Correspondance de Napoléon – Mai 1803
Saint-Cloud, 19 mai 1803
Au général Lagrange
J’ai reçu de vous différentes lettres, Citoyen Général, et spécialement celle datée de Boulogne. Je désire beaucoup plus de détails; au moins quatre pages de chaque ville où vous couchez.
Vous me dites que la 22e de ligne a reçu 1,000 conscrits; j’ai peine à le croire, mes états n’en portent que 550.
J’aurais voulu, sur Boulogne et Calais, de très-grands détails.
Faites votre course lentement, voyez beaucoup, et écrivez-moi tout ce que vous voyez.
Saint-Cloud, 13 mai 1803
Au contre-amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies
J’apprends, Citoyen Ministre, que, sur 16,000 toises cubes qui devaient être faites, cette année, à Cherbourg, il n’y en a encore que 4,000.
Il est donc nécessaire que vous preniez de nouvelles mesures pour achever ces travaux, afin que, dans le courant de la campagne, les 100 toises de digue qu’on avait promis d’élever le soient effectivement et puissent porter des canons.
Il est aussi convenable que vous vous fassiez instruire quelle est la portion de la digue qu’on élèvera immédiatement après les 100 toises arrêtées.
Paris, 12 mai 1803
A l’ambassadeur d’Angleterre
Le soussigné est chargé de faire connaître à Son Excellence lord Withworth, ambassadeur de Sa Majesté Britannique, que, le Premier Consul ayant proposé, dans la note du 14 de ce mois, que l’île de Malte fût remise dans les mains d’une des trois puissances garantes, la Russie, l’Autriche ou la Prusse, il ne suffirait pas, pour écarter cette proposition, d’arguer du refus que ferait S. M. l’empereur de Russie de recevoir ce dépôt, puisqu’il resterait à connaître les intentions de LL. MM. l’empereur d’Allemagne et le roi de Prusse;
Que, d’ailleurs, l’assertion contenue dans la note de Son Excellence, en date du 20 de ce mois, et qui est exprimée en ces termes, “Par le refus de S. M. l’empereur, de Russie de s’y prêter”, est entièrement contraire à la garantie que Sa Majesté Impériale a formellement offerte, sous la condition de quelques légers changement que le Premier Consul n’a fait aucune difficulté d’adopter, et auxquels il est à sa connaissance que le ministère anglais s’est refusé, méditant sans doute alors l’étrange prétention de garder Malte;
Que, de plus, cette assertion se trouve encore en opposition absolue avec les assurances que le Premier Consul a reçues de Pétersbourg, depuis que le message de Sa Majesté Britannique y a été connu, et qui viennent de lui être renouvelées par une communication authentique que M. le comte de Markof a donnée hier des intentions de sa cour;
D’où il résulte qu’il est impossible de concilier la dernière transmission faite par Son Excellence lord Withworth avec la nouvelle confirmation qui vient d’être acquise des dispositions de S. M. l’empereur de Russie, et qu’on ne peut se refuser à croire que Sa Majesté Britannique, mieux informée, sera elle-même empressée à faire donner à Son Excellence des instructions différentes de celles qu’elle a reçues et communiquées au nom de son Gouvernement.
Saint-Cloud, 13 mai 1803
Au citoyen Talleyrand, ministre des relations extérieures
Envoyez, Citoyen Ministre, la note à lord Withworth et au général Andréossy; envoyez-la aussi en Espagne et en Hollande.
Donnez ordre au général Andréossy que, lorsqu’il sera assuré que le Gouvernement anglais a communication de cette note; il fasse connaître, par le citoyen Schimmelpenninck ou par tout autre moyen indirect, que, si l’Angleterre rejette absolument la proposition de remettre Malte à une des puissances garantes, on ne serait pas éloigné ici d’adopter que l’Angleterre resterait à Malte pendant dix ans et que la France occuperait la presqu’île d’Otrante et les positions qu’elle occupait, au moment de la signature du Traité d’Amiens, dans le royaume de Naples, pendant le même espace de temps; ainsi, il serait autorisé à signer une convention dans ces propres termes :
Le Premier Consul, au nom du Peuple français, et Sa Majesté Britannique, animés du désir de maintenir la paix si heureusement rétablie à Amiens, conviennent de ce qui suit :
- Les troupes de Sa Majesté Britannique pourront occuper l’île de Malte pendant dix ans.
