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Les Français en Prusse – Chapitre 16

Quelques épisodes de l’occupation de la haute Silésie ont aujourd’hui pour nous un intérêt tout à fait spécial, à cause de l’analogie saisissante qu’offrent ces faits particuliers avec ce qui s’est passé en 1870, sous prétexte de défense nationale, dans quelques-uns de nos départements envahis.

L’auteur de la curieuse relation que nous allons analyser, habitait pendant la guerre la ville d’Hirschberg, située dans la vallée de Bobet, tout près des eaux minérales de Warmbrunn. Hirschberg, célèbre depuis longtemps par son grand commerce de toiles, est aujourd’hui l’une des stations du chemin de fer de Berlin à Francfort.

Les premières pages de ce récit nous ont paru digne d’être traduites presqu’en entier.

« Au début de la guerre, plusieurs régiments traversèrent notre ville. Leur aspect martial nous remplissait de confiance… Personne n’avait l’idée que l’ennemi pût être assez fort pour pénétrer d’un seul coup, et s’établir au cœur du royaume… Ici comme partout, on se fiait à l’antique réputation de notre armée, on s’endormait sur les lauriers du grand Frédéric.

Le réveil n’en fut que plus terrible…A de faux bruits de victoire, succédèrent coup sur coup, pareilles à des tonnerres, les nouvelles de Saalfeld, d’Iéna, de Halle. Soudain, l’allégresse la plus folle fit place à la stupeur la plus profonde.

On sait quelle fut alors l’attitude de la population berlinoise. On ne saurait donc trouver bien surprenant que, dans une pareille crise, l’apparition d’un seul chasseur ennemi ait suffi pour mettre notre petite ville en révolution…. Nous venions d’apprendre l’entrée des Français à Leipzig, nous nous attendions d’un jour à l’autre à les voir pénétrer en Silésie du côté de la Lusace. Ce fut alors que se produisit cet incident tragi-comique. Ce chasseur, qui faisait partie du contingent du Wurtemberg allié de la France, se présenta brusquement à l’une de nos portes, et mit le pistolet sur la gorge du factionnaire, soldat de la milice urbaine. Le pauvre diable, tout tremblant, s’empressa de rendre les armes, c’est-à-dire un vieux fusil rouillé, dont la batterie était détraquée de temps immémorial. Ce premier ennemi prétendait être suivi de beaucoup d’autres, et l’on n’avait garde d’en douter. Après avoir fait un repas copieux, il repartit en toute hâte, et bientôt nous apprîmes, non sans quelque confusion, que nous n’avions eu affaire qu’à un déserteur fourvoyé, qui s’était tiré d’affaire en payant d’audace.

L’ennemi, pour le moment, ne songeait pas à nous. Il se concentrait autour de Glogau, et bientôt le bruit du canon, que nous renvoyaient les échos du Riesengebirg, nous apprit que le siège de cette place était commencé.

Cependant les officiers, les soldats fugitifs affluaient dans nos contrées. On les voyait arriver par troupeaux, dans l’état le plus pitoyable. Le prince d’Anhalt-Pless, qui venait d’être appelé au gouvernement de la Silésie, les réunit à Schweidnitz et à Glatz, où ils devaient être réarmés et employés. Comme les armes faisaient défaut, on mit en réquisition celles des petites villes et des campagnes ; pour ma part, j’en vis partir une énorme quantité pour Schweidnitz. Cet enlèvement de toutes les armes à feu rendait toute organisation de landsturm impossible….

A vrai dire, je ne sais si cette mesure n’eût pas été plus nuisible qu’utile. En supposant qu’il se fût trouvé un homme assez hardi pour se charger du commandement d’une multitude aussi hétérogène, aurait-il pu obtenir la confiance, la subordination nécessaires ? Un militaire de profession eût été, plus qu’aucun autre, impropre à cette tâche… Depuis nos grands désastres, la plupart des officiers de l’armée régulière étaient considérés, à tort ou à raison, comme des incapables ou des traîtres… Les citadins, les paysans eussent concouru volontiers à des tentatives de résistance locale, mais la confiance et les armes faisaient défaut… Une semblable entreprise ne pouvait donc amener qu’un surcroît de désastres, malgré tout ce qu’ont pu dire à ce sujet, quelques hommes exaltés.

