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1812 – Dix-Huitième Bulletin de la Grande Armée

Mojaisk, 12 septembre 1812.

Le 4, l’empereur partit de Ghjat et vint camper près de la poste de Gritueva.

Le 5, à six heures du matin, l’armée se mit en mouvement. A deux heures après midi, on découvrit l’armée russe placée, la droite du côté de la Moskwa[1], la gauche sur les hauteurs de la rive gauche de la Kologha[2]. A douze cents toises en avant de la gauche, l’ennemi avait commencé à fortifier un beau mamelon entre deux bois, où il avait placé neuf à dix mille hommes[3].

L’empereur l’ayant reconnu, résolut de ne pas différer un moment, et d’enlever cette position. Il ordonna au roi de Naples de passer la Kologha avec la division Compans et la cavalerie. Le prince Poniatowski, qui était venu par la droite, se trouva en mesure de tourner la position. A quatre heures, l’attaque commença. En une heure de temps, la redoute ennemie fut prise avec ses canons, le corps ennemi chassé du bois et mis en déroute, après avoir laissé le tiers de son monde sur le champ de bataille. A sept heures du soir, le feu cessa.

Le 6, à deux heures du matin, l’empereur parcourut les avant-postes ennemis : on passa la journée à se reconnaître. L’ennemi avait une position très-resserrée. Sa gauche était fort affaiblie par la perte de la position de la veille ; elle était appuyée à un grand bois, soutenue par un beau mamelon couronné d’une redoute armée de vingt-cinq pièces de canon. Deux autres mamelons couronnés de redoutes, à cent pas l’un de l’autre, protégeaient sa ligne jusqu’à un grand village que l’ennemi avait démoli, pour couvrir le plateau d’artillerie et d’infanterie, et y appuyer son centre. Sa droite passait derrière la Kologha en arrière du village de Borodino, et était appuyée à deux beaux mamelons couronnés de redoutes et armés de batteries.

Cette position parut belle et forte. Il était facile de manœuvrer et d’obliger l’ennemi à l’évacuer ; mais cela aurait remis la partie, et sa position ne fut pas jugée tellement forte qu’il fallût éluder le combat. Il fut facile de distinguer que les redoutes n’étaient qu’ébauchées, le fossé peu profond, non palissadé ni fraisé. On évaluait les forces de l’ennemi à cent vingt ou cent trente mille hommes. Nos forces étaient égales ; mais la supériorité de nos troupes n’était pas douteuse.

Le 7, à deux heures du matin, l’empereur était entouré des maréchaux à la position prise l’avant-veille. A cinq heures et demie, le soleil se leva sans nuages ; la veille il avait plu : «C’est le soleil d’Austerlitz,» dit l’empereur. Quoiqu’au mois de septembre, il faisait aussi froid qu’en décembre en Moravie. L’armée en accepta l’augure. On battit un ban, et on lut l’ordre du jour suivant :

Soldats,

Voilà la bataille que vous avez tant désirée ! Désormais la victoire dépend de vous : elle nous est nécessaire ; elle nous donnera l’abondance, de bons quartiers d’hiver, et un prompt retour dans la patrie ! Conduisez-vous comme à Austerlitz, à Friedland, à Witepsk, à Smolensk, et que la postérité la plus reculée cite avec orgueil votre conduite dans cette journée : que l’on dise de vous : Il était à cette grande bataille sous les murs de Moscou !

Au camp impérial, sur les hauteurs de Borodino, le 7 septembre, à deux heures du matin.

L’armée répondit par des acclamations réitérées. Le plateau sur lequel était l’armée, était couvert de cadavres russes du combat de l’avant-veille.

Le prince Poniatowski, qui formait la droite, se mit en mouvement pour tourner la forêt sur laquelle l’ennemi appuyait sa gauche.

Le prince d’Eckmühl se mit en marche le long de la forêt, la division Compans en tête. Deux batteries de soixante pièces de canon chacune, battant la position de l’ennemi, avaient été construites pendant la nuit.

A six heures, le général comte Sorbier[4], qui avait armé la batterie droite avec l’artillerie de la réserve de la garde, commença le feu. Le général Pernetty[5], avec trente pièces de canon, prit la tête de la division Compans (quatrième du premier corps), qui longea le bois, tournant la tête de la position de l’ennemi. A six heures et demie, le général Compans est blessé. A sept heures, le prince d’Eckmühl a son cheval tué. L’attaque avance, la mousqueterie s’engage. Le vice-roi, qui formait notre gauche, attaque et prend le village de Borodino que l’ennemi ne pouvait défendre, ce village étant sur la rive gauche de la Kologha. A sept heures, le maréchal duc d’Elchingen se met en mouvement, et sous la protection de soixante pièces de canon que le général Foucher[6] avait placées la veille contre le centre de l’ennemi, se porte sur le centre. Mille pièces de canon vomissent de part et d’autre la mort.Le maréchal Michel Ney

A huit heures, les positions de l’ennemi sont enlevées, ses redoutes prises, et notre artillerie couronne ses mamelons. L’avantage de position qu’avaient eu pendant deux heures les batteries ennemies nous appartient maintenant. Les parapets qui ont été contre nous pendant l’attaque redeviennent pour nous. L’ennemi voit la bataille perdue, qu’il ne la croyait que commencée. Partie de son artillerie est prise, le reste est évacué sur ses lignes en arrière. Dans cette extrémité, il prend le parti de rétablir le combat, et d’attaquer avec toutes ses masses ces fortes positions qu’il n’a pu garder.

Trois cents pièces de canon françaises placées sur ces hauteurs foudroient ses masses, et ses soldats viennent mourir au pied de ces parapets qu’ils avaient élevés les jours précédents avec tant de soin, et comme des abris protecteurs.

Le roi de Naples, avec la cavalerie, fit diverses charges. Le duc d’Elchingen se couvrit de gloire, et montra autant d’intrépidité que de sang-froid. L’empereur ordonne une charge de front, la droite en avant : ce mouvement nous rend maîtres des trois parts du champ de bataille. Le prince Poniatowski se bat dans le bois avec des succès variés.

Il restait à l’ennemi ses redoutes de droite ; le général comte Morand y marche et les enlève ; mais à neuf heures du matin, attaqué de tous côtés, il ne peut s’y maintenir. L’ennemi, encouragé par ce succès, fit avancer sa réserve et ses dernières troupes pour tenter encore la fortune. La garde impériale en fait partie. Il attaque notre centre sur lequel avait pivoté notre droite. On craint pendant un moment qu’il n’enlève le village brûlé ; la division Friant s’y porte ; quatre-vingt pièces de canon françaises arrêtent d’abord et écrasent ensuite les colonnes ennemies qui se tiennent pendant deux heures serrