Correspondance de Napoléon – Novembre 1806

Berlin, 16 novembre 1806

A l’Impératrice

Je reçois ta lettre du 11 novembre. Je vois avec satisfaction que mes sentiments te font plaisir. Tu as tort de penser qu’ils puissent être flattés; je t’ai parlé de toi comme je te vois. Je suis affligé penser que tu t’ennuies à Mayence. Si le voyage n’était pas si long, tu pourrais venir jusqu’ici, car il n’y a plus d’ennemi, ou il est au delà de la Vistule, c’est-à-dire à plus de cent vingt lieues d’ici. J’attendrai ce que tu en penses. Je serai bien aise aussi de voir M. Napoléon.

Adieu, ma bonne amie, tout à toi.

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J’ai ici encore trop d’affaires pour que je puisse retourner à Paris.

 

Berlin, 16 novembre 1806

A M. Cambacérès

Mon Cousin, j’ai reçu votre lettre du 8. Où avez-vous été chercher que l’Espagne était entrée dans la coalition ? Nous sommes au mieux avec l’Espagne, et cela prouve bien le danger des fausses nouvelles. Toutes les places fortes sont entre mes mains. Le roi de Hollande retourne de sa personne dans ses États pour en organiser la défense. Tous les 3e bataillons, que j’ai laissés en France, offriront à la belle saison un renfort de 40,000 hommes; les vingt bataillons que j’ai laissés en Bretagne, y compris ceux de la marine, en formeront 20,000. Me portant à Varsovie, où mes avant-postes sont déjà, pour rétablir la Pologne, l’Elbe et l’Oder seront bien gardés, et le maréchal Mortier restera toujours avec 40,000 hommes dans le nord de l’Allemagne pour contenir les Anglais et les Suédois; et moi-même je suis placé en échelons pour le secourir en trois jours, s’il le fallait. Ce qu’il y a de fait, c’est que je suis décidé à en finir. Ceci est jeu d’enfant. Quant aux prisonniers, qu’est-ce que 100,000 hommes répartis dans toute la France ? La plupart seront contents, travaillant chez les cultivateurs.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, je reçois votre lettre par laquelle je vois évidemment que vous n’avez rien fait pour le 5e escadron de cavalerie dont j’ai ordonné la formation. Vous écrivez aux colonels des régiments qui sont au milieu de la Pologne, qui n’ont pas le temps de lire vos lettres, ou qui même ne les reçoivent pas; vous n’arriverez ainsi à aucun résultat. Il faut nommer les officiers de 5e escadron parmi les officiers réformés. Vous êtes arrêté par la difficulté de savoir si ce sont des officiers de cuirassiers ou d’autres régiments de cavalerie que vous choisirez : cela devait d’autant moins vous arrêter que, quelque décision que vous eussiez prise, cela ne pouvait m’importer, et que, dans la circonstance, tout ce que vous auriez fait eût été bien. Vous n’êtes pas assez tranchant, et vous ne vous pénétrez pas assez de la situation des choses. Je désire que, vingt-quatre heures après la réception de ma lettre, tous les officiers soient nommés, pourvu que vous ne les preniez pas dans l’armée et que vous ne nommiez pas des freluquets de 1792. Nommez-moi des hommes qui aient fait une partie des campagnes et qui soient bons sujets.

