Correspondance de Napoléon – Juillet 1806

Saint-Cloud, 17 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, pour pénétrer de Carinthie et de Carniole dans le pays vénitien, il existe trois principaux débouchés : celui de droite à Palmanova; celui de gauche à Osoppo. J’ai ordonné la construction d’un fort à Osoppo; mais j’ai demandé que les plans soient faits par les officiers du génie. La place d’Osoppo est à elle seule une place forte, et le problème que j’ai proposé aux officiers du génie est que cette belle position puisse être mise à l’abri d’une attaque de vive force avec 1,000 hommes , et puisse cependant en contenir 4 ou 5,000. Il parait que le général Lery dresse ses plans; on continue cependant les travaux pendant ce temps. Je ne désire pas qu’on les discontinue, mais je désire qu’on me communique bientôt les plans des officiers du génie. Le général Marmont propose un petit fort sur les hauteurs d’Ospedaletto, ayant pour but de fermer la vallée. Il propose ensuite une ligne de redoutes de plus d’une lieue de développement, d’Ospedaletto à Osoppo. Ces ouvrages ne peuvent être considérés que comme ouvrages de campagne, que l’on pourrait faire dans un laps de temps assez long, où l’on se trouverait obligé à une rigoureuse défensive. Il pourra être utile, lorsque Osoppo sera dans une situation respectable, d’établir sur la hauteur d’Ospedaletto un petit fort à l’abri d’un coup de main, et tel que 2 ou 300 hommes ferment la vallée; mais,. comme il n’est pas possible d’exécuter ce travail avant deux ou trois ans, je désire qu’on lève en détail le pays à trois ou quatre lieues autour d’Osoppo, et qu’un officier du génie soit chargé de discuter ce projet.

Le troisième débouché par où l’ennemi peut pénétrer dans Frioul, c’est par Caporetto. Le général Marmont propose d’établi Stupizza un fort qui conterait 300,000 livres et qui fermerait cette vallée. C’est spécialement sur cet objet que je désire, avant le mois d’octobre, un projet présenté par les officiers du génie. Si effecfivement le débouché de Caporetto à Cividale se trouvait fermé par le fort proposé, et, que l’ennemi ne pût arriver sur Udine avec son artillerie qu’en prenant ce fort, ou en descendant de manière à mettre sous la sphère d’activité de Palmanova, ce fort deviendrait utile pour la défensive et pourrait, dans des circonstances donné, rendre des services de premier ordre, car ce qui constitue la faiblesse de cette frontière, c’est le grand éloignement où elle se trouve de Paris et même des Alpes; mais il faudrait, pour m’engager dans cette dépense, qu’elle fût effectivement aussi médiocre qu’on la présente, et que le fort puisse bien appuyer la division qui, dans le cas de la défensive, serait chargée de défendre ce débouché, et puisse même permettre de la diminuer considérablement.

 

Saint-Cloud, 17 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, je vous renvoie votre travail sur le nombre troupes qu’on peut entretenir en Italie avec un fonds de soixante et dix millions. Je désire que vous le refassiez avec les modifications suivantes :

Au lieu de dix régiments de chasseurs, je n’en veux que six.

Au lieu de six régiments de dragons, je n’en veux que quatre, mais ces quatre régiments de dragons auront chacun 800 chevaux.

Au lieu de deux régiments d’artillerie à cheval, je n’eu veux qu’un.

Les trois bataillons du train sont bien; mais il faut qu’ils n’aient que 2,100 chevaux, au lieu de 3,300 que vous leur donnez.

Au lieu de cinq régiments d’infanterie légère, il faut en mettre huit.

Pour les dépenses du génie, vous retrancherez celles des places de Palmanova, d’Osoppo et des autres places d’Italie, qui doive être payées par le royaume d’Italie et non par la France.

Vous ôterez les traitements de retraite et de réforme, qui ne font point partie des dépenses de l’armée active.

Vous mettrez dix régiments d’infanterie de ligne à quatre bataillons, et autant de régiments d’infanterie à trois bataillons qu’il en faudra pour consommer soixante et dix millions.

Je désire que vous spécifiez en détail les officiers d’état-major, d’artillerie et du génie que vous laissez.

Ce ne sera pas un vain travail que celui-ci; ce sera une base du budget de l’année prochaine.

