Correspondance de Napoléon – Mars 1806
Paris, 26 mars 1806
NOTE POUR LE MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
Plusieurs députations se sont présentées sans autre pouvoir que la volonté des individus qui les composaient ou l’autorisation des préfets.
Des individus n’ont pas le droit de se constituer députés.
Les préfets n’ont pas le droit de constituer des députés.
Des députations peuvent être envoyées, 1° par les collèges électoraux; 2° par les conseils généraux; 3° par les conseils municipaux.
Lorsque les collèges électoraux enverront une députation, la députation ne sera admise que si la proposition a été délibérée par le conseil à la majorité des voix, si les députés ont été nommés par le scrutin, si l’adresse dont ils seront porteurs a été rédigée et par le collège.
Les conseils généraux, lorsqu’ils voudront faire des représentations ou qu’ils seront déterminés par tout autre motif, ne pourront délibérer une députation que sur l’autorisation du ministre de l’intérieur. Les députés seront nommés au scrutin par le conseil, et l’adresse rédigée et délibérée par lui.
Les députations des villes seront délibérées par les conseils municipaux, qui nommeront les députés au scrutin et arrêteront, par délibération, ainsi que les collèges électoraux, l’adresse dont les députés seront porteurs.
Lorsque ces diverses députations seront arrivées à Paris, elles se présenteront au ministre de l’intérieur, qui ne proposera leur admission à Sa Majesté qu’après avoir vérifié si toutes les formalités sus prescrites ont été remplies.
Le ministre est invité à rédiger, d’après ces bases, une instruction en forme de circulaire, qui sera adressée à tous les préfets, et qui pourra être imprimée.
Paris, 26 mars 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, vous trouverez ci-joint deux bordereaux de lettres de change que le payeur, M. Mesny, agent des contributions, a livrées par les ordres du maréchal Masséna. Mon intention est que vous fassiez connaître mon mécontentement à ce payeur de ce qu’il a donné la main à une aussi coupable manœuvre. Les fonds ne doivent sortir de la caisse du payeur que sur ordonnance de l’ordonnateur. Envoyez copie de ces bordereaux à Milan au vice-roi, à
Gênes à l’architrésorier, à Parme au général Junot, et dans les autres pays aux agents que j’y ai, pour que cet argent soit séquestré, avec la déclaration du payeur que cet argent doit rentrer dans sa caisse. Vous en préviendrez le payeur, en lui notifiant que , si ces sommes ne sont pas rétablies dans sa caisse, il en sera comptable. Sur ces quatre millions, 2,500,000 francs ont été recouvrés à Milan; il ne reste donc plus que 1,500,000 francs à rentrer. Faites une circulaire aux payeurs pour leur rappeler que, sous leur responsabilité, ils ne doivent laisser sortir aucun argent de leur caisse que sur les ordonnances de l’ordonnateur ou de l’inspecteur aux revues.
Paris, 26 mars 1806
A M. de Talleyrand
Monsieur de Talleyrand, vous ferez connaître à M. de Vincent que je vois avec peine qu’on renvoie M. de Cobenzl; son nom est trop odieux à Paris. Dites-lui qu’il est assez désagréable de voir que toutes les personnes de l’intrigue de Cobenzl, et qui ont conseillé l’alliance de la Russie, sont ceux qu’on emploie, et que ceux du bon parti sont ceux qu’on écarte; que cela présage de nouveaux malheurs. Faites également appeler le chargé d’affaires et dites-lui la même chose. Dites-lui qu’on rend justice à M. de Cobenzl, mais qu’il est impossible qu’un homme de ce nom puisse être désormais accueilli en France. J’écris au maréchal Berthier pour qu’il ne lui soit point donné de passeports. Tâchez de m’informer si M. de Cobenzl s’est retiré à Vienne, afin que, si je me décide à lui envoyer l’ordre de ne pas entrer chez moi, je sache par quel point il viendra. Remarquez que dans la lettre qu’on vous écrit de Vienne, du 10 mars, on pressent si ce choix serait agréable. Répondez que, si l’on voulait être agréable, il faudrait envoyer ici quelqu’un de la maison de Kaunitz, maison vraiment autrichienne, et qui a été longtemps attachée au système de la France. Informez-vous, avant, s’il y a un Kaunitz dans le cas d’être envoyé ici, autre que celui dont vous m’aviez dit tant de bien.
Paris, 26 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, les armements de Tunis ne peuvent pas nous regarder, nous sommes très-bien avec la régence.
