Tascher – Juin 1808
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“Toujours plus au sud, après Trembleque.). – Ce village assez considérable a presque, comme tous ceux d’Espagne, une place carrée environnée d’arcades, mais ici (comme à Tembleque et Dos Barrios), la galerie de pierre est surmontée de deux autres galeries en bois, toutes troi…”
Le 1er juin. – Tembleque ((Ville située au sud de Madrid, après avoir traversé Aranjuez.)), 4h et demie. – Les Espagnols donnent le nom de Manche au pays compris entre le Tage et les montagnes qui bordent l’Andalousie. Nous voilà donc enfoncés dans la Manche, patrie du grand Don Quichotte, patron des aventuriers.
Et ce n’est peut-être pas le seul trait de ressemblance que notre histoire offre avec la sienne. Au reste, je crois que nous aurons moins d’efforts à faire pour désenchanter les Espagnols qu’il ne lui en a fallu pour désenchanter Dulcinée; notre vue seule a le pouvoir de l’épée d’Amadis et il suffit de voir nos chevaliers errants pour que le charme soit détruit. Dans ce nouveau roman héroïque, le principal personnage se tient à l’écart: c’est le pauvre peuple. Et nous qui jouons le rôle de Sancho Pança, nous recevons les étrivières.
Le 2 et le 3. – Madridejos ((Toujours plus au sud, après Trembleque.). – Ce village assez considérable a presque, comme tous ceux d’Espagne, une place carrée environnée d’arcades, mais ici (comme à Tembleque et Dos Barrios), la galerie de pierre est surmontée de deux autres galeries en bois, toutes trois destinées à recevoir les nombreux spectateurs qu’y attirent les combats de taureaux que les Espagnols aiment avec une passion qui tient de la fureur.
Les environs de Madridejos sont bien cultivés; ils offrent de très beaux potagers, coupés et continuellement arrosés par des rigoles, entretenues au moyen de chapelets que des mulets font mouvoir. Il y a aussi aux environs plusieurs petits bois d’ormes fort touffus, dont la saison et le pays rendent l’ombrage encore plus précieux. Ces bosquets, ces potagers prouvent évidemment que si la nature est stérile et ingrate en ce pays, c’est bien moins sa faute que celle des habitants qui ne savent pas en tirer parti, ou celle du gouvernement, qui les laisse croupir dans la paresse et l’ignorance.
Madridejos a aussi son prado, dont les arbres sont fort beaux. Cette promenade est terminée par une église que j’ai été visiter. Les murs de cette église sont tapissés de tableaux, de chevelures qui ont été attachés en ex-voto. Passe encore pour cela, mais on y voit en outre exposée une infinité de têtes, de pieds, de mains, de bras, de jambes, de seins féminins, modelés en cire. Je respecte le motif qui a dirigé l’hommage de ces objets; l’être souffrant a été soulagé, l’espérance est rentrée au cœur des malheureux, leur reconnaissance est une dette sacrée; mais comment ceux qui par leur état et leurs lumières devraient éclairer et diriger la religion du peuple, souffrent-ils des usages et des abus qui peuvent appeler le ridicule sur cette même religion? L’Espagne est de tous les États de la chrétienté, celui où il y a le plus de momeries, d’hypocrisie, d’affectation et le moins de véritable religion; tout le culte y consiste en un vain étalage, auquel les Espagnols tiennent avec toute la force du fanatisme, Leur main, lorsqu’elle n’est pas occupée à faire le signe de la croix, est toujours sur leur stylet. Toutes les chambres sont remplies avec profusion de crucifix, d’images de saints et de la Vierge (surtout des images de Notre-Dame des Sept Douleurs), et lorsqu’ils ont envie de faire quelque action que réprouveraient ces images, ils tirent un rideau sur elles, ou leur jettent un voile, et se croient alors exempts de péché. Voici une petite anecdote qui prouvera cette manière de lever les scrupules.
A Madrid, un officier est conduit chez une femme de moyenne vertu. Après quelques moments de tête à tête, il veut pousser l’aventure, jusqu’où elle devait naturellement le conduire; il a la surprise de trouver une résistance qui, vu le lieu et la personne à laquelle il avait affaire, n’était ni probable ni placée. Enfin pour terminer, on le prend par le cou, on le fait mettre à genou devant une image de la Vierge et on lui fait réciter un Ave Maria. On voile ensuite l’image et les autres tableaux pieux qui décoraient la chambre, puis la dame en question reprend son premier rôle et le remplit exactement.
A Pinto, où les hussards furent cantonnés, les femmes prenaient la plus légère plaisanterie pour une attaque de viol et traitaient les Français comme des hérétiques et des excommuniés. Jamais ville ne compta autant de Lucrèces. Le général fit aller le régiment à la messe. A dater de ce moment, on les regarda comme des frères, comme de bons chrétiens et por l’amor de Dios, les ci-devant Lucrèces se montrèrent bien plus traitables.
