Les campagnes de la guerre russo-turque de 1806-1812
Pour comprendre les buts politiques et militaires de la Russie dans sa lutte avec l’empire Ottoman, il faut remonter jusqu’à Pierre Ier au début du 18e siècle. La tradition d’expansion de la Russie vers l’Est se trouva alors complétée par une volonté de devenir une puissance maritime. Or cet éternel problème, ne pouvait et ne peut encore aujourd’hui , être résolu que par le contrôle des détroits du Bosphore et des Dardanelles. La mer Noire étant la seule mer libre de glace en hiver. Pierre Ier sensible à cette question lutta de toutes ces forces pour développer le commerce en mer Baltique (guerres du Nord contre la Suède) mais aussi , en conquérant l’Ukraine et en ayant des vues sur la Crimée. En faisant cela , il se heurtait directement à la Porte, car les Khans de Crimée étaient sous protection Ottomane.
Ses successeurs reprirent cette expansion vers le sud mais ce fut surtout Catherine II qui définit une nouvelle politique qui portait en germe plus d’un siècle de guerres contre les turcs. Cette politique, surnommée » le projet grec « , lança la Russie dès 1768 dans une guerre sans merci . En 1771, une flotte russe pénétra en Méditerranée et appela les grecs orthodoxes à se révolter, l’incendie de la flotte des turcs déboucha sur le traité de Kutschuk-kaïnardji en 1774. La Russie y gagna l’ouverture de son commerce sur la mer Noire ainsi que le port d’Azov. Suite à ce conflit, la faiblesse de l’empire Ottoman poussa la Russie vers une alliance avec l’Autriche-Hongrie en vue de se partager la péninsule balkanique. La Valachie, la Moldavie et la Bessarabie devant donner naissance à la Dacie, alors que Bulgarie, Serbie, Albanie et Grèce deviendraient un Empire gouverné par le Grand Duc Constantin, neveu de Catherine.
La guerre faillit reprendre en 1784 par l’annexion russe de la Crimée et la fondation de Sébastopol en violation des traités existants. La porte, faisant preuve de duplicité (soutien aux tatars de Crimée révoltés et négociations ouvertes) se trouva acculée à nouveau aux hostilités en 1787. Du fait des affaires européennes, les combats prirent fin en 1792 par la paix de Yassy qui laissait à la Russie le pays entre Dniestr et Boug. Les escarmouches à la frontière ne cessèrent jamais. C’est avec les guerres de l’Empire que l’importance de l’alliance Ottomane reprit vigueur. La politique de la France contrariait d’une belle façon toutes les espérances russes. L’ambassadeur extraordinaire Sébastiani reçut les directives suivantes de napoléon [10] « Je veux m’en servir [la Turquie] tel quel comme opposition à la Russie. « .
Les lignes de force des souhaits impériaux peuvent laisser rêveur: une triple alliance France- Turquie- Perse, fermeture par tous les moyens du Bosphore aux russes, aucun soutien aux rebellions anti-turques, consolidation du Nizam-Djedid. La conséquence des négociations de Sébastiani avec le Divan fut de pousser la Porte à déclarer la guerre à la Russie le 24 Décembre 1806.
Le plan de guerre turc semble avoir été inspiré par le général Sébastiani, l’armée Ottomane était divisée en trois principaux corps: au centre le Grand -Vizir avec 50.000 hommes dont 30.000 réguliers (Nizams ?), à l’aile gauche 60.000hommes et à l’aile droite 20.000 cavaliers proches de Silistrie. L’aile droite et le centre rassemblés devaient traverser le Danube vers Silistrie et remonter vers le Boug en vue de couper les communications de l’armée russe qui s’était avancée vers Bucarest. La campagne de 1807 vit l’application de ce plan , les russes devant abandonner la Valachie. Mais l’inactivité de la principale armée [11] « fumant la pipe, assise sur ses talons » et la révolte grondante de janissaires compromit définitivement le succès de cette entreprise.
Le 31 mai 1807, les auxiliaires des batteries qui défendaient le Bosphore, les Yanaks,se révoltèrent, poussés par les mots d’ordre des Janissaires. Dans Constantinople à feu et à sang , les Janissaires lancèrent une vaste chasse aux partisans du Nizam. Les soldats réguliers furent massacrés et Sélim ne dut sa vie qu’à une volte face pleine de honte devant l’émeute en abandonnant tous ses partisans à la fureur de la populace. Bien que continuant à régner, Sélim n’était plus qu’un jouet dans les mains de l’Aga des Janissaires. Sur le front, toutes les opérations furent immédiatement arrêtées. La paix de Tilsitt les 7 et 9 juillet 1807 marqua le retournement de la politique française vis à vis de la Porte. L’alliance de la France avec la Russie indiquait déjà le démembrement de » l’homme malade de l’Europe « , la France s’engageant à faire pression sur Constantinople pour mettre fin au conflit sous trois mois sous peine d’intervenir en Méditerranée et dans les Balkans à partir de Raguse où les troupes de Marmont se rassemblaient. Ce coup du sort fut fatal à Sélim qui fut remplacé par son neveu Mustapha IV. L’armée des frontières de retour dans la capitale essaya de restaurer le pouvoir de Sélim qui fut de façon prévisible assassiné par ses gardiens. Mustapha IV ne lui survécut que très peu de temps et le seul survivant de la famille devint Sultan sous le nom de Mahmoud II, il prit pour grand Vizir le principal soutien de Sélim dans la réforme militaire Mustapha Baïrakdar.
Celui-ci conscient du danger représenté par les Janissaires se fit entourer d’une garde personnelle (tirée des Nizams) de 10.000 hommes qu’il affilia administrativement aux Janissaires. Malgré ses efforts et son » profil bas « , les janissaires se révoltèrent à nouveau, le Vizir réfugié dans l’arsenal de la ville ne trouva une fin digne qu’en se faisant sauter avec la poudrière. La gigantesque explosion fut le signal de la » Saint Barthélemy » des nizams. Effrayé par la violence des réactions des janissaires Mahmoud II décida d’attendre patiemment son heure. Ce ne fut qu’en 1825 que des nouvelles réformes militaires furent appliquées, l’inévitable révolte des Janissaires marqua cependant leur élimination définitive.
Le renversement des alliances poussa Mahmoud II à s’allier avec l’Autriche -Hongrie et l’Angleterre. La Russie rompit alors l’armistice consécutif à l’application du traité de Tilsitt et envahit à nouveau la Valachie. La campagne de 1809 ne fut qu’une série de marches et contremarches, seul le siège et la prise de Silistrie par les Russes méritent d’être notés. L’année 1810 se présenta mieux pour les Russes avec l’envoi de renforts conséquents, suivant la fin de la guerre contre la Suède. Le général Kamenski, fort de ses récents succès en Finlande reçut le commandement en chef et récolta les lauriers de la campagne de 1810.