Je reçois votre lettre du 22; je vois avec plaisir que 3,551, 000 francs sont déjà recouvrés. Faites payer la solde à toute mon armée et tenez-la bien au courant. Ayez soin qu’aucune somme ne sorte que par ordonnance de l’ordonnateur ou de l’inspecteur aux revues car, lorsqu’on veut être sévère avec les autres, il faut observer soi-même toutes les formes. Je m’en rends esclave plus que qui que ce soit; on ne payerait pas à Paris un sou, sur mon ordre, sans une ordonnance du ministre.
J’ai donné ordre qu’on arrêtât le nommé Ardant à Naples. Solignac est parti; il a promis de faire verser cinq à six millions. C’est à cette condition que j’arrête toute poursuite. Vous pouvez sans difficulté ordonner le versement, dans la caisse du payeur, des sommes de M. Bignani, qui mettra dans sa caisse les reçus de M. Ardant, ce qui couvrira les contre-bons. Les 2,400,000 francs à tirer par le payeur de Naples commencent déjà à m’arriver; mais les traites sont à l’échéance de trois ou quatre mois. Je désire que, sur ce qui vous est rentré et rentrera, le payement de ces sommes soit perçu.
Je n’ai pas un rapport bien exact de vous sur la situation de votre armée. N’accordez à chacun que ce qui lui revient. J’ai donné des fournitures aux corps; ne donnez pas plus que je n’ai accordé; cela doit suffire. Quant à la solde, qu’elle soit exactement payée; rien sur ce chapitre ne doit être en arrière. J’ai ordonné que l’armée fût mise sur le pied de paix; vous entendez bien que cela ne regarde pas le nombre de soldats , mais seulement les traitements et les fournitures.
Vous devez avoir un payeur général à Milan; il doit avoir des préposés à Venise, en Istrie, en Dalmatie, auprès du corps du général Marmont, et enfin près des autres divisions militaires.
Faites en sorte que l’Istrie et la Dalmatie ne manquent pas d’argent. Ils doivent facilement se procurer de la viande par la Bosnie.
Envoyez-leur du riz; il y a beaucoup d’huile; ils ne doivent pas non plus manquer de vin. Faites payer exactement leur solde. Mettez un homme très-intelligent pour payeur de cette province.
Paris, 26 mars 1806, midi
Au prince Eugène
Mon Fils, les trente pièces de 18 que vous avez envoyées à Zara ne sont pas suffisantes; il faudrait y envoyer plusieurs pièces de 6 et de 3 et des obusiers pour servir à la défense des fortifications du côté de terre. N’envoyez, autant que possible, que des pièces de fer. Je vois qu’il y a à Palmanova 10,000 fusils; faites-les mettre en salle d’armes, et veillez à ce qu’ils soient tenus en bon état, ainsi que les mousquetons, baïonnettes, etc.
Donnez ordre au général de brigade Buchet de se rendre en Istrie et en Dalmatie, pour faire l’inspection de toutes les places. Il désignera la quantité d’artillerie nécessaire pour la défense de chaque port et de chaque place, et fera ce qu’on appelle l’armement des principaux points fortifiés de la Dalmatie.
Je vois dans une lettre du général Mathieu Dumas que les Autrichiens voudraient enlever de l’île de Pago leurs sels; ils nous ont trop maltraités en Dalmatie; il ne faut leur laisser rien emporter, et tout garder.
Envoyez un officier d’état-major dans la Carniole et la Hongrie pour savoir pourquoi les prisonniers ne sont pas rentrés; il prendra des renseignements sur les lieux où ils se trouvent. Il pourra même pousser jusqu’à Vienne.
Paris, 26 mars 1806, midi.
Au prince Eugène
Mon Fils, j’ai reçu le mémoire du général Poitevin sur la Dalmatie. Faites-lui connaître que je l’ai trouvé maigre, fait à la hâte et ne disant rien. Il ne lui était pas difficile de parler des routes, des communications, des établissements, des casemates, des magasins, du nombre d’hommes qui peuvent servir à la défense des différents points. Demandez-lui donc des renseignements plus détaillés et des reconnaissances plus réelles que celles qu’il m’envoie.