L’angélus vient-il à sonner au moment où les Espagnols se livrent à de coupables passe-temps, ils suspendent leurs jeux pour réciter dévotement l’angélus. J’ai été moi-même à Miranda témoin dans un café d’un fait de cette nature.
Le 4. – Villa-Horta, 5 lieues. – Petite ville, entourée de marais très étendus, deux ruisseaux viennent s’y perdre et en ressortent en un seul sous le nom de la Giquela qui, au-dessous de Ciudad Real, prend celui de Guadiana. On y construit en ce moment une très belle chaussée avec des arches; ces marais rendent le séjour de cette ville fort malsain.
J’ai été témoin aujourd’hui de la manière adroite et prompte avec laquelle les habitants tondent leurs mules qu’ils tiennent toujours rasées jusqu’au milieu du corps, en formant sur leurs croupes différents dessins.
Le 5. – Monzanarès, 5 l. – Jolie petite ville, dont les environs sont riants, plantés d’oliviers et bien cultivés. La saison y est tellement avancée qu’on commence à couper les orges. L’esprit des paysans n’est pas bon; ils sont très fiers, ont l’air fort insolents et sont prêts, au moindre signal, à courir aux armes. Le capitaine Dubois a failli aujourd’hui être assommé par eux.
Le 6 juin. – Du bivouac devant Valdepenas.
Il y a aujourd’hui un an que sur les bords de la Passarge les Russes nous ont attaqués. Voilà en Espagne un sanglant anniversaire. Il y a un an, à pareille heure, cerné de toutes parts par les cosaques, je voyais la mort d’assez près, mais aujourd’hui, ma foi, je n’en étais pas loin.
Parti en avant avec mon chasseur, je trouve à une demi-lieue de la ville le logement, qu’on n’avait pas voulu laisser entrer, et deux cents dragons qui battaient en retraite, après avoir pensé être égorgés dans les gorges qui sont au-dessus de Santa-Cruz, où ils avaient perdu un officier et un maréchal des logis. Je vois une ligne de paysans bien armés et rangés en bataille devant la ville ayant leurs vedettes et leurs chefs à cheval.
Comme j’avais demandé à parler à l’alcade, le commandant espagnol se présente. Il me déclare fièrement qu’il consent à nous donner des vivres, mais à la condition que nous n’entrions pas dans la ville. Il finit par demander que nous déposions les armes.
Je reçus la proposition comme elle devait l’être. Alors il me fit celle de venir moi seul dans la ville parler à l’alcade. J’y consentis, mais mon compagnon, plus prudent que moi, s’y opposa. Je proposai à mon tour au chef espagnol de venir lui-même parler au général, m’offrant comme otage entre les mains des siens et l’assurant que ma vie répondrait de la sienne. Il refusa.
Le général Liger-Belair ((Louis Liger-Belair, 1762 – 1835. Il fait partie de la division Vedel. Il sera fait prisonnier à Baylen.)) arriva sur les 8 heures avec une colonne forte de 500 hommes. Le général s’avança seul avec Rob et moi et leur demanda qu’ils eussent à lui remettre leurs armes et à nous laisser entrer : ils reçurent la proposition avec des cris de fureur, armèrent leurs fusils et se tinrent prêts à tirer sur nous. On se sépara.
En un instant tous les paysans disparurent, rentrèrent dans la ville et sonnèrent le tocsin. Nous prîmes alors toutes nos dispositions pour l’attaque. Le général m’envoya encore plusieurs fois aux insurgés pour tâcher de les ramener: tout fut inutile. On fit sonner la charge.
Les dragons occupaient la droite, le 2e escadron composé des 2e et 7e chargeait par la gauche, et un peloton du 11e par la grande rue. Les dragons, arrivés à l’entrée de la ville, se trouvèrent le nez sur des barricades, furent forcés de faire demi-tour; les chasseurs entrèrent par les deux rues que les paysans avaient laissées libres à dessein; en pénétrant dans la ville, ils trouvèrent toutes les rues qui donnaient sur la principale barrées par des charrettes, fortement liées entre elles. Des cordes étaient tendues au centre de la ville; les chevaux lancés au galop, aveuglés par la fumée et la poussière, vinrent presque tous s’y culbuter.
A ce moment, une grêle de coups de feu tirés de toutes les maisons, vinrent les percer de toutes parts; cependant les pavés, les pots, les meubles pleuvaient sur leurs têtes de tous les côtés, sans qu’ils pussent résister, ni se défendre. Aussitôt qu’un chasseur était blessé ou démonté, les paysans l’entraînaient dans une maison et l’y achevaient en le mutilant avec une férocité et des raffinements affreux. Ce fut à ce moment que le brave capitaine Dubois, du 7e, mettant pied à terre pour défaire une barricade, reçut un coup de feu au travers du corps. L’officier qui commandait, le détachement du 11e fut renversé d’un coup de feu, puis achevé à coups de haches et de stylets. Cinq chasseurs du 11e, neuf à dix du 7e eurent le même sort et périrent sans avoir pu donner un coup de sabre.
