27 septembre 1810 – La bataille de Bussaco
[1] Situation générale en juin-juillet 1810.
Le maréchal Masséna, prince d’Essling, avait reçu de l’Empereur l’ordre d’envahir le Portugal, vers le milieu de 1810, avec une armée composée des 8e (divisions Clausel et Solignac, cavalerie sous les ordres de Sainte-Croix) ,6e ( divisions Marchand, Mermet et Loison) et 2e (divisions Merle et Heudelet, cavalerie sous les ordres de Soult) corps, formant un total d’environ 70,000 hommes. Le 8e corps, sous le commandement du général Junot, duc d’Abrantès, se trouvait à Valladolid et Astorga; il venait d’enlever de vive force cette dernière ville, et surveillait l’armée espagnole de Galice, commandée par le général Mahy. Le 6e corps, à la tête duquel se trouvait le maréchal Ney, duc d’Elchingen, était échelonné entre Salamanque et Ciudad-Rodrigo, observant l’armée anglo-portugaise, aux ordres de Wellington, dont le corps principal, fort de 25,000 hommes, se trouvait entre Viseu, Celorico et Guarda, détachant une avant-garde de 4,000 hommes avec le général Crawfurd, vers Almeida, un corps de 14,000 hommes vers Castello-Branco, avec le général Hill[2], et un autre de 12,000 hommes, avec le général Leith[3], vers Thomar. Le 2e corps français, commandé par le général Reynier[4], était resté, après Talavera, dans la région de Plasencia et venait de se porter sur Merida. Il avait son quartier général à Garrovillas, sur le Tage, et s’étendait entre ce fleuve et le Guadiana, depuis Alcantara jusqu’à Merida, observant l’armée espagnole du marquis de la Romana et la place de Badajoz, occupée par une garnison anglo-portugaise. Enfin un corps de réserve, le 9e, sous le commandement du général Drouet, devait s’organiser à Valladolid, pour assurer les derrières de l’armée.
Le but que l’Empereur cherchait à atteindre était de chasser définitivement les Anglais du Portugal et de leur interdire Lisbonne, qui constituait pour eux une excellente base d’opérations d’où ils pouvaient intervenir à leur gré dans la Péninsule ibérique.
Depuis la bataille de Talavera, dont le résultat final avait été la retraite des Anglais vers le Portugal, les troupes britanniques, durant la fin de 1809, n’avaient plus reparu en Espagne; elles s’étaient cantonnées dans la région au Nord-Est de Lisbonne, en même temps que s’organisait l’armée portugaise, sous la direction d’officiers anglais.
Au commencement de l’année 1810, les armées espagnoles ne comptaient plus. Ecrasées l’année précédente à Almonacid, Ocana et Alba de Tormès, elles s’étaient dispersées, incapables de continuer la lutte, et rien n’avait pu empêcher les Français, en février 1810, de conquérir l’Andalousie, où ils n’avaient pas pénétré jusque-là. Ce qui restait de troupes espagnoles organisées se borna dorénavant à la défense de quelques places dans la Catalogne, l’Aragon ou la province de Valence ; mais il était à prévoir que la résistance ne saurait durer longtemps. Napoléon ne voyait plus, en face des forces françaises dans la Péninsule, qu’un seul ennemi redoutable, Wellington, dont l’armée anglo-portugaise, s’augmentant et se perfectionnant tous les jours, s’élevait déjà à près de 60,000 hommes, et qui, de son réduit du Portugal, pouvait quand il lui plairait, venir incommoder les Français. Pour que ces derniers devinssent les maîtres incontestés de la Péninsule, il leur restait donc à conquérir le Portugal et à en chasser l’armée anglaise de façon à lui interdire tout espoir de retour.
C’est dans ce but que l’Empereur avait réuni, sous le nom d’armée de Portugal, des forces considérables, dont il avait donné le commandement à un de ses meilleurs lieutenants. Masséna possédait, en effet, un très grand prestige, et il était naturel que l’Empereur l’eût choisi pour diriger cette importante expédition. Mais on ne peut s’empêcher de trouver le choix de l’Empereur beaucoup moins heureux, quand il désigna, pour seconder Masséna et servir sous ses ordres, un maréchal tel que Ney, dont la réputation était aussi brillante et la gloire aussi haute, mais dont le caractère ne savait pas se plier aux exigences de la discipline, et un général comme Junot, qui, ayant déjà commandé en chef la première expédition de Portugal, ne paraissait pas flatté de servir en sous-ordre dans une campagne semblable et de contribuer à son succès, alors que la sienne s’était terminée par une défaite, à Vimeiro, et une capitulation, à Cintra. Quant au général Reynier, qui avait déjà eu affaire aux Anglais en Egypte, et qui avait été battu par eux à Maïda, en Calabre, quatre années auparavant, il avait à cœur de prendre sa revanche et montrait de la bonne volonté; malheureusement, sa froideur naturelle s’accordait mal avec le tempérament ardent de Masséna.
Le général Foy[5] a résumé admirablement la situation du haut commandement à cette époque : « Notre armée de Portugal fourmille d’éléments de discorde, Ney veut faire, mais il ne sait pas obéir; il manque sans cesse aux égards qu’il doit au Prince. Junot, humilié avec raison de se voir en troisième, là où naguère il était le premier, Junot voudrait de tout cœur que l’expédition manquât. Reynier, dont les intérêts sont d’accord en ce moment avec ceux de la chose publique, Reynier va bon jeu, bon argent; mais le Prince ne l’aime pas [6]».
Une pareille situation ne pouvait manquer d’affaiblir l’autorité du commandant en chef et d’amener de violents tiraillements, dont l’influence désastreuse se fit sentir pendant toute la durée de l’expédition.
D’après les ordres de l’Empereur, le maréchal Masséna devait rejeter les Espagnols en Galice, assiéger et prendre les places de Ciudad-Rodrigo et d’Almeida pour assurer ses communications, puis interdire à l’armée anglo-portugaise de se porter sur Madrid par la vallée du Tage. Il devait ensuite s’avancer sur Lisbonne, avec les 8e et 6e corps, par la rive droite du Tage, tandis que le 2e marcherait par la rive gauche,
Masséna fît investir Ciudad-Rodrigo le 6 juin 1810, par le 6° corps, et échelonna le 8e vers Salamanque et l’Agueda, tandis que le 2e se rapprochait du Tage (vers Coria), pour menacer le corps de Hill, dans la direction de Castello-Branco. Ciudad-Rodrigo fut emportée le 10 juillet, sans que les Anglais du général Crawfurd, qui se trouvaient à proximité, eussent essayé de venir troubler les opérations du siège. Seules, leur cavalerie et leur infanterie légère eurent avec les nôtres quelques engagements d’avant-postes. Ainsi se produisit une escarmouche de cavalerie à Gallegos, le 4 juillet. Un petit combat plus intéressant eut lieu le 10 juillet à Barquilla; près de cette localité, 200 hommes du 22e de ligne, entourés par une nombreuse cavalerie anglaise, repoussèrent brillamment toutes les charges exécutées contre eux par trois escadrons de la légion allemande et des 16e et 14e dragons anglais, auxquels ils infligèrent des pertes sensibles ; ils se retirèrent ensuite sans avoir été entamés.
Après la prise de Ciudad-Rodrigo, l’armée française resta pendant dix jours autour de cette place. Ce n’est que le 21 juillet que le maréchal Ney se mit eu marche sur Almeida, avec le 6e corps. La division légère du général Crawfurd était encore au Nord-Est de la ville, et fut attaquée vivement par les troupes françaises. Après un engagement des plus chauds, les Anglais battirent en retraite au-delà de la Goa, dont ils défendirent le pont; le maréchal Ney le fit aborder par le 66e de ligne, qui échoua, puis par un bataillon d’élite qui s’en empara, mais y fut presque détruit par un feu terrible d’artillerie et de mousqueterie, qui enfilait le pont. Cette attaque brillante coûta aux Français 500 hommes, sans qu’ils pussent déboucher sur la rive opposée; la nuit mit fin au combat, et les Anglais battirent en retraite le lendemain avant le jour.
Le 6e corps investit aussitôt la place d’Almeida, dont le gouverneur était le colonel anglais Cox, ayant sous ses ordres une garnison portugaise. Sa résistance fut courte ; par suite de l’explosion d’un grand magasin à poudre, la place, incapable de résister plus longtemps capitula le 28 juillet, sans avoir été secourue par les forces anglo-portugaises qui se trouvaient à proximité.
Entrée en Portugal [septembre 1810).
Une fois maître de Ciudad-Rodrigo et d’Almeida, le maréchal Masséna laissa des garnisons dans ces deux places et concentra les 6e et 8e corps de son armée autour d’Almeida, afin d’envahir le Portugal et de marcher sur Lisbonne, comme le lui prescrivaient les ordres de l’Empereur, Les circonstances l’amenèrent à choisir la route qui passe par Viseu et Coïmbre ; il mit les 6e et 8e corps en marche le 16 septembre, sur Celorico et Viseu, tandis que le 2e corps, qui avait passé le Tage à Alcantara, se dirigeait vers Almeida pour se réunir au gros de l’armée.
Dès que Reynier eut commencé son mouvement, le général Hill, exécutant une marche parallèle, passa le Tage à Villa-Velha et avertit Wellington. Ce dernier, laissant le général Hill avec 44,000 hommes à Sarzedas, une brigade portugaise à Fundao et une réserve de 10,000 hommes avec le général Leith à Thomar (communiquant avec Hill par Espinhal), échelonna le gros de ses forces dans la vallée du Mondego, entre Celorico et Coïmbre, car il s’attendait à voir les Français prendre cette route, parce qu’elle était meilleure et plus facile que celle qui passe par Viseu. Mais Masséna, la croyant mauvaise sur la foi de faux renseignements[7] et sachant d’autre part qu’elle avait été fortifiée par les Anglais, notamment à Ponte-Murcelha, au passage de l’Alva, se décida à prendre l’autre. C’est ainsi que l’armée de Portugal se trouva tout entière réunie autour de Viseu le 18 septembre ; elle comprenait à ce moment 62,000 hommes de toutes armes.
Masséna avait compté surprendre Wellington par la rapidité de sa marche et arriver avant lui à Coïmbre; mais le mouvement de l’armée française avait été dévoilé aux Anglais vingt-quatre heures trop tôt par la faute du maréchal Ney, qui, malgré les ordres reçus, avait dépassé Celorico le 16 septembre et porté son avant-garde à Fornos sur la route de Viseu. De plus, Masséna, après avoir réuni son armée autour de cette ville, fut absolument obligé de s’arrêter quelques jours pour y attendre son parc d’artillerie très retardé dans sa marche, de sorte que le mouvement général vers le Sud-Ouest ne commença que le 22. Wellington, éclairé ainsi à temps sur les intentions de son adversaire, avait pris ses dispositions pour l’arrêter. Dès le 20 septembre, il avait porté son quartier général à Bussaco avec ses divisions échelonnées de façon à pouvoir être rapidement réunies sur cette position. Une partie de ses troupes traversa le Mondego ; la brigade portugaise de Pack[8] se porta derrière le Criz, la division légère de Crawfurd vers Moctagoa, la division Spencer[9] de Coïmbre sur Mealhada, la division Leith derrière l’Alva, la division Hill à Foz de Aronce, et le chef de partisans, colonel Trant[10], reçut l’ordre de marcher de Porto sur Sardao. Le 21, les divisions Picton[11] et Cole[12] furent concentrées près de Bussaco.
Prise de contact avec l’armée anglaise,
Dès le 23, les troupes des deux armées entrèrent en contact. La 3e division du 6e corps (général Loison[13]), formant l’avant-garde française, rencontra les Anglais au-delà du Criz et les rejeta sur Barril, d’où elle les chassa.
Le lendemain 24, elle poussa jusqu’à Mortagoa, d’où les Anglo-Portugais de Pack et de Crawfurd se retirèrent; elle arriva le 23 à Moura au pied de la Serra d’Alcoba. Le même jour, dans l’après-midi, l’avant-garde du 2e corps atteignit Santo-Antonio do Cantaro, à l’Est de Moura ; elle s’arrêta au pied de la montagne, dont le sommet était occupé par les troupes anglaises qui barraient ainsi les deux principaux chemins praticables franchissant l’Alcoba pour gagner Coïmbre.