Quant aux régiments de cuirassiers qui sont en Italie et qui rejoignent l’armée, j’ai laissé les 4e escadrons en Italie pour qu’ils s’y forment. Par ce moyen, toutes les mesures qui sont prises pour la conscription ne souffrent aucun dérangement. Du moment que je saurai que les cadres des 5e escadrons sont formés et existent, je rappellerai les 4e escadrons à l’armée. On demande ici à grande force des hommes de cavalerie à pied ; 800 ont été envoyés à Cassel; mais il y en a besoin de 800 autres; il en faudrait aussi ici. Veuillez donc envoyer des officiers passer la revue des dépôts, pour en faire partir tous les hommes disponibles à pied, avec leurs selles, leurs manteaux, leurs bottes et leurs armes; on leur donnera ici des chevaux. Il faut cependant laisser les hommes nécessaires pour soigner les chevaux. Les conscrits n’ont pas besoin de rester plus de huit jours aux dépôts. J’ai 60 à 70,000 hommes de cavalerie. Je suis persuadé qu’il y a encore en France plus de 10,000 hommes aux différents dépôts. Pour les chevaux qui, par le résultat des marchés, ne doivent être levés qu’en janvier, on aura le temps de fournir les hommes. Il faut laisser seulement des hommes pour les chevaux qui restent. Tout le reste, faites-le marcher. Il faut donc que vous m’envoyiez l’état de situation des hommes existant aux dépôts des différents régiments de cavalerie au 15 novembre; du nombre de chevaux qui arriveront en conséquence des marchés passés pour le ler janvier; de ceux à réformer, ce qu’il faut faire le plus tôt possible, et des chevaux qui peuvent partir des dépôts au 15 décembre et au ler janvier, et enfin du nombre des hommes que vous ferez partir; je désirerais qu’il fût au delà de 6,000 hommes ou de 4,000 au moins. J’ai bien vu, dans votre rapport, des ordres que vous aviez donnés pour cet objet; il faut presser ce travail, en faisant inspecter les dépôts par des officiers supérieurs et par des généraux. J’ai donné au roi de Bavière plusieurs centaines de chevaux que j’ai levés dans le pays de Baireuth, parce que je n’avais point d’hommes pour en avoir soin.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au maréchal Kellermann

Mon Cousin , je n’approuve point les observations du général Marescot. Je ne veux point de la place de Hanau ; faites-la démolir.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au maréchal Berthier

Je vois avec peine que vous ne me rendez jamais de compte de ce qui se passe sur les derrières. Les commandants doivent toujours vous écrire ; cela ne s’exécute pas. Le commandant de Spandau doit, tous les jours, vous envoyer une ordonnance, ainsi que celui de Potsdam. Il faut qu’un officier soit chargé de tenir cette correspondance et de leur écrire lorsqu’on ne reçoit pas de leurs nouvelles pour leur demander compte de ce qui se passe. Il sera bien tranquillisant, quand je serai au fond de la Pologne, d’apprendre, par la correspondance des commandants de place, qu’il n’y a rien de nouveau.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au général Chasseloup

Je vous envoie un plan de la forteresse de Rinteln; faites-moi connaître ce que vous en pensez. Envoyez quelqu’un la voir. Si cette place est dans l’enclave de Hesse-Cassel et si elle me rend maître du Weser, je serais assez disposé à la garder et à raser Nienburg et Hameln.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au maréchal Mortier

Mon Cousin, comme je pense que vous êtes arrivé à Hambourg et qu’il est urgent que vous ayez des instructions, je commence par vous donner celle d’occuper la ville, d’en désarmer entièrement les habitants, d’occuper Cuxhaven, de fermer hermétiquement la rivière, d’empêcher qu’aucun Anglais puisse s’échapper, de vous assurer des maisons des banquiers anglais, de faire mettre les scellés sur la banque, de saisir toutes les marchandises anglaises, n’importe à qui elles appartiennent, de n’avoir aucun égard pour les Anglais et les Russes, de faire arrêter même les consuls de ces deux nations, et d’empêcher toute espèce de communication avec l’Angleterre. Peu de temps après ceci, vous enverrez un régiment faire la même chose à Brème; le même corps sera chargé d’occuper Cuxhaven, de fermer le fleuve et d’établir deux batteries pour empêcher le passage de l’Elbe et du Weser; provisoirement vous l’interdirez à la navigation de toutes les nations. Vous vous emparerez de tout ce qui appartiendra à la Prusse et à l’Angleterre. Il y a beaucoup de bois de construction qui appartiennent à la Prusse. Je n’ai pas besoin de vous dire que le principal est de commencer par le désarmement et par l’arrestation de tous les Anglais de naissance, même des banquiers anglais établis dans ce pays depuis vingt ans; ils doivent me répondre des voyageurs français arrêtés à la mer. Vous les enverrez tous en France. Votre commandement s’étendra jusqu’à Lubeck, où vous ferez la même opération. Le prince de Ponte-Corvo doit avoir évacué Lubeck pour venir à Berlin et vous consigner les canons et magasins pris dans cette ville. Vous aurez soin que mes intérêts soient gardés.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au général Mortier