II. Les troupes françaises occuperont, pendant le même espace de temps, les positions de Tarente et d’Otrante, telles qu’elles les occupaient au moment de la signature du traité d’Amiens et qu’elles n’ont évacuées qu’en conséquence de l’article 11 dudit traité.
III. La présente convention sera ratifiée dans l’espace d’un mois ou de quinze jours, si faire se peut.
Faites connaître au général Andréossy, 1° qu’il est important que, si cette proposition ne peut réussir, il n’en fasse aucune communication qui en laisse des traces, et qu’on puisse toujours nier ici que le Gouvernement ait pu adhérer à cette proposition; 2° qu’il est autorisé à faire ces ouvertures dans le cas où il ne lui en aurait pas été fait quelque autre de la part de l’Angleterre, ou que les hostilités n’auraient pas recommencé.
On s’en remet donc entièrement à lui sur le parti à prendre, et on ne saurait lui recommander trop de prudence.
Recommandez-lui spécialement de se servir du citoyen Schimmelpenninck; et, en parlant à lord Hawkesbury, il doit lui dire qu’il n’a pas d’autorisation précise, mais qu’il met sa responsabilité en avant, qu’il se fait fort de signer et qu’il ne sera pas désavoué.
Saint-Cloud, 13 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
J’ai lu le rapport du général Chasseloup sur la situation d’Alexandrie à la fin de l’an XII. Le général Menou a ordre de prendre toutes les mesures pour activer les travaux de cette place. J’y ai mis un grand nombre d’hommes en garnison, et je ne ferais point de difficulté de l’augmenter sur la demande du général Chasseloup. Si les 200,000 francs par mois ne suffisent pas, j’augmenterai les fonds.
Mandez au général Chasseloup de diriger les travaux de manière que la place se trouve dans la situation qu’il a décrite pour le mois de mai de l’année prochaine.
Le roi de Sardaigne ayant toujours fait construire des forteresses, on doit trouver des moyens immenses aux environs de Suse, Fenestrelle, Coni, etc. Il doit y avoir des entrepreneurs et des ouvriers; le général Chasseloup doit les réunir tous; et, dût-on dépenser le double des fonds accordés, j’y ferai fournir. Je considère cette place comme tout : le reste de l’Italie est affaire de guerre; cette place est affaire de politique.
Demandez au général Chasseloup un plan arrêté de ses projets, que je veux avoir sous les yeux, et faites-vous adresser, chaque mois, une note de ce qui a été fait.
Écrivez au général Menou que, si le général Chasseloup le lui demande, il requière tous les entrepreneurs et ouvriers qui auraient travaillé aux forteresses du Piémont, pour les employer aux fortifications d’Alexandrie.
Désignez le général Robin pour commander le cantonnement d’Alexandrie.
Faites connaître au général Chasseloup que j’ai approuvé ses observations, et que, cette année on travaillera au mont Genèvre; car avant d’entreprendre d’autres communications, il nous en faut une de sûre.
Saint-Cloud , 13 mai 1803
Au général Berthier
Le camp de Nimègue se mettra en marche pour se rendre à Coelverde, où il sera arrivé le ler ou le 2 prairial.
Le général commandant (il s’agit de Mortier) prendra les mesures nécessaires pour faire transporter à Coeverden quatre jours de vivres et six jours de biscuit, de manière à pouvoir, douze heures après la réception d’un courrier, se mettre en marche avec ses vivres.
Il prendra toutes les informations nécessaires sur la route qu’il doit tenir pour occuper le Hanovre en passant par Meppen, et ayant soin de ne pas passer sur le territoire prussien.
Il enverra des agents pour connaître le mouvement que pourront faire les Hanovriens, et les positions qu’ils prennent.