A ce moment, plusieurs chasseurs et dragons, ayant mis pied à terre, le général les joignit à une trentaine de fantassins et m’ordonna de pénétrer à leur tête dans la ville, de faire enfoncer les maisons et d’y mettre le feu, ce qui fut exécuté. Son aide de camp (M. de Saint-Quentin) attaquait à pied sur un autre point, ainsi que M. de Mahon, officier d’infanterie. Mais ce dernier, s’étant trop avancé, fut pris; M. de Saint-Quentin, en donnant l’exemple à ses soldats, eut l’épaule percée d’une balle. Pour moi, je fus plus heureux, les balles respectèrent ma personne et se contentèrent de percer mes habits. Pendant que je me portais en avant, pour encourager mes fantassins à me suivre, une balle tirée d’une fenêtre presque à bout portant me coupa sur les reins mon surtout et mon pantalon, une autre traversa ma selle entre mes cuisses.
Le combat se soutint jusqu’à 6 heures du soir. Toutes les maisons qu’on enfonçait étaient sur-le-champ livrées aux flammes et ceux qu’elles renfermaient égorgés; tout ce qui voulait se sauver dans la campagne était sabré. Cependant, comme nous ne disposions ni d’infanterie, ni d’artillerie, l’incendie allait bien lentement, presque toutes nos cartouches étaient épuisées, beaucoup de soldats blessés, presque tous les autres, chargés de butin, ne songeaient qu’à prendre au lieu de brûler, et étaient épuisés de fatigue, de chaleur et de faim. Le vin très capiteux qu’ils avaient trouvé dans les maisons les avait mis hors d’état de se battre.
Alors le général me proposa d’aller de nouveau trouver les insurgés et de leur offrir le pardon aux mêmes conditions que le matin. Une telle proposition ne se refuse pas, dût-on aller à une mort certaine. J’acceptai avec cette idée dans laquelle je ne tardai pas à être confirmé. J’étais accompagné de deux paysans que j’eus d’abord assez de peine à soustraire à la fureur de nos soldats; mais bientôt nous changeâmes de rôles.
Ils me conduisirent par des rues écartées et je me trouvai tout à coup au pied de l’église et sur la place où aucun des nôtres n’avait encore pénétré; d’abord elle me parut déserte, mais un instant après, une fenêtre s’étant ouverte, un cri est poussé, et en un clin d’œil, tous les balcons, toutes les entrées de rues, l’église et le clocher sont couverts d’hommes, de femmes, d’enfants, et 300 fusils sont dirigés sur moi.
Les deux paysans, mes conducteurs, poussaient de grands cris pour apaiser le peuple, se pressaient sur moi et me couvraient de tout leur corps. Pour moi, les deux bras croisés, affectant la plus grande sécurité et sentant que le sang-froid seul pouvait sauver ma vie, j’attendais la décision de mon sort.
Cette place tout à l’heure déserte se remplit à l’instant d’une foule de gens, dont les affections et les visages présentaient des contrastes bien frappants. Les uns, couverts de sang, les lèvres palpitantes de fureur et toutes noires de poudre, agitaient leurs fusils, s’efforçaient de les appuyer sur ma poitrine, et poussant des cris de rage, juraient que pas un Français n’entrerait dans leur ville, et que j’allais périr à l’heure même : Tu matas aqui. Les autres (c’étaient des pères de famille et des vieillards), le vieil alcade surtout, me couvraient de tout leur corps, détournaient les armes, s’efforçaient de calmer le peuple et de me garantir, pendant que les femmes en pleurs, les mains jointes, se jetaient à genoux, se pressaient de m’approcher pour baiser mes bras, mes mains, mes habits et me présentaient leurs enfants en demandant pardon à grands cris. J’observais avec intérêt et sang-froid cette scène qu’une balle tirée par un des furieux eût pu m’empêcher d’observer longtemps. L’alcade le craignit sans doute, car je me sentis enlevé et sans que mes pieds touchassent la terre, je fus porté dans une maison; là, les prières des femmes, les larmes des jeunes filles et les cris des enfants redoublèrent, ainsi que les vociférations de quelques paysans qui demandaient toujours ma mort.
Pendant ce temps, la fusillade et l’incendie allaient leur train, et je ne pouvais me faire entendre. Pour donner aux Espagnols le temps de se calmer, je me fis apporter de l’eau, du pain et du vin, et je mangeai un bon quart d’heure pendant lequel je m’efforçai de les rassurer sur nos intentions, et je convins avec l’alcade qu’il allait nous rendre les armes, nous fournir des vivres et que toute hostilité allait cesser. Je sortis enfin d’au milieu d’eux et retournai au général accompagné de l’alcade et de plusieurs notables qui me suivirent sur ma parole; je retournai encore à plusieurs reprises pour recevoir les armes, et peu à peu tout se calma.