Mon Cousin, je reçois vos lettres du 12 et 13. J’ai donné l’ordre au général Savary de se rendre devant Hameln pour prendre le commandement des troupes que vous y laissez, de les réunir devant cette place, de faire venir de Cassel le 12e d’infanterie légère, et d’en serrer vivement le blocus en construisant des redoutes et faisant venir de Rinteln des obusiers pour bombarder la place et la forcer à se rendre. Je pense que vous devez laisser devant Hameln toute la division hollandaise, hormis les deux tiers de la cavalerie, que vous devez garder. Je sais qu’elle peut vous être nécessaire. Ces mesures prises, votre corps, que je pense réuni actuellement à Hambourg, sera beau, puisqu’il sera composé des 2e et 4e d’infanterie légère, et d’un régiment italien, et des 22e, 65e et 72e de ligne et de vingt-quatre à trente pièces d’artillerie; tout cela doit vous faire prés de 14,000 hommes. Je fais donner ordre aux 15e et 5e, qui arrivent le 20 à Wesel, de se rendre à Hambourg. Mais je vous recommande de réunir tous les Hollandais devant Hameln; ce qui, joint au 12e d’infanterie légère, qui s’y rendra de Cassel, donnera au général Savary les moyens de prendre cette place, où je ne suppose pas qu’il y ait plus de 5,000 Prussiens.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au prince Jérôme

Mon Frère, le 2e de ligne bavarois est bien faible, ainsi que le et le 3e de ligne. Voyez les généraux bavarois, pour qu’ils fassent venir des recrues pour les compléter. Il doit y avoir dans la Silésie beaucoup de moyens d’habillement, et de manufactures où vous devez trouver des draps, des tanneries. Tout ce que vous pouvez réunir, il faut le diriger sur Küstrin.

 

Berlin, 16 novembre 1806

32e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Après la prise de Magdeburg et l’affaire de Lubeck, la campagne contre la Prusse se trouve entièrement finie.

Voici quelle était la situation de l’armée prussienne en entrant campagne.

Le corps du général Rüchel, dit de Westphalie, était composé de 33 bataillons d’infanterie, de 4 compagnies de chasseurs, de 45 escadrons de cavalerie, d’un bataillon d’artillerie et de 7 batteries, indépendamment des pièces de régiment.

Le corps du prince de Hohenlohe était composé de 24 bataillons prussiens et de 25 bataillons saxons, de 45 escadrons prussiens et de 36 escadrons saxons, de 2 bataillons d’artillerie, de 8 batteries prussiennes et de 8 batteries saxonnes.

L’armée commandée par le Roi en personne était composée d’une avant-garde de 10 bataillons et de 15 escadrons, commandée par le duc de Weimar, et de trois divisions. La première, commandée par le prince d’Orange, était composée de 11 bataillons et de 20 escadrons. La seconde division, commandée par le général Wartensleben, était composée de 11 bataillons et 15 escadrons. La troisième division, commandée par le général Schmettau, était composée de 10 bataillons et de 15 escadrons. Le corps de réserve de cette armée, que commandait le général Kalkreuth, était composé de deux divisions, chacune de 10 bataillons des régiments de la Garde ou d’élite, et de 20 escadrons.

La réserve, que commandait le prince Eugène de Wurtemberg, était composée de 18 bataillons et de 20 escadrons.

Ainsi le total général de l’armée prussienne était de 160 bataillons et de 236 escadrons, servis par 50 batteries; ce qui faisait, présents sous les armes, 115,000 hommes d’infanterie, 30,000 de cavalerie, et 800 pièces de canon, y compris les canons de bataillon.

Toute cette armée se trouvait à la bataille du 14, hormis le corps du duc de Weimar, qui était encore sur Eisenach, et la réserve du prince de Wurtemberg; ce qui porte les forces prussiennes qui se trouvaient à la bataille à 126,000 hommes.

De ces 126,000 hommes, pas un n’a échappé. Du corps du duc de Weimar, pas un homme n’a échappé. Du corps de réserve du duc de Wurtemberg, qui a été battu à Halle, pas un homme n’est échappé.

Ainsi ces 115,000 hommes ont tous été pris, blessés ou tués. Tous les drapeaux et étendards, tous les canons, tous les bagages, tous les généraux ont été pris, et rien n’a passé l’Oder. Le Roi, la Reine, le général Kalkreuth et à peine 10 ou 12 officiers, voilà tout ce qui s’est sauvé. Il reste aujourd’hui au roi de Prusse un régiment dans la place de Gross-Glogau, qui est assiégée, un à Breslau, un à Brieg, deux à Varsovie, et quelques régiments à Königsberg; en tout, à peu près 15,000 hommes d’infanterie et 3 ou 4,000 hommes de cavalerie. Une partie de ces troupes est enfermée dans des places fortes. Le Roi ne peut pas réunir à Königsberg, où il s’est réfugié dans ce moment, plus de 8,000 hommes.