Dans la matinée du lendemain 26, les 2e et 6e corps furent concentrés au pied de la Serra d’Alcoba vers Moura et Santo-Antonio ; le 8e corps, retenu la veille à Viseu, pour donner à l’artillerie et aux équipages le temps de compléter leurs réparations, n’arriva que dans la soirée en arrière de Moura. Le maréchal Ney et le général Reynier, ayant constaté, par leurs reconnaissances dans la matinée du 26, la force de la position anglaise, qui paraissait être occupée par des troupes nombreuses, hésitèrent à attaquer. Reynier écrivit à Ney pour le consulter sur ce qu’il conviendrait de faire ; le Maréchal, croyant à tort que les Anglais voulaient faire écouler leur armée sur Coïmbre, en ne laissant en face des Français qu’une arrière-garde, répondit que s’il avait le commandement, il attaquerait sans hésiter un seul instant, mais que puisqu’il y avait un généralissime, il ne fallait rien faire sans son ordre. Cette manière d’agir était naturelle de sa part, car il était, depuis le commencement de la campagne en état de mésintelligence ouverte avec Masséna, qui l’avait blâmé encore tout récemment d’avoir dépassé trop tôt Celorico. Dans ces conditions, il ne voulait plus rien faire sans lui en référer. Finalement les deux commandants de corps d’armée rendirent compte de la situation à Masséna, qui était resté à Mortagoa et qui arriva à midi[14]. Il reconnut la position, la trouva formidable et hésita longtemps avant de prendre un parti. Il semblait vouloir essayer de manœuvrer et d’éviter une attaque de front dans laquelle il ne pouvait utiliser ni son artillerie ni sa nombreuse cavalerie ; c’est d’ailleurs ce que conseillaient les généraux Eblé[15] et Fririon. Mais d’autre part il trouvait dangereux d’exécuter une marche de flanc à proximité de l’ennemi, et les autres généraux, surtout Ney, insistèrent tellement en répondant de la victoire et répétant plusieurs fois en montrant les Anglais sur la montagne : « Nous les enlèverons, nous les enlèverons ! », qu’il finit par se décider brusquement et par leur dire : « Vous le voulez, Messieurs, eh bien, on attaquera demain matin ! ». — « Donnez-nous des ordres », reprirent les généraux. — << En voilà ! » répondit Masséna, et il dicta sur-le-champ au général Fririon et au chef de bataillon Pelet, qui s’assirent par terre pour écrire, les dispositions suivantes pour la journée du lendemain.
Au camp près Moura, 26 septembre 1810.
Demain, 27 septembre, l’armée attaquera les hauteurs en avant de Moura occupées par l’armée ennemie.
Le 2e corps attaquera la droite de l’armée ennemie; il tâchera, à cet effet, de couper sa ligne en gravissant un des points de la montagne les plus accessibles. Il y arrivera par une ou deux colonnes en se faisant précéder par des tirailleurs ; une fois arrivé sur le sommet du point qu’il aura décidé d’attaquer, il se formera en colonne serrée et descendra par la crête de la montagne sur le chemin de Coïmbre. Le point où il devra s’arrêter est le couvent de Bassaco. Il aura soin de se former une réserve pour le soutenir au besoin. Son artillerie sera disposée de manière à pouvoir contrebattre celle de l’ennemi et à lui servir de point d’appui.
Le 6e corps attaquera par les deux chemins qui conduisent sur la route de Coïmbre; une de ses divisions formera sa réserve, et son artillerie sera placée sur différentes positions pour pouvoir le soutenir au besoin.
Le maréchal Ney disposera ses deux colonnes d’attaque de manière à donner quand le général Reynier sera maitre de la hauteur et qu’il marchera sur le couvent de Bussaco. Ce sera à M. le maréchal Ney à presser son attaque s’il voyait l’ennemi s’arrêter pour faire un mouvement sur le général Reynier ou pour faire un mouvement de retraite. M. le maréchal Ney est trop pénétré de l’à-propos de son mouvement pour qu’on le lui détermine ; il se fera précéder par des tirailleurs.
Arrivé sur la crête de la montagne, il se mettra en bataille pour l’ensemble des mouvements ultérieurs de l’armée.
Le 8e corps sera rendu en arrière de Moura à 6 heures du matin ; il y prendra position et fera ses dispositions pour soutenir au besoin les corps d’armée attaquant et pour marcher lui-même à l’ennemi. Son artillerie sera placée de manière à arrêter l’ennemi s’il faisait un mouvement en avant.
La réserve de cavalerie sera placée sur la route de Coïmbre en arrière et au centre du 8e corps.
Le Général en chef sera à Moara.
Le Maréchal, prince d’Essling, Massénà.
Le maréchal Masséna compléta ensuite sa pensée en donnant de vive voix à ses lieutenants de nombreuses explications qui n’eurent pas le don de les satisfaire tous. Reynier notamment, trouvant que son attaque était bien isolée et bien éloignée de celle du maréchal Ney, déclara sans ménagements au générai eu chef qu’il s’attendait à être frotté. Masséna le calma en lui disant qu’il n’avait pas à s’inquiéter, car son mouvement était moins important que celui du 6G corps, qui était destiné à fournir l’effort décisif et à percer la ligne ennemie ; tout le reste était secondaire.
Une fois sa décision prise, Masséna ne voulut plus en démordre, et répondit aux généraux Éblé et Fririon, qui lui faisait encore des représentations : « Vous êtes de l’armée du Rhin, vous autres, vous aimez à manœuvrer; c’est la première fois que Wellington parait disposé à livrer bataille, je veux profiter de l’occasion [16]».
Et rien ne put faire revenir le maréchal sur sa résolution[17].
Le reste de la journée du 26 se passa à reconnaître la position et à tâter l’ennemi. On fit quelques dispositions d’attaque pour l’obliger à montrer ses forces ; il couronna aussitôt la crête et montra qu’il disposait de troupes nombreuses et prêtes à bien défendre le terrain qu’elles occupaient. On se borna dès lors à repousser les troupes légères de l’ennemi qui occupaient les contreforts de la montagne assez bas et assez près des troupes françaises. Les tirailleurs du 2e corps chassèrent devant eux ceux du 88e régiment anglais, qui remontèrent sur la pente en face de Santo-Antonio do Cantaro ; ceux du 6e corps se donnèrent de l’air jusque vers Sula où se maintinrent les avant-postes du 4e chasseurs portugais et du 90e anglais,
Dispositions prises par Wellington.
Pendant que l’armée de Portugal se trouvait arrêtée devant la Serra d’Alcoba, Wellington avait achevé de concentrer ses forces. Dès le 23 au soir, il avait 40,000 hommes sur la position de Bussaco, contrairement à ce qu’ont pu écrire plusieurs historiens, et notamment l’Anglais Napier, qui déclare qu’il ne disposait pas ce jour-là de plus de 25,000 hommes. En réalité, Wellington aurait été assez fort pour résister aux attaques des Français si ces derniers avaient passé à l’offensive le 26 au matin comme le désirait le maréchal Ney. De plus, il fut rejoint le 26 par la 1e division Spencer et les 5e et 6e brigades portugaises de Campbell[18] et Coleman[19]; ce furent l’arrivée de la division Spencer et les mouvements des autres troupes pour lui faire place qui trompèrent le maréchal Ney en lui faisant croire que l’armée anglaise commençait à évacuer sa position. Le même jour, la division Hill traversa le Mondego pour se placer à la droite de l’armée à l’extrémité de la Serra d’Alcoba, de sorte que, dans l’après-midi du 26, toute l’armée anglo-portugaise se trouva réunie sous les ordres directs de Wellington, sûr dorénavant de disposer pour le lendemain de 52,000 hommes, dont plus de 49,000 d’infanterie, pour défendre la magnifique position qu’il occupait et qui mérite un examen détaillé.
Description du terrain.
La Serra d’Alcoba, ou de Bussaco, est le dernier contrefort de la Serra de Caramullo, qui borne au Nord-Ouest le bassin du Mondego. Cette rivière coule du Nord-Est au Sud-Ouest, et son bassin se trouve séparé, au Sud-Est, de celui du Tage par la Serra de Estrella ; avant d’arriver à Coïmbre, sa vallée se trouve complètement barrée, d’un côté par les contreforts de la Serra de Estrella, de l’autre par la Serra de Bussaco, qui peut être considérée comme un redressement vers le Sud-Est de la Serra de Caramullo.
La Serra de Bussaco est élevée, abrupte et se dresse comme une muraille à environ 300 mètres de hauteur au-dessus de la région manie] on née qui l’environne, s’étendant presque en ligne droite sur une longueur d’environ 15 kilomètres depuis Penacova, sur le Mondego, jusque vers Paradas. Les routes qui suivent le versant droit de la vallée du Mondego doivent la franchir pour parvenir à Coïmbre; c’est ainsi qu’elle était traversée en 1810 par trois chemins se dirigeant sur cette ville: le premier et le plus important, qui méritait le nom de chaussée carrossable, venait par Mortagoa sur Mo lira et franchissait la chaîne auprès de l’ancien couvent des Minimes de Bussaco, en longeant les murs de son parc ; le deuxième, beaucoup plus médiocre, se dirigeait de Santo-Antonio sur Palheiros, et le dernier, plutôt sentier que chemin, venait de la boucle du Mondego par Boas-Eiras sur Sazes; ces deux derniers chemins franchissaient l’Alcoba respectivement à 4 et 7 kilomètres de la route qui passe auprès du couvent. Enfin un quatrième chemin partant de Mortagoa vers Boialvo et Sardao permettait de tourner l’obstacle en utilisant la dépression entre la Serra de Bussaco et la Serra de Garamullo; ce dernier chemin rejoignait la grande route de Porto à Lisbonne par Coïmbre.
Wellington, mis au courant de la topographie du pays, avait pris la précaution de donner l’ordre au colonel anglais Trant, qui commandait les milices d’0porto, de descendre sur Sardao pour interdire aux Français le chemin de cette ville. Quant au maréchal Masséna, qui ne possédait que de mauvaises cartes et qui, dans la région dévastée qu’il parcourait, n’obtenait des rares habitants du pays que des renseignements faux, il ignorait l’existence de ce chemin dans la journée du 26 septembre, et il n’avait pas eu la précaution de faire reconnaître par sa nombreuse cavalerie les voies de communication à droite et à gauche de son armée. Il avait donc conclu à la nécessité de s’ouvrir le passage par la Serra de Bussaco, qui se dressait perpendiculairement aux routes que suivait son armée.
En face de Moura et de Santo-Antonio do Cantaro, la montagne s’élève à des altitudes variant de 200 à 300 mètres au-dessus du fond de la vallée; ses pentes sont escarpées et rocheuses surtout entre Bussaco et Moura; elles sont couvertes de bruyères et de genêts épineux qui en rendent le parcours excessivement pénible aux troupes à pied, qui par endroits y disparaissaient jusqu’à la poitrine. La crête est sensiblement rectiligne sauf au Nord-Ouest de Bussaco où elle est légèrement incurvée; son sommet est surbaissé et forme un plateau d’une largeur variant de 150 à 300 mètres, qui augmente encore vers la route de Bussaco; du côté Sud-Ouest, qui regarde vers Luzo, le versant est moins raide que vers le Nord-Est, qui regarde vers Mortagoa. La route, après avoir franchi la crête, descendait en pente douce, et passait à quelques centaines de mètres de là près du couvent de Bussaco, qui était entouré de bois, clos de tous les côtés par des murs qui s’étendaient en forme de losange irrégulier sur une longueur considérable. Wellington ne manqua pas de l’organiser défensivement et d’en faire un des points d’appui de la ligne.
Le point le plus élevé de la chaîne est la Ponta de Bussaco, située à environ un kilomètre au Sud-Est da couvent et à l’altitude de 547 mètres au-dessus du niveau de la mer. On y découvre un magnifique panorama, l’un des plus beaux et des plus étendus de la Péninsule : l’on aperçoit à ses pieds, à une profondeur considérable, les villages de Moura, Cerquedo, Pendurada, Santo-Antonio do Cantaro, Sardeirinha, Sardeira, etc., en même temps que l’on voit la route se diriger sur Mortagoa, de sorte qu’aucun mouvement de troupes ne peut échapper à la vue.
La montagne s’abaisse légèrement vers l’Est, du côté de Santo-Antonio; vers l’Ouest, du côté de Salgueiral les pentes sont aussi moins raides, et la crête forme un plateau un peu plus large, qui s’effile ensuite en crête aiguë dans la direction du Mondego. Mais les difficultés d’accès étaient à peu près les mêmes des deux côtés, car, si vers Santo-Antonio il existait un chemin comme vers Moura, il n’en fallait pas moins descendre d’abord pour remonter ensuite sur un terrain hérissé d’obstacles.
La grande route venant de Mortagoa traversait le village de Moura, puis, passant sur une espèce de col, à droite et à gauche duquel commençaient des ravins profonds, gravissait la montagne, en s’incurvant légèrement sur la droite et laissant de ce côté, à 300 mètres environ, sur un éperon assez saillant, le village de Sula, dont elle était séparée par un ravin encaissé et à pentes très raides. Elle dépassait ensuite la tête de ce ravin et tournait complètement à droite, sur près de 400 mètres, contournant l’éperon qui descend vers Sula^ et se redressait lentement vers la gauche pour parvenir, par une large courbe, au sommet de la hauteur, d’où elle redescendait vers le couvent. Dans la partie gui contourne l’éperon de S nia, la route était construite en déblai et devenait invisible d’en bas, de sorte qu’elle pouvait au besoin servir d’abri à des troupes; les Anglais ne manquèrent; pas d’utiliser cette disposition.
Répartition des forces anglo-portugaises.
Wellington établit son armée sur la position de la manière suivante :
À l’extrême droite, près du Mondego, le général Hill occupa les derniers contreforts de la Serra, entre Penacova et le chemin de Sao-Paulo à Sazes, avec la 2e division anglaise renforcée par deux batteries, par la division portugaise Hamilton et par un bataillon de la légion lusitanienne,
À gauche de Hill, le général Leith déploya la 5e division, la droite sur le chemin de Sazes, qu’il fit garder par la brigade anglaise Barnes ; le reste de la division, composé de troupes portugaises, s’établit sur la crête jusque dans le voisinage du chemin de Santo Antonio à Palheiros, avec des intervalles démesurément larges entre certaines unités; c’est ainsi que deux bataillons de la légion lusitanienne furent placés à plus de 1,500 mètres à gauche de la brigade Barnes, et se trouvaient à plus de 1,000 mètres à droite de la brigade Spry ; non loin de cette dernière se trouvaient le 8e portugais et la milice de Thomar, rattachés ce jour-là à la division Leith.
À la gauche de cette dernière, venait la 3e division, commandée par le général Picton, qui avait placé sa droite sur le chemin de Santo-Antonio do Cantaro à Palheiros, afin d’en assurer la défense. Là se trouvaient une batterie portugaise qui enfilait la route, la brigade portugaise Champlemond et le 74e régiment anglais, de la brigade Mackinnan; deux autres régiments de cette brigade, les 45e et 88e anglais, se trouvaient à gauche du chemin, le 45e à proximité du col, le 88e à plus d’un kilomètre du 43e; à gauche du 88e s’étendait la brigade anglaise de Lightburne, soutenue à l’est par une batterie, et en arrière à gauche, par deux escadrons de dragons.
La 1re division, sous les ordres du général Spencer, comprenait trois brigades anglaises; elle s’étendait à droite et à gauche de la Ponta de Bussaco, sur la partie la plus haute de la chaîne, et dont la gauche était couverte par une batterie, non loin de l’extrémité Est des murs du couvent de Bussaco.
Venaient ensuite : la brigade portugaise du général Pack, en avant des murs du parc et à droite de la route ; puis, parallèlement à la route, ou abritée sur la route elle-même, dans la partie de sa courbe dont il a été parlé plus haut, la division légère du général Crawfurd, faisant face au village de Sula, qu’elle occupait par ses tirailleurs, soutenus en arrière sur la pente, par le 95e régiment anglais. Crawfurd avait également avec lui, en avant de la route, une batterie à cheval placée au milieu des rochers, dans les intervalles desquels elle pouvait tirer, pour battre la route et les pentes vers Sula.
Enfin, à l’extrême gauche de cette ligne, se trouvait la division Cole (4e division), avec deux brigades anglaises (A.-C. Campbell et Kemmis), soutenues par une batterie à cheval et une brigade portugaise (Collins).
La réserve de l’armée était située dans le voisinage de la route, près du couvent de Bussaco. Elle était formée par la brigade portugaise de Coleman, la brigade allemande de Löwe (Kîng’s German Légion), détachée de la division Spencer, et de la brigade portugaise de Campbell. Les troupes de Coleman étaient rangées en colonne sur la route, en arrière de la crête, le long des murs du parc de Bussaco; un détachement de ces troupes défendait la porte nord-est de l’enclos, qui avait été organisée défensivement, de façon que l’infanterie pût tirer de chaque côté, au moyen d’échafaudages, par-dessus les murs, trop hauts pour être escaladés. Les Allemands de Löwe et les Portugais de Campbell se trouvaient à droite et à gauche de Monte-Novo, un peu en arrière de ce village (une partie des troupes de Campbell fut d’ailleurs promptement changée de place, et portée en première ligne, à gauche de celles de Crawfurd, quand celles-ci commencèrent à s’engager contre les Français),
Au loin, à gauche de l’infanterie, dans la direction de l’Ouest, toute la cavalerie du général Cotton s’établit dans la plaine, vers le village de Mealhada; elle ne pouvait intervenir sur le champ de bataille.
Pour assurer la défense des abords de la route en avant du couvent, Wellington fit placer une batterie de la légion allemande et une autre de la brigade portugaise Coleman, près du tournant, à gauche de la brigade Pack, de façon à battre par des feux puissants d’artillerie, la tête du ravin qui bordait la route, ainsi que les pentes à droite et à gauche.
En avant de la ligne principale, formée sur la crête, Wellington plaça sur la pente de la montagne, à des distances variables, une grande partie de l’infanterie portugaise, qu’il renforça de place en place par des Anglais. Il donna l’ordre d’organiser sur le versant Nord-Est tous les obstacles qui pouvaient se prêter à une bonne défense ; c’est ainsi que les tirailleurs anglo-portugais occupèrent tous les rochers, escarpements, bouquets de bois, villages, etc., qui furent reconnus susceptibles d’arrêter l’ennemi et de lui opposer une première résistance énergique.
L’artillerie, placée sur la crête, ne pouvait pas produire beaucoup d’effet à grande distance, à cause de la raideur des pentes qu’elle battait fort mal ; mais elle pouvait se réserver pour le tir à mitraille, à distance relativement courte, qui lui permettait d’obtenir des résultats d’autant plus certains, qu’elle ne risquait rien elle meule du feu de l’artillerie française, située hors de portée.
D’une façon générale, on voit que l’armée anglo-portugaise se trouvait rangée sur deux lignes parallèles ; la première, formée de troupes légères, à mi-pente, à une distance de 600 à 800 mètres ; la deuxième> formée en ligne déployée sur deux rangs, sur la crête de la montagne.
Auprès du couvent de Bussaco, les réserves formaient une troisième ligne, située très près de la ligné principale, à 500 ou 600 mètres seulement. Elles pouvaient suffire pour la gauche de la ligne, dans les environs de Bussaco, mais elles étaient trop faibles pour l’ensemble de l’armée, et de plus elles se trouvaient dans l’impossibilité de parvenir en temps utile sur le point menacé, s’il se trouvait très éloigné, comme le cas pouvait se produire sur une position de 15 kilomètres de développement. Ce n’était que par des mouvements latéraux que l’on pouvait porter des troupes d’un point à un autre, et c’était là un grave défaut du dispositif du général anglais, qui aurait pu, étant donnée la nature du terrain, occuper un front plus restreint.
Mais, malgré l’étendue de la position qu’il occupa, il ne faut pas s’exagérer le danger que lui faisait courir l’extension démesurée de son front; car il est nécessaire de bien se représenter que, du haut de la montagne où il se trouvait, son regard plongeait dans les lignes françaises, dont aucun mouvement ne pouvait lui échapper, tandis qu’il pouvait à son gré dissimuler tous les siens à l’abri de la crête, cette disposition lui donnait l’avantage de se rendre compte de la direction et de l’importance de toutes les attaques, et lui donnait le temps de prendre ses dispositions pour porter sur le point menacé, par des mouvements latéraux, invisibles d’en bas, les renforts qu’il jugeait nécessaires.
En somme, la ligne anglaise pouvait difficilement manœuvrer en dehors de sa position essentiellement défensive ; elle était mince et trop étendue, ce qui pouvait présenter de graves dangers si l’ennemi réussissait à y faire brèche ; mais elle était forte sur son front par suite de sa position dominante qui la mettait à l’abri des coups de l’artillerie, tout en lui permettant d’utiliser la sienne, par suite aussi des difficultés d’accès et de la raideur des pentes qui devaient ralentir l’ennemi en l’épuisant.
Toutes ces circonstances avaient donné confiance au général anglais, qui comptait à la fois sur la force de la position elle-même et sur la solidité au feu des troupes anglaises, incomparables dans la défensive ; enfin il espérait que, du moment où il découvrait tous les mouvements de l’ennemi, qui ne pouvait pas lui donner le change sur ses manœuvres, puisqu’on l’apercevait comme du haut d’un observatoire, il serait à même de lui opposer en temps et lieu des réserves suffisantes.
Restait l’éventualité d’une attaque exécutée par l’ennemi dans des conditions telles, grâce aux circonstances météorologiques ou atmosphériques, que les troupes assaillantes pussent s’approcher en force et sans être vues, de manière à percer soudainement en un ou plusieurs points la ligne ennemie ; c’est justement ce qui faillit arriver dans la matinée du 27 septembre 1840, et il s’en fallut de peu que les Français ne réussissent à couper l’armée anglaise en deux tronçons.
Offensive des Français.
Les généraux français s’étaient bien rendu compte de la nécessité de masquer leurs mouvements à l’ennemi. Comme ils avaient remarqué les jours précédents qu’un épais brouillard couvrait jusque vers 7 heures ou 8 heures du matin les flancs de la montagne, ils avaient décidé que l’on profiterait de cette circonstance et que l’on attaquerait de bonne heure, de façon à arriver, sans être vu, à proximité de la position anglaise et à l’assaillir par surprise sur plusieurs points avec des forces considérables ; on pouvait ainsi percer une ligne de bataille dont la ténuité et l’étendue ne faisaient pas présumer une grande force de résistance. C’est pourquoi les 2e et 6e corps se trouvèrent rassemblés, dès 5 heures du matin, vers Moura et Santo-Antonio de Cantaro ; avant qu’il ne fit jour, les premières colonnes d’attaque du 2e corps s’ébranlèrent.
Malheureusement, on ne prit pas toutes les précautions nécessaires pour exécuter les mouvements en silence et éviter de donner l’éveil à l’ennemi. Du haut de l’Alcoba, les Anglais entendirent distinctement tous les préparatifs de départ, qui se firent au son des fifres, des tambours et des trompettes ; le roulement des voitures d’artillerie leur indiqua aussi que les Français prenaient leurs dispositions pour attaquer.
Attaques du 2e corps.
D’après les ordres du général en chef, le 2e corps devait arriver le premier sur la crête de la montagne, par le chemin de Santo-Antonio, pour attirer de ce côté l’attention et les forces de l’ennemi ; le 6e corps devait ensuite faire l’effort principal en perçant par la route de Bussaco.
En conséquence, le 2e corps commença le mouvement et se forma en deux colonnes principales : celle de droite, constituée par la 11e division, sous le commandement du général Merle[20], réunie en avant et à droite de la Venta de Santo-Antonio de Cantaro, partit de ce point pour gravir la montagne vers la droite, par une pente qui paraissait praticable ; la colonne de gauche partit de Santo-Antonio do Cantaro, en s’appuyant au chemin qui, de ce point, conduit vers Palheiros : elle était formée uniquement par le 31e régiment d’infanterie légère, de la brigade Arnaud (division Heudelet). La brigade du général Foy, de la même division, resta en arrière du 31e prête à soutenir ce régiment, s’il rencontrait une vive résistance, ou à le suivre, dans le cas contraire ; elle devait constituer, en somme, une première réserve pour les colonnes assaillantes des deux divisions. Le 47e régiment de ligne, de la brigade Arnaud, resta à la disposition du commandant du 2e corps. L’artillerie fut disposée sur les plateaux en avant de Santo-Antonio do Cantaro, pour protéger le mouvement de l’infanterie ; malheureusement sa position était aussi défavorable que possible, car ses projectiles ne portaient pas jusqu’à mi-pente et ne pouvaient pas atteindre la crête pour contrebattre l’artillerie ennemie et ébranler son infanterie ; d’un autre côté, il était impossible de la placer plus haut, car, dans ce cas, elle n’aurait pas pu tirer du tout à cause de l’inclinaison du terrain. La cavalerie resta en réserve vers Lourinhal.
Les deux colonnes se mirent en marche avant 6 heures du matin, au moment où le brouillard se dissipait et se firent précéder par de nombreux tirailleurs; chacune d’elles était formée en colonne serrée en niasse par peloton ou par division, c’est-à-dire sur un front de compagnie ou de deux compagnies avec distance de trois pas d’un élément à l’autre.
Ce dispositif était commode pour porter en peu de temps beaucoup de troupes sur un point donné; il était d’ailleurs excellent pour forcer un défilé ou enfoncer une ligne ébranlée par le feu, mais peu maniable dans un terrain accidenté, où il devenait presque impossible de maintenir l’ordre ; de plus, il était très vulnérable sur ses flancs, qui ne pouvaient pas fournir de feux, il se trouvait faible sur son front où l’on ne pouvait user que du feu de la compagnie de tête ; enfin il était long à déployer par suite du resserrement des unités qui ne pouvaient exécuter que des mouvements latéraux très dangereux sous le feu de l’ennemi. Mais l’usage constant de l’époque était de prendre cette formation, considérée comme excellente pour l’offensive, et l’on fît à Bussaco comme on avait l’habitude de faire sur les autres champs de bataille.
L’itinéraire avait été reconnu la veille par le capitaine Charlet, aide de camp du général Reynier, et cet officier fut chargé de guider la marche de la division Merle, qui s’ébranla avec la brigade Sarrut[21] en tête et la brigade Graindorge[22] en queue. Dans la brigade Sarrut, le 36e de ligne forma la tête de la colonne ; il fut suivi par le 2e léger et par le 4e léger; on choisit, pour escalader, les anfractuosités de la montagne où les replis du terrain abritaient les troupes assaillantes. Le 31e léger, de la colonne de gauche, n’avait pas besoin de guide puisqu’il devait monter en s’appuyant au chemin qui mène au col ; il s’ébranla seul, tandis que la brigade du général Foy venait se placer en soutien au pied de la pente en arrière de lui et lui laissait prendre de l’avance.
Le terrain que devaient parcourir les deux colonnes du 2e corps était difficile ; la pente était raide et le sol, hérissé de blocs rocheux, était couvert de bruyères et de genêts épineux qui ensanglantaient les jambes des soldats à travers leurs vêtements, rendaient la marche pénible pour des troupes en formation massée et empêchaient le maintien de l’ordre initial déjà troublé par le brouillard.
Toutes ces circonstances empêchèrent la plupart des unités de continuer à marcher dans la formation en colonne serrée ; les troupes, afin de pouvoir cheminer au milieu des genêts, marchèrent par le flanc par régiment : « On peut juger des longueurs d’espace qu’elles devaient occuper au milieu des halliers, où les hommes étaient à demi-enfouis ; ces troupes figuraient dans leur ascension, et par leur flottement, des banderoles fixées à la montagne et se déroulant sur ses pentes. C’était donc un véritable assaut à fournir, une escalade à exécuter, sans protection d’artillerie pendant que celle ennemie, de positions favorables, nous écrasait sous ses feux, le fusil seul devait répondre ; mais, pour ce, il fallait arriver à portée et formés en bataille ».
Malgré toutes ces difficultés, les colonnes du 2e corps, remplies d’ardeur et d’espérance dans le succès, gravirent rapidement et en silence la pente escarpée de la montagne. Les tirailleurs français repoussèrent vivement tout ce qui se trouvait devant eux et, après une fusillade nourrie, rejetèrent les postes avancés de la division Picton sur la crête de la montagne, où la tête de la division Merle parvint en moins d’une heure. Mais les difficultés du terrain et de l’ascension au milieu des ajoncs avaient fatigué les troupes qui arrivèrent hors d’haleine et en désordre près du sommet; de plus, le brouillard persista moins longtemps que les jours précédents et se dissipa dès le début de la montée. Les Anglais, qui avaient aperçu distinctement nos colonnes d’attaque sur la pente, avaient eu le temps de prendre leurs précautions pour les recevoir sur les points où elles se dirigeaient.
Le colonel Mac Kinnon, commandant une des brigades de la division Picton, et le colonel Wallace, commandant le 88e anglais, placés auprès du col par où passe la route de Santo-Antonio à Palheiros, avaient averti le général Picton qu’une forte colonne française (celle de Merle) paraissait se diriger vers la partie du terrain occupée par le 88e anglais, assez isolé à environ 1,500 mètres au Nord-Ouest du col. Picton donna aussitôt des ordres pour faire renforcer le 88e (Connaught Rangers[23]) par deux bataillons du 8e portugais, quoiqu’ils ne fissent point partie de sa division, et par la moitié du 45e anglais, qui se trouvaient jusque-là placés dans le voisinage du col. Il rassembla également, pour les utiliser contre la colonne française, les compagnies légères de sa division, qui avaient lutté sur la pente contre les tirailleurs français et qui s’étaient écoulées vers leur gauche, afin de dégager le front du 88e. Le mouvement de toutes ces troupes s’exécuta à l’abri des vues de l’adversaire, derrière la crête, de sorte que les 45e anglais et 8e portugais purent arriver à temps pour se placer à la droite du 88e, en arrière de la crête, et se déployer face au 36e régiment français, qui marchait en tête de la division Merle, et qui prenait pied sur le plateau, large à cet endroit d’environ 200 mètres. Ce régiment débouchait en laissant sur sa droite les 45e et 88e anglais, qu’il n’apercevait qu’en partie, et ayant en face de lui le 8e portugais qu’il voyait mal, tandis que les compagnies légères de la division Picton lui étaient encore complètement masquées par la crête. Les unités du 36e étaient en désordre, les distances n’avaient pas été conservées, de sorte que les bataillons formaient, les uns par rapport aux autres, des échelons irréguliers ; il fallait donc les remettre en ordre, leur donner quelques moments de repos et les déployer sur le plateau de façon qu’ils pussent faire usage de leurs feux. C’est ce que tenta de faire le général Merle; il détacha vers sa droite une partie du 2e léger, pour chasser un groupe de tirailleurs anglais d’un massif rocheux, où ils combattaient encore, et qui dominait un escarpement où il comptait appuyer son flanc; il donna ordre au général Graindorge qui était en arrière à gauche, de déboucher sur la crête en pivotant sur sa droite, pour prendre en flanc les troupes qui se trouvaient devant la tête de la division; il prescrivit enfin de déployer la division par régiments en masse, c’est-à-dire tous les régiments sur la même ligne, avec leurs bataillons en colonne sur un front de compagnie. Encore un effort, et quelques moments après, la division Merle, remise en ordre, prenait possession du plateau et coupait en deux la ligue anglaise.
Mais elle n’en eut pas le temps. Au moment où le 36e mettait le pied sur le plateau et tentait de s’y former, il fut accueilli bonne distance par un feu violent des portugais, qui arrivait en sens inverse après s’être déployé à l’abri de la crête; le régiment fut très éprouvé sur son front par les décharges qui venaient de le surprendre ; cependant il riposta vivement, et continua à avancer pour attaquer à la baïonnette le 8e portugais, qui recula devant cette menace.
Mais à ce moment les Français furent accablés sur leur flanc droit par le tir à mitraille d’une batterie qui venait d’arriver à toute allure; c’était Wellington lui-même qui, ayant vu le danger que courait la brigade de droite de la division Picton, avait envoyé à son secours une partie de l’artillerie établie à la gauche de cette division. Cette artillerie ouvrit le feu juste à temps pour ébranler la marche do la colonne française, et lui faire subir des pertes graves, qui ralentirent son élan. Malgré tout, elle continuait son mouvement et allait prendre possession du plateau lorsqu’elle fut attaquée sur son flanc droit, déjà éprouvé, par les 88e et 45e régiments anglais, conduits par le colonel Wallace. Cet officier avait compris qu’il fallait attaquer les Français immédiatement sans leur laisser le temps de reprendre haleine sur la crête ; il avait formé, sans être vu, ses troupes en plusieurs petites colonnes souples et maniables, puis avait surgi à l’improviste sur la crête et s’était précipité tête baissée sur le flanc droit de la brigade Sarrut. Afin de contenir les fractions du 2e léger qui commençaient à s’installer dans les rochers, il leur avait opposé quelques compagnies réunies à la hâte, et pour faire seconder attaque par le 8e portugais, il lui avait recommandé de reprendre son mouvement en avant en accablant de feux les Français sur leur front. En même temps, le général Picton avait donné l’ordre aux compagnies légères réunies à droite du 8e portugais, de prononcer une attaque à la baïonnette sur le flanc gauche des Français.
Les troupes anglaises et portugaises exécutèrent cette contre-attaque d’ensemble avec une remarquable résolution et un rare bonheur; les 45e et 88e anglais, après avoir exécuté une décharge à bonne portée sur le flanc droit du 36e régiment français, se précipitèrent sur lui à la baïonnette avec un bel élan, le colonel Wallace en tête[24]. La colonne française, surprise au moment où elle essayait de se former, subit en peu de temps des pertes considérables par suite des feux qui l’accablaient de trois côtés à la fois à si courte distance, se trouvant dans l’impossibilité de riposter efficacement par suite de sa formation même, impuissante sur ses flancs, ayant perdu la plupart de ses officiers, elle se trouva incapable de résister au choc qui la menaçait. Malgré les exhortations et les efforts désespérés des officiers survivants, qui voulaient tenter la tâche impossible de tenir tête à l’ennemi en dépit de la confusion qui régnait dans la troupe, la tête de la colonne française, décimée et épuisée de fatigue tourbillonna sur elle-même et lâcha pied en se jetant sur les bataillons qui la suivaient. Ceux-ci furent bousculés et culbutés les uns sur les autres ; le désordre s’étendit ainsi de la tête à la queue de la colonne, et de la brigade Sarrut à la brigade Graindorge Dès lors la partie était de ce côté ; les Anglo-Portugais, continuant à avancer sur ces troupes épuisées et en désordre, en firent bon marché ; ils les rejetèrent sur le versant de la montagne, qu’ils les obligèrent à descendre plus rapidement qu’elles ne l’avaient gravie, puis les poursuivirent jusqu’à mi-pente environ, où ils furent arrêtés par le feu de l’artillerie du 2e corps qui, du bas de la montagne, commença à les couvrir de projectiles. Sous la protection de cette artillerie, les régiments de la division Merle se rallièrent tant bien que mal au pied des hauteurs.
Cette belle division avait été très éprouvée par le feu l’ennemi ; ses pertes étaient cruelles. Elle avait perdu 66 officiers et un millier d’hommes; parmi les blessés se trouvaient les généraux Merle et Graindorge, les colonels Merle et Desgraviers, des 2e et 4e d’infanterie légère ; le régiment qui avait le plus souffert était le 36e, qui tenait la tête et qui avait laissé 483 hommes sur le terrain.
Pendant ce temps, le 31e régiment d’infanterie légère, qui formait la tête de la colonne de gauche, avait prononcé son mouvement adoptant également la formation par le flanc par suite de l’impossibilité de marcher en colonne dans les ajoncs. Il avait gravi les pentes, en appuyant sa gauche au chemin de Santo-Antonio, et était arrivé dans les environs du col où passe ce chemin ; il avait été reçu en cet endroit par les décharges à mitraille de la batterie qui défendait le col et par le feu convergent du 74e régiment anglais et du 21e portugais, qui se portèrent en avant et prononcèrent un mouvement offensif sur les deux lignes de la colonne. Cette dernière, très éprouvée par un feu violent auquel elle ne pouvait répondre que par celui de sa compagnie de tête, dut s’arrêter pour se déployer et repousser à son tour l’ennemi par son feu; malgré les pertes que lui faisaient sur son front, l’artillerie et, sur ses flancs, l’infanterie, le 31e tint bravement tête anglais et se déploya tant bien que mal, en appuyant sa droite afin de diminuer les effets du feu de l’artillerie; il subit encore des pertes cruelles durant ce déploiement laborieux et progressa sur sa droite au moment où les troupes de la division Merle arrivaient de ce côté sur la crête à environ 700 ou 800 mètres. Il fît tous ses efforts pour se maintenir sur le terrain qu’il avait conquis et attendre le renfort de la brigade For qui devait le suivre ; mais, resté isolé sur la crête après l’échec de la division Merle, il lutta vaillamment pendant quelque temps et fut obligé de céder le terrain après avoir perdu 10 officiers, parmi lesquels le colonel Meusnier, et près de 300 hommes ; il recula alors à droite du chemin par où montaient à ce moment le 17e léger et le 70e de ligne commandés par le général Foy.
Ce dernier était resté au bas de la montagne, conformément aux ordres du commandant du 2e corps qui prescrivaient que sa brigade devait se porter en arrière du 31e léger « pour le soutenir ou le suivre ». Foy différa le départ jusqu’à ce que le 31e eût gagné la crête de la montagne. À ce moment, la division Merle, repoussée, redescendait en désordre, et Foy attendit qu’elle fût passée pour éviter qu’elle ne vint jeter le trouble parmi ses troupes.
Reynier, impatient de voir la brigade Foy entrer en action, se précipita vers le général et, perdant toute mesure, lui reprocha aigrement son inaction, en insinuant qu’il ne montrait aucune bonne volonté pour conduire sa brigade à l’ennemi, Foy riposta violemment à ce reproche qu’il ne méritait nullement; car, outre qu’il était sans contestation possible un général de talent, il était aussi un vaillant soldat, comme il en donna, quelques instants après, une preuve de plus, se mit à la tête de sa brigade et la conduisit à l’ennemi au secours du 31e léger. Sa brigade fut formée, comme les autres troupes, en colonne serrée en masse, le 17° léger en tête et le 70e en échelon en arrière. À ce moment même, une partie des fuyards de la division Merle arrivait dans sa direction et menaçait de jeter désordre dans sa colonne ; il arrêta sa troupe pour les laisser passer, et son attitude énergique permit au général Sarrut de rallier une partie de la division Merle. Il monta ensuite à droite du chemin au secours du 31e léger qui, épuisé de fatigue et affaibli par ses pertes redescendait assez en désordre sous les feux convergents de l’artillerie et de l’infanterie.
L’ennemi avait déployé toutes les forces qu’il avait près du col, et le 31e avait dû lutter désespérément les 9e et 21e portugais, les 74e et 45e anglais ; en même temps, le général Picton avait dirigé vers le col, après la défaite de la colonne Merle, la plupart des compagnies légères de sa division ainsi que le 8e portugais et la milice de Thomar, rattachés ce jour-là à la division Leith, mais auxquels il donna des ordres en absence de ce général. Ce dernier était encore au Sud-Est du col, hâtant sa marche pour arriver sur le champ de bataille, car Wellington lui avait envoyé l’ordre d’accourir pour tomber sur le flanc gauche de la colonne Foy, tandis qu’elle serait reçue en tête par les troupes qui accablaient déjà le 31e léger. Le général Leith envoya de suite au galop une de ses batteries pour soutenir celle qui se trouvait au col, et exécuta un mouvement de flanc vers sa gauche à l’abri de la crête très étroite en cette partie du champ de bataille.
Le général Foy ne se laissa pas intimider par le déploiement de forces qu’il avait sous les yeux; il entraîna énergiquement sa colonne vers les hauteurs au Nord du col, où se trouvait la droite des troupes de Picton. Le général Sarrut, qui avait réussi à rallier une partie de ses troupes, le suivait en arrière, à droite, à quelque distance. Malgré les difficultés du terrain et la résistance vigoureuse qui lui fut opposée, il renversa tout devant lui et mit le pied sur le plateau où sa colonne avec un tel élan qu’elle mit en désordre le 8e et le 9e portugais ainsi que le 45e anglais, qui cédèrent le terrain et reculèrent de l’autre côté de la crête. Le moment était décisif. Les Français, criant victoire, arrivaient sur les rochers au Nord du col et coupaient en deux la ligne anglaise ; si la colonne de Foy avait le temps de déboucher tout entière sur la crête et de déployer ses bataillons, les Anglo-Portugais étaient perdus; leur ligne une fois percée, ne se ressouderait plus.
Mais, juste au moment où le général Foy touchait au succès, le général Leith, accourant au secours de Picton arrivait au col sans avoir été vu et prenait ses dispositions pour attaquer en flanc la colonne française. Il se passa alors pour les troupes de Foy ce qui s’était quelques instants auparavant pour celles de Merle. Épuisées par les efforts qu’elles venaient de faire pendant la montée, ces troupes, formées en colonne et forcément en désordre à la suite du combat qu’elles venaient de soutenir, commençaient péniblement à se déployer en arrivant sur la crête, lorsqu’elles furent subitement attaquées en flanc par la brigade Barnes que le général Leith lança sur elles. Le 9e régiment anglais, tout à coup démasqué, se déploya obliquement sur leur gauche et commença à exécuter des feux de peloton à moins de 100 mètres.
Comme toujours, les Français, formés en colonne, sont impuissants à répondre à ce feu de flanc ; ils subissent des pertes énormes sans pouvoir riposter. Cette attaque inattendue et ces pertes subites les déconcertent, arrêtent leur mouvement et les mettent en désordre. Malgré tout, l’énergie de leurs officiers remédie au mal ; ils se reforment et tentent de continuer leur mouvement. Mais les Anglais sont encouragés par la constatation qu’ils ont faîte des effets terribles de leur feu ; le général Leith profite de l’occasion pour achever d’abattre le moral des Français qu’il voit ébranlé: il se met à la tête du 9e régiment, le lance sur la colonne Foy, lui fait encore exécuter un feu à quelques pas et le fait charger à la baïonnette, soutenu par le 38e, qui débouchait à ce moment à la droite et en arrière du 9e ; derrière le 38e arrivait encore le 1er régiment (gardes royaux).
En même temps, les troupes ennemies qui se trouvaient en face de la colonne Foy avaient reçu des renforts et avaient ouvert contre elle un feu terrible. Ainsi écrasés de front et de flanc, les Français sentent fléchir leur énergie morale; incapables de résister plus longtemps, les troupes inclinent à droite, du côté opposé à l’attaque, se mettent en désordre et, malgré les efforts du général Foy, blessé dans la bagarre, et des officiers qui se sacrifient héroïquement, le 17e léger et le 70e de ligne abandonnent le terrain et redescendent la pente, entraînant dans leur déroute les troupes que le général Sarrut amenait à leur secours. Ils furent vivement poursuivis par les Anglo-Portugais, qui s’arrêtèrent à 500 ou 600 mètres du sommet, quand ils arrivèrent sous le feu de l’artillerie du 2e corps. La brigade Foy avait perdu dans cette action sanglante une quarantaine d’officiers et plus de 600 hommes. Vers 8 heures du matin, tout était terminé à la gauche française.
En présence de l’insuccès des attaques de ses deux divisions, le général Reynier, ne voyant pas le 6e corps faire des progrès à sa droite, jugea inutile d’insister du côté du col de Santo-Antonio et ne voulut pas engager le 47e de ligne, seule réserve qui lui restât. Son corps d’armée avait perdu sans succès 122 officiers et 2,000 hommes. Il ne tenta pas de renouveler l’aventure; il rallia ses troupes au pied de la montagne, sous la protection de son artillerie, et envoya des tirailleurs sur la pente pour empêcher l’ennemi de descendre trop bas, Masséna lui envoya en deuxième réserve la division Clauzel, du 8e corps, mais elle lui fut inutile. Les Anglo-Portugais, de leur côté, ne tentèrent pas de passer à l’offensive ; ils se contentèrent de reprendre leur position sur la crête de l’Alcoba.
Attaques du 6e corps.
Le maréchal Ney mit ses divisions en marche quand il aperçut la division Merle sur les hauteurs, au-dessus de Santo-Antonio. La 3e division du 6e corps, commandée par le général Loison, se lança à l’attaque gravissant la montagne, à droite de la grande route, l’autre côté d’un profond ravin qu’elle contourne ; le terrain qu’elle avait à parcourir était très escarpé et difficile, surtout au-dessus de Sula.
La division Mermet (2e division) resta en réserve derrière Moura. La division Marchand (1e) reçut l’ordre de prononcer son attaque en prenant par la route même, à gauche du ravin qui la séparait de la division Loison. Cette division partît la première formée en colonne serrée en masse par brigades, la brigade Simon à droite, la brigade Ferey à gauche, les 26e et 66e régiments en tête de colonne, chaque brigade prenant comme axe de marche deux sentiers qui montaient au Nord de la route principale, de l’autre côté du ravin. Les deux colonnes se firent précéder par des tirailleurs. Ceux de l’ennemi avaient été installés en nombre, à mi-pente, soutenus par des postes et des réserves qui occupaient les points favorables du terrain, tels que rochers, bouquets de bois et notamment le village de Sula et ses environs, qui se prêtaient à une bonne défense ; là se trouvaient le 4e chasseurs portugais, de la brigade Pack, le 95e anglais et le 3e chasseurs portugais, de la division Crawfurd. Ce général, chargé de la défense de cette partie du champ de bataille, avait gardé en arrière, pour former la ligne principale sur la crête militaire, au-dessous de la crête topographique, les 43e et 52e ainsi que le 1er chasseurs; ces troupes étaient dissimulées dans le chemin creux que forme la route dans la partie de la courbe qu’elle décrit vers le Nord et qui fait face, par conséquent, au village de Moura et à la direction des attaques des Français. La ligne principale était soutenue par une nombreuse artillerie qui battait la route et ses abords, et dont une partie était placée dans les intervalles d’une série de gros rochers qui formaient autant d’embrasures naturelles.
Les tirailleurs de Loison engagèrent vivement le combat avec ceux de Crawfurd et la lutte devint bientôt si chaude qu’il fallut sérieusement les renforcer ; ils refoulèrent enfin ceux de l’ennemi vers Sula qu’ils enlevèrent brillamment, puis sur les pentes au-dessus de ce village, et préparèrent la voie aux colonnes de la division Loison, qui gravirent la montagne à leur suite avec une ardeur et une intrépidité qui firent l’admiration de l’ennemi; rien ne les arrêta sur la pente, ni le feu violent des tirailleurs anglo-portugais, qui se reformèrent plusieurs fois pour les arrêter, ni les décharges de mitraille que leur envoya l’artillerie anglaise dès qu’elle furent à bonne portée ; elles refoulèrent tout devant elles. Bientôt la brigade Simon, qui se trouvait la plus avancée, parvint à une cinquantaine de mètres de la batterie anglaise située vers sa droite et dont le feu terrible lui avait causé des pertes cruelles pendant la montée ; sans arrêter son mouvement sous le feu de cette artillerie, le général Simon, prenant les canons comme objectif, se mit à la tête de sa brigade, le sabre haut, et l’entraîna à l’attaque de la batterie anglaise qui, devant l’impétuosité de cette attaque, n’eut que le temps d’amener les avant-trains et de s’enfuir au galop pour éviter de tomber entre les mains des Français. Ceux-ci arrivaient déjà près de la crête, essoufflés par la course, en désordre et criant victoire, lorsqu’à un signal du général Crawfurd qui, posté en avant de ses troupes, attendait avec sang-froid le moment favorable, les 42e et 52e anglais[25], tout formés en ligne et dissimulés dans le chemin creux, se levèrent comme un seul homme, vinrent couronner la crête au-dessus du chemin et exécutèrent à une vingtaine de pas, sur la colonne française surprise, un terrible feu roulant dont pas un coup ne se perdit à si courte distance. Les subdivisions de tête furent à peu près détruites par l’épouvantable grêle de balles qui convergea sur elles ; les fractions qui suivaient, sans se laisser intimider par la vue des 1,800 hommes qui se précipitaient sur elles, la baïonnette haute, essayèrent de se former et d’arrêter l’ennemi par leur feu ; mais en même temps, les deux extrémités de la ligne anglaise, qui débordaient beaucoup les flancs de la colonne Simon, refermées à droite et à gauche comme les deux branches d’une tenaille et avaient exécuté des feux meurtriers sur les deux flancs des subdivisions de tête. Incapables de riposter par suite de leur formation même, et aussi hors d’état de se déployer à si faible distance de l’ennemi. Le général Crawfurd avait lancé ensuite ses soldats à la baïonnette contre les Français. Ces derniers, mis en désordre et ébranlés à la suite des pertes subies dans cette brusque attaque, épuisés de plus par les efforts qu’ils avaient faits pour gravir la montagne, se trouvaient dans l’impossibilité de résister plus longtemps; leurs bataillons de tête lâchèrent pied brusquement, tourbillonnèrent sur eux-mêmes et redescendirent la pente vers Sula, bousculant les troupes qui les suivaient et qui furent entraînées dans leur déroute. La brigade Simon laissa sur le terrain un peu plus de 800 hommes dont 36 officiers, parmi lesquels le général Simon lui-même, qui resta grièvement blessé entre les mains de l’ennemi. Les Anglais poursuivirent jusque vers Sula, où les feux de l’artillerie du 6e corps les arrêtèrent ; la brigade Simon put aller se remettre en ordre un peu plus bas.
Son mouvement rétrograde avait entrainé celui de la brigade Ferey, moins vivement engagée à sa gauche contre le 19e portugais, de la brigade Coleman, mais qui avait beaucoup souffert du feu de l’artillerie. Le général, constatant l’impossibilité de continuer seul son mouvement offensif à la suite de l’échec du général Simon et des pertes qu’il avait subies, s’élevant à près de 450 hommes, ramena sa brigade en arrière de Sula ; il s’y reforma non loin de la brigade Simon et en avant d’elle, sous la protection du 2Se léger, de la division Mermet, que le maréchal Ney envoya pour protéger son mouvement rétrograde, mais qui n’eut pour ainsi dire pas à combattre. Le reste de la division que le maréchal Ney porta près du col pour être prête à soutenir la division Loison, n’eut pas non plus à intervenir. Les Anglais, qui avaient poursuivi jusque vers Sula, ne purent guère dépasser cette localité à cause du feu l’artillerie française placée près du col en avant Moura; le gros des troupes anglaises regagna alors sa position primitive, ne laissant aux abords de Sula que des tirailleurs et des postes qui réoccupèrent leurs emplacements du matin. Le feu cessa bientôt complètement de ce côté jusque vers le milieu de l’après-midi; à ce moment, les tirailleurs de la brigade Ferey se reportèrent en avant et, après une fusillade assez vive, repoussèrent les Anglais au-delà de Sula, qu’ils réoccupèrent, reperdirent, et finalement conservèrent, malgré une vive canonnade que le général Crawfurd fit diriger contre eux.
Pendant ce temps, la 1e division du 6e corps, commandée par le général Marchand, avait aussi prononcé son attaque. Elle aurait dû commencer son mouvement en même temps que la 3e, de façon à la soutenir en abordant l’ennemi à sa gauche en même temps qu’elle; malheureusement, on ne sait pourquoi, elle ne s’ébranla que beaucoup plus tard et n’engagea l’action qu’au moment où la brigade Simon était déjà repoussée et mise en déroute. Elle attaqua en colonne serrée par division: en suivant la grande route, qui était le point le plus fort de la ligne anglaise, défendu par une nombreuse infanterie et uni puissante artillerie. Là se trouvaient les brigades Coleman et Pack, soutenues à droite par la division Spencer et à gauche par la division légère de Crawfurd et par la brigade Campbell, de la division Cole, qui avait serré sur sa droite pour être à même d’appuyer Crawfurd, quand ce dernier fut attaqué par Loison.
A gauche de Pack, face au tournant de la route, vers la tête du ravin, se trouvaient trois batteries d’artillerie, qui battaient efficacement la route et ses abords.
La brigade Maucune (6e léger et 62e de ligne) prit la tête de la division Marchand et se porta résolument en avant, suivie à une certaine distance par la brigade Marcognet (39e et 76e de ligne). Elle se trouva bientôt battue sur son front par les décharges à mitraille de l’artillerie anglaise qui lui causèrent des pertes cruelles sans l’empêcher de continuer sa route; peu après, elle reçut sur son flanc gauche le feu des tirailleurs du 4e chasseurs portugais, de la brigade Pack, qui garnissaient les rochers et les bois de pins à gauche de la route, tirant à couvert sans grand danger pour eux tout en infligeant aux Français des pertes sensibles. À ce moment, la tête de la brigade Maucune, tant pour éviter les effets du feu d’artillerie qui l’écrasait en tête que pour se débarrasser des tirailleurs qui l’incommodaient sur son flanc, se jeta instinctivement à gauche de la route et se dirigea vers le bois de pins dont elle chassa les Portugais de Pack et où elle s’établit, y trouvant un abri relatif. Mais avant de parvenir au bois elle avait exécuté en présence de l’ennemi un véritable mouvement de flanc qui lui coûta cher; car les Anglais démasquant à ce moment de nouvelles pièces, l’accablèrent de mitraille et lui infligèrent des pertes graves. Malgré tout, elle se reforma à peu près dans le bois, et essaya d’en déboucher pour attaquer la brigade Pack qui se trouvait établie à quelques centaines de mètres de distance au-dessus, dans le voisinage de la crête. Malheureusement le terrain était des plus difficiles, et la pente trop raide pour que l’attaque put être rapide ; l’escarpement était tel qu’un homme isolé et sans fardeau eût eu de la peine à le gravir; plusieurs attaques énergiquement conduites furent infructueuses et n’eurent d’autre résultat pour les Français que de leur faire gagner quelques mètres de terrain au prix de pertes sensibles. Ils ne purent pas réussir à prendre pied sur la position de l’ennemi qui les fusillait à son aise sur une pente presque impossible à gravir pour le joindre ; le général Maucune fut tué, le colonel Amy blessé, et les attaques dégénérèrent de ce côté en une série de combats partiels à la suite desquels la brigade Maucune se trouva presque complètement dispersée en tirailleurs en avant du bois de pins et dans ce dernier. La brigade Marcognet, qui marchait à la suite de la brigade Maucune, continua à avancer par la route et prononça son attaque vers la droite ; mais les Anglais, après l’échec de la division Loison, avaient pu concentrer leurs forces et notamment leur artillerie contre les troupes de Marchand. La brigade Marcognet, sur laquelle convergeait la mitraille des pièces anglaises, subit bientôt elle aussi des pertes cruelles qui arrêtèrent son élan ; elle se déploya péniblement à droite de la brigade Maucune, de sorte que la division Marchand déployée presque en entier occupa sur un front considérable toute la pente à l’Est du couvent de Bussaco et au sud de la route. Les Anglais ne prononcèrent pas de contre-attaque dans cette partie du champ de bataille, et il s’ensuivit un combat en ordre dispersé qui dura une grande partie de la journée, sans autre résultat que de coûter beaucoup de monde aux deux partis ; c’est ainsi que le 69e de ligne, commandé par le colonel Fririon, tirailla jusque vers 3 heures du soir et perdit 480 hommes sur 1,5OO; les pertes avaient été également considérables dans les autres régiments de la division Marchand, qui perdit dans cette journée près de 4,200 hommes dont 40 officiers. En même temps que la brigade Marcognet venait soutenir à droite la brigade Maucune, le maréchal Ney avait envoyé à la gauche de cette dernière quelques compagnies de voltigeurs sous le commandement de son aide de camp, le chef de bataillon Sprûnglin, avec mission de contenir les tirailleurs de la division Spencer, qui gagnaient du terrain sur la pente ; ces troupes tiraillèrent toute la journée avec les Anglais sans avantage marqué ni d’un côté ni de l’autre.
Les tirailleurs français conservèrent jusqu’au soir les positions qu’ils occupaient; la fusillade ne cessa que vers les 4 heures de l’après-midi. À ce moment, le général Marchand convint d’une trêve de deux heures avec les troupes ennemies qu’il avait devant lui, pour relever les blessés tombés dans cette partie du champ de bataille; ce n’est qu’à la nuit que le maréchal Ney rappela ses troupes en arrière, pour les établir au-delà du ravin.
Résultats de l’engagement.
Du côté du 6e corps, l’action véritable avait pris fin avant 9 heures du matin. À ce moment, toutes les attaques avaient été repoussées et les pertes subies étaient telles que le général en chef jugea inutile de faire de nouvelles tentatives, en engageant les troupes qu’il avait jusque-là tenues eu réserve. Le 6e corps avait perdu près de 2,500 hommes, dont plus de 100 officiers; en ajoutant ces pertes à celles subies par le 2e corps, on arrivait à un total de 4,500 hommes, dont près de 230 officiers, pour le déchet que subît l’armée française dans cette funeste journée. Il ne faut pas oublier que la plus grande partie de ces pertes fut essuyée en moins de deux heures, sans que les Français eussent réussi mettre à l’ennemi plus de 1,250 hommes hors combat.
Le maréchal Masséna avait employé seulement la moitié de son infanterie contre un ennemi d’un effectif à peu près égal, mais dont les pertes avaient été moindres, et qui, par suite, devait disposer de réserves plus fortes. Il jugea donc inutile, après le sanglant échec qu’il avait éprouvé, de renouveler une attaque dont le succès paraissait bien problématique, en présente d’une position aussi forte et aussi difficile à aborder de front. Il renonça donc à recommencer le combat, se borna à maintenir ses troupes sur le terrain où elles se trouvaient et conserva, malgré l’échec qu’il venait de subît, une attitude résolue, qui paraissait défier son ennemi, en le conviant à descendre de son nid d’aigle pour venir dans la vallée engager une bataille plus décisive à armes égales.
Wellington se garda d’en rien faire, car il se trouvait complètement satisfait d’avoir essayé les forces de son armée, composée pour moitié de bataillons portugais instruits par des Anglais, et d’avoir acquis la preuve que sa solidité au feu était suffisante, tout au moins dans la défensive, pour soutenir avec succès le choc redoutable des troupes françaises. Le général anglais se contenta donc de rester sur place, prêt à repousser, si elle se produisait, une nouvelle attaque des Français. Dans l’après-midi du 27 septembre, il voulut consacrer son succès du matin et exalter le moral de ses troupes, en les passant en revue, suivi d’un brillant état-major; il fut reçu au son des musiques militaires et au milieu d’acclamations enthousiastes, qui allèrent retentir jusqu’aux oreilles des Français. Ces derniers s’étaient reformés au bas de la montagne ; leurs régiments, encore pleins d’ardeur, demandèrent à recommencer l’attaque, en présence d’un spectacle si humiliant pour leur amour-propre.
Mais Masséna avait pu constater que l’ennemi était trop solidement établi pour être enlevé de front, sans de lourdes pertes : il ne voulut pas recommencer l’attaque et maintint son armée sur ses emplacements, en cherchant un autre moyen que l’offensive directe pour obliger les Anglais à abandonner leur position. Eût-il voulu, d’ailleurs, recommencer une attaque de vive force qu’il n’en eût peut-être pas eu la possibilité ; l’attitude de ses commandants de corps d’armée était peu encourageante : après l’avoir, la veille, poussé de toutes leurs forces à attaquer, ils ne parlaient plus maintenant que l’attaque était repoussée, de rien moins que d’abandonner la partie et de revenir en arrière en quittant le Portugal et l’Espagne, déclarant que cette campagne était impossible à mener à bien avec des moyens insuffisants, qu’on n’aurait jamais dû l’entreprendre dans de pareilles conditions et que, d’ailleurs, le moral des troupes était abattu, ce qui n’était pas exact, car les 2e et 6e corps étaient encore remplis d’ardeur malgré leurs pertes, et montraient les meilleures dispositions, lorsque le maréchal Masséna alla les visiter dans l’après-midi.
Masséna se décide à manœuvrer par sa droite.
Tout en repoussant l’idée d’abandonner la partie, Masséna jugea plus sage de rester sur l’expectative et d’essayer enfin de manœuvrer pour tourner la position, ce qu’il aurait pu faire dès la veille, s’il avait pris la précaution d’utiliser sa nombreuse cavalerie pour explorer au loin le terrain, sur les flancs de l’ennemi.
Il est juste d’ajouter que les cartes du pays étaient si mauvaises, et les renseignements que lui donnaient les Portugais si faux, qu’il ne pouvait avoir aucune notion préliminaire sur le pays qu’il parcourait ; c’est ainsi qu’on lui avait dépeint la Serra de Bussaco comme offrant un large plateau favorable à la cavalerie, et qu’on lui avait laissé ignorer l’existence du chemin de Boialvo ; cependant, il était accompagné par plusieurs Portugais de marque, dont le général marquis d’Alorna et le général de Pamplona, qui ne surent lui donner aucune indication exacte sur la topographie de leur propre pays.
Il envoya des reconnaissances, composées de cavalerie et d’infanterie, explorer au loin le terrain, à droite et à gauche de l’ennemi. « Dans l’après-midi, le maréchal Masséna, qui jugeait depuis longtemps l’issue de cet engagement, avait envoyé reconnaître le terrain sur les flancs, afin de s’assurer des moyens de faire un mouvement dans l’une de ces directions, et tourner en même temps cette position inabordable, ainsi que l’ennemi, qui pouvait se croire victorieux. Quelque cavalerie légère du 2e corps marcha vers le Mondego, pour examiner les chemins, les bords de la rivière, et ce qui se passait vers Murcelha. Beaufort fut particulièrement chargé de la reconnaissance; ils allèrent assez loin, trouvèrent beaucoup de paysans armés, soutenus sur les hauteurs par quelques corps de troupes, et on vit que l’ennemi semblait se tenir en mesure sur ce flanc, par où il pouvait se trouver compromis.
« Le général Sainte-Croix avait été envoyé vers la droite, par le chemin de Boialvo et Sardao, qui débouchait dans la plaine de Coïmbre, sur les derrières de l’ennemi. Il arriva hardiment jusqu’à Boialvo avec 20 dragons choisis; il n’avait pu bien voir le terrain dans l’obscurité, mais il donna des renseignements favorables, et enfin, il avait dépassé la crête sans trouver ni lignes ni détachements ennemis. D’après le rapport de ces deux reconnaissances, le mouvement fut à peu près décidé par la droite ».
La nuit du 27 au 28 septembre se passa sans incident. Le maréchal Masséna alla coucher en arrière de la division Clauzel à 1,000 mètres environ de la première ligne. « On n’avait pu rien trouver de ses équipages qui étaient en arrière ; il se plaça dans une mauvaise maison de paysan et il n’eut pour se coucher qu’un peu de paille, pour se couvrir que son habit de général et pour sa nourriture de toute la journée qu’un verre d’eau ». Son aide de camp Pelet lui offrit une bouteille de Madère qu’il refusa en le priant de le laisser seul pour passer la nuit; il s’endormit tristement en pensant avec amertume que la Victoire venait, pour la première fois, de trahir son enfant chéri.
Néanmoins sa fermeté ne l’abandonna pas; le lendemain 28 septembre, après avoir constaté que l’ennemi occupait toujours ses emplacements de la veille, en conservant une attitude qui n’avait rien d’offensif, il réunit de nouveau ses lieutenants pour prendre leur avis sur ce qu’il convenait de faire. Comme ils voulaient revenir sur les dangers de l’expédition et la nécessité de l’abandonner, il coupa court à la conversation en leur disant ; « Il ne s’agit pas de cela. La question se réduit à ceci : Faut-il attaquer ou manœuvrer, et, dans ce dernier cas, est-ce sur la gauche ou sur la droite de l’ennemi ? ». On se prononça pour la négative sur la première partie et il fut décidé que l’on manœuvrerait par la gauche de l’ennemi, dans la direction de Boialvo et Sardào par Avélans-de-Cima où l’on trouverait un pays découvert et fertile, d’après les indications fournies par les reconnaissances de la veille.
L’armée française resta sur ses positions jusqu’au 28 au soir sans que les Anglo-Portugais fissent rien pour venir la troubler. Le maréchal Masséna se contenta de faire exécuter quelques travaux de fortification et de creuser quelques tranchées en prévision d’une attaque possible de l’ennemi. Afin de tenir ce dernier en haleine et le tromper sur ses projets de manœuvre, il fit faire quelques démonstrations aux avant-postes où furent échangés quelques coups de canon et de fusil sans qu’il en résultât rien de sérieux.
Dans la soirée du 28 septembre, le maréchal Masséna décidé à décamper pour exécuter le plus tôt possible le mouvement de flanc qu’il projetait sur Sardao, donna les ordres suivants pour la nuit du 28 au 29 :
Ordre de marche du 28 septembre 1810
Au bivouac, 28 septembre 1810.
L’armée fera cette nuit un mouvement par sa droite pour tourner la position de l’ennemi sur la Serra de Luzo et se porter dans la direction de Sardao.
En conséquence, le 8e corps, formant l’avant-garde de l’armée, se mettra en marche à la nuit tombante et se rendra par Aveleira et Boialvo à une lieue en avant de Sardao. Il pressera sa marche de manière à gagner le plus tôt possible la crête de la montagne et à l’avoir occupée au moins ayant la pointe du jour. S’il était attaqué avant d’y arriver, il poussera vigoureusement le peu de troupes que l’ennemi peut avoir sur ce point, et aussitôt qu’il aura gravi le sommet, il s’y établira militairement et s’y retranchera, s’il le faut, pour attendre l’arrivée des autres troupes. Le 8e corps n’emmènera avec lui que l’artillerie indispensable. Il fera marcher le reste avec ses équipages, à la queue de sa colonne, pour rendre son mouvement le plus prompt possible.
Le 2e corps commencera aussi son mouvement à la tombée de la nuit et marchera immédiatement après le 8e. M. le Maréchal laissera pour son arrière-garde une division qu’il mettra en mouvement à l’heure qu’il jugera convenable. Il fera occuper sa même ligne d’avant-postes. Enfin, il prendra toutes les mesures nécessaires pour dérober à l’ennemi son mouvement. Le 6e corps ira prendra position à Boialvo.
Le 2e corps se mettra aussi en mouvement à la tombée de la nuit. Il suivra la même direction vers Sardao, en s’acheminant par Mortagoa et Aveleira. Il s’arrêtera à une lieue en arrière de Boialvo. Le 2e corps formera l’arrière-garde de l’armée conjointement avec la cavalerie de réserve.
La cavalerie de réserve marchera en arrière du 2e corps et laissera un régiment en arrière pour observer les mouvements que l’ennemi pourrait diriger contre la queue de nos colonnes. Ce régiment fera en même temps filer et presser tout ce qui appartient à l’armée.
M. les Commandants des corps d’armée mettront le plus grand soin à faire marcher leurs troupes très serrées et dans le plus grand ordre, ainsi que leurs blessés, l’artillerie et les bagages. L’armée peut être suivie ou attaquée dans sa marche par l’ennemi ; elle doit se tenir en mesure de pouvoir se former en bataille et lui tenir tête, et par conséquent occuper le moins de terrain possible.
Je crois inutile d’entrer dans de plus grands détails avec MM. les chefs des corps, pour leur marche, comme aussi leur indiquer les précautions nécessaires en levant leurs camps pour cacher à l’ennemi le plus longtemps possible un mouvement aussi important. Je leur recommande cependant de faire allumer de grands feux de bivouac et de les faire entretenir pendant la nuit par de petits détachements qui se mettront en marche deux heures avant le jour.
Demain, il sera donné de nouveaux ordres pour la marche. Le général en chef se tiendra en arrière de l’avant-garde.
Le Maréchal, prince d’Essling, commandant en chef l’armée de Portugal,
Masséna.
P.-S- — La division Solignac serrera sur la division Clauzel pour se mettre en marche; le général Solignac fera avertir le Prince aussitôt que la queue de sa division arrivera à la hauteur du bivouac du grand quartier général.
La nuit s’annonçait mauvaise et le temps était pluvieux; on alluma les feux de bivouac pour donner le change à l’ennemi; on commença à faire plier les bagages d’un peu trop bonne heure, avant que la nuit fût close, de sorte que l’ennemi eut la possibilité de s’apercevoir des préparatifs du mouvement. En revanche, la mise en marche des divers corps fut si lente au milieu de la nuit noire que le mouvement durait encore quand le jour se leva et que l’armée anglo-portugaise, qui en eut pleine connaissance, aurait pu, si elle l’avait désiré, venir le troubler en attaquant les Français en queue. Mais il n’était pas dans les intentions de Wellington de tenter une opération offensive un peu hardie ; le général anglais ne tenta même pas d’utiliser sa nombreuse cavalerie pour surveiller le mouvement des Français et gêner leur marche vers la route de Lisbonne, de sorte que l’armée de Portugal parvint sans encombre à Boialvo et Avelans-do-Caminho dans la journée du 29. Le colonel Trant, chef des milices d’Oporto, qui avait reçu de Wellington l’ordre de venir occuper Sardao et qui aurait pu gêner considérablement le mouvement des corps français, ne put arriver à temps. L’armée de Portugal continua ensuite son chemin sur Coïmbre, où elle arriva le 1er octobre sans y rencontrer de résistance: la route de Lisbonne était ouverte. Ainsi fut obtenu sans pertes et par une simple manœuvre, un résultat qu’on avait infructueusement essayé d’obtenir de vive force en sacrifiant 4,500 hommes d’excellentes troupes quatre jours auparavant.
Wellington sachant de façon certaine, le 29 au matin, que le gros de l’armée française se dirigeait sur Boialvo, évacua immédiatement sa position de Bussaco pour se retirer sur Coïmbre et de là sur les lignes de Torres-Vedras toutes prêtes à recevoir les Anglo-Portugais pour la défense de la région au Nord de Lisbonne entre le Tage et la mer ; il y fut suivi par Masséna qui en ignorait l’existence et qui s’arrêta étonné devant ces retranchements formidables.
Documents
-
Mémoires du capitaine Marcel, du 69e de ligne
Après la prise d’Almeïda, nous restâmes encore quinze jours dans nos camps et ne fûmes plus occupés qu’à réunir des approvisionnements pour la troisième expédition de Portugal. Le l4 septembre, il y eut revue aux environs d’Almeïda: c’est là qu’il eût fallu voir notre armée pour se faire une idée de la beauté de nos régiments; malgré cinq mois de bivouac et de durs travaux, le contentement, l’ardeur et l’amour de la gloire se montraient sur la figure de chaque soldat: Les plus jeunes avaient trois ans de service; que n’aurait-on pas fait avec de pareils hommes!
L’armée, forte de 60 000 fantassins et de 12 000 cavaliers, se mit en route le 15 septembre, les 6e et 8e corps par éolorico et Viseu, le 2e corps par Guarda. Nous traversâmes d’abord de superbes vallées, des villages magnifiques, mais il nous fut impossible d’apercevoir un habitant; nous en eûmes l’explication en trouvant sur les murs des proclamations du roi de Portugal enjoignant à tous les bourgeois et paysans d’évacuer les villes et villages, sous peine de mort. L’armée anglaise se retirait au fur et à mesure que nous avancions et malgré cela, au bout de sept jours de marche, nous fîmes halte pendant cinq jours: je n’ai jamais pu savoir le motif de ce séjour. Nos soldats en profitèrent pour bourrer leurs sacs d’épis de maïs et se reposer un peu. Le 24 septembre nous nous remîmes en marche et, le 26, notre cavalerie échangea les premiers coups de carabine avec l’arrière-garde anglaise : nous sûmes que l’armée anglo-portugaise se portait vers une chaîne de montagnes appelée le mont Busaco, que l’on pouvait apercevoir. Le lendemain, 27 septembre, nous n’avions pas fait une lieue que l’on trouva les vedettes anglaises et que l’on vit l’armée ennemie postée sur les hauteurs; on arrêta et le maréchal Ney vint jusqu’à cinquante pas de ces vedettes reconnaître la position des Anglais[26]. En revenant, il s’arrêta prés de mes voltigeurs déjà en tirailleurs dans les broussailles et dit à un de ses aides de camp « Allez prévenir le prince d’Essling que l’armée ennemie est en position et paraît vouloir s’opposer à notre passage; dites-lui que mon intention serait d’attaquer dès l’arrivée des troupes. » Cependant la journée se passa sans qu’il y eût un coup de fusil tiré; on bivouaqua, mais les vivres manquaient et plusieurs de nos hommes durent s’endormir sans avoir mangé autre chose que quelques graines de maïs écrasées.
Le lendemain matin on prit les armes à l’aube et, à 6 heures, on marcha à l’ennemi, à jeun, avec la même gaieté que si l’on sortait de faire le meilleur repas. Masséna disait aux soldats qui défilaient devant lui: « N’usez pas vos cartouches, allez à la baïonnette! » Il fut obéi et on attaqua avec la dernière vigueur[27]. La brigade avait à escalader des rochers escarpés et à traverser des genêts piquants et presque impénétrables qui couvraient la montagne, sous le feu des Anglais tranquillement installés an sommet: les deux régiments marchaient à la même hauteur et une lutte s’établit bientôt entre les soldats du 69e et ceux du 6e léger pour arriver les premiers. Nous parvînmes promptement au pied des masses ennemies et fîmes halte sous un feu roulant qui était assez gênant : malgré les pertes, mes voltigeurs, échauffés, criaient aux Anglais «He! Les Goddem, attendez-nous un instant pour le déjeuner à la fourchette!» Mais, chose inconcevable, nous nous aperçûmes à ce moment que la brigade n’était pas soutenue; je vis de suite que l’affaire était manquée: à notre droite la division Simon du 8e corps, déjà parvenue au sommet de la montagne et également non soutenue, redescendait les pentes sous un feu terrible d’artillerie et devant l’attaque d’une colonne anglaise quatre fois supérieure; brusquement cette même colonne arriva sur nous, et ce fut notre tour d’être culbutés. Ce ne fut pas sans résistance et les Anglais n’allèrent pas bien loin car nous brûlâmes sur eux toutes nos cartouches; le sergent Roussel, des fusiliers du bataillon, se trouva seul, blessé grièvement, au milieu d’Écossais qui voulaient le faire prisonnier: il en assomma deux à coups de crosse et mit les autres en fuite.
Sur notre gauche, le général Reynier parvint trois fois à s’emparer du sommet de la montagne et en fut chassé par la même colonne qui nous avait culbutés et que les Anglais, libres de leurs mouvements, promenaient de la droite à la gauche pour repousser nos attaques décousues.
Cette fatale affaire coûta 10 000 hommes à l’armée de Portugal; le 69e perdit 60 hommes tués et 500 blessés dont 26 officiers[28]. Et pourtant le rapport du général en chef fit passer cette journée si meurtrière pour un simple engagement de tirailleurs, destiné à amuser les Anglais, pendant que notre armée tournait la position à droite: je rougis de dire que de vils adulateurs ont osé prétendre que c’était une des plus savantes manœuvres de Masséna.
Le lendemain nous restâmes en position là où nous avions bivouaqué le 27; à peine eûmes-nous assez de bêtes de somme pour emporter nos blessés et nous fûmes obligés de laisser des amputés quand, le 30 septembre, s’effectua le mouvement par Sardao[29]. C’est dans ces moments que l’on reconnaît quel fléau est la guerre et combien elle endurcit les cœurs: dans une nuit obscure, au milieu des bruyères, loin de toute habitation, sans une goutte d’eau pour rafraîchir leurs lèvres desséchées par la fièvre, ces malheureux amputés, d’un ou deux membres, nous imploraient d’une voix déchirante; il me semble encore les entendre crier « Camarades, ne nous abandonnez pas ou achevez-nous! Donnez-nous des armes que nous terminions nos souffrances. Qu’allons-nous devenir? Sommes-nous destinés à devenir la proie des vautours et des aigles qui planent en ces lieux? » Je me bouchai les oreilles pour ne pas reconnaître la voix de quelques-uns de mes voltigeurs qui m’appelaient dans les ténèbres. Quel déchirement pour un officier! Fort heureusement nous apprîmes plus tard avec joie qu’ils furent ramassés deux jours après par les moines d’un couvent établi au milieu d’un bois, derrière la position des Anglais, et qu’ils furent si bien soignés que plusieurs purent rejoindre l’armée.
Comme je viens de le dire, on effectua le 30 ce fameux mouvement, et nous gagnâmes la route de Coimbra en tournant la côte de Busaco qui se terminait à deux lieues à droite et où, comme il a été reconnu après, on aurait pu surprendre l’ennemi par derrière et couper la retraite à son artillerie pendant qu’on l’aurait amusé par des attaques feintes et que le gros aurait filé par la droite. Mais Masséna était tout occupé de sa concubine.
-
Lettre de Masséna à Berthier
Le Maréchal Masséna, Prince d’Essling, Duc de Rivoli, à S. A. le Prince de Wagram et de Neufchâtel, Vice Connétable, Major Général.
Coimbra, ce 4 Octobre 1810.
Nous nous sommes mis en marche le 16 pour entrer en Portugal, ainsi que j’en ai prévenu votre Altesse. Le 5e jour nous sommes arrivés à Viseu, après avoir trouvé de très mauvais chemins. Nous avons dû nous y arrêter 5 jours pour donner au parc d’artillerie et aux équipages le temps d’arriver, et celui de se reposer, comme j’ai eu l’honneur de vous en rendre compte de Viseu même. Je suis parti le 24 de cette dernière place. Le 3e jour de marche, je me suis trouvé devant la position de Busaco, qui était occupée par les deux armées Anglaise et Portugaise réunies. J’ai reconnu cette position. Le lendemain, à la pointe du jour, j’ai fait attaquer, à la gauche par le 2e corps, et au centre par le 6e ; le 8e corps restait en réserve. La position est assurément la plus forte de tout le Portugal. Le général Reynier est parvenu cependant au haut de la crête et commençait à s’y établir, lorsque le général Hill, avec un corps de 20,000 hommes, a attaqué en colonne serrée les troupes, qui, excédées de fatigue, commençaient à se former sur la crête de la montagne, et les a forcées à en descendre. Ce mouvement de retraite, soutenu par une bonne réserve, s’est faite avec ordre, et le 2e corps a repris sa première position.
Au centre se trouvaient les divisions Loison et Marchand. La première a attaqué sur la droite du chemin qui conduit au couvent de Busaco, et l’autre vers la gauche. Obligé de gravir une montagne très escarpée pour rejoindre la grande route, le général Loison parvint, après de grands efforts, à gagner cette route, mais il n’eut pas le temps de s’y former en colonne et de s’y établir ; deux colonnes Anglaises, serrées en masse, protégées par une nombreuse artillerie, sont arrivées au pas de charge, et ont forcé cette division à rétrograder. Le général Marchand, qui devait soutenir cette attaque, a pris position pour arrêter l’ennemi. Les Anglais n’ont pas osé avancer à plus de 300 toises hors de leur ligne de bataille. Le reste de la journée s’est passé à tirailler.
Après avoir reconnu attentivement cette position, que Lord Wellington n’aurait pas osé tenir si, comme moi, il ne l’avait pas jugé extrêmement forte, je pris tout de suite mon, et je cherchais à obtenir par mes manœuvres un avantage qui nous aurait coûté trop de braves. J’envoyais des reconnaissances de cavalerie sur ma droite et sur ma gauche pour examiner le pays, et pour tenir les ennemis dans l’incertitude sur la direction de mes manœuvres. D’après ces rapports je me décidais à tourner l’armée Anglaise par ma droite. La position de Ponte da Murcella, que l’ennemi avait retranchée, et sur laquelle il pouvait marcher de flanc par la crête de Penacova, lui facilitait les moyens d’y porter toutes ses forces, en moins de 2 heures ; au lieu que le chemin de Sardao, traversant le col de Caramula, me conduisait sur Boialvo, dans un pays ouvert et fertile. Ce mouvement tournait la gauche de l’ennemi, et me rendait maître de manœuvrer sur son flanc. Je quittais donc le 28 à 6 heures du soir la position de Moira, et je marchais sur Boialvo. Le 8e corps, qui n’avait pas souffert, faisait l’avant garde. Le 6e formait le corps de bataille, et le 2e se trouvait en arrière garde. Tous mes blessés me suivaient sur des caissons et bêtes de somme. L’ennemi, s’apercevant après minuit de cette manœuvre sur la gauche, laissa à Busaco une forte arrière garde, et marcha dans un grand désordre vers Coimbra sur plusieurs colonnes, après avoir fait sauter toutes ses munitions et brûlé tous les magasins. Je suis arrivé le ler dans Coimbre. L’ennemi avait laissé toute sa cavalerie, avec quelques régiments d’infanterie que
J’ai fait charger. Il s’en retirait sur Condeixa. Le 2, j’ai envoyé l’avant-garde sur ce village, et l’ennemi en a encore été chassé. Elle est aujourd’hui à Redinha. Ma cavalerie couvre tous les chemins qui aboutissent sur la route de Lisbonne, et le général Montbrun s’est porté sur Figueira.
Lord Wellington avec l’armée Anglo-Portugaise est en pleine retraite sur Lisbonne. Il annonce le projet de vouloir nous disputer toutes les positions. Je marche réuni, et je ferai tout ce que je pourrai pour le décider à livrer bataille, seul moyen de le détruire ou de le forcer à se rembarquer. On porte le nombre des deux armées Anglaise et Portugaise à 60,000 ou 70,000 hommes, parmi lesquels 25,000 Anglais. L’ennemi brûle et détruit tout en évacuant le pays ; il force tous les habitants à abandonner leurs foyers. Coïmbre, ville de 20,000 âmes, est désertée ; nous ne trouvons aucunes subsistances. L’armée vit avec le blé de Turquie, et les légumes que nous trouvons encore sur plantes. Lord Wellington, n’osant nous attendre en rase campagne, cherche à nous détruire en ruinant tout ce qui pourrait nous alimenter. Les habitants des villes et des villages sont très malheureux. Il les contraint à servir sous peine de la vie ; enfin aucune époque de l’histoire n’offre d’exemple d’une aussi grande barbarie.
Notre perte en tués et blessés est d’environ 3000 hommes, parmi lesquels beaucoup d’officiers. Le général Simon, de la division Loison, dangereusement blessé, est resté au milieu des rangs de l’ennemi. Le général Graindorge est mort de ses blessures. Le général de division Merle est blessé. Les généraux Foy et Maucune le sont également. Ils ne pourront de quelque temps reprendre leur service. Les colonels du 26e de ligne, des 6e et 32e légère, ont été tués, et plusieurs autres blessés. Il manque dans les corps un grand nombre d’officiers qu’il serait nécessaire de remplacer. L’armée Anglo-Portugaise a avoué avoir perdu 4000 hommes, dont la moitié Anglais.
Je laisse les blessés et malades à Coïmbre, où je fais restaurer deux couvents. Je ne pourrai y laisser qu’un petit nombre de troupes pour les garder. Battre les Anglais, et les forcer à se rembarquer, est la meilleure défense que je puisse leur laisser. Le général Reynier mérite les plus grands éloges, et s’est conduit en général expérimenté. Le général Loison continue à justifier sa réputation. Enfin, officiers et soldats tous ont combattu avec bravoure et dévouement. Je vous enverrai l’état des récompenses à accorder à la brave armée de Portugal, animée du plus grand dévouement pour le service de Sa Majesté l’Empereur.
Lieux de mémoire
- Le moulin de Moura, poste d’observation du maréchal Masséna
- Le moulin de Sula, poste d’observation du général anglais Crawfurd
- À Luso, musée de la bataille.
NOTES
[1] Article paru dans la Revue Historique, Xe année, 32e volume, octobre décembre 1908. Des compléments ont été ajoutés par la rédaction, ainsi que les illustrations. Les cartes ont été publiées par les Napoleonic Series.
[2] Rowland Hill (1772 – 1842(, commandant la 2e division de Wellington.
[3] James Leith (1763-1845), commandant la 5e division de Wellington
[4] Jean-Louis-Ebenezer Reynier (1771 – 1814)
[5] Maximilien-Sébastien Foy (1775 – 1825). Alors général de brigade, Masséna va bientôt l’envoyer à l’empereur, pour défendre la cause de l’armée du Portugal. Il reviendra de sa mission avec le grade de général de division.
[6] Cf. Girod de l’Ain. Vie militaire du général Foy, p. 101. Paris, 1900
[7] Masséna s’était basé sur les cartes de l’espagnol Tomas Lopez, dont les cartes du Portugal étaient loin d’être aussi exactes que celles de l’Espagne. C’est ainsi que, pour tracer les routes du Portugal, il avait laissé allé son imagination, plaçant les routes là où il pensait qu’elles devaient logiquement être. En se lançant sur Lisbonne, Masséna ne trouva donc pas toutes les routes figurant sur les cartes qu’il avait en sa possession.
[8] Denis Pack (1772 – 1825)
[9] Brent Spencer (1761 – 1828), commandant en second l’armée anglaise du Portugal, commandant la 1e division de Wellington.
[10] Nicholas Trant (1769 – 1839), commandant les milices portugaises.
[11] Thomas Picton (1768 – 1815), commandant la 3e division de Wellington.
[12] Galbraith Lowry Cole (1772 – 1842), commandant la 4e division de Wellington.
[13] Louis-Henri Loison (1771 – 1816)
[14] Avec un peu de retard, occupé, semble-t-il, par sa maîtresse, la célèbre Mme Leberton !
[15] Jean-Baptiste Eblé (1758 – 1812), qui se rendra si célèbre à la Bérézina.
[16] Cf. Fririon. Journal historique de la campagne de Portugal, p. 47. Paris, 1841.
[17] Cf. M. Girod de l’Ain. Vie militaire du général Foy (p. 341). Paris, 1900
[18] Alexander Campbell (1760 – 1824)
[19] Francis Jone Colman ( ? – 1811)
[20] Pierre-Hugues-Victoire Merle (1766 – 1830). Il sera grièvement blessé au bras durant la bataille.
[21] Jacques-Thomas Sarrut (1765 – 1813).
[22] Jean-François Graindorge (1770 – 1810), qui sera tué durant la bataille.
[23] Ce régiment avait été formé en 1793. Son action ici va, selon certains historiens, sauver la situation délicate dans laquelle Wellington allait se trouver. Le colonel Grattan a laissé d’intéressants souvenirs, notamment sur la campagne de Portugal.
[24] Le 88e subit durant cette journée les plus lourdes pertes : 142 morts ou blessés. Et Wellington félicitera son colonel : »Wallace, je n’ai jamais vu une plus belle attaque d’infanterie ! »
[25] Au moment d’attaquer, le colonel du 52e aurait motivé ses hommes d’’un « 52e ! C’est maintenant le moment de venger Sir John Moore ! »
[26] « Le 27 septembre toute l’armée ennemie était bien établie sur le sommet de la montagne d’Alcoba. Cette montagne extrêmement élevée et fort escarpée est défendue sur plusieurs points par de profonds ravins. Les deux chemins qui la gravissent par une pente raide et qui conduisent à Coïmbre étaient coupés et défendus par une nombreuse artillerie. » (Mémoires militaires du maréchal Jourdan, p 324-325.)
[27] « Les troupes de la division Marchand marchaient sur trois files d’épaisseur; mais comme les boulets creux, la mitraille lui enlevaient des files entières et que les bouquets de bois et de bruyères qui se trouvaient à 15 ou 20 pas sur la gauche étaient garnis de tirailleurs ennemis, la 1re brigade se jeta de ce côté tant pour se soustraire à I’effet meurtrier de l’artillerie que pour éloigner les tirailleurs qui l’incommodaient. » (Victoires et Conquêtes des Français, t. XX, p. 86.). « Ces troupes attaquèrent vigoureusement et malgré la canonnade et la fusillade qui enlevaient des files entières. » (Mémoires du général baron de Marbot, t. II, p. 393.)
[28] « En somme, l’armée reçut là un rude échec; elle eut 8 à 10000 hommes hors de combat et elle perdit plus que cela, la confiance aveugle qui, jusque-la, l’avait animée. » (Mémoires du duc de Raguse, t. IV, p. 25.)
[29] « Le lendemain de la bataille, des reconnaissances envoyées sur les fIancs de la montagne rapportèrent qu’on pouvait la tourner par la droite. » (Mémoires militaires du maréchal Jourdan, p. 325.)