Nous sommes au bivouac à portée de canon de la ville; l’incendie dure encore, mais les paysans travaillent à l’arrêter ((Un rapport de Liger-Belair à Murat signale particulièrement la conduite de Maurice de Tascher dans cette affaire)).
Le 7. – Manzanarès. – Lorsque la poésie et les beaux-arts célèbrent la victoire avec tant de pompe et d’éclat, lorsqu’ils la représentent avec des attraits si séduisants, ils cachent le vrai côté du tableau: la victoire est une déesse avide de carnage; son laurier n’est qu’une branche de cyprès dégouttante de sang et trempée dans les larmes.
J’ai été envoyé ce matin à la ville de Valdepenas. J’ai revu avec horreur les maisons en cendres, les femmes, les enfants, les animaux égorgés sous leurs débris, des paysans, des soldats, des chevaux étendus çà et là dans les rues !… Et une bande de scélérats étrangers à ce village sont la seule cause (secondaire) de toutes ces horreurs !
Nous avons gardé la même position jusqu’à midi, puis nous nous sommes repliés sur Manzanarès. Les furieux des deux villages voisins, joints à quelques scélérats de l’endroit, se sont précipités sur l’hôpital, y ont égorgé ou mutilé tous les malades et se sont emparés de 200 fusils français. L’officier d’infanterie commandant l’hôpital a été coupé en quatre, et mis dans une chaudière. Ma plume se refuse à retracer d’autres horreurs. L’hôpital nage dans le sang !
Le 8. – Nous avons trouvé et délivré ici plusieurs Français qui, depuis quarante-huit heures, étaient entre la vie et la mort. Le général Roize ((Claude Roize, 1778 – 1847. Sera fait prisonnier à Baylen)), arrivé ici avec une poignée d’hommes, était aussi dans une position alarmante; la nôtre n’est rien moins que sûre. La journée de Valdepeñas nous a beaucoup coûté et a épuisé nos munitions ; cernés de tous côtés, il nous est nous est impossible d’avancer, ni de reculer. Si nous sortons de cette ville, nous ne pouvons espérer d’y rentrer qu’à coups de fusil; toute communication nous est coupée avec le général Dupont et avec Madrid. On répand de tous côtés les nouvelles les plus alarmantes, et il paraît certain que la scène de Manzanarès a eu lieu à Valladolid, à Villa Harta et dans tous les lieux, où nous n’étions pas en force.
Le général Belair a fait repartir pour Madrid un courrier expédié au général Dupont que nous avons délivré à Valdepeñas.
Le 9. – Nous apprenons que 260 Français faits prisonniers soit en escortant un convoi, soit sur d’autres points, sont à Santa-Cruz sous le couteau; ce serait le leur enfoncer dans la gorge que de tenter de les délivrer à main armée; on négocie pour y parvenir. Les prêtres, qui les ont sauvés, sont nos médiateurs. Les habitants de Manzanarès sont dans des transes mortelles et croient que nous n’attendons que du renfort pour brûler leur ville. Les montagnes et les gorges sont occupées par des bandes nombreuses commandées et soudoyées par des agents de l’Angleterre et par des contrebandiers. Celui qui commandait à Valdepenas a écrit ici aux autorités le jour de l’affaire qu’il allait exterminer tous les Français qui étaient devant lui et qu’il se rendrait ensuite chez eux pour leur rendre le même service. Nous nous attendons à être attaqués cette nuit.
Les habitants de la ville ont déjà fait partir leurs femmes, leurs enfants et leurs effets les plus précieux. Beaucoup de maisons sont désertes.
Le 9. – Même position, mêmes précautions, mêmes inquiétudes de part et d’autre. Il a passé aujourd’hui ici un officier espagnol, expédié en courrier au général Dupont.
Tous les Français isolés ont été égorgés. Mon pauvre Georges aura donc été aussi victime de sa fidélité ?
Le 10. – Aucun secours ne nous arrive; le courrier expédié à Madrid n’a point été égorgé, mais arrêté et dévalisé à Madridejos.
Le 11. – Mort du capitaine Dubois, blessé à Valdepeñas. Cérémonie touchante. Oraison funèbre du général. Position critique; cernés de tous côtés, sans cartouches, sans artillerie, sans infanterie.
Le 12 et le 13.- Notre position est toujours la même : toutes les nuits sur pied, aucun secours ne nous arrive puisqu’on ignore à Madrid notre position. Nous sommes restés ici jusqu’à ce moment, parce que les habitants de Santa-Cruz nous faisaient toujours espérer la reddition des prisonniers. Toutes les nuits, nous avons été au-devant d’eux et toujours en vain. Enfin nous partons demain et battons en retraite sur Madridejos.