Le souverain de Saxe a fait présent de son portrait au général Lemarois, gouverneur de Wurtemberg, qui, se trouvant à Torgau, a remis l’ordre, dans une maison de correction, parmi 600 brigands qui s’étaient armés et menaçaient de piller la ville.

Le lieutenant Lebrun a présenté hier à l’Empereur quatre étendards de quatre escadrons prussiens que commandait le général Pélet, et que le général Drouet a fait capituler du côté de Lauenbourg. Ils s’étaient échappés du corps du général Blücher.

La major Ameil, à la tête d’un escadron du 16e de chasseurs, envoyé par le maréchal Soult le long de l’Elbe pour ramasser ce qui pourrait s’échapper du corps du général Blücher, a fait un millier de prisonniers, dont 500 hussards, et a pris une grande quantité de bagages.

Voici la position de l’armée française : la division de cuirassiers du général d’Hautpoul, les divisions de dragons des généraux Grouchy et Sahuc, la cavalerie légère du général Lasalle, faisant partie de la réserve de cavalerie que le grand-duc de Berg avait à Lubeck, arrivent à Berlin.

La tête du corps du maréchal Ney, qui a fait capituler la place de Magdeburg, est entrée aujourd’hui à Berlin.

Les corps du prince de Ponte-Corvo et du maréchal Soult en route pour venir à Berlin. Le corps du maréchal Soult y arrivera le 20, celui du prince de Ponte-Corvo, quelques jours après.

Le maréchal Mortier est arrivé avec le 8e corps à Hambourg, pour fermer l’Elbe et le Weser.

Le général Savary a été chargé du blocus de Hameln, avec la division hollandaise.

Le corps du maréchal Lannes est à Thorn.

Le corps du maréchal Augereau est à Bromberg, et vis-à-vis Graudenz.

Le corps du maréchal Davout est en marche de Posen sur Varsovie, où se rend le grand-duc de Berg avec l’autre partie de la réserve de cavalerie, composée des divisions de dragons des généraux Beaumont, Klein et Beker, de la division de cuirassiers du général Nansouty, et de la cavalerie légère du général Milhaud.

Le prince Jérôme, avec le corps des alliés, assiégé Gross-Glogau. Son équipage de siège a été formé à Küstrin. Une de ses divisions a investit Breslau. Il prend possession de la Silésie.

Nos troupes occupent le fort de Lenczyca, à mi-chemin de Posen à Varsovie. On y a trouvé des magasins et de l’artillerie. Les Polonais montrent la meilleure volonté. Mais, jusqu’à la Vistule, ce pays est difficile; il y a beaucoup de sables. Pour la première fois, la Vistule voit l’aigle gauloise.

L’Empereur a désiré que le roi de Hollande retournât dans son royaume, pour veiller lui-même à sa défense.

Le roi de Hollande a fait prendre possession du Hanovre par le corps du maréchal Mortier. Les aigles prussiennes et les armes électorales en ont été ôtées ensemble.

 

Berlin, 16 novembre 1806

Au roi de Naples

Je donne ordre à M. Mollien de vous envoyer 500,000 francs en or, car votre aide de camp m’a dit que vous étiez pauvre.

Je ne réponds pas encore à la question que vous me faites, si Julie doit venir vous rejoindre; je me déciderai dans quelques jours.

Je vais essayer de former ici quelques régiments de Prussiens et d’Allemands pour votre service.

Toutes les nouvelles actuelles ont porté la consternation à Londres. L’occupation de Hambourg, que je viens d’effectuer, et la déclaration du blocus des îles britanniques accroîtront ce mal-être. Il paraît que les dernières élections sont dans le sens opposé au gouvernement.  Je ne vois pas pourquoi vous avez laissé revenir Assareto; j’ai ordonné qu’il fût éloigné de sa commune. Mes ordres ne sont pas exécutés. Il n’y a aucune espèce de suite dans la police; on agit sans règles ni principes fixes. Quand j’ai ordonné qu’il fût envoyé à trente lieues de Savone, il ne fallait pas l’y rappeler, surtout dans de nouveaux départements. C’est toujours à recommencer.

