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Le centenaire d’Erfurt

La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)

1808-1908

Paul ADAM [1]Paul Adam (1862 – 1920), écrivain, auteur de nouvelles se déroulant durant la période napoléonienne.

Vers la fin d’août 1807, Napoléon Ier autorisa la ville de Lyon à nommer « Tilsit » le nouveau pont construit sur la Saône. C’était la consécration populaire de l’œuvre commencée dans les champs de Marengo, d’Ulm et d’Austerlitz, continuée dans le paysage prussien d’Iéna, poursuivie dans les rues suédoises de Lubeck, ter­minée à Eylau, Dantzig et Friedland. Partout sai­gnaient les têtes armoriales des écussons royaux et impériaux. Le troupeau héraldique pantelait à terre.

Trois ans de manœuvres admirables et successives avaient amené la nation révolutionnaire, drapeaux déployés, canons tonnants, des sables de Boulogne aux rives du Niémen. Le triomphe de la France ne semblait plus aux chancelleries le bonheur d’une émeute furieuse dont l’élan ne pouvait bientôt manquer d’être rompu. L’empire d’Autriche, le royaume de Prusse, la monarchie du Tsar avaient usé toutes leurs forces à combattre le monstre, cet aigle naissant, multiple comme les étendards qui flottaient sur Rome, La Haye, Berlin, Augsbourg, en Dalmatie, et que déjà gonflait le vent d’Espagne.

L’Angleterre elle-même était à court d’argent et de vaisseaux. Ses alliés, las, lui reprochaient des conseils inopportuns, une aide vaine. De Saint-Cloud, le « Robespierre à cheval » ordonnait à Varsovie, menaçait dans la Sicile, et régentait le Turc sauvé, par lui, des victoires moscovites. La famille corse se partageait les états bataves, allemands, italiens. Le roi de Saxe sollicitait ce qu’on accordait à Murat, grand duc de Berg. Dans Memel, une belle reine en pleurs symbolisait, par sa misère réelle, la stupeur de l’Europe châtiée.

La reine Louise de Prusse
La reine Louise de Prusse

Et châtiée comment ! La désaffection de ses peuples, plus que l’impéritie de ses généraux, l’avait trahie. On commençait à s’apercevoir que les illuminés d’Allemagne et les libéraux d’Italie avaient partout se­condé l’effort des troupes républicaines, que les bour­geois des villes avaient renseigné les états-majors de Bonaparte, trompé les princes, que le paysan même avait guidé les éclaireurs de la Liberté, que les banques s’étaient trouvées pleines devant leurs réquisitions et vides devant celles des quartiers-maîtres impériaux.

Maintenant, sous son bonnet à poil, son bicorne à plumet rouge, ou son casque à peau de tigre, le père de Gavroche séduisait en tous lieux les Gretchen, les Lodoiska, les Graziella, leurs mères, et leurs cou­sines. Le garnisaire mettait en fête les foyers de Silésie, de Mecklembourg et de Pologne. Point d’adultère piémontais ou napolitain qui n’eût pour héros un officier à l’habit bleu. La Prusse dansait autour des musiques militaires rythmant la Marseil­laise et le Chant du Départ.

La rencontre de Tilsit - Adolphe Roehn (Base de données Joconde)
La rencontre de Tilsit – Adolphe Roehn (Base de données Joconde)

Dans les loges maçonniques, le vénérable bavarois recevait magnifiquement le frère aux épaulettes rouges recommandé par la « Sagesse Triomphante » de Lyon, ou « Justice et Vérité » de Nantes. Bien plus. Dans les rues de Tilsit, après l’entrevue d’Alexandre et de Napoléon sur le radeau du Niémen, la garde impériale, les Préobrajenski, venaient de fraterniser bruyamment, d’échanger leurs coiffures et leurs insignes sous des arcs de feuillage, autour des tables pleines. Vaincus et vain­queurs  trinquaient en l’honneur de gloires prochaines. Et cette embrassade de soldats amplifiait le baiser de leurs chefs. Le « meurtrier du duc d’Enghien » avait conquis l’âme d’Alexandre, outre les drapeaux et les canons de Friedland. Buonaparte n’était pas seule­ment un guerrier heureux, mais encore un diplomate extraordinaire qui reconstituait l’empire d’Orient et l’empire d’Occident brisés depuis la mort de Constan­tin, et cela pour étreindre le Vieux monde entre les serres des deux aigles.

Le goût de Catherine II pour Diderot et l’Encyclo­pédie avait donc été transmis avec le sang, puisque ce jeune tsar ne gardait pas rancune à l’ancien capitaine terroriste de ses défaites en Moravie, devant la fron­tière lithuanienne.

C’était le plus éclatant succès de l’Encyclopédie et de la Révolution que cette entente sur le radeau fleuri du Niémen, à deux pas de villages ruinés, de cime­tières improvisés.

Très judicieusement M. Frédéric Masson a écrit que M. Albert Vandal eût dû nommer « l’Avènement de la Révolution »  les deux ouvrages sur « l’Avène­ment de Bonaparte ». En effet le simplisme des foules incarna, dans ce général favorisé, leur idéal de L’Egalité conquise et leur idéal de l’Ordre nécessaire. Avant Brumaire, c’était encore la ruée des factions en dispute dans la rue, au Parlement, pour un pouvoir impossible à garder.

Jean Masséna.
Jean Masséna.

C’était le temps où la France, sauvée à Zurich, par l’habile stratégie de Masséna, demeurait en proie aux ravages que perpétuaient la haine opiniâtre des Chouans, les luttes civiles annuellement exaltées lors de Vendémiaire, Fructidor, Floréal et Prairial, les audaces d’innombrables brigands qui pillaient et incendiaient au nom des sectes diverses en fureur. Malgré la stupéfiante ingéniosité du Directoire, pour rallier, autour des quelques départements loyalistes, les fédérés des provinces en feu, pour nourrir, sur les territoires ennemis, les armées souvent battues, parfois victorieuses, seule la popularité de Bonaparte avait pu rétablir la cohésion.

Thermidor avait valu trop d’espoir aux royalistes et trop de méfiance aux jacobins. Le peuple ne voulait alors ni la réaction promise par les uns, ni la terreur sanguinaire inaugurée par les autres. Les villageois avaient acquis les biens des émigrés. Ils ne voulaient pas les rendre. Les citadins avaient souffert de la tyrannie grandiloquente, meurtrière et ruineuse propre à l’âme de la Convention, ils ne voulaient plus de banqueroutes d’assignats, de perquisitions, de chantage à l’emprisonnement et à la guillotinade. La jeunesse possédait des fonctions, des grades. Elle ne voulait pas les transmettre aux privilégiés revenus. Aussi les sectes extrêmes ne manquaient point de partisans sin­cères et passionnés. Comme on ne respectait que la force du soldat, les sociologues, Fouché, Talleyrand, cherchèrent dans les états-majors un médiateur. Joubert, Moreau, Bernadotte refusèrent d’affronter les reproches des Jacobins après un coup d’État. Les frères de Bonaparte le proposèrent,

Entreprise dans l’espoir de menacer l’Asie anglaise et le commerce britannique, d’obtenir ainsi quelque paix avantageuse, l’expédition d’Egypte étonnait les élites nourries de l’antique. Cette audace nationale multipliait les prestiges du pâle militaire qui venait de battre les Turcs au Mont Thabor, les Mameluks près d’Aboukir, afin de ruiner les banquiers de l’Europe monarchiste, après avoir foudroyé les royalistes de l’intérieur à coups de canon sur les marches de l’église Saint-Roch.

Si Joséphine laissait entendre aux ci-de­vant que son mari jouerait peut-être le rôle de Monck, c’était là bavardage de femme. Toutefois maints et maints émissaires se rendirent à Londres. L’amiral anglais croisant avec sa flotte devant l’estuaire du Nil, laissa passer, nous ignorons encore sous quelles conditions, le bâtiment qui ramenait le vaincu de Saint-Jean-d’Acre.

D’ailleurs le lendemain de Brumaire, les talents de l’homme se révélèrent dignes de leur tâche, celle qui séduisit tous les libéraux de l’Europe, et le tzar Paul, avant le tzar Alexandre.

References

References
1 Paul Adam (1862 – 1920), écrivain, auteur de nouvelles se déroulant durant la période napoléonienne.