A minuit. – Arrivée inopinée des 115 Français détenus à Santa-Cruz, de ce nombre M. Le Roi, sa femme et sa fille. L’intendant Don Juan de Madenez envoya deux fois 100 hommes du régiment de la reine (cavalerie) pour les faire transporter comme prisonniers de guerre à Ciudad-Réal; mais les habitants de Santa-Cruz, effrayés de l’incendie de Valdepeñas, se refusèrent à les livrer, répondant qu’ils voulaient les garder comme otages. Aujourd’hui enfin, ils ont consenti à les rendre et les ont escortés eux-mêmes jusqu’ici, à condition de l’oubli du passé.
Le convoi de biscuit a été pris d’une manière singulière avec son escorte. Les Français, à leur arrivée, avaient été reçus fort tranquillement. Après avoir pris leurs logements et y avoir déposé leurs armes, comme à l’ordinaire, ils vont aux distributions de pain. A ce moment, on crie: Au chien enragé ! Toutes les maisons se ferment, les soldats veulent en vain courir à leurs armes, les portes les en séparaient; en même temps on fait feu sur eux de toutes les fenêtres, et après en avoir tué une partie, on prend le reste.
Le 14. – Bivouaqué à Villa-Harta. Tout est dans la terreur; grand nombre d’habitants ont abandonné leurs maisons. On dit publiquement que Joseph, roi de Naples, est arrivé le 7 à Bayonne. Le masque est tombé !…Joseph Bonaparte vient d’être proclamé à Madrid roi des Espagnes ! Cependant, le feu de la révolte se propage dans l’Andalousie, à Valence, à Murcie et dans les provinces méridionales. Les Juntes de Ciudad-Réal, Séville, Grenade en sont les foyers. Partout où les Français ne sont pas en force, ils sont égorgés, et trop souvent l’ancienne cruauté des Maures perce dans les affreuses vengeances des Espagnols. Qu’ils nous anéantissent !
Les tableaux de conscription se font au nom de Ferdinand VII.
Le 15. – Madridejos. – Frayeur et fuite presque universelle. Conduite héroïque des moines et de quelques-uns des principaux habitants qui, par leur énergie, sauvent la vie de plusieurs officiers français, arrêtés par la populace. Seconde délivrance du courrier trouvé à Valdepeñas et réexpédié de Manzanarès à Madrid. Les moyens de douceur et de discipline employés par le général Liger-Belair réussissent au delà des espérances.
Le 16. – Nous voilà enfin débloqués par l’arrivée des généraux Poinceau ((Il s’agit sans doute du général Pierre Poinsot, 1764 – 1833, commandant la 1e brigade de la division Vedel. Il sera fait prisonnier à Baylen.)) et Coussard ((???)). Maladie physique et morale du prince Murat. Son insouciance. Inquiétude extrême où on est à Madrid sur notre sort et sur celui du général Dupont, dont on ne reçoit aucune nouvelle (( Le général Dupont, qui avait passé la Sierra Morena, s’installait dans la région Andujar-Baylen.)).
Le 17. – Nous allions nous mettre en route et continuer notre mouvement sur Madrid, mais voici un ordre d’attendre ici la division Vedel ((Dominique Vedel, 1771 – 1848. Il commande la 2e division du corps d’armée de Dupont.)). Nous évacuons nos blessés sur Aranjuez ((Savary envoyait, le 18, de Madrid, le général Vedel, avec la mission de rétablir les communications interrompues entre Madrid et le général Dupont.)).
Le 20. – Le général Liger-Belair se faisait une fête de conduire au général Dupont ses braves chasseurs, dont il avait rendu le compte le plus brillant. Un ordre du prince Murat les fait repartir pour aller s’établir sur la route de Burgos et y attendre l’arrivée du roi Joseph. Ils y ont déjà vainement attendu l’Empereur, cette fois leur attente ne sera peut-être pas trompée. Les menaces et les mesures de rigueur du général Poinceau produisent l’effet le plus fâcheux. La frayeur des habitants augmente, avec elle l’émigration et bientôt nous trouverons les villes désertes; les assassinats individuels se multiplient; on ne peut, sans exposer sa vie, s’écarter à cent pas de son détachement. Hier un régiment suisse est arrivé. Un grenadier s’endort sur la route, un moissonneur accourt et lui écrase la tête avec une pierre. Le peu de discipline de nos troupes irrite encore l’indignation des paysans qui, descendant des Maures, ont gardé toute la férocité de leurs ancêtres. Il est beaucoup plus facile d’accroître leur fureur que de les intimider. Le fanatisme s’en mêle et l’éclat sacré de son infernal flambeau achève d’égarer des gens déjà ulcérés par le sentiment des pertes qu’ils éprouvent et par la violation des promesses qu’on leur a faites. Les voies de douceur employées par le général Belair avaient déjà réussi, au point de ramener dans leurs foyers la plupart des émigrés, de faire établir des ronda formées des principaux habitants et de se faire offrir un corps de cinq cents gentilshommes qui lui eussent servi d’escorte pour pacifier la Manche. Quelques mauvais traitements, quelques maisons pillées par les soldats ont détruit en deux heures le fruit de quinze jours de travaux, de négociations et de discipline. Le chef lui-même a jeté le manche après la cognée. Alors chacun tire à soi, chacun sacrifie à ses vues d’intérêt personnel l’intérêt sacré de la patrie et du gouvernement.