Paris, 13 mai 1803
Au général Clarke, ministre de France à Florence
L’ambassadeur d’Angleterre en France, Citoyen Ministre, vient de quitter Paris.
La guerre n’est cependant pas encore déclarée; mais cette conduite de l’ambassadeur, déterminée par des ordres de son Gouvernement, exige des précautions sur le résultat desquelles il sera statué selon le parti que prendra le Gouvernement anglais.
En conséquence, le Premier Consul m’a ordonné de vous faire savoir que son intention est qu’un embargo général soit mis dans les ports dépendants de Sa Majesté le roi de Toscane.
Les bâtiments chargés pour le compte de l’Angleterre ne devront éprouver aucune molestation; mais l’intention du Premier Consul est qu’il soit veillé à ce que ces bâtiments ne puissent disposer, jusqu’à nouvel ordre, d’aucune partie de la cargaison.
Telles sont, Citoyen, les dispositions que le Premier Consul m’a ordonné de vous faire connaître, pour que vous pourvoyiez à leur exécution.
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Même lettre au citoyen Semonville pour la République ligurienne, et au citoyen Salliceti pour la République batave.
Paris, 14 mai 1803
Au citoyen Marescalchi, ministre des relations extérieures de la République Italienne
L’ambassadeur d’Angleterre ayant quitté Paris, le citoyen Talleyrand lui a remis la note ci-jointe, qui est une récapitulation de toute la négociation.
Je désire que vous l’expédiiez par un courrier extraordinaire, pour être communiquée à la Consulte d’État en comité secret, et sans que, sous quelque prétexte que ce soit, il en soit donné aucune copie, ni aucune communication à toute autre personne qu’aux membres de la Consulte, désirant ne faire aucune communication publique avant que l’ambassadeur de la République soit de retour à Calais.
Saint-Cloud, 15 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Je vous prie, Citoyen Ministre, de témoigner mon extrême mécontentement au général Olivier (Jean-Baptiste Olivier, 1765-1813 ) qui commande à Livourne, pour avoir donné une garde d’honneur à lord Elgin. Il ne connaît point lord Elgin et ne doit de garde d’honneur à personne, si ce n’est au roi d’Étrurie, dans les États duquel il se trouve employé. Je n’ai pu qu’être extrêmement peiné de voir qu’un général aussi distingué ai traité avec la plus grande faveur un des plus grands ennemis de la nation.
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au citoyen Régnier, Grand-Juge, ministre de la justice
Je vous envoie, Citoyen Ministre, un rapport qui m’a été fait. Je vous prie de donner ordre au commissaire du Gouvernement près le tribunal criminel de Maestricht, sans dire de quelle source vous viennent ces renseignements, qu’une enquête générale soit faite pour constater l’existence du corps du délit. Évitez de parler du général Charbonnier, parce qu’il peut être innocent. J’attache la plus grand importance à cette affaire, parce qu’elle tient à la sûreté publique et à l’existence de l’armée.
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au citoyen Gaudin, ministre des finances
Je vous prie, Citoyen Ministre, de porter la pension de Madame d’Orléans-Bourbon à 100,000 francs par an, à compter du ler vendémiaire an X
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au général Lannes (Lannes est alors ambassadeur à Lisbonne)
Citoyen général, je reçois à l’instant votre lettre du 27 germinal. J’ai vu ce matin le citoyen Gueheneue, qui arrive de Londres, et qui m’a appris que tous vos différends étaient arrangés à Lisbonne.
L’ambassadeur d’Angleterre est parti jeudi; mais il est encore aujourd’hui à Calais. Je n’ai pas encore de nouvelles qu’Andréossy ait quitté Londres. Ainsi, tout n’est pas encore définitivement décidé. Cependant il y a peu d’espoir pour la paix, l’arrogance et l’injustice du cabinet anglais n’ayant aucune limite.
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Remettez cette lettre au prince.
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au prince Régent de Portugal
J’ai reçu les différentes lettres qu’il a plu à votre Altesse Royale de m’écrire. J’y ai vu avec plaisir les sentiments qu’elle m’y témoigne.