J’ai déjà donné des ordres pour proclamer le Code Napoléon dans les États vénitiens. Je suis étonné qu’au 20 mars vous n’ayez pas reçu ce décret. Vous avez très-bien fait de faire verser les 2,800,000 francs par les banquiers de Milan. Le vif-argent qui a été pris a au moins une valeur de 2,500,000 francs. Je ne sais pourquoi les traites des banquiers de Vienne sont dans la caisse du payeur de l’armée du général Marmont. Donnez ordre qu’elles soient envoyées à la caisse d’amortissement.
- Hennin, que vous avez nommé receveur général des contributions dans le pays de Venise, refuse de rendre ses comptes à M. Duliège, que la trésorerie a nommé pour lui succéder; il est autorisé par vous. Cela West pas en règle; les affaires de finances ne se traitent pas ainsi. Ordonnez à M. Hennin de rendre ses comptes et envoyez-m’en copie. Si vous n’avez pas de raisons particulières qui s’y opposent, faites-lui rendre ses comptes à M. Duliège. Je laisse sous cachet volant la lettre que j’écris au conseiller d’État Dauchy. Je lui témoigne mon mécontentement de ce qu’il ne m’a pas instruit qu’il avait arrêté le vif-argent de Venise, ce que je n’ai appris que par le ministre, parce qu’il ne vous en avait point rendu compte; qu’ilest indispensable qu’il communique tous les jours avec vous.
Paris, 26 mars 1806
A M. Dauchy
Monsieur Dauchy, je n’approuve point que vous ne rendiez pas compte au prince Eugène; vous lui devez compte de tout ce qui garde votre service, et vous devez correspondre avec lui au moins tous les jours. Ce prince correspond avec moi plusieurs fois par jour et m’instruit de la situation des affaires de mon royaume d’Italie. Il est mon lieutenant et mon premier agent dans ce royaume et dans les pays de Venise. Vous devez donc lui rendre compte de tout. avez fait arrêter le vif-argent de Venise; faites-moi connaître à combien se monte le produit. Mon intention est qu’il rentre en
entier dans la caisse de l’armée. On y a déjà fait rentrer une partie des sommes qui en avaient été détournées. Je désire que vous informiez le prince Eugène de tout ce qui viendrait à votre connaissance, afin qu’il m’en rende compte et vous transmette mes ordres plus rapidement; ce qui ne doit pas vous empêcher de correspondre une fois par semaine au moins avec M. Gaudin.
Paris, 26 mars 1806
DÉCISION
Le ministre directeur de l’administration de la guerre remet à l’Empereur l’analyse du rapport de la commission nommée pour rechercher les malversations exercées à l’occasion des versements ordonnés pour le service de l’armée d’Italie. | Tous les individus nommés dans le rapport du ministre, à l’exception des sieurs Grobert et Masséna, qui ont été destitués, seront arrêtés. Ils seront placés dans les prisons de Mantoue et traduits devant une commission militaire. S’ils n’étaient plus en Italie, on les y enverrait; à cet effet, ils seront arrêtés en France, partout où on les trouvera. Il sera fait un rapport particulier sur ceux que la commission ne condamnerait point, afin qu’ils soient destitués et déclarés incapables de servir dans quelque administration ou établissement public que ce soit. |
Paris, 27 mars 1806
A M. Gaudin
Je vous renvoie votre rapport sur la communication des postes à établir d’ici à Naples, en laissant toujours les lettres entre les mains des préfets français. Vous ne me parlez pas d’une communication semblable d’ici à Milan., ce qui me fait supposer qu’elle existe. D’ailleurs, si elle n’existait pas régulièrement, elle existerait du moins par l’estafette. Faites-moi cependant connaître si, indépendamment de l’estafette, une communication sûre avec Milan existe par des malles. Cela étant, on pourrait se passer de celle de Milan à Venise. On pourrait en établir une de Milan à Naples. Il faudrait qu’on pût envoyer tous les jours à Naples. Vous me dites que cela coûterait 400,000 francs. Il faudrait prévoir ce que cela rendrait et aussi ce que cela économiserait; car enfin j’ai aujourd’hui une armée très nombreuse à Naples. Cette armée a des postes; comment arrive ses lettres? Il faudrait que les lettres de l’armée et du commerce couvrissent les dépenses du service qu’il s’agit de monter. Toutefois, je ne regretterai jamais une dépense qui aura pour résultat de faire disparaître l’inconvénient des distances. Mon intention est que le directeur général fixe toute son attention sur les moyens d’activer l’arrivée des courriers d’ici à Nice, à Gênes, à Turin, à