Arrivée de la division Vedel. Ordre de départ pour demain ((Vedel venait de remplir la première partie de sa mission: sa jonction avec le général Liger-Belair. Il allait maintenant, avec celui-ci, tenter de forcer le passage de Despeña-Perros pour rejoindre Dupont. )).
Le 21. – Je suis toujours auprès du général Liger-Belair faisant le service d’aide de camp. Nous nous sommes mis ce matin en route avec la division Vedel qui a ordre de forcer le passage de la Sierra Morena, de le garder et de communiquer avec le général Dupont qui, jusqu’à nouveaux ordres, ne doit point avancer. La division Frère (( Bernard Frère, 1764 – 1826. Il commande alors la 3e division du corps d’armée de Dupont)) vient par derrière, à deux jours de marche, et doit communiquer du général Vedel à Madrid. Bivouaqué à Villa-Harta.
Le 22. – Manzanarès. – Le 23, séjour et revue.
Les soldats de la garde de Paris et la 5e légion, ayant trouvé autour de l’hôpital les cadavres de malheureux Français égorgés le 6, rien n’a pu contenir leur rage, excitée bien plus par la soif du pillage que par une véritable pitié pour leurs compagnons d’armes. Ils demandaient à grands cris le pillage de la ville. Les prêtres et plusieurs des principaux habitants, qui, par leur dévouement héroïque, avaient sauvé plusieurs Français au péril de leur vie, qui avaient pansé et soigné nos blessés, ont été insultés et peu s’en est fallu qu’ils n’aient été les victimes de ces forcenés. Enfin, pour en venir à leur but, ces impudents scélérats crient aux armes, disent que l’ennemi approche, tirent même deux ou trois coups de feu. On monte à cheval; on se forme en bataille, mais pendant que les bons soldats courent aux armes, les bandits se précipitent dans les maisons, les pillent et avant qu’on ait reconnu que c’était une fausse alerte, la moitié de la ville est bouleversée.
Le 2~. – Valdepeñas. – Le pillage d’hier à produit l’effet le plus fâcheux. Un paysan se sauvant de Manzanarès a répandu la nouvelle que les Français égorgeaient tout le monde. Une grande partie des habitants a disparu; j’ai été néanmoins bien reçu et bien accueilli par ceux qui m’ont reconnu, surtout par le vieil alcade qui m’avait sauvé la vie. Le général Belair, qui a fait brûler leur ville, y a été reçu avec transport. Ils ne l’appellent que notre général et leur confiance en lui est, sans bornes. Continuation du pillage.
Le 2S. -. Passé à Santa-Cruz. En vertu du pardon accordé à la remise des prisonniers, on a placé des factionnaires à toutes les rues pour empêcher le pillage, mais la grande quantité de traînards a rendu cette précaution insuffisante. Chaque corps a à peu près le tiers de ses hommes en arrière. Nous nous mettons en route tous les jours à une heure du matin et souvent à 7 heures du soir tout le monde n’est pas arrivé.
Arrivés à El Viso, village au pied des gorges ((Gorges de Despeña-Perros)).
Peu de spectacles m’ont frappé d’autant d’horreur que notre arrivée dans cette ville !… Elle était entièrement déserte !… Le plus terrible fracas m’eût inspiré moins d’effroi que cette solitude et ce calme affreux !…
En parcourant l’antique château, j’y ai trouvé trois femmes de soixante-dix à quatre-vingts ans et leur frère, vieillard de quatre-vingt-quatre ans, seuls êtres vivants demeurés dans cette ville, qui, la veille, était encore animée par trois ou quatre mille habitants ! Comme leur départ a dû être lugubre ! Combien les cris des femmes, des enfants, des malades arrachés à leur lit de mort, les gémissements des vieillards que ce lieu avait vus naître devaient rendre affreux ce moment ! Que d’imprécations contre nous devaient se mêler à ces bruits lamentables ! Malheureux Français, nous inspirons donc bien de l’horreur ! Il a fallu enfoncer toutes les portes pour pénétrer dans les maisons, et bientôt la nécessité de trouver des comestibles, l’impatience du pillage et la soif de l’or ont effacé l’impression d’horreur et le pénible retour sur soi-même, dont personne n’avait pu se défendre. Pour moi, chaque pas que je fais, chaque objet que j’envisage me pénètre de tristesse et d’effroi ! Comme ils doivent nous exécrer ! Grand Dieu ! Que de malédictions ils doivent appeler sur nos têtes ! Quelle scène que celle du départ de cette peuplade, quelle scène de désolation… ces maisons vides aujourd’hui, ces chambres où tout était en ordre, ces animaux domestiques restés seuls avec la nourriture de plusieurs jours ! Et nos soldats dont la cupidité se partage ces effets !… C’est l’invasion de Rome par les Gaulois !
Je suis retourné au château pour distraire mes tristes pensées en parcourant ce précieux monument du goût des Maures. Tous les murs sont couverts de peintures à fresque. La morgue espagnole y paraît dans la longue génération des marquis de Santa-Cruz. Salle des gardes, arabesques et dorures charmantes, chapelle, armures antiques.
Ce matin, disparition subite de M. le Ch. de la Roque, officier espagnol du régiment d’Amérique, né Français, attaché au général Vedel. Il était parti en avant avec le logement, et nous n’avons retrouvé ici que son cheval. A-t-il été égorgé ? A-t-il été entraîné ?
Je n’oublierai de longtemps la vue de ce vieillard du château, ni ces paroles qu’il m’adressa comme pour s’excuser de n’avoir pas suivi l’exemple de ses compatriotes : « Quoique Français, me dit-il, j’ai pensé que vous étiez des hommes; d’ailleurs, ma vie est presque éteinte, et je n’ai rien qu’on me puisse prendre. » Quel rôle jouons-nous ici ? A demain la fusillade et le passage de ces terribles gorges. Je ferai mon devoir, mais il me devient de plus en plus pénible.
Le 26. – Arrivés jusqu’à la Venta de Cardenas sans voir un être. Au delà du pont qui touche à la porte, la route est bordée à gauche par des précipices affreux, et à droite par des rochers à pic d’une hauteur effrayante. Le général Poinceau s’avance seul avec quatre dragons. Tout à coup une fusillade, partie à vingt pas, lui en tue trois et son propre cheval.
Disposition d’attaque. Un bataillon suisse sur les hauteurs de gauche, six compagnies de voltigeurs sur celles de droite, deux pièces d’artillerie légère et un bataillon de grenadiers sur la route en avant du reste de la division.
Après une fusillade de trois ou quatre heures sur les montagnes, nous nous sommes trouvés entièrement maîtres du défilé, et nous sommes arrivés à Paso del Perro. Ce défilé peut avoir deux lieues de long; dans plusieurs endroits, il est coupé à pic dans des rochers, dont la vue effraye.
Après avoir pénétré une lieue dans le défilé, nous avons trouvé un retranchement en pierre soutenu par deux pièces de canon; un quart de lieue plus loin, un second retranchement plus fort soutenu par six pièces de canon. L’un et l’autre ont été enlevés en un instant par les voltigeurs avec une impétuosité digne des vieux régiments. L’ennemi avait dans l’étendue du défilé cent positions dans lesquelles 200 hommes bien commandés et munis de vivres eussent pu attendre et braver les efforts de 50.000 hommes. Presque partout le chemin est bordé par un précipice. En le coupant de quatre à cinq toises, on rendait en peu d’heures le passage impraticable à l’artillerie, à la cavalerie, presque à l’infanterie. Tous les habitants des provinces qui sont derrière nous étaient persuadés que nous ne sortirions pas de ces gorges et nous le disaient.
Derrière le second retranchement étaient les baraques, la poudre, les munitions. Avant d’enlever cette position, nous avons, avec une lunette, distingué sur un rocher un prêtre en habits sacerdotaux exhortant les combattants. Le nombre de ses auditeurs diminuait à mesure que nos coups de fusil se rapprochaient; l’orateur enfin s’enfuit comme les autres. Un seul paysan (homme superbe) ne bougea pas d’une ligne et attendit seul nos régiments, en faisant toujours feu. Il fut tué sur place.
Missels, calices, hosties, vases sacrés trouvés derrière la batterie avec les munitions. Chaque jour, on disait la messe en cet endroit. L’amour de la religion et de la patrie luttant de tous leurs efforts contre l’ambition, certes, le plus beau rôle n’est pas pour nous ! Quel sera le dénouement ?
On a commis une grande faute, en attaquant sur le centre avant que d’avoir fait déborder les ailes. En tournant les positions, on exterminait l’ennemi que la fuite a sauvé.
Bivouaqué à Santa Elena, joli village (colonie allemande) entièrement abandonné, faute d’eau.
Fausse alerte, causée par un détachement du général Dupont.
Le 27. – La Carolina. – En sortant des rochers affreux de la Sierra, la superbe et brûlante Andalousie déploie ses coteaux chargés de moissons, ses plaines plantées d’oliviers, ses champs bordés d’aloès et remplis de palmiers, d’orangers, de limons, de grenadiers et de figuiers; des vallées délicieuses ombragées de peupliers, de lauriers-roses et de grenadilles d’une hauteur prodigieuse. Tous ces arbres, toutes ces plantes pour lesquelles, dans nos climats, la nature n’est qu’une marâtre avare et qui ne doivent qu’aux soins de l’art une vie languissante sont ici l’ornement d’une terre qui leur prodigue tous ses sucs.