Les circonstances actuelles deviennent de plus en plus graves, et la guerre est sur le point de se rallumer entre la France et l’Angleterre. J’ai tout fait pour épargner au monde cette calamité, mais l’Angleterre s’est refusée à l’exécution du traité d’Amiens. Le ministre de la RéPublique à Lisbonne fera connaître à Votre Altesse Royale la marche de la négociation dans cette circonstance extraordinaire. Toutes les Puissances intéressées à l’indépendance de l’ordre de Malte doivent réunir leurs efforts, et et suis autorisé à compter sur les sentiments que Votre Altesse Royale a bien voulu témoigner.
A l’électeur de Salzburg
J’ai reçu la lettre qu’il a plu à votre Altesse Royale de m’écrire le 24 avril. Je la prie de recevoir mon compliment sur son installation à Salzburg. Je lui désire bien sincèrement tout le bonheur qu’elle mérite, et qu’elle fera éprouver à ses peuples par son gouvernement doux et paternel. La France a été dix ans en lutte avec la Maison d’Autriche; tout est enfin terminé. Il ne tiendra pas à moi que les deux États ne recommencent une nouvelle époque sur des principes différents. Au reste, quelle que soit la marche que suivront les deux cabinets de Vienne et de Paris, je verrai toujours avec une extrême satisfaction que le cabinet de Votre Altesse Royale se conduise d’après les principes qui lui sont propres.
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au landammann de Suisse
Monsieur Louis d’Affry, Landammann de la Suisse, j’ai reçu votre lettre du 22 avril, que m’a remise le colonel Rapp. Dans les circonstances actuelles, où la guerre entre la France et l’Angleterre est sur le point de se déclarer, je ne veux vous laisser aucun doute sur la justice de la guerre que la France est obligée de faire. Je vous envoie, pour vous seul, la note qui a été remise à lord Withworth, au moment de son départ de Paris.
Je vous prie d’être toujours convaincu du désir que j’ai de faire ce qui peut être agréable à votre pays, et à vous en particulier..
Saint-Cloud, 17 mai 1803
A S. S. le Pape
Très-saint Père, je remercie Votre Sainteté de la nomination des cardinaux français qu’elle a bien voulu faire.
J’ai reçu avec un véritable plaisir le dessin que l’ablégat m’a remis. Autant j’ai eu de plaisir, il y a un an, d’instruire Votre Sainteté de la paix conclue avec l’Angleterre, autant j’éprouve de peine aujourd’hui à lui annoncer que la guerre est près de troubler l’Europe, par l’injustice des Anglais qui, au mépris des traités, ne veulent pas évacuer Malte.
Votre Sainteté verra, par la copie de la dernière note remise à l’ambassadeur d’Angleterre et que je joins ici pour elle seule, que j’ai été poussé à bout. L’ambassadeur d’Angleterre a quitté Paris jeudi passé.
Le ministre de la République fera une demande à Votre Sainteté d’un passage de troupes par la Marche d’Ancône, pour se rendre dans le royaume de Naples. Mais cela ne doit porter en rien préjudice ni aux États ni aux finances du Saint-Siège.
J’apprendrai avec grand intérêt que Votre Sainteté juge que, dans cette circonstance, je ne suis point la cause de la guerre, ni des malheurs qui pourront en résulter, et que j’y ai été en tout contraint et obligé.
Il me reste à faire à Votre Sainteté un nouveau remerciement sur son bref pour le Piémont.
Saint-Cloud, 17 mai 1803
Au cardinal Consalvi
Monsieur le cardinal Consalvi, Secrétaire d’État de Sa Sainteté, j’ai reçu votre lettre du 31 janvier. Je vous remercie des sentiments que vous m’y exprimez. Je désire trouver des occasions qui puissent me mettre à même de vous donner des preuves de l’estime particulière que je vous porte. Vos bons conseils et vos talents sont utiles à l’Église, et je ne puis que me louer de la direction que vous donnez à la chancellerie de Rome. Vous pouvez donc compter sur mon assistance, et le Saint-Père me trouvera toujours, en fidèle et zélé enfant de l’Église, disposé à faire tout ce qui peut contribuer à sa prospérité.