Je destine une partie de ma conscription à mettre au grand complet mes corps d’Italie. Partagez les dépenses dans des rapports tels qu’elles soient de vingt-cinq millions pour le royaume de Naples, de trente millions pour le royaume d’Italie, et de quinze millions pour les 27e et 28e divisions militaires. Lorsque j’aurai arrêté ce travail, j’arrêterai celui du reste des troupes pour la France; ce qui servira de base pour le budget de 1807, qu’il faut avoir fini avant le mois d’octobre , afin de mettre de la régularité et de l’ordre dans les dépenses.

 

Saint-Cloud, 17 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, je vois dans l’état de situation des divisions militaires que vous me remettez : invalides liguriens à Gênes, 196; invalides piémontais à Asti , 53. Faites-moi connaître pourquoi ces individus sont portés dans l’état, ce qu’ils coûtaient, et s’ils sont de quelque service. Même observation pour le corps auxiliaire : Gênes, 60 invalides piémontais; Turin , 120; Moncalieri, 150. Envoyez- moi un état de situation des compagnies de vétérans au ler juillet. Faites passer à Savone une bonne compagnie de vétérans, de celles qui sont dans la 8e division militaire. Je vois à Monaco un détachement de 22 hommes d’une compagnie de vétérans, et 64 hommes de la 4e compagnie : vous pourriez y envoyer toute la 4e compagnie.

Vous ne m’avez pas envoyé d’état de situation des vétérans depuis le 15 ventôse an XIII. Dans celui que vous m’enverrez du 1er juillet, vous aurez soin de faire distinguer les compagnies composées de Génois des compagnies composées de Piémontais.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

DÉCISION

Le ministre de la police présente à l’Empereur, comme mesure de sûreté, un projet de décret pour le dépôt des passe-ports des étrangers arrivant aux frontières. La loi existe. Ce n’est pas de nouveaux décrets qu’il faut, mais l’exécution.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

Au général Dejean

J’ai lu le rapport du général Sorbier sur la situation de l’artillerie française en Italie. L’équipage de l’artillerie de campagne en Italie doit être divisé en trois : l’un de vingt-deux pièces de canon, qui se réunira à Palmanova, que l’on pourra même placer de préférence à Osoppo, lorsque cette place sera en état; le second équipage de trente pièces, qui sera réuni à Vérone, et le troisième de trente pièces, qui sera réuni à Pavie.

Il y aura dans les départements au delà des Alpes deux équipages de campagne, dont l’un, de trente pièces de canon, sera réuni moitié à Gènes et moitié à Fenestrelle.

L’équipage qui doit se réunir à Palmanova sera composé de ce qui forme aujourd’hui l’équipage du second corps de la Grande Armée commandé par le général Marmont. Mais on changera les pièces hollandaises et on les remplacera par des pièces conformes aux modèles d’Italie. Cet équipage sera composé de quatre pièces de 12 obusiers et douze pièces de 6, avec soixante caissons d’infanterie et un double approvisionnement de campagne.

L’équipage de Vérone sera composé de six pièces de 12, de quatre obusiers et de vingt pièces de 6 , avec cent caissons d’infanterie. Il sera composé de l’artillerie qui se trouve aujourd’hui à Vérone et à l’armée d’Italie.

L’équipage de Pavie sera composé de l’équipage qui est aujourd’hui à l’armée de Naples et qui en reviendra après que la conquête de ce royaume sera achevée, l’artillerie napolitaine étant alors suffisante pour le service. Cet équipage sera composé de six pièces de 12, de six obusiers et de dix-huit pièces de 6.

L’équipage d’Alexandrie sera composée, de la même manière, avec les pièces qui seraient aujourd’hui à Plaisance et qui se trouvent Piémont. Un égal nombre de pièces sera placé moitié à Gênes et moitié à Fenestrelle. Il sera formé de pièces de 3, pour servir dans les montagnes des Alpes.

Toutes les pièces de 4, de 8, les obusiers d’ancien modèle et les pièces hollandaises du corps du général Marmont, seront répartis entre Osoppo, Palmanova, Venise , Legnago , Peschiera, Mantoue, la citadelle de Plaisance, Alexandrie, etc., pour servir à la défense de ces places. Toute l’artillerie italienne se réunira à Pavie et devra toujours avoir vingt pièces de campagne mobiles avec double approvisionnement et soixante caissons d’infanterie, pour se porter où il sera nécessaire.