 

Berlin, 17 novembre 1806

A M. Fouché

Je ne sais quelle direction vous donnez à la police, mais tout cela est bien faible. Comment l’abbé Lefranc, soupçonné comme un ennemi prononcé du Gouvernement, dont vous avez ordonné l’arrestation, reste-t-il libre, parce qu’il est à la tête d’une maison d’éducation ? N’est-ce pas tolérer un empoisonneur, parce qu’il est dans une hôtellerie ?

Si vous aviez fait arrêter, après quelques jours d’observation, l’agent de Moreau à Paris, vous auriez su bien des choses. Il est singulier qu’ayant des moyens d’être instruit dans ce parti, ils aillent et tiennent à Paris sans difficulté.

 

Berlin, 17 novembre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, envoyez un courrier aux gouverneurs de Brunswick, de Minden, de Münster et de Bayreuth, pour qu’ils vous fassent connaître où en est la rentrée des contributions que j’ai frappées; tout le pays est désarmé, et les armes et l’artillerie envoyées France; si les anciennes armoiries ont été ôtées; si la justice rend en mon nom; enfin si la possession entière du pays a eu lieu. Il est indispensable qu’ils vous rendent ces comptes tous les jours. Recommandez-leur de veiller à ce qu’il n’y ait aucune dilapidation, que je n’en veux aucune, et que tout se fasse en règle.

 

Berlin, 17 novembre 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, j’ai dans l’armée soixante-huit régiments d’infanterie et soixante-deux de cavalerie, ce qui fait cent trente régiments. Mon intention est que vous attachiez à chacun de ces régiments un élite de l’école militaire de Fontainebleau, ce qui en emploiera cent trente. Ces cent trente jeunes gens employés, vous prendrez mes ordres pour le reste.

Ceux qui seront attachés aux régiments de cavalerie resteront un mois au dépôt de Potsdam, où ils seront très-utiles au général Bourcier, parce que ce sont tous des jeunes gens intelligents.

Quatre de ces jeunes gens, que vous choisirez parmi les pensionnaires, seront attachés à chacun des maréchaux, comme sous-lieutenants d’ordonnance, ce qui en emploiera encore quarante-deux.

Vous pourrez en placer vingt à l’état-major général pour suppléer aux cent vingt capitaines adjoints à l’état-major qui doivent exister et qui n’existent pas.

Il y a un grand nombre d’officiers d’état-major qui vous sont arrivés de l’intérieur, qui sont absolument incapables de faire ce service, soit par leur âge et leurs infirmités, soit par leur ignorance. Il faut leur donner des commandements de places et les remplacer par des jeunes gens qui, par leur âge, leur éducation et leur intelligence, sont plus en état de faire un rapport. Ainsi, vous voyez que, si le ministre Dejean avait encore deux cents élèves, on trouverait à les employer; car je serais bien aise d’en attacher un à chacun de mes dépôts en France, et, comme j’en ai cent soixante et dix-huit, cela m’en emploiera encore deux cents. En attachant les jeunes gens à l’état-major et aux maréchaux, j’entends bien qu’ils ne pourront pas rester là plus d’une année, et qu’ils seront, après, envoyés dans les corps à mesure qu’il y aura des vacances. Cette disposition, d’ailleurs, sera momentanée et pour la campagne.

 

Berlin, 17 novembre 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, j’ai donné des ordres pour que les deux cents jeunes gens de l’école militaire de Fontainebleau que vous avez envoyés reçoivent, à leur arrivée, une destination dans les corps d’infanterie et de cavalerie de l’armée. Faites-moi connaître si l’on pourrait en tirer deux cents autres, mais qui fussent capables d’instruire une recrue et qui sussent parfaitement l’école de bataillon.

Lorsque je suis passé à Metz, j’ai ordonné un changement pour l’école d’artillerie. On élève les officiers d’artillerie comme des officiers du génie; le savoir ne doit pas être le même. Donnez des ordres précis pour que dès les premiers jours on montre aux élèves destinés à l’artillerie l’exercice du fusil , l’école de peloton, l’exercice du canon, les manœuvres de force, les artifices, etc. , afin qu’ils soient, en six mois, capables d’entrer dans des compagnies et d’y rendre des services. Ce n’est pas que je ne pense que les élèves doivent rester deux ans à l’école; mais il est des circonstances où l’on peut avoir besoin deux, et il est alors nécessaire qu’ils sachent tout d’abord le nécessaire et l’indispensable du métier.