Paris, 19 mai 1803
DÉCISION
Mauduit, de Rouen, présente au Premier Consul une pièce d’harmonie sur son passage dans le département de la seine-inférieure. | Renvoyé à M. Paesiello, pour me rendre compte si la musique en est bonne. |
Paris, 20 mai 1803
MESSAGE AU SÉNAT
L’ambassadeur d’Angleterre a été rappelé; forcé par cette circonstance, l’ambassadeur de la République a quitté un pays où il ne pouvait plus entendre des paroles de paix.
Dans ce moment décisif, le Gouvernement met sous vos yeux, il mettra sous les yeux de la France et de l’Europe ses premières relations avec le ministère britannique, les négociations qui ont été terminées par le traité d’Amiens, et les nouvelles discussions qui semblent finir par une rupture absolue.
Le siècle présent et la postérité y verront tout ce qu’il a fait pour mettre un terme aux calamités de la guerre, avec quelle modération, avec quelle patience il a travaillé à en prévenir le retour.
Rien n’a pu rompre le cours des projets formés pour rallumer la discorde entre les deux nations.
Le traité d’Amiens avait été négocié au milieu des clameurs d’un parti ennemi de la paix. A peine conclu, il fut l’objet d’une censure amère; on le représenta comme funeste à l’Angleterre, parce qu’il n’était pas honteux pour la France. Bientôt on sema des inquiétudes, on simula des dangers sur lesquels on établit la nécessité d’un état de paix tel qu’il était un signal permanent d’hostilités nouvelles. On tint en réserve, on stipendia ces vils scélérats qui avaient déchiré le sein de leur patrie, et qu’on destine à le déchirer encore. Vains calculs de la haine ! Ce n’est plus cette France divisée par les faction et tourmentée par les orages : c’est la France rendue à la tranquillité intérieure, régénérée dans son administration et dans ses lois, prête à tomber de tout son poids sur l’étranger qui osera l’attaquer, et se réunir contre les brigands qu’une atroce politique rejetterait en encore sur son sol pour y organiser le pillage et les assassinats.
Enfin un message inattendu a tout à coup effrayé l’Angleterre d’armements imaginaires en France et en Batavie, et supposé des discussions importantes qui divisaient les deux gouvernements, tandis qu’aucune discussion pareille n’était connue du Gouvernement français.
Aussitôt des armements formidables s’opèrent sur les côtes et dans les ports de la Grande-Bretagne; la mer est couverte de vaisseaux de guerre; et c’est au milieu de cet appareil que le cabinet de Londres demande à la France l’abrogation d’un article fondamental du traité d’Amiens.
Ils voulaient, disaient-ils, des garanties nouvelles, et ils méconnaissaient la sainteté des traités dont l’exécution est la première des garanties que puissent se donner les nations.
En vain la France a invoqué la foi jurée; en vain elle a rappelé les formes reçues parmi les nations; en vain elle a consenti à fermer les yeux sur l’inexécution actuelle de l’article du traité d’Amiens dont l’Angleterre prétendait s’affranchir; en vain elle a voulu remettre à prendre un parti définitif jusqu’au moment où l’Espagne et la Batavie, toutes deux parties contractantes, auraient manifesté leur volonté; vainement, enfin, elle a proposé de réclamer la médiation des puissances qui avaient été appelées à garantir et qui ont garanti en effet la stipulation dont l’abrogation était demandée : toutes les propositions ont été repoussées, et les demandes de l’Angleterre sont devenues plus impérieuses et plus absolues.
Il n’était pas dans les principes du Gouvernement de fléchir sous la menace; il n’était pas en son pouvoir de courber la majesté du peuple français sous des lois qu’on lui prescrivait avec des formes si hautaines et si nouvelles. S’il l’eût fait, il aurait consacré pour l’Angleterre le droit d’annulé, par sa seule volonté, toutes les stipulations qui l’obligent envers la France; il l’eût autorisée à exiger de la France des garanties nouvelles à la moindre alarme qu’il lui aurait plu de se forger; et, de là, deux nouveaux principes qui se seraient placés dans le droit public de la Grande-Bretagne, à côté de celui par lequel elle a déshérité les autres nations de la souveraineté commune des mers et soumis à ses lois et à ses règlements l’indépendance de leurs pavillons.
Le Gouvernement s’est arrêté à la ligne que lui ont tracée ses principes et ses devoirs. Les négociations sont interrompues, et nous sommes prêts à combattre si nous sommes attaqués.
Du moins nous combattrons pour maintenir la foi des traités et pour l’honneur du nom français.
Si nous avions cédé à une vaine terreur, il eût fallu bientôt combattre pour repousser des prétentions nouvelles; mais nous aurions combattu déshonorés par une première faiblesse, déchus à nos propres yeux et avilis aux yeux d’un ennemi qui nous aurait une fois fait ployer sous ses injustes prétentions.
La nation se reposera dans le sentiment de ses forces. Quelles que soient les blessures que l’ennemi pourra nous faire dans des lieux où nous n’aurons pu ni le prévenir ni l’atteindre, le résultat de cette lutte sera tel que nous avons droit de l’attendre de la justice de notre cause et du courage de nos guerriers.
Saint-Cloud, 21 mai 1803
Au citoyen Barbé-Marbois, ministre du trésor public
Sur les 240,000 francs, Citoyen Ministre, que doivent les six banquiers du trésor public, 48,000 francs seront donnés en gratification, conformément à ma lettre de ce jour; 192,000 francs seront à votre disposition pour suppléer à l’insuffisance de votre traitement, ayant l’intention que vous voyiez dans cette disposition le désir que j’ai de vous témoigner ma satisfaction de vos travaux importants et du bon ordre que vous avez mis dans votre ministère, qui ont valu à la République un grand nombre de millions.
Saint-Cloud, 21 mai 1803
DÉCISION
Rapport sur les inconvénients de la suppression de la succursale des Invalides en Avignon | Renvoyé au général Dejean. Dans les moments actuels, il paraîtrait convenable de laisser ces 700 invalides à Avignon, d’abord pour servir de point de réunion pour les gens du Midi, et pour éviter ces inconvénients de voyages qui sont d’un mauvais effet. |
Saint-Cloud, 21 mai 1803
Au contre-amiral Decrès, ministre de la marine et des colonies
Je vous prie, Citoyen Ministre, d’envoyer quatre lettres de marque à la disposition du général commandant à l’île d’Elbe, six au général commandant la 23e division militaire (La Corse), une au ministre de la République à Gênes, une à l’agent commercial de la République à Ancône, quatre au général Murat, commandant les troupes françaises en Italie. Ces lettres seront données en blanc, pour qu’ils puissent être à même de profiter de toutes les occasions, et de ne perdre aucun moment pour faire au commerce anglais tout le tort possible.
Je vous prie d’en envoyer également quatre au général Victor, commandant les troupes françaises en Hollande, quatre au généra Mortier, commandant le camp de Nimègue, pour qu’ils puissent en disposer dès l’instant qu’ils pourront arriver sur les côtes.
Recommandez au général Murat de les distribuer principalement à des armateurs qui voudraient armer dans les petits ports d’Italie afin de rendre difficile et périlleux aux Anglais le commerce l’Adriatique.
Paris, 22 mai 1803
Au citoyen Marescalchi, ministre des relations extérieures de la République Italienne
Je vous remets ci-joint l’arrêté de ce jour, que vous adresserez par un courrier extraordinaire, à la Consulte d’État, pour qu’il soit publié aussitôt qu’il aura été reçu.
Toutes les marchandises anglaises qui se trouveront dans la République italienne seront confisquées au profit de la République, et tous les Anglais qui s’y trouveront seront arrêtés et constitués prisonniers de guerre. Vous vous adresserez au ministre de la marine, pour qu’on vous remette le modèle des lettres de marque; vous me le présenterez demain. Vous annoncerez que vous en enverrez d’abord vingt, et ensuite autant qu’il sera jugé nécessaire, au ministre de la guerre faisant les fonctions de ministre de la marine.