Nous arrivons à La Caroline, charmante route bordée de palmiers et d’aloès, presque tous en fleur; les tiges ont de vingt-cinq à trente pieds et les feuilles de cinq à six.
La Caroline, charmante ville, régulièrement bâtie et entourée de jardins délicieux. Au milieu de l’Andalousie, cette ville, colonie allemande, conservera toujours son air étranger. A la chaleur du soleil près, je croirais être dans un beau village de Saxe ou de Bavière.
Nous avons trouvé La Caroline sans aucun être vivant et toutes les maisons fermées. En une heure, tout a été enfoncé et pillé. C’est ici que le général René ((Jean-Gaspard-Pascal René, 1768 – 1808. Il tombe aux mains des insurgés espagnols, alors qu’il rejoignait le corps d’armée de Dupont. Georges Six précise qu’il fut en fait ébouillanté vivant, le 29 juin.)) a été arrêté, coupé successivement par quartiers et jeté dans l’huile bouillante. Son aide de camp Labroue a été scié en deux, ainsi que le commissaire des guerres Vaugier.
Le 28. – Séjour. – Le fanatisme allume contre nous toutes ses torches. Hymne à la Sainte Vierge qui m’a semblé appeler la malédiction et la mort sur les vils Français et commençant ainsi:
Alma madre de Dios
Offeremus nostras almas,
Si Franceses te offrande,
La Espaiia te adora, etc…
Processions fanatiques. – Nous apprenons que la division Frère qui, marchant après nous, devait tenir la communication entre la division Vedel et Madrid, vient de recevoir l’ordre de marcher sur Valence.
Les Établissements de La Caroline, Santa Elena, la poste, la Venta de Cardenas, Paso del Perro, sont dus au dernier ministre d’Espagne qui s’est efforcé de lutter contre la décadence de l’Espagne et de rendre à la culture tant de terres abandonnées, surtout toute la Sierra Morena.
Le 29. – 6 lieues. – Baylen, beau pays, jolie ville, où nous retrouvons enfin des habitants, après avoir été quatre jours sans en voir. On s’attend à être attaqués par un corps espagnol et anglais venant de Grenade.
Le 30. – Andujar, 6 lieues. – Je quitte à regret le général Liger-Belair et la division Vedel pour rejoindre mon régiment que je trouve avec tout le corps du général Dupont occupant Andujar et la ligne du Guadalquivir ((Il quitte ses fonctions d’aide de camp du général Liger-Belair, pour rentrer au 2e provisoire.)).
Le général Dupont, en arrivant le 7 juin au pont d’Alcolea, à une lieue de Cordoue, y a trouvé l’ennemi. Après avoir tiraillé longtemps hors de portée, il a fait former la colonne d’attaque. La garde de Paris a emporté le pont et le redan qui le défendait.
Parvenu à Cordoue, les portes de la ville étaient fermées, il les a enfoncées à coups de canon et le peuple ayant tiré des maisons, la ville a été livrée pendant six jours aux horreurs du plus affreux pillage ((Un des pillages les plus reprochés aux Français et qui sera la principale cause des mauvais traitements infligés à l’armée Dupont après sa capitulation.)).
On a enlevé des millions au palais de l’archevêque. La cathédrale et les vases sacrés n’ont point été épargnés, ce qui nous fait regarder avec horreur par les Espagnols, car ils disent hautement qu’ils aiment mieux qu’on viole leurs femmes que leurs églises ! Au reste, on a fait l’un et l’autre. Les couvents de religieuses ont eu à essuyer tout de que peut inventer la débauche et les outrages du soldat livré à lui-même. Ce qui appartenait au Roi n’a pas été plus respecté que ce qui appartenait aux temples ou aux particuliers. Les superbes haras de Cordoue ont été détruits en une heure. Je crois que tous les officiers, que les soldats même d’infanterie et de cavalerie sont montés sur des chevaux royaux. Malgré les gratifications énormes délivrées aux officiers supérieurs (6.000 francs par chef de corps), les fourgons des généraux crèvent encore sous le poids de l’argent, des vases sacrés, des richesses de tout genre. Les officiers et soldats sont couverts d’or et de dépouilles, et l’on ne saurait guère dire si nous sommes chargés plus d’exécration que de richesses.
Après l’affaire de Cordoue, le nombre des ennemis augmentant à chaque instant, le général en chef rétrograda sur Andujar et posta sa division sur le Guadalquivir. Les avant-postes sont de l’autre côté du fleuve, l’ennemi occupe la ville d’Arragonez, à demi-lieue, et tous les jours les avant-postes et les grand’-gardes se tiraillent. L’armée ennemie est sous les ordres du général Castaños ((Francisco Javier Castaños, 1758 – 1852, 1er duc de Bailén)) qui commandait le camp de Saint-Roch. On lui suppose peu de troupes de ligne.