 

Berlin, 17 novembre 1806

A M. Cambacérès

Mon Cousin, vous verrez, dans le bulletin d’aujourd’hui, une suspension d’armes; ce n’est autre chose que pour asseoir mes quartiers d’hiver. Le prince de Bénévent vous enverra demain une communication à faire au Sénat, non sur cet objet, mais sur la politique générale du moment. J’imagine que vous ne recevrez cela que demain. Lorsque vous verrez les ministres, vous leur ferez connaître que ceci doit être pour eux une nouvelle raison d’activer la marche de la conscription et les autres moyens militaires. Vous voyez que notre position n’est pas mauvaise.

 

Berlin, 17 novembre 1806

33e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

La suspension d’armes ci-jointe a été signée hier à Charlottenburg. La saison se trouvant avancée, cette suspension d’armes assoit les quartiers de l’armée. Partie de la Pologne prussienne se trouve ainsi occupée par l’armée française et partie est neutre.

« S. M. l’Empereur des Français et Roi d’Italie, et S. M. le 1 de Prusse, en conséquence des négociations ouvertes depuis le 23 octobre dernier pour le rétablissement de la paix si malheureusement altérée entre elles, ont jugé nécessaire de convenir d’une suspension d’armes; et, à cet effet, elles ont nommé pour leurs plénipotentiaires, savoir : S. M. l’Empereur des Français, Roi d’Italie, le général de division Michel Duroc, grand cordon de la Légion d’Honneur, chevalier des ordres de l’Aigle-Noir et de l’Aigle-Rouge de Prusse et de la Fidélité de Bade, et grand maréchal du palais impérial; S. M. le Roi de Prusse, le marquis de Lucchesini, son ministre d’État, chambellan et chevalier des ordres de l’Aigle-Noir et l’Aigle-Rouge de Prusse, et le général Frédéric-Guillaume de Zastro, chef d’un régiment et inspecteur général d’infanterie, et chevalier des ordres de l’Aigle-Rouge et pour le Mérite; lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs, sont convenus des articles suivants :

ARTICLE ler. – Les troupes de S. M. le Roi de Prusse qui trouvent aujourd’hui sur la rive droite de la Vistule se réuniront sur Königsberg et dans la Prusse royale depuis la rive droite de la Vistule.

ART. 2. – Les troupes de S. M. l’Empereur des Français, Roi d’Italie, occuperont la partie de la Prusse méridionale qui se trouve sur la rive droite de la Vistule jusqu’à l’embouchure du Bug, Thorn, la forteresse et la ville de Graudenz, la ville et citadelle de Danzig, les places de Kolberg et de Lanczyca, qui leur seront remises pour sûreté; et en Silésie, les places de Glogau et de Breslau, avec la portion de cette province qui se trouve sur la rive droite de l’Oder, et la partie de celle située sur la rive gauche de la même rivière, qui aura pour limite une ligne appuyée à cette rivière, à cinq lieues au-dessus de Breslau, passant à Ohlau, Zobien, à trois lieues derrière Schweidnitz et sans le comprendre, et de là à Freyburg, Landshut et joignant la Bohème à Liebau.

ART. 3. – Les autres parties de la Prusse orientale ou nouvelle Prusse orientale ne seront occupées par aucune des armées, soit françaises, soit prussiennes ou russes, et, si des troupes russes s’y trouvaient, S. M. le Roi de Prusse s’engage à les faire rétrograder jusque sur leur territoire, comme aussi de ne pas recevoir des troupes de cette puissance dans ses États pendant tout le temps que durera la présente suspension d’armes.

ART. 4. – Les places de Hameln et Nienburg, ainsi que celles désignées dans l’article 2, seront remises aux troupes francaises avec leurs armements et munitions, dont il sera dressé un inventaire, dans les huit jours qui suivront l’échange des ratifications de la présente suspension d’armes. Les garnisons de ces places ne seront point prisonnières de guerre; elles seront dirigées sur Koenigsberg, et on leur donnera à cet effet toutes les facilités nécessaires.

ART. 5. – Les négociations seront continuées à Charlottenburg, et si la paix ne devait pas s’ensuivre, les deux hautes parties contractantes s’engagent à ne reprendre les hostilités qu’après s’en être réciproquement prévenues dix jours d’avance.

ART. 6. – La présente suspension d’armes sera ratifiée par les deux hautes puissances contractantes, et l’échange des ratifications aura lieu à Graudenz, au plus lard le 21 du présent mois.

En foi de quoi, les plénipotentiaires soussignés ont signé le présent, et y ont apposé leurs sceaux respectifs.

Fait à Charlottenburg, le 16 novembre 1806.

Duroc, Lucchesini, Zastrow

 

Berlin, 18 novembre 1806

A l’électeur de Saxe

Je reçois la lettre de Votre Altesse Électorale, du 16 novembre. Je me fie entièrement à sa promesse. Je regarde comme non avenues ces malheureuses dépêches du ministre anglais (Dépêches en date du 23 octobre 1806, dans lesquelles le ministre anglais à Dresde représente l’électeur de Saxe comme acceptant à regret l’alliance Napoléon. ). Je suis fâché qu’elles lui aient occasionné autant de peine. J’espère que je trouverai dans Votre Altesse la même loyauté qu’elle a portée jusque dans les engagements qu’elle a contractés, et elle trouvera dans moi les mêmes sentiments.

 

Berlin, 19 novembre 1806

RÉPONSE DE L’EMPEREUR AUX DÉPUTÉS DU PALATINAT DE POSEN

L’Empereur a répondu, entre autres choses :

Que la France n’avait jamais reconnu le partage de la Pologne; que, les événements de la guerre l’ayant amené dans ce pays, il trouvait conforme à ses principes d’y recevoir les représentants de cet antique royaume; que l’illustre nation polonaise avait rendu les plus grands services à l’Europe entière; que ses malheurs avaient été le résultat de ses divisions intestines; qu’il ne pouvait point leur promettre le rétablissement de leur indépendance, puisqu’il ne devait dépendre que d’eux; que, lorsqu’une grande nation, lorsque plusieurs millions d’hommes veulent être indépendants, ils réussissent toujours dans leur entreprise; que, comme Empereur des Français, il verra toujours avec un vif intérêt le trône de Pologne se relever et l’indépendance de cette grande nation assurer celle de ses voisins, menacée par l’ambition démesurée de la Russie; que cela dépend plus d’eux que de lui; que, si les prêtres, les nobles, les bourgeois veulent faire cause commune, et prennent la ferme résolution de triompher ou de mourir, il leur présage qu’ils triompheront; mais que des discours et des vœux stériles ne suffisent pas; que ce qui a été renversé par la force ne peut être rétabli que par la force; que ce qui a été détruit par le défaut d’union ne peut être rétabli que par l’union, et que, le principe politique qui a porté la Franc à désavouer le partage de la Pologne lui faisant désirer son rétablissement, les Polonais pouvaient toujours compter sur sa toute-puissante protection.

 

Berlin, 19 novembre 1806

Au général Lemarois

Monsieur le Général Lemarois, j’ai reçu votre lettre du 17. J’ai lu avec intérêt le rapport que vous m’avez envoyé. Je donne ordre que le corps des troupes de Bade qui était à Küstrin se rende à Stettin, ce qui portera votre garnison à 2,500 hommes. Faites exercer l’infanterie au tir du canon. Il doit y avoir une compagnie d’artillerie dans ces corps. Les mineurs doivent aussi savoir tirer le canon. Les détachements des corps du prince de Ponte-Corvo et du maréchal Lannes, vous pouvez les garder jusqu’à nouvel ordre; cela vous fera un petit renfort. Tenez la main à ce qu’il ne parte aucun homme sans ordre, car le déplacement fréquent des corps fatigue beaucoup les troupes; au lieu que, lorsque les corps seront réunis, j’ordonnerai à tous les détachements de rejoindre. Je désire que des enquêtes soient faites pour découvrir si l’on a vendu du drap; je veux punir cet abus.

Il faut que le commerce de Stettin paye; ce sont nos plus grands ennemis, ce sont eux qui ont voulu la guerre; ils peuvent très-bien payer dix millions; qu’ils commencent toujours par payer les cinq premiers.

 

Berlin, 19 novembre 1806

Sénateurs, nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les affaires générales de l’Europe, faire connaître à vous et à la nation les principes que nous avons adoptés comme règle de notre politique.

Notre extrême modération, après chacune des trois premières guerres, a été la cause de celle qui leur a succédé. C’est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième coalition, neuf mois après que la troisième avait été dissoute, neuf mois après ces victoires éclatantes que nous avait accordées la Providence, et qui devaient assurer un long repos au continent.

Mais un grand nombre des cabinets de l’Europe est plus tôt ou plus tard influencé par l’Angleterre; et sans une solide paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l’unique objet de notre vie. Aussi, malgré notre situation triomphante, nous n’avons été arrêté, dans nos dernières négociations avec l’Angleterre, ni par l’arrogance de son langage, ni par les sacrifices qu’elle a voulu nous imposer. L’île de Malte, à laquelle s’attachait pour ainsi dire l’honneur de cette guerre, et qui, retenue par l’Angleterre au mépris des traités, en était la première cause, nous l’avions cédée. Nous avions consenti ce qu’à la possession de Ceylan et de l’empire du Mysore l’Angleterre joignît celle du cap de Bonne-Espérance.

Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils de nos ennemis ont cessé d’être animés de la noble ambition de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de leur patrie, et la prospérité présente de leur patrie avec une prospérité durable; et aucune prospérité ne peut être durable pour l’Angleterre, lorsqu’elle est fondée sur une politique exagérée et injuste qui dépouillerait soixante millions d’habitants, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de toute navigation.

Immédiatement après la mort du principal ministre de l’Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir que la continuation des négociations n’avait plus d’autre objet que de couvrir les trames de cette quatrième coalition, étouffée dès sa naissance.

Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables de notre conduite de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne soit conclue, que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues, que les fondements de la puissance ottomane ne soient raffermis, et l’indépendance absolue de ce vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement consacrée.

Nous avons mis les îles britanniques en état de blocus, et nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à notre cœur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d’années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations; mais nous avons été contraint, pour le bien de nos peuples et de nos alliés, à opposer à l’ennemi commun les mêmes armes dont il se servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste sentiment de réciprocité, n’ont été inspirées ni par la passion ni par la haine. Ce que nous avons offert, après avoir dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous l’offrons encore aujourd’hui que nos armes ont obtenu de nouveaux triomphes. Nous sommes prêt à faire la paix avec l’Angleterre; nous sommes prêt à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut être conclue que sur des bases telles qu’elle ne permette à qui que ce soit de s’arroger aucun droit de suprématie à notre égard, qu’elle rende les colonies à leur métropole, et qu’elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la prospérité à laquelle ils doivent atteindre.

Et si l’ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce retard, il paraîtra long à notre cœur. Mais nous sommes certain que nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques, qu’ils jugeront avec nous qu’une paix partielle n’est qu’une trêve qui nous fait perdre tous nos avantages acquis pour donner lieu à une nouvelle guerre, et qu’enfin ce n’est que dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur.

Nous sommes dans un de ces instants importants pour la destinée des nations; et le peuple francais se montrera digne de celle qui l’attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné de vous proposer, et qui mettra à notre disposition, dans les premiers jours de l’année, la conscription de 1807, qui, dans les circonstances ordinaires, ne devait être levée qu’au mois de septembre, sera exécuté avec empressement par les pères comme par les enfants. Et dans quel plus beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français ? Ils auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux, les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de leurs aînés.

 

Berlin, 21 novembre 1806

A M. de Talleyrand

Monsieur le Prince de Bénévent, voici le décret relatif au blocus de l’Angleterre. Envoyez-le par un courrier extraordinaire à mes ministres à Hambourg, en Hollande, à Madrid, en Toscane et à Naples, et insistez pour que dans chacun de ces pays les mêmes mesures soient prises. Vous ferez à ce sujet des notes qui pourront être imprimées.  Donnez ordre à mon chargé d’affaires en Danemark de faire connaître que je n’entends pas violer les traités, mais que j’espère que le cabinet de Copenhague ne tolérera ni l’établissement d’aucun courrier réglé ni aucun bureau de poste anglaise en Danemark. Il est convenable que mon chargé d’affaires ne se tienne pas à Copenhague, mais auprès du prince royal, auquel il faut insinuer qu’il n’a pas besoin de tant de troupes, et qu’il doit les diminuer; que, si elles sont contre moi, ce serait fort peu de chose; mais que, n’ayant plus rien à craindre de la Prusse ou de la Russie, c’est
beaucoup trop; que je ne m’oppose pas à un cordon pour contenir les maraudeurs, mais que 4 ou 5,000 hommes sont suffisants; qu’il doit trouver sa garantie dans sa bonne conduite et dans l’amitié de la France.

(lire le décret de Berlin)