que ma première manœuvre devait déterminer à se séparer.

Mes canonniers se conduisirent avec leur valeur accoutumée, et déjà les Russes fuyaient en désordre , je les pressais vivement , lorsque,  je frémis en pensant à ce funeste événement ! n’importe, il faut le dire ; je dois toute la vérité ; les malheurs ne sont pas des fautes !

Arrivé au point de jonction que j’avais déterminé, je commençais à prendre avantage marqué sur les ennemis, lorsque je vis un grand encombrement de voitures à nous, parmi lesquelles se trouvaient celles qui portaient le trésor de l’armée; je fis des efforts incroyables pour me frayer un passage avec mes canons, jamais je ne pus y parvenir: de toutes parts j’étais pressé par la cavalerie russe.

Cosaque
Cosaque

Pendant le temps que je perdais à vouloir forcer le passage, les Cosaques, s’étant jetés parmi nos équipages, tuèrent une partie des chevaux ; de sorte que le désordre s’accrût au point que non-seulement mon artillerie ne pouvait plus tirer, puisque j’avais devant moi plus de trois cents de nos voitures encombrées, mais encore je reconnus que j’allais être enlevé , et que j’allais perdre mes pièces.

Dans ce moment désespéré j’ordonnai à mes canonniers de briser la glace de la Wilna.

Je formai donc le mieux qu’il me fut possible l’organisation nouvelle dont j’étais chargé , et , me dirigeant sur Kowno , je commençai par quitter la grande route.

Deux raisons me déterminaient à prendre cette mesure ; la première, c’est que par ce chemin je n’avais plus à craindre d’être suivi par l’artillerie légère russe , contre laquelle je n’avais plus de défense ; la seconde , c’est que, n’étant plus gêné moi-même dans aucun passage, puisque je n’avais plus de canons, je pouvais m’écarter à gauche de la grande route, et me procurer plus aisément quelques vivres dans les villages que, je rencontrais en grand nombre.

Mes précautions semblaient devqir me faire espérer un trajet. favorable jusqu’au point où je désirais arriver, jusqu’à Kowno; mais la fortune avait cessé de me sourire : je n’avais plus que mon courage; mon bonheur était épuisé.


 

References

References
1 On ne peut évaluer ici la perte de l’armée française ; elle fut incalculable : douze ou quinze mille hommes furent faits prisonniers pour n’avoir suivi les ordres qu’ils avaient reçus ; six mille au moins furent tués dans cet encombrement, tant par ceux qui voulurent forcer le passage, que par les Russes qui arrivèrent en masse , et reprirent toutes les richesses que nous ramenions de Moskow. ( Note de l’Éditeur,