On n’enverra en Istrie que le nombre de fusils nécessaire pour la défense des principaux ports et points de la côte. On n’y tiendra aucun magasin ni dépôt , mais seulement les munitions suffisantes pour fournir cent coups à tirer par pièce. On n’y tiendra qu’une division de six pièces attelées pour suivre les mouvements des troupes. On organisera ces pièces comme l’artillerie le jugera convenable, et on se servira des affûts les plus propres au pays. Il faut donc n’avoir en Istrie aucun magasin de fusils ni autres, et s’y considérer comme dans une position en l’air qu’on pourra évacuer en quarante-huit heures en laissant le moins possible à l’ennemi. Ainsi les fusils qui s’y trouvent actuellement doivent être évacués sur Palmanova ou sur Zara. Il n’y a de véritable place en Dalmatie que Zara; les poudres, cartouches, et tous les moyens de la division doivent être réunis dans cette place, et on ne doit laisser dans les autres points que ce qui est nécessaire pour défendre la côte. Une portion des affûts et du train qui sont à Vérone peut être envoyée en Dalmatie. Toutes les pièces de campagne qu’on enverra en Istrie et en Dalmatie ne compteront pas dans les équipages réguliers ci-dessus annoncés.

Quant au personnel, les deux régiments d’artillerie à pied doivent continuer à rester dans les royaumes de Naples et d’Italie, ainsi que les deux régiments d’artillerie à cheval. Les trois bataillons du train qui doivent rester en Italie sont les 4e, 6e et 7e bataillons, qui y sont avec les bataillons bis, ce qui fait six bataillons. Le dédoublement ne se fera qu’à la paix générale et lorsque j’en aurai donné l’ordre.

Le 6e bataillon restera avec le corps de troupes qui restera à Naples, et les 4e et 7e resteront dans la haute Italie. Il faut donner l’ordre aux 4e et 7e, qui sont en Italie, d’acheter 300 nouveaux chevaux, et leur envoyer les fonds nécessaires pour cet achat, car ils commencent à être réduits à peu de chose; et il faut qu’il y ait dans la haute Italie 2,000 chevaux d’artillerie mobile et en bon état et pouvant seconder les opérations de l’armée.

Je vois du reste avec peine qu’on dégarnisse Mantoue, de manière que cette place se trouve désapprovisionnée et hors d’état de se défendre. Donnez donc des ordres précis pour que tout ce qui en aura été ôté y soit remplacé sur l’heure, et rendez responsable le commandant de l’artillerie de tout envoi qui dégarnirait cette place, qui doit toujours considérer comme devant être assiégée à un mois de distance. On doit envoyer en Dalmatie les pièces et boulets que Mantoue aurait de trop ; mais c’est à Venise qu’on doit trouver une grande quantité d’affûts marins qu’on peut envoyer en Dalmatie. La Dalmatie est un pays de bois; Venise a un grand arsenal, des affûts y seront bientôt construits. Qu’on n’aille donc pas dégarnir Mantoue. Demandez des détails et rassurez-moi sur la crainte que j’ai qu’on dégarnisse entièrement la défense de cette place. Je désire qu’aucun envoi qui pourrait nuire à son armement et à ses approvisionnements ne se fasse sans mon ordre, laissant le commandant de l’artillerie et le général en chef de mon armée les maîtres d’en laisser sortir ce qui serait au-dessus de l’armement ou inutile à la défense de la place.

Comme je désire que mes ordres soient fixes, je vous prie de me présenter un projet de décret, avec les états à l’appui de tout ce que doit contenir chaque place, pour que la répartition que j’ai ordonnée soit constamment maintenue, car il peut échapper à un officier particulier d’encombrer trop d’artillerie de campagne sur un seul point.

Donnez ordre que tous les bronzes de rebut qui sont dans la place de Venise, en Istrie et Dalmatie, soient dirigés sur Ferrare pour être embarqués sur le Pô, d’où ils seront envoyés sur des bateaux à l’arsenal de Turin.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, il y a des poudrières dans l’État vénitien qui sont sans activité; faites-les travailler, et faites-y fabriquer plus de poudre qu’on n’en fabrique, puisque le royaume en a si grand besoin. Il n’y a point de places fortes en Istrie; il ne faut donc tenir là aucun dépôt. Il y a cependant dans ce moment 2,000 fusils; si la guerre avait lieu avec les Autrichiens, il serait possible que la division d’Istrie fût obligée de se replier sur Palmanova, et ces fusils seraient perdus. Il ne faut donc tenir là que ce qui est nécessaire pour la défense du pays, et faire évacuer les fusils et les choses inutiles sur Palmanova. Il ne faut pas non plus avoir en Istrie plus de six pièces de campagne attelées, et rien de mobile, si ce n’est les munitions destinées à la défense des ports de la côte. Il faut avoir en Istrie le moins de pièces de bronze possible.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, la correspondance du général Bellegarde n’est pas si mauvaise que le dit le général Molitor. Elle me paraît, au contraire, sensée et convenable. Puisque le général Molitor est instruit que le général Lauriston a pour deux mois de vivres, j’espère qu’il ne se sera point légèrement exposé et qu’il aura attendu l’arrivée de ses renforts. L’arrivée du général Marmont arrangera tout le reste. Je vous envoie le général Broussier, qui a fait la guerre dans le Frioul, dans la Carinthie et dans la Carniole, et qui commandera une de vos divisions. Si le général Marmont a emmené le général Boudet, je vous enverrai un autre général de division. Ayez bien soin, comme je vous l’ai écrit, de tenir toute l’organisation du corps du général Marmont en état.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

