1812 – Dix-Septième Bulletin de la Grande Armée
Ghjat, 5 septembre 1812.
Le quartier-impérial était, le 31 août, à Veritchero ; le 1er et le 2 septembre, à Ghjat.
Le roi de Naples avec l’avant-garde avait, le 1er, son quartier-général à dix verstes en avant de Ghjat ; le vice-roi, à deux lieues sur la gauche, à la même hauteur ; et le prince Poniatowski, à deux lieues sur la droite. On a échangé partout quelques coups de canon et des coups de sabre, et l’on a fait quelques centaines de prisonniers.
La rivière de Ghjat se jette dans le Volga. Ainsi nous sommes sur le pendant des eaux qui descendent vers la mer Caspienne. La Ghjat est navigable jusqu’au Volga.
La ville de Ghjat a huit ou dix mille âmes de population ; il y a beaucoup de maisons en pierres et en briques, plusieurs clochers et quelques fabriques de toile. On s’aperçoit que l’agriculture a fait de grands progrès dans ce pays depuis quarante ans. Il ne ressemble plus en rien aux descriptions qu’on en a. Les pommes de terre, les légumes et les choux y sont en abondance ; les granges sont pleines ; nous sommes en automne, et il fait ici le temps qu’on a en France au commencement d’octobre.
Les déserteurs, les prisonniers, les habitants, tout le monde s’accorde à dire que le plus grand désordre règne dans Moscou et dans l’armée russe, qui est divisée d’opinions et qui a fait des pertes énormes dans les différents combats. Une partie des généraux a été changée ; il paraît que l’opinion de l’armée n’est pas favorable aux plans du général Barclay de Tolly ; on l’accuse d’avoir fait battre ses divisions en détail.
Le prince Schwarzenberg est en Volhynie ; les Russes fuient devant lui.
Des affaires assez chaudes ont eu lieu devant Riga ; les Prussiens ont toujours eu l’avantage.
Nous avons trouvé ici deux bulletins russes qui rendent compte des combats devant Smolensk et du combat de la Drissa.
Il paraît par ces bulletins que le rédacteur a profité de la leçon qu’il a reçue à Moscou, qu’il ne faut pas dire la vérité au peuple russe, mais le tromper par des mensonges. Le feu a été mis à Smolensk par les Russes ; ils l’ont mis au faubourg le lendemain du combat, lorsqu’ils ont vu notre pont établi sur le Borysthène. Ils ont mis le feu à Doroghobouj, à Wiazma, à Ghjat ; les Français sont parvenus à l’éteindre. Cela se conçoit facilement. Les Français n’ont pas d’intérêt à mettre le feu à des villes qui leur appartiennent, et à se priver des ressources qu’elles leur offrent. Partout on a trouvé des caves remplies d’eau-de-vie, de cuir et de toutes sortes d’objets utiles à l’armée.
Si le pays est dévasté, si l’habitant souffre plus que ne le comporte la guerre, la faute en est aux Russes.
L’armée se repose le 2 et le 3 aux environs de Ghjat.
On assure que l’ennemi travaille à des camps retranchés en avant de Mojaïsk, et à des lignes en avant de Moscou.
Au combat de Krasnoi[1], le colonel Marbeuf[2], du sixième de chevau-légers, a été blessé d’un coup de baïonnette à la tête de son régiment, au milieu d’un carré d’infanterie russe qu’il avait enfoncé avec une grande intrépidité.
Nous avons jeté six ponts sur la Ghjat.
[1] Le 14 août.
[2] Laurent François Marie de Marbeuf (1786 – 1812). Il va succomber le 25 novembre des suites de sa blessure.