L’état des prisonniers vous sera envoyé par le ministre de la guerre. Ceux qui ne seraient pas reçus sur leur parole seront envoyés au fort Urbain. En général, on n’en laissera aucuns sur leur parole au delà du pont du Tessin; on les enverra sur Novare.
Comme le commerce des Anglais sera fort actif dans l’Adriatique, parce qu’il sera une de leurs principales ressources, faites connaître au vice-président qu’il faut encourager les armements en course.
Vous verrez le citoyen Berlier, président du conseil des prises, pour qu’il vous fasse connaître l’organisation de ce conseil, afin qu’il en soit établi un semblable à Milan.
Le citoyen Maret, secrétaire d’État, vous fera passer une copie du règlement qui a été fait pour l’armement en course. Le vice-président pourra en faire faire un pareil par le conseil législatif.
Il est aussi nécessaire de prendre des mesures pour que l’introduction des marchandises anglaises soit prohibée.
Saint-Cloud, 22 mai 1803
Au général Berthier, ministre de la guerre
Je vous prie, Citoyen Ministre, de donner ordre que les 252 hommes partis du dépôt colonial du Havre pour Saint-Domingue, et qui ont relâché à Cherbourg, soient transférés aux îles Marcouf. Vous donnerez ordre que la garnison de ces îles soit au moins de 500 hommes. Les 250 hommes seront incorporés dans les demi-brigades qui fournissent garnison aux îles Marcouf. On les placera dans des compagnies qui restent dans ces îles, afin qu’ils aient le temps de s’accoutumer au service.
Saint-Cloud, 22 mai 1803
Au général Berthier
Il sera nommé un commandant d’armes de 4e classe dans l’île de Bréhat. Les batteries de cette île seront augmentées de quatre pièces de 36, de trois de 18 et de trois de 12, et de six mortiers à grande portée; de manière qu’il y aura dans cette île dix pièces de 36, dix de 18 et quatre de 12. Il y sera tenu, non compris les habitants, une garnison de 300 hommes, qui sera approvisionnée pour trois mois. Je vous prie de donner ordre que l’artillerie et la garnison soient établies sous quinze jours dans cette île, et de recommander au général commandant le département une surveillance particulière sur ce point.
Paris, 22 mai 1803
Au contre-amiral Ganteaume, préfet maritime à Toulon
Les hostilités déjà commencées par l’Angleterre, Citoyen Préfet, appellent la sollicitude du Gouvernement sur le commerce de Marseille, et doivent y fixer la vôtre. L’intention du Premier Consul est que tous les bâtiments de guerre disponibles soient constamment en appareillage, que les capitaines soient prêts à mettre sous voiles à toute heure de jour et de nuit, et que le port de Marseille, particulièrement, ne puisse être bloqué par des forces inférieures à celles qui sont disponibles à Toulon. Et, comme il a été observé qu’à la distance où vous êtes du siège du Gouvernement, l’attente de ses ordres peut paralyser nos forces dans des moments où leur emploi subit serait utile, je vous préviens que vous êtes autorisé d’avance à les employer selon l’exigence des cas qui pourront survenir.
Les équipages doivent être retenus à bord. Vous tiendrez la main à ce que les capitaines y tiennent leur table, que les officiers y fassent leur résidence, et que, sous aucun prétexte, aucun commandant, officier ou maître employé sur un bâtiment de guerre, puisse en découcher par une autre raison que celle du service, ce qui ne peut arriver que très-extraordinairement. Toutes les embarcations devront, tous les soirs, être mises à bord, au coucher du soleil, et celles qui ne reviendront que plus tard, être embarquées immédiatement après leur arrivée, conformément aux règlements et à ce qu’exige l’ordre naturel du service.
Je vous préviens, Citoyen Préfet, que ces dispositions sont impérativement commandées par le Premier Consul, et que leur exécution est mise sous votre responsabilité personnelle.