Au roi de Hollande

Faites partir les deux bataillons du 65e avec deux pièces de canon pour se rendre à Arnheim, où ils seront à la disposition du prince Joachim, qui leur enverra des ordres de Wesel. Ils sont destinés à prendre possession pour ce prince du duché de Bentheim et autres Etats voisins. Mettez de la célérité et du secret dans ce mouvement. Pendant tout le temps que ces troupes seront sur les États du prince Joachim, elles seront nourries à ses frais; mais vous continuerez à leur donner la solde.

 

Saint-Cloud, 18 juillet 1806

DÉCISION

Le ministre directeur de l’administration de la guerre propose de renvoyer à Liège 204 soldats du 32e régiment de ligne qui sont passés à Rocroy, munis de permissions pour se rendre à Paris. Ces soldats, dont le régiment se recrute dans le département de l’Aisne, avaient pris les devants pour voir leurs familles ; au moment où le corps reçut l’ordre de s’arrêter à Liège, ces militaires étaient déjà à Rocroy. Si ces militaires sont arrivés chez eux dans l’Aisne, le ministre Dejean écrira au général commandant le département et au colonel de la gendarmerie qu’il leur est accordé une prolongation de congé de huit jours pour voir leurs familles; après quoi ils rejoindront leurs corps à Liège.

DÉCISION

Le ministre de la guerre demande si l’Empereur consent que lord Shaftesbury, actuellement à Lyon, vienne résider à Paris. M. Fox s’intéresse beaucoup à lui. Accordé

 

Saint-Cloud, 19 juillet 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, réitérez l’ordre an général Broussier de se rendre en Italie en poste, pour prendre le commandement d’une des divisions du Frioul. J’ai envoyé le général Marmont en Dalmatie. Le 3 juillet il n’y avait rien de nouveau à Raguse. Le général Lauriston y est enfermé avec deux mois de vivres. Les Autrichiens sont restés à Curzola, tant ils ont eu peur qu’on ne leur livrât pas les bouches de Cattaro. Le siège de Gaète a commencé vigoureusement; le troisième jour, la brèche était dessinée. Les Anglais ont débarqué, 3 juillet, 5,000 hommes dans le golfe de Sainte-Euphémie. Le général Reynier a marché à eux; j’ignore le résultat. Il est probable qu’ils s’en repentiront.

 

Saint-Cloud, 19 juillet 1806

Au général Lemarois

Monsieur le Général Lemarois, je suis étonné que vous ne m’ayez pas encore rendu compte de la reconnaissance de vos côtes jusqu’aux frontières du royaume de Naples; si vous ne l’avez pas faite, partez sur-le-champ pour la faire, et poussez jusqu’à Pescara. Il faut que vous puissiez, en cas d’événement, vous appuyer sur cette frontière. Mettez-vous en correspondance avec le général qui y commande. Je suis étonné que vous ne m’ayez pas instruit de ce qui se passe à Sainte-Euphémie et à Cotrone. Le vice-roi a dû vous envoyer des ordres pour l’approvisionnement de Raguse; employez-vous-y avec la plus grande activité.

 

Saint-Cloud, 19 juillet 1806

Au roi de Naples

J’ai reçu votre lettre. Rien n’est plus heureux que le débarquement des Anglais. Le général Reynier aura été rallié par les brigades qui se trouvent en échelons sur les différents points de la côte, et culbutera les Anglais. Ceux-ci, sans cavalerie, ne peuvent pas avoir la prétention de se maintenir dans le pays. Il est probable qu’ils s’en repentiront. Vous avez une nombreuse cavalerie, et ils n’en ont point. Il est difficile de concevoir quelle espèce de fatalité les a poussés.