Après la reddition de Glogau, quelques miliciens des frontières (Grenzjaeger), faits prisonniers dans cette place et laissés libres sur parole, s’avisèrent néanmoins d’attaquer un détachement bavarois, et firent quelques prisonniers qu’ils conduisirent à Schweidnitz en passant par notre ville. Ils étaient poursuivis de près, et ce fut alors que, pour la première fois, nous eûmes réellement l’ennemi…

Le commandant de Schweidnitz, qui avait fait évacuer sur Breslau la majeure partie des armes ramassées dans le pays, eut l’idée d’employer le reste, à l’équipement de quelques centaines de volontaires qu’il envoya dans le haut pays. Cette troupe fit une courte apparition à Hirschberg  ; sa tenue contrastait misérablement avec celle de l’ancienne armée. Nous étions navrés de voir ces fantassins en guenilles, ces éclaireurs montant de mauvais chevaux de labour… Cette promenade soi disant militaire avait pour but de requérir divers objets, dont la plupart ne se rapportaient que fort indirectement au service. Ainsi l’on emporta de chez nous force bouteilles d’eau-de-vie et de malaga, pour la table du commandant de Haak. Passe encore s’il s’était bien défendu … ! »

Nous avons mentionné déjà la triste conduite de ce gouverneur de Schweidnitz, qui ressemblait beaucoup, dit-on, au Falstaff de Shakespeare, par la gloutonnerie, la corpulence et le défaut de courage.

C’est surtout à partir du mois de décembre 1806, que la similitude entre les deux invasions devient frappante. Glogau étant pris, Breslau investi, la Silésie presque entière se trouvait à la merci des conquérants. Les contributions de guerre, les réquisitions pleuvaient comme grêle : nous avons essuyé, à notre tour, plus d’une averse de ce genre. Mais, d’autre part, la régence prussienne, transférée dans le comté de Glatz, où l’ennemi n’avait pas encore pénétré, communiquait toujours avec la Silésie par les montagnes, et prétendait continuer d’y être obéie. Ces populations se trouvaient, comme certains territoires français en 1870, placées entre l’enclume et le marteau : chacun des belligérants leur défendait, sous peine sévère, de déférer aux injonctions de l’autre. Des partisans prussiens venaient enlever les fonds recueillis pour satisfaire aux exigences du vainqueur, et se repliaient aussitôt, sans s’inquiéter autrement des suites souvent fort désagréables de ces coups de main pour les gens du pays. On s’en serait consolé plus facilement, si du moins cet argent avait profité à la défense. Mais …. ?

Les corps francs, dans les fastes de toutes les invasions, se suivent et se ressemblent, à peu de chose près.

Le chef d’une de ces compagnies de la haute Silésie se faisait appeler M. de Wolfersdorff. Il se disait lieutenant de l’armée régulière, mais ses procédés n’étaient rien moins que réguliers. Ce personnage avait reçu ou s’était attribué la mission de réquisitionner dans la contrée, Il payait comptant, mais suivant un tarif de sa façon, lequel n’était rien moins que rémunérateur. A la moindre observation il s’emportait, menaçait de solder l’appoint en coups de trique, accusait les paysans de garder leurs provisions pour l’ennemi, etc. Nous savons trop bien aujourd’hui tout ce qui se dit et se fait en pareille circonstance.

Il parcourut ainsi tout le pays, se faisant délivrer de gré ou de force et à vil prix des vivres, des chevaux, des effets d’équipement et d’habillement, jusqu’à des soutanes. Sa conduite fut des plus scandaleuses à Hirschberg, où il n’avait été que trop bien hébergé. Au moment de partir, il prolongea indéfiniment le coup de l’étrier, buvant à la santé du Roi, de la Reine et de toute la famille, en si grand détail qu’il fut bientôt effroyablement ivre. Alors, passant tout à coup, suivant l’habitude des ivrognes, de l’attendrissement à la fureur, il insulta les habitants, jura de mettre leur ville à sac, et voulait à toute force embrocher, l’hôte qu’il embrassait avec effusion quelques minutes auparavant. Cette scène édifiante se passait en présence de toute la troupe et d’un grand nombre de curieux. Peu de temps après, les gens d’Hirschberg apprirent sans trop de chagrin que ce commandant s’était fait prendre en Saxe, où il avait voulu poursuivre le cours de ses prouesses…

Il fut bientôt remplacé par un chef appelé Negro, qui se montrait souvent à Hirschberg et à Warmbrunn. Cet individu, connu pour avoir précédemment tâté sans succès de divers métiers, se présentait alors avec le titre et les insignes de Rittmeister (chef d’escadron), galonné sur toutes les coutures, escorté de trois aides-de- camp non moins reluisants, dont l’un était un jeune garçon perruquier. La spécialité du commandant Negro était l’enlèvement des deniers publics. Il poussait même le zèle jusqu’à ouvrir les lettres particulières et intercepter les envois d’argent. Un jour, il mit ainsi la main sur des fonds qu’une dame faisait passer à son mari, officier prisonnier en France. Negro prétendait qu’il était incivique d’envoyer de l’argent, sous aucun prétexte, en pays ennemi.

On parvint cependant à lui faire lâcher prise, mais il n’en fut pas de même dans une circonstance plus grave. L’autorité française avait frappé plusieurs localités des environs d’Hirschberg d’une contribution collective de 16,000 thalers. Suivant un usage trop bien connu, cette contribution devait être soldée dans un certain délai, sous peine d’exécution militaire. Ces 16,000 thalers venaient d’être déposés à Hirschberg et devaient être expédiés le lendemain sur Glogau, siège de l’administration française. Mais on avait compté sans Negro, qui, dans la soirée, descendit comme une avalanche du Riesengebirg. Sourd à toutes les représentations, il saisit, d’autorité la somme, et reprit aussitôt le chemin de la montagne, n’ayant ni les moyens, ni la volonté de défendre ceux qu’il compromettait par cet enlèvement. Il en résulta qu’à l’expiration du délai, le pays fut militairement occupé. Les habitants eurent beau crier, exposer leur mésaventure; l’autorité française ne les écouta pas plus que l’autorité prussienne n’a écouté, de nos jours, des réclamations semblables en France. Il fallut s’exécuter une deuxième fois, et on eut de plus à supporter des logements militaires pendant plusieurs semaines. Tel fut le plus clair résultat du détournement de ces fonds, dont la majeure partie n’arriva pas jusqu’aux coffres de S. M. prussienne [1]Les annales de la guerre de 1870 nous fournissent malheureusement aussi des faits semblables. L’un des plus saillants est relaté dans les Éphémérides du département de l’Aisne, par … Continue reading ).

Le commandant Negro n’avait pas donné signe de vie pendant cette exécution, confiée aux soldats du Wurtemberg alors nos alliés. Mais ils ne furent pas plus tôt partis que Negro reparut, et se mit à trancher du dictateur, prétendant qu’il reprenait possession du pays au nom du Roi, que les habitants devaient s’estimer trop heureux de pourvoir aux besoins de leurs braves défenseurs. A ceux qui ne semblaient pas assez convaincus de leur bonheur, il s’efforçait d’inculquer le patriotisme à grands coups de canne. Il fit arrêter et conduire à Glatz, comme suspects d’intelligences avec l’ennemi, quelques fonctionnaires civils dont tout le crime était d’avoir chicané sur les réquisitions. Un jour même, procédant à l’interrogatoire d’un individu soupçonné peut-être faussement d’espionnage, il lui fit administrer une telle schlague pour le contraindre à s’avouer coupable, que le pauvre diable en mourut. « Cette conduite, dit avec raison le narrateur, n’était bonne qu’à indisposer la population. On finissait par redouter encore plus les visites de tels amis que celles de l’ennemi. »

On remarqua aussi à propos de ces tirailleurs Negro et autres semblables, qu’ils faisaient de grandes bravades, marches et contremarches, mais en définitive ne s’exposaient guère. La même observation a été faite à une époque plus récente, et ailleurs qu’en Silésie…

Un jour, néanmoins, ou plutôt une nuit, Negro fut vraiment aux prises avec l’ennemi. Il surprit à Buntzlau des soldats de la Confédération qui escortaient un convoi d’argent. Il perdit un homme, mais en tua plusieurs, sans compter une pauvre femme qui attrapa une balle dans cette échauffourée. Les Negro s’emparèrent de l’argent et ramenèrent quelques prisonniers.

Cette fois, le commandant se posa tout à fait en libérateur de la Silésie. Au lieu de mettre promptement son butin en sûreté, il le promena en grand apparat dans plusieurs localités, et fit à Hirschberg une véritable entrée triomphale. Le soir, il s’en alla avec ses officiers à Warmbrunn, où l’on trouvait encore, dans ces tristes circonstances, des distractions de toute espèce. Ils se reposèrent sur leurs lauriers, dans cette Capoue silésienne, inter pocula et mulieres, et ne revinrent que le lendemain assez tard à Hirschberg, où le chef consacra encore le reste de la journée à ses deux distractions favorites, la bouteille et l’administration de la schlague. Pendant la nuit suivante, l’explosion fortuite d’une arme à feu mit toute la ville en émoi. On crut à une surprise de l’ennemi ; en un clin d’œil tout le monde fut sur pied, sauf le commandant et ses hommes qu’il fut impossible de réveiller. Ils ne reprirent connaissance que vers dix heures du matin. Alors seulement, ils se mirent en devoir de conduire leur prise à Glatz ….. Une entreprise ainsi conduite devait mal finir. Encore engourdis des excès de la veille, Negro et ses hommes cheminaient lentement, en désordre, sans précaution. Ils allèrent ainsi donner tête baissée dans une embuscade de soldats franco-allemands qui mirent la troupe en déroute, reprirent le butin et firent plusieurs prisonniers. De ce nombre était le commandant, qui resta prisonnier à Breslau jusqu’à la conclusion de la paix. En quelques semaines il avait enlevé dans le pays et gaspillé près de cent mille thalers. Voilà à quoi servaient la plupart de ces corps francs.

Les débris de celui-là s’étaient rejetés dans les montagnes du côté d’Hirschberg. Ils se cantonnèrent à Schreibershau, localité célèbre alors comme aujourd’hui par ses verreries, et d’un accès assez difficile. Pour les déloger de là ou les contenir, on détacha, des troupes de la Confédération employées au siège de Neiss, un certain nombre d’hommes qui vinrent occuper Hirschberg. Il y eut entre les éclaireurs des deux partis des rencontres fort insignifiantes, mais qui attirèrent de sérieux désagréments aux populations inoffensives. Les soldats wurtembergeois et bavarois les accusaient de s’entendre avec les tirailleurs prussiens, et s’en autorisaient pour satisfaire cette passion du pillage, héréditaire, paraît-il, dans les armées de la grande patrie allemande. Plusieurs villages furent mis à contribution, plusieurs paysans roués de coups et leurs chaumières saccagées en représailles de la mort du cheval d’un dragon bavarois, tué d’un coup de feu dont on ne put jamais découvrir l’auteur [2]C’est ainsi qu’au mois d’avril 1871, c’est-à-dire en pleine paix, plusieurs. notables de deux communes du département de l’Eure, ont été séquestrés et contraints … Continue reading

La ville même d’Hirschberg faillit plusieurs fois être mise à sac; elle fut sauvée par le commandant de place bavarois. Notre auteur cite plusieurs traits honorables de cet officier. On lui amena un jour deux paysans convaincus d’avoir recelé des tirailleurs prussiens. Les pauvres gens s’attendaient pour le moins à la schlague et au cachot; le commandant les invita seulement à être désormais plus circonspects. Ce digne homme se nommait Leibelfing :

On l’enverrait à l’école aujourd’hui.

Sauf ces traits de générosité, tout cela ressemble fort à ce qui s’est passé en France. Il y a néanmoins cette différence qu’en 1806, les violences exercées contre les populations sédentaires qui prenaient part à la résistance avaient tout à fait un caractère spontané et purement individuel. On ne s’était pas avisé de faire à tête reposée des règlements militaires assimilant au brigandage la défense nationale, menaçant de la peine capitale ou au moins des galères tout individu coupable d’avoir pris les armes pour repousser l’invasion de sa ville ou de son village natals, « à moins qu’il ne fût revêtu d’un uniforme assez apparent pour être facilement distingué sans lunette à portée de fusil « . (Proclamation royale du 28 août 1806.) L’honneur de ce progrès, si c’en est un, était réservé aux Prussiens de 1870.

La garnison franco-allemande d’Hirschberg finit par recevoir une autre destination. Les tirailleurs prussiens recommencèrent aussitôt à venir en reconnaissance dans cette ville. N’étant plus inquiétés, ils menaient joyeuse vie, fêtaient les cartes, la bouteille et le reste. Pour subvenir à ces dépenses plus ou moins militaires, ils vinrent proposer aux habitants d’Hirschberg de souscrire un emprunt de 40,000 thalers, hypothéqué sur les forêts du comté de Glatz. Il est vrai que ces forêts étaient déjà en grande partie au pouvoir des Français, mais les emprunteurs répliquaient qu’au temps de la seconde guerre punique on avait bien trouvé à vendre le terrain sur lequel campait Annibal aux portes de Rome. Les fabricants de toiles d’Hirschberg n’étaient pas des Romains ; ils déclinèrent la proposition d’emprunt, alléguant la stagnation des affaires et l’épuisement du pays. Les gens de Schreibershau trouvèrent naturellement ce refus incivique au premier chef : à tort ou à raison, ils se figuraient que ces capitalistes récalcitrants auraient bien su encore trouver de l’argent pour l’ennemi. En conséquence, ils résolurent un peu légèrement de procéder comme en pays conquis. Une belle nuit, plusieurs notables de la ville furent enlevés et conduits au camp prussien. Là, on leur signifia qu’ils seraient gardés comme otages jusqu’à la conclusion de l’emprunt. Ils furent toutefois relâchés au bout de quelques jours, et cette singulière négociation n’eut pas de suite. Les gens d’Hirschberg avaient menacé de porter plainte au Roi.

Un peu plus tard, le commandement de ce corps franc fut confié à un brave militaire, le major Putlitz, qui prenait au sérieux le métier de partisan. Cet officier voulut harceler les troupes occupées au siège de Glatz ; mais, dès la première rencontre, il fut blessé et fait prisonnier. Après lui, les tirailleurs de la haute Silésie retombèrent dans leurs anciens errements, poussant des reconnaissances dans le plat pays quand l’ennemi s’éloignait, se repliant à son approche : Warmbrunn était toujours leur objectif favori. Ils voulaient à toute force y découvrir des espions; et, comme bien on pense, leurs soupçons s’adressaient surtout aux plus riches baigneurs. Ils maltraitèrent et rançonnèrent, sous ce prétexte, des gens vraiment malades et tout à fait inoffensifs. L’intendant d’un prince de Hohenzollern (aïeul de celui dont on a tant parlé en 1870) fut une de leurs victimes.

Cet individu, qui prenait les eaux pour ses rhumatismes, fut emmené au frais dans la montagne, et contraint de racheter chèrement sa liberté. Ils mirent aussi à contribution un harpiste qui était venu tout bonnement à Warmbrunn, pour donner des concerts. La découverte parmi ses effets d’une paire d’éperons en argent, que par parenthèse il ne revit jamais, avait paru à ces Prussiens une présomption de culpabilité suffisante. Comme certains patriotes français que nous avons vus à l’œuvre en 1870, ils étaient fort disposés à voir dans tous les gens bons à piller, des auxiliaires de l’ennemi.

Le gouvernement prussien, ayant reçu des informations exactes sur les hauts faits de ce corps de partisans et de quelques autres semblables, en ordonna enfin la dissolution. Ce fut une mesure sage, mais tardive. Sauf les petits exploits de Schill en Poméranie, ces milices irrégulières avaient été généralement plus nuisibles qu’utiles. Elles n’avaient exercé aucune influence sur les grandes opérations, et n’avaient guère fait autre chose qu’aggraver inutilement les souffrances de la population sédentaire pendant l’invasion.


 

 

References

References
1 Les annales de la guerre de 1870 nous fournissent malheureusement aussi des faits semblables. L’un des plus saillants est relaté dans les Éphémérides du département de l’Aisne, par M. Fleury. Le 25 novembre, six cents hommes se présentent chez le maire de Rosoy, « et le forcent, sous peine d’être immédiatement fusillé, de leur remettre 26,164 francs, qu’à titre de maire du chef-lieu de canton il avait touchés des maires de vingt communes, à valoir sur les contributions levées par les Prussiens… Avisé de cet événement, le gouverneur général prussien répondit, comme on devait s’y attendre, que son gouvernement ne pouvait se contenter de ce récit… » Et il fallut payer deux fois. Il en résulta que, peu de jours après, d’autres francs-tireurs étant venus pour pratiquer la même opération dans le canton de Sissonne, furent forcés de reculer devant l’attitude menaçante des habitants. (V. Fleury, Éphémérides, pp. 46, 49, 51
2 C’est ainsi qu’au mois d’avril 1871, c’est-à-dire en pleine paix, plusieurs. notables de deux communes du département de l’Eure, ont été séquestrés et contraints de payer dix mille francs d’amende, en punition d’un coup de fusil à petit plomb, qu’on prétendit avoir été tiré sur deux cavaliers prussiens par un braconnier inconnu… Mais le plus curieux, c’est qu’en définitive il a été reconnu que ce coup de fusil était de l’invention du commandant prussien, qui n’avait nullement tenu compte de cette rentrée à ses supérieurs. Aussi l’argent a été finalement restitué, mais les otages n’en ont pas moins subi deux mois de détention rigoureuse, sans aucune indemnité.