Wesel, Amsterdam, à Strasbourg, à Bayonne, à Brest. S’il est possible de rendre ces communications plus rapides d’un jour, il faut me proposer des mesures pour le faire. Cela me coûterait-il de l’argent, ce serait de l’argent bien employé; d’ailleurs, en augmentant le port des lettres, on s’indemniserait de l’augmentation des frais. Plus l’Empire est vaste, plus on doit donner d’attention à ces grands moyens de communication. Je l’éprouve déjà pour Milan. Depuis que les estafettes sont établies, je gouverne Milan avec autant de facilité que Lyon. Les courriers extraordinaires coûtent beaucoup d’argent et ne donnent pas un résultat satisfaisant. L’administration est régulière; ce n’est que dans la régularité qu’est l’avantage. Il faut donc regarder l’estafette de Milan comme un établissement permanent. C’est un service dont il faut approfondir les détails, afin qu’il se fasse encore plus rapidement, s’il est possible. Pourquoi la poste de Paris ne donnerait-elle pas à cette estafette un paquet d’une vingtaine de livres ? Pourquoi Lyon ne lui donnerait-elle pas autant ? Quel poids de lettres faudrait-il que l’estafette portât pour que la dépense se trouvât tout à fait couverte ? J’envoie beaucoup de courriers à Naples; mais je n’y trouve pas le même avantage que par l’estafette. Je ne veux pas cependant confier mes dépêches à ces postillons inconnus qui sont sur les routes de Milan à Naples; mais il me semble qu’il pourrait être possible d’établir une communication française par un courrier qui irait de Parme à Bologne, serait remplacé à Bologne par un autre qui irait de Bologne à Rimini; celui-ci serait relayé à Rimini par un autre qui irait à Ancône; celui d’Ancône irait à Foligno; celui de Foligno à Rome, et enfin celui de Rome à Naples; de manière qu’avec six courriers pour aller et six pour revenir, total douze courriers, et seize au plus, mes dépêches seraient toujours entre des mains françaises et arriveraient avec rapidité. Comme ces hommes deviendraient très-pratiques de la route et connaîtraient bientôt les maîtres de poste , les chevaux ne retourneraient pas à vide; la régularité du service pour l’aller et le retour croiserait les courriers et ramènerait exactement les chevaux. Je pense que cette disposition est assez intéressante pour que M. Lavallette me fasse à cet égard un rapport très détaillé. J’ai aujourd’hui de grands intérêts à Naples, et il n’y a de moyens d’y pourvoir que par les estafettes. Il faudrait qu’à Alexandrie le paquet de Naples fût détaché pour être porté jusqu’à Parme, et de là être expédié à Naples par la nouvelle organisation. Les courriers italiens vont en voiture, ce qui nécessairement, dans les Apennins, apporte de grands retards. Le voyage d’ailleurs est tellement long qu’un courrier y perd beaucoup de temps. D’ici à Milan, l’estafette met généralement de quatre-vingt-douze à quatre- vingt-seize heures. Les courriers mettent beaucoup plus de temps, or la course d’ici à Milan n’est qu’une course ordinaire. Il y a quarante-huit heures à gagner en établissant l’estafette d’ici à Naples. Les dépêches d’ici à Naples devraient parvenir en huit jours; en huit jours je devrais recevoir celles de Naples, ce qui ferait que j’aurais une réponse en seize jours; alors ce pays ne serait pas plus éloigné que ne l’était Milan lorsque les généraux et les ministres ne pouvaient correspondre que par la poste; la malle de l’administration n’avait guère ses réponses qu’en seize jours.
Paris, 27 mars 1806
A M. Mollien
Monsieur Mollien, il ne faut qu’un payeur dans le royaume d’Italie; sans quoi il y aura désordre et confusion; mais il faut établir un préposé du payeur à Venise, un en Istrie et un en Dalmatie, indépendamment des préposés qu’il doit y avoir dans les grandes divisions de l’armée. Quant aux états que vous me remettez de la situation de la caisse de ce payeur au 15 mars , ils ne me satisfont point. Je désire que, dans chaque état qu’il vous enverra, il vous fasse connaître les recettes par nature de recettes, en distinguant les dépenses faites par le ministre de la guerre et par le ministre de l’administration de la guerre. A cette occasion, je vous prie de me faire connaître si, au conseil des finances du 15 avril prochain, je pourrai savoir à quoi m’en tenir sur ce qui est dû par mois sur les crédits des années antérieures et même de cette année; cela me devient important pour que j’aie une idée nette de ma position.
Paris, 29 mars 1806, 10 heures du matin
Au prince Eugène
Mon Fils, je reçois votre lettre du 21. Si le cardinal Oppizzoni n’est pas coupable, ce qu’on lui a fait demande vengeance; s’il est coupable, ce qu’on lui a fait n’en est pas moins mal. Parlez de ma part au cardinal; faîtes-lui connaître que mon opinion à cet égard est que, si la chose est vraie, je n’en tiens pas moins l’administration de Bologne comme coupable, et que, si les faits sont faux, elle doit être punie exemplairement. Si, en effet, l’accusation n’est pas vraie, faites venir la prostituée, la tante, l’employé qui avait fait le rôle du cardinal, et donnez le plus grand éclat à cette infamie; mais il faut être bien sûr des faits.
Dans mon opinion particulière , et malgré tous les raisonnements que vous me faites, je suis porté à croire que la chose est vraie. L’interrogatoire du préfet, de l’employé qui est supposé avoir fait le rôle du cardinal; ce que le cardinal vous dira confidentiellement; ce que vous aurez vous-même remarqué; ce que des hommes dont l’expérience vous manque, tels que Moscati, croiront entrevoir de cette affaire, après en avoir causé (mais non pas avec le cardinal, dont le caractère ne doit jamais être compromis) : ces diverses données fixeront mon opinion, et alors je prendrai, s’il le faut, un décret pour créer un tribunal extraordinaire; car une telle infamie serait un crime envers tous les citoyens; mais le crime serait bien plus grand envers un cardinal; ce serait attenter envers la religion et mettre le désordre dans l’État. J’ai cependant peine à croire qu’on puisse se rendre coupable à ce point pour faire seulement niche à l’Église, à moins qu’il n’y ait quelque inimitié particulière, et c’est aussi ce qu’il faut chercher à vérifier.
Vous m’annoncez dans votre lettre du 20 une carte que je n’ai point reçue.
RELATION OFFICIELLE DE LA BATAILLE D’AUSTERLITZ, PRÉSENTÉE A L’EMPEREUR ALEXANDRE PAR LE GÉNÉRAL KOUTOUZOF, ET OBSERVATIONS D’UN OFFICIER FRANÇAIS.
Palais des Tuileries, 2 mars 1806
MESSAGE AU SÉNAT
Sénateurs, nous avons chargé notre cousin , l’archichancelier de l’Empire, de vous donner connaissance, pour être transcrits sur vos registres,
1° Des statuts qu’en vertu de l’article 14 de l’acte des constitutions de l’Empire en date du 28 floréal an XII, nous avons jugé convenable d’adopter; ils forment la loi de notre famille impériale;
2° De la disposition que nous avons faite du royaume de Naples et de Sicile, des duchés de Berg et de Clèves, du duché de Guastalla et de la principauté de Neufchâtel, que différentes transactions politiques ont mis entre nos mains;
3° De l’accroissement de territoire que nous avons trouvé à propos de donner, tant à notre royaume d’Italie, en y incorporant tous la États vénitiens, qu’à la principauté de Lucques.
Nous avons jugé, dans ces circonstances, devoir imposer plusieurs obligations et faire supporter plusieurs charges à notre couronne d’Italie, au roi de Naples et au prince de Lucques. Nous avons ainsi trouvé moyen de concilier les intérêts et la dignité de notre trône, et le sentiment de notre reconnaissance pour les services qui nous ont été rendus dans la carrière civile et dans la carrière militaire. Quelle que soit la puissance à laquelle la divine Providence et l’amour de nos peuples nous ont élevé, elle est insuffisante pour récompenser tant de braves, et pour reconnaître les nombreux témoignages de fidélité et d’amour qu’ils ont donnés à notre personne.
Vous remarquerez, dans plusieurs des dispositions qui vous seront communiquées, que nous ne nous sommes pas uniquement abandonné aux sentiments affectueux dont nous étions pénétré, et au bonheur de faire du bien à ceux qui nous ont si bien servi. Nous avons été principalement guidé par la grande pensée de consolider l’ordre social et notre trône, qui en est le fondement et la base, et de donner des centres de correspondance et d’appui à ce grand empire; elle se rattache à nos pensées les plus chères, à celle à laquelle nous avons dévoué notre vie entière, la grandeur et la prospérité de nos peuples.
Paris, 31 mars 1806
DÉCISION
Le ministre de la 3uerre propose de réformer, sans traitement, un sous-lieutenant d’infanterie soupçonné d’escroquerie au jeu. | S’est-il battu ? A-t-il été blessé ? Était-il à Austerlitz ? |
Paris, 31 mars 1806
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, je ne sais pas ce que le maréchal Bernadotte a à démêler avec le conseiller Nagler. Ce conseiller n’a plus rien à faire à Anspach; il a rendu le pays, sa mission est finie. Le maréchal Bernadotte doit répartir ses troupes dans le pays et vivre là jusqu’à nouvel ordre. Comment a-t-on fait dans toute la Bavière, dans toute l’Autriche ? etc.
Vous verrez dans le Moniteur que ces imbéciles de marins viennent de me faire une autre échauffourée sans exemple. J’avais expédié 5 vaisseaux pour porter des secours à Saint-Domingue; sans s’y arrêter, ils devaient continuer leur croisière pour se porter à quatre ou cinq cents lieues de là. Ils ont pris racine à Saint-Domingue et y sont restés dix-neuf jours. Une escadre anglaise supérieure est venu et les a jetés à la côte. Cela n’est pas du malheur, mais c’est d’une bêtise et d’une fatalité qui n’a pas d’exemple.
Paris, 31 mars 1806
A la princesse de Lucques
Ma Sœur, vous trouverez ci-joint le décret que j’ai pris pour la principauté de Lucques. Vous verrez que je vous donne l’autorisation de réformer vos moines, et que j’ajoute à votre principauté un assez grand accroissement de terrain; j’y mets quelques clauses qui sont importantes. Ce décret sera demain dans le Moniteur, et tout sera connu dans quelques jours.
Paris, 31 mars 1806
A la princesse de Lucques
N’allez pas tourmenter vos peuples de Piombino. Que gagnerez-vous à supprimer quatre ou cinq paroisses et quelques couvents ? Il est ridicule que tous vos amis vous mettent dans les journaux. Écrivez-leur que cela n’est pas convenable.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, vous trouverez ci-joint le décret que je viens de prendre. Il a déjà été communiqué au Sénat et sera demain dans le Moniteur. Vous le recevrez officiellement; faites-le publier et mettre à exécution. Faites-moi connaître ce que rendra le quinzième des revenus des duchés que je viens de créer. Il y en a qui rendront peu de chose; mais il y en a qui rendront beaucoup. Mon intention est de les composer de manière qu’il y en ait de 120,000 livres, 200,000 livres, et même de 300,000 livres.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, j’ai destitué le général Solignac. Mon intention est bien de lui faire rendre tout ce qu’il a pris.
L’article 3 de votre décret d’abolition de la censure est un peu vif. Tout homme est libre d’écrire et d’imprimer ses pensées , mais avec bien des restrictions. Il n’y a pas plus de loi en Italie qu’en France contre la calomnie. D’ailleurs, par un article, vous établissez la censure, car votre bureau de la liberté de la presse n’est pas autre chose qu’une censure. Mais je crois que tout cela n’a pas le même inconvénient à Milan qu’à Paris.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Eugène
Mon Fils, faites naviguer les Vénitiens sous pavillon italien. Mais vous savez qu’ils ont beaucoup de dangers à courir de la part des Russes, des Anglais; il faut donc qu’ils ne se hasardent qu’avec circonspection.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Joseph
Mon Frère, j’ai jugé convenable de finir les affaires de Naples. Les circonstances d’ouverture de négociations avec l’Angleterre m’ont décidé à ne pas perdre un moment; car, les négociations une fois ouvertes, toute chose nouvelle eût été inconvenante. Une députation de trois membres du Sénat va se rendre près de vous, et Roederer sera du nombre. La princesse Joseph est traitée de Majesté. Du moment que la députation du Sénat vous arrivera , mon intention est que vous fassiez tirer le canon et que vous receviez le serment de tous vos sujets. Vous verrez que j’ai créé six fiefs dans votre royaume. Je pense que vous devez donner le plus considérable, avec le titre de due de Tarente, au maréchal Bernadotte. J’ai donné à Berthier Neuchâtel, parce que je devais commencer par penser à celui qui me sert depuis le plus longtemps et qui ne m’a jamais manqué. Mes liaisons de parenté avec Bernadotte exigent que vous lui accordiez dans votre palais des privilèges particuliers, puisque ses enfants sont vos neveux, et que vous lui assuriez 4 ou 500,000 livres de rente. La reine de Naples l’avait fait pour Nelson. Vous voyez que je récompense et que je récompenserai amplement les chefs et les soldats. Mais soyez inflexible et ne laissez personne voler.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Joseph
Mon Frère, je vous ai envoyé le maréchal Jourdan pour que vous l’employiez comme gouverneur de Naples.