Ne vous étonnez pas du peu de mal que la canonnade fera, les premiers jours, à Gaète; mais, si le feu est bien-dirigé, comme j’imagine qu’il l’est, les pans de muraille tomberont tout d’un coup le sixième ou le septième jour de la canonnade. C’est alors qu’il ne faut pas perdre un moment pour enlever les ouvrages. J’ai donné ordre qu’on vous envoyât, des dépôts, non-seulement la masse de linge et de chaussure, mais encore tout ce dont on pourra disposer. Mettez de la vigueur.

 

Saint-Cloud, 19 juillet 1806

Au maréchal Berthier

J’ai reçu votre relation de la bataille d’Austerlitz. Elle laisse beaucoup de choses à désirer. Je vous prie de m’envoyer les rapports des maréchaux Davout, Soult, et les autres rapports que vous avez sur cette bataille.

 

Saint-Cloud, 20 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, voici quelques observations sur la place de Wesel. Il me paraît que l’île de Büderich sera à l’abri de toute attaque en y construisant trois bastions casematés pouvant servir de magasins, à l’abri de la bombe, isolés et fermés à la gorge. Ils seraient enveloppés par une enceinte continue en terre, formant digue. Elle masquerait les établissements et surtout trois grands corps de caserne qui seraient placés dans les courtines. L’île ainsi à l’abri de toute attaque, il faudrait la coordonner avec une tête de pont sur la rive gauche. Un carré de 180 ou 200 toises de côté serait d’une dépense médiocre; protégé par l’île, l’ennemi ne pourrait l’attaquer que d’un côté, auquel on donnerait, avec le temps un grand degré de force, en portant cette dépense à trois millions. L’importance de Wesel est telle qu’on peut, dès cette année, y faire une dépense de 1,200,000 francs. Ainsi, on voudrait que, dès la fin de cette année, l’île de Büderich se trouvât à l’abri de toute attaque par le tracé des digues, des trois bastions, le tout ayant la force d’une fortification de campagne, excepté un bastion qui serait achevé et aurait déjà toute la résistance d’une fortification permanente. On aurait sur la rive gauche une tête de pont, dont deux bastions, et s’il était possible, quatre auraient déjà la consistance d’une fortification permanente revêtue et avec contrescarpe. Au 1er janvier 1808, ces ouvrages seraient parfaitement finis. On ferait une demi-lune sur le front d’attaque, des contre-gardes, des lunettes, enfin tout ce que l’art indique pour augmenter successivement chaque année la force de cette tête de pont. Lorsque l’ennemi serait obligé de perdre dix ou douze jours de tranchée ouverte devant une tête de pont dont la prise ne le conduirait à rien, il est probable que cette tête de pont serait hors de toute attaque. Enfin sa prise n’aurait aucune influence sur la prise de Büderich, qui conserverait sa communication avec la citadelle de Wesel, de manière que, la ville prise, la citadelle, l’île de Büderich et la tête de pont formeraient encore une place; que, la ville et la citadelle étant prises, l’île et la tête de pont formeraient une place qui arrêterait encore les efforts de l’ennemi. L’île enfin serait la dernière prise; et, si l’armée française venait à rejeter l’ennemi au delà du Rhin, elle se trouverait dégagée. Je désire qu’on donne sur-le-champ les ordres pour les approvisionnements, et qu’on me présente dans la huitaine un deuxième projet sur les nouveaux ouvrages demandés. Quant aux établissements, je pense qu’il est impossible de les avoir tous dans l’île et sur la rive gauche; ils seraient trop loin de la ville; trop d’accidents pourraient rendre difficiles les communications : il faut donc les placer, partie dans la citadelle, partie dans l’île et partie sur la rive gauche. Il faut se procurer dans la ville des logements pour 6,000 hommes en prenant pour cet objet le couvent des Dominicains, la maison de correction et autres établissements publics.

L’année prochaine on donnera les fonds nécessaires pour que la tête de pont et l’île de Büderich soient terminées. Quant aux établissements à faire cette année dans la citadelle, il faut y avoir, à l’abri de la bombe, une salle artifice, des magasins à poudre en suffisante quantité, un hôpital, un magasin aux vivres. On fera connaître s’il existe déjà des magasins pour placer tout ce qui est nécessaire à l’artillerie pendant le siège, et ce qu’il faudrait pour les compléter. En évaluant la dépense totale des ouvrages qu’on demande à quatre millions, dont un million pour l’île et trois millions pour la tête de pont, il resterait trois millions à fournir pour l’année prochaine; on les donnerait, et même davantage, si on pouvait les employer. Les ponts et chaussées sont chargés de l’entretien des digues et épis qui garantissent la citadelle et l’île, ainsi que de la construction d’un pont sur pilotis. Il a été mis à la disposition du ministre de l’intérieur une somme de 100,000 francs pour le premier objet, de 50,000 francs pour le second.

Je désire avoir l’opinion du génie sur les différents travaux de fortifications demandés, ainsi que sur les établissements militaires qu’il faudra construire à l’épreuve de la bombe dans la citadelle, l’île et la tête de pont.

 

Saint-Cloud, 20 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, voici quelques observations sur Juliers. J’approuve les travaux de la couronne, la redoute 6 et les trois redoutes E, F, D. Toutes les observations se réduisent donc au front de la citadelle.   On demande s’il y aurait moyen, soit dans l’ouvrage B, soit dans l’enceinte même de la place, soit dans la demi-lune 10, d’élever un cavalier qui dominât la hauteur de Mersch; on aurait alors des feux sur toute la hauteur de Mersch.

J’adopte la rectification d’enceinte 13-14-10 pour fermer les trouées des fossés des demi-lunes, et la disposition de trois lunette A, C, B. Je ne verrais point de difficulté à faire une redoute en forme de réduit dans le bastion du centre sur la hauteur. Le premier tracé de la hauteur a été fait ainsi parce qu’on a voulu embrasser 500 toises de terrain, afin de rendre plus difficiles les cheminements des bastions 2 et 3, tandis que l’occupation seule du bastion central ne pourrait suffire pour remplir le but. Mais aujourd’hui qu’on a rapproché, la défense de la place, les grands coups ne se porteraient plus sur la hauteur de Mersch. Un fort dans le genre du fort Meusnier à Mayence, ou le bastion du centre avec une redoute servant de réduit au milieu, revêtue avec escarpe et contrescarpe, n’offrira pas une résistance telle que l’ennemi voulût la négliger, et il faut balancer la force de cet ouvrage et le degré d’incommodité qui donnerait aux attaques sur les capitales des lunettes A et C, c’est pour cela qu’on croit que la dépense ni la force de cet ouvrage ne doivent être considérables.

Ainsi, si la garnison était très-forte, elle pourrait défendre ce bastion en terre et s’en servir de point d’appui pour disputer
le terrain entre la place et ce point, et établir ainsi des lignes de contre attaque contre les cheminements des lunettes A et C ; si, au contraire, la garnison était faible, 150 hommes dans cette redoute retarderaient la prise de six à sept jours; et, en cas que l’ennemi négligeât pour cheminer tout de suite sur les lunettes A ou C , et gênerait l’ennemi soit par des feux de flanc et de revers, soit en l’obligeant à un plus grand développement de tranchées, soit en servant de point d’appui pour les sorties; enfin elle procurerait l’avantage de tenir l’ennemi très-loin pendant le blocus et le temps qui lui sera nécessaire pour faire les préparatifs de siège, temps qui peut être souvent d’un mois, six semaines ou davantage.

Une place comme Juliers peut d’ailleurs avoir occasion de donner protection à divers corps de troupes, et alors cette redoute serait d’un merveilleux service; elle peut même servir dans une bataille qu’on donnerait dans les environs de cette place. On estime donc qu’une somme de 150, 000 francs dépensée au bastion du centre ne pourrait être que d’un effet très-avantageux, sinon à la défense de la place, du moins à tous les environs de la place; bien entendu que la véritable défense de la place serait fondée sur les bastions 2, 3, l’enveloppe 13-14-10 et les lunettes A, B, C.

Le désir que j’ai d’avoir enfin une place sur cette frontière me porte à accorder un fonds extraordinaire de 500,000 francs, qui, joint à celui de 500,000 francs déjà porté au budget de cette année, fera un million pour la place de Juliers.

Je désire qu’avec cette somme Juliers se trouve en bon état de défense à la fin du mois de mai de l’année prochaine; et comme la place ne peut être investie dès le premier mois, on voit que, dans le courant de la campagne, avant le moment du siège, elle pourrait être mise en état.

L’année prochaine on accordera un nouveau million, dont 2 ou 300,000 francs pour achever les ouvrages, le reste pour les établissements militaires, parmi lesquels trois magasins à poudre, une salle d’artifice et un hôpital paraissent de première importance. On accorderait même davantage si les circonstances le rendaient nécessaire.

Lorsque les travaux prescrits pour la place de Juliers seront finis, je désire que les officiers du génie me présentent de nouveaux projets sur la manière d’occuper la hauteur de Mersch, non comme portant toute la défense de la place du côté de la citadelle, mais comme éloignant l’ennemi de la place, et pour tous les autres avantages que l’on a développés. On sent que la garnison aurait un immense avantage si elle pouvait rester maîtresse des hauteurs pendant que l’ennemi attaquerait de tout autre côté.

 

Saint-Cloud, 20 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, les places de Wesel, Venloo, Maëstricht et celle intermédiaire de Stevensweert me forment une ligne de places fortes sur un espace de vingt-quatre lieues.

La place de Juliers se trouve en avant de six lieues sur cette ligne, vers Cologne, également appuyée par Maëstricht, Stevensweert et Venloo.

Une armée prussienne qui voudrait arriver à Bruxelles pour se réunir à une armée anglaise, et ainsi isoler la Hollande, serait d’abord obligée de bloquer Wesel.

En supposant qu’elle passât le Rhin entre Wesel et Cologne, et qu’elle voulût cheminer par Venloo, elle aurait sur son flanc Juliers, et ne pourrait passer la Meuse sans s’être emparée de Juliers et de Venloo.

Si , au contraire, cette armée passait le Rhin à Cologne, afin d’être moins dans la sphère d’activité de Wiesel, elle serait obligée de bloquer Juliers. En supposant qu’elle prît le chemin de Liége elle aurait sur son flanc Maëstricht, Stevensweert, Venloo et Wesel; elle serait donc obligée nécessairement de prendre Juliers pour avoir un point d’appui, et, pendant le siège, la principale armée se rangerait vis-à-vis cette place, la droite au Rhin, la gauche vis-à-vis la Meuse, pour soutenir le siège de Juliers; et, Juliers pris, elle arriverait à Liège prêtant toujours le flanc à toutes ces places, et il faudrait qu’il y eût bien peu de forces pour que l’armée française ne manœuvrât pas derrière ces places pour déboucher par Wesel et inquiéter toute la ligne d’opération de l’ennemi; elle ne passera probablement pas outre sans avoir aussi pris Maëstricht.

Les places de Nimègue et Grave, celles de Wesel, Venloo, Juliers, Stevensweert et Maëstricht, commencent donc à nous donner un frontière qui flanque la Belgique, protège la Hollande, et presque déjà assez forte pour obliger l’ennemi à perdre une campagne.

Un ennemi qui passerait le Rhin à Coblentz s’approcherait d’abord de la sphère d’activité de Mayence, trouverait des obstacles dans toutes les gorges de la Moselle, ne pourrait pénétrer jusqu’à Liége sans passer par Bonn, parce qu’il n’y a pas de chemin : il rentrerai alors dans le système qu’on vient d’examiner.

S’il arrivait à Trèves, il n’aurait fait que la conquête d’un pays peu important et ne se combinant avec aucune grande opération et viendrait s’arrêter tout court sur Luxembourg et les places de la Sarre.

Ce n’est pas un territoire comme celui de la France qu’on peu avoir la prétention de fermer hermétiquement; le plan de campagne que nous venons de supposer ne produirait que la dévastation de quelques provinces qui ne vaudrait pas les frais et les risques, et ne pourrait offrir aucun but à l’ennemi, qui n’espérerait jamais pouvoir prendre Luxembourg. La trouée par Cologne, au contraire, qui conduit à Bruxelles, et de là à Anvers et Ostende, donne la possession d’un beau pays, coupe la Hollande, combine l’opération avec nos éternels ennemis. On peut dire qu’on a réussi, lorsqu’on est arrivé à Ostende ou Anvers, à procurer aide au débarquement des Anglais.

De tous les plans de campagne que des puissances combinées puissent tenter contre nous; c’est celui auquel il faut le plus s’opposer. Il est fâcheux cependant qu’on ait démoli Ehrenbreitstein; que faudrait-il cependant pour le remplacer ?

Il est aussi des positions sur la Moselle qui de tout temps ont été considérées comme extrêmement faciles à fortifier, et qui donnent des appuis à cette ligne et à toute armée qui, destinée dans des opérations de cette espèce à protéger l’Alsace et le pays derrière Mayence, borderait la Moselle et se trouverait sur les flancs de l’ennemi, pendant que Mayence et les places du Rhin l’empêcheraient de pénétrer en Alsace.

Je désire avoir des plans et mémoires sur Montréal et autres positions dans cette situation.

Il serait peut-être aussi à désirer d’avoir une petite place entre Juliers et Bonn à quelque distance du Rhin ; son but serait d’intercepter la route de Bonn à Liège.

On peut même mettre en discussion si cette place doit être située entre Juliers et Bonn, ou bien dans les montagnes , de manière cependant toujours à arrêter l’ennemi qui voudrait tourner Juliers pour arriver à Liège; alors il serait bien difficile qu’on pût tenter une opération sérieuse avant d’avoir pris trois places, au moins deux.

Le premier inspecteur avait déjà fait des projets pour Bonn avec des devis; je désirerais que ces projets me fussent mis sous les yeux.

 

Saint-Cloud, 20 juillet 1806

Au général Dejean

Monsieur Dejean, je vous envoie le plan de Ruremonde. La position de Stevensweert, situé à égale distance de Maëstricht et Venloo, me séduit d’autant plus qu’il me paraît qu’il y aurait peu de dépense à y faire. Je désire un mémoire et une carte qui me fassent connaître, 1° le terrain à 1,200 toises; ce fort domine-t-il partout, on est-il dominé ? 2° la profondeur de l’eau dans les deux bras de la Meuse, et la superficie de l’île; 3° la nature de l’air, s’il est bon ou mauvais, s’il y a des marais; 4° enfin, quelle sorte de résistance il peut faire dans l’état actuel. Par la grandeur de l’île je verrai si on petit cheminer dans l’île.

 

Saint-Cloud, 20 juillet 1806, 4 heures et demie après-midi

Au prince Eugène

Mon Fils, je m’empresse de vous prévenir que la paix vient d’être signée avec la Russie; que, par cette paix, il est dit que les hostilités cesseront au même moment sur terre et sur mer, et que les bouches de Cattaro seront remises sans délai. Faites donc partir sur-le-champ un courrier par terre pour le général qui commande en Dalmatie et faites partir de Venise un petit aviso en parlementaire, qui ira trouver la croisière russe. Un officier du grade de capitaine sera suffisant pour être chargé de votre lettre au commandant russe. Votre lettre sera ainsi conçue :

Monsieur l’amiral, je m’empresse de vous prévenir que la paix vient d’être conclue entre S. M. l’empereur des Français, roi d’Italie, mon auguste père et souverain, et S. M. l’empereur de toutes les Russies. Le traité a été signé à Paris, le 20 juillet, par M. le général Clarke et par M. d’Oubril. Il y est stipulé que les hostilités cesseront sur-le-champ, et vous en recevrez l’avis par le courrier qui devra vous être expédié de Paris le lendemain. J’ai cru cependant de mon devoir de vous en prévenir, vous priant d’en faire part au commandant français qui se trouvera à votre portée afin que toute hostilité cesse, et qu’il n’y ait point d’effusion inutile de sang. Quand l’empressement que je mets à vous informer de cette nouvelle n’aurait pour résultat que d’épargner la vie d’un seul homme, je me croirais heureux d’avoir pu y contribuer.

Quant au courrier par terre, il suffira que vous l’adressiez au général Marmont ou au général Molitor, pour qu’ils en prévienne officiellement les commandants de terre et de mer russes.

Probablement avant de me coucher, je vous expédierai les originaux des ordres du ministre plénipotentiaire russe au général de sa nation.

Mon intention est que mes 3 frégates et 1 brick se tiennent prêts à partir, pour qu’aussitôt qu’il sera constaté que les Russes ne commettent plus d’hostilités, ces bâtiments mettent à la voile et se rendent à Cattaro, afin de pouvoir approvisionner cette place avant l’arrivée des croisières anglaises, qui probablement ne tarderont pas à arriver.

Je désire que vous gardiez cette nouvelle pour vous seul, de manière qu’elle ne soit connue à Milan que quelques jours après le départ de votre parlementaire et de votre courrier.

Comme, du reste, les agents russes sont assez rebelles à la volonté de leur maître, il faut toujours continuer vos expéditions pour approvisionner Raguse. Vous les munirez de passe-ports, qui porteront qu’en vertu du traité signé à Paris, le 20 juillet, les hostilités cessent par terre et par mer, et que toutes les prises qui seraient faites à dater du 20 juillet seront rendues. Faites charger vos bâtiments de biscuit, de farine, de poudre, de canons de fer et de mortiers, afin que tout cela se rende promptement aux bouches de Cattaro, à Raguse et en Dalmatie. Faites toujours marcher des troupes, car il est très-douteux que les Monténégrins veuillent retourner chez eux, et il sera nécessaire de rosser ces brigands pour les contenir.

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Vous écrirez à Marmont que cependant cela ne doit pas empêcher d’exiger que sur-le-champ Raguse soit libre; et, s’il est en mesure, il doit attaquer et battre les Monténégrins.