On vous a fait un monstre de cette place de Gaëte. Je ne vois que le transport d’une trentaine de pièces de canon, avec les bon et poudres nécessaires, puisse coûter tant d’argent. Je suis fâché de voir que vous ne l’assiégiez pas. Le bombardement vous coûtera plus qu’un siège; il n’y a rien de si cher qu’un bombardement, lorsqu’il est suivi. Cela vous coûtera beaucoup d’argent, et peut-être inutilement. Un siège eût été beaucoup plus sûr.
Je ne saurais que faire en France des galériens que vous m’envoyez. J’ai décidé d’en mettre 500 à Palmanova et 500 à Alexandrie, pour être employés aux travaux de ces places. Il faut aller doucement sur l’organisation des corps napolitains; il ne faut pas lever plus de deux régiments, autrement vous formeriez une canaille qui ne servirait de rien et qui s’enfuirait au premier coup de canon.
Il y a eu beaucoup d’abus dans les pays conquis en Italie; il en a eu aucun à la Grande Armée.
Le général Damas ne pouvait rien faire de passable avec d’aussi mauvaises troupes que les Napolitains.
On a déjà trouvé quatre millions provenant du maréchal Masséna; il doit en être recouvré encore deux autres. Je n’aurais pas pu payer vos lettres de change sans cette ressource. Les arrendamenti n’ont rien de sacré, parce que rien n’est sacré après une conquête. Avec ces principes-là, vous ne fonderez pas un pays. Mon opinion est que vous gouvernez Naples beaucoup trop mollement. Vous mettriez votre armée en grande aise avec plus de vigueur.
Il ne faut pas renvoyer tous les régiments italiens, afin de ne pas leur faire faire des voyages inutiles. Je ne pense pas que les affaires soient bien éclaircies. Je préfère que vous renvoyiez en Italie deux ou trois régiments francais; je vous laisse le maître de renvoyer ceux que vous voudrez; mais gardez les Italiens; ils me serviraient peu dans une grande guerre contre l’Autriche, et ils seront très-bons à Naples, parce qu’ils sont fidèles, qu’ils maintiendront la police et qu’ils sont infiniment supérieurs aux Napolitains. Dans tout état de cause, moins vous pourrez garder de troupes françaises à Naples et mieux cela vaudra. J’en ai besoin partout et ne suis pas en peine de les nourrir et de les solder. Un corps de 12 ou 15,000 hommes est plus que suffisant pour prendre la Sicile.
Vous ne m’instruisez encore pas si vous êtes maître de Reggio et de Tarente. Votre lettre est du 18. Or il y a cependant plus d’un mois que vous êtes à Naples. Tout cela va beaucoup trop lentement.
Paris. 31 mars 1806
Au prince Joseph
Le général Dumas doit vous être arrivé à l’heure qu’il est. Je désire qu’il puisse satisfaire les espérances que vous en concevez. Il a du talent. Voyant que vous n’avez personne à mettre à la tête de Naples, je vous ai envoyé le maréchal Jourdan, homme d’un grade supérieur. Il sera uniquement destiné au gouvernement de Naples. Lucatte ne peut inspirer ni aux maréchaux ni même aux habitants; il pourra remplir sous lui les fonctions de commandant d’armes.
J’ai reçu votre lettre du 13 mars. Voilà près d’un mois que vous êtes maître de Naples. Je n’entends pas encore que vous soyez à Tarente. J’espère qu’à l’heure qu’il est vos troupes sont arrivées à Reggio. Je vous ai déjà dit que j’ai réuni vos dépôts dans la Romagne et le Bolonais ; je vais y envoyer un commandant. Vous avez quatorze régiments; avec les Italiens, cela vous fera un corps beaucoup plus considérable. Vous n’avez pas besoin de 25,000 hommes pour prend la Sicile; un corps de 15,000 est plus que suffisant. Toute cette canaille, Napolitains et Siciliens, sont bien peu de chose. Les Corses étaient bien autre chose, et ils n’ont jamais résisté seulement à huit bataillons.
Les Russes se sont emparés des bouches de Cattaro, que les Autrichiens leur ont indignement livrées. Cela les attire de ce côté, qui les intéresse beaucoup plus que les affaires de Naples. Je vous ai envoyé… en or. J’ai fait payer les 500,000 francs que vous ai passés sur moi. Je ferai encore payer 2,500,000 francs de lettre de change; mais ne comptez pas sur davantage. J’ai des dépenses immenses. Mon armée doit être maintenue sur un pied respectable car tout peut ne pas être fini. J’ai pris possession de Wesel, qui est une des plus fortes places du Rhin. Je lui cède le Hanovre. Le prince Murat a été reconnu duc de Clèves et de Berg, ce qui lui donne 400,000 âmes de population. J’ai écrit en Hollande, et, sous peu de jours, le prince Louis sera fait stathouder héréditaire de Hollande.
Je désirerais avoir un rapport de vos places fortes. Ne serait-il pas convenable de raser Capoue ? Faites-moi faire, par le général du génie, un rapport général, afin que je fasse connaître mon opinion. Maîtres comme nous le sommes ….. les places fortes ne peuvent que retarder la marche d’une armée. S’il en faut, il en faudrait une seule pour servir de grande place de dépôt, où l’on pourrait réunir ses dépôts et établissements, dans le cas où il faudrait concentrer ses forces pour défendre l’Adige. Vous sentez que je parle pour dix premières années; car, dans ce terme, vous aurez assez de crédit parmi cette population pour avoir une armée vraiment napolitaine. L’armée napolitaine n’est rien, n’a jamais rien été, ne peut devenir une armée que par une suite de soins et de temps. Bien loin d’exiger que le royaume de Naples me nourrisse une trop grande armée, je voudrais y laisser le moins de troupes possible. Je voudrais n’avoir à Naples que six régiments à quatre bataillons chacun, toujours au grand complet de guerre, ce qui ferait 16,000 hommes; dix compagnies d’artillerie au complet de guerre, ce qui ferait 1,000 hommes; deux régiments de chasseurs, formant 1,600 hommes et 1,400 chevaux; deux compagnies d’artillerie légère et un bataillon du train; deux généraux de division; un général de cavalerie, un d’artillerie, six généraux de brigade. Tout le reste des officiers, si vous en avez besoin, vous les prendriez à votre service. Cette armée, je voudrais qu’elle eût son quartier général, ses dépôts, son parc, réunis dans un seul point, qui serait la place forte. Vous pourrez avoir à votre solde un régiment allemand, un ou deux régiments suisses, et je vous céderais celui que j’ai, de quatre bataillons, et composé d’hommes attachés, extrêmement opposés aux Anglais. Je ne pense pas que vous deviez tenir à Naples quatre régiments de trois bataillons chaque, car que sert d’avoir une nombreuse canaille, qui coûtera beaucoup et s’enfuira au premier coup de canon ? Les officiers qui vous viennent du royaume d’Italie sont, en général, des gens attachés. Si, ce que je ne crois pas, le peuple napolitain aimait la guerre, avec trois ou quatre régiments tous les goûts militaires doivent être satisfaits. S’il en était autrement, je préférerais avoir trois ou quatre régiments qui serviraient en France, à ma solde , que je mettrais dans le nord, qui purgeraient le pays et franciseraient aisément l’armée napolitaine. Il faut que vous réfléchissiez qu’il n’y a qu’un seul moyen de vous maintenir à Naples, c’est de faire la fortune d’un grand nombre d’officiers francais, qui s’y établiront, et, étant riches, se marieront. Cela est facile, en leur distribuant une quarantaine de millions de domaines nationaux. Ainsi donc, avant d’atteindre les grandes chaleurs, vous pouvez renvoyer en France tous les dragons qui ont besoin de se former, qui ne peuvent vous servir en Sicile et vous sont superflus à Naples. Je crois que 3,000 chevaux vous suffiraient. Et, enfin, il faut tenir vos troupes réunies pour les exercer, les tenir en bon état, et, à tout événement, se porter sur le haut et sur le bas de l’Italie.
Paris, 31 mars 1806
Au prince Joseph
Mon Frère, je vous ai déjà fait connaître mon opinion sur les opérations : elles sont trop lentes. La première chose à faire est de vous procurer de l’argent et de faire des exemples sévères des assassins. Dans un pays conquis , la bonté n’est pas de l’humanité. Plusieurs Français ont déjà été assassinés. En général, il est de principe politique de ne donner une bonne opinion de sa bonté qu’après s’être montré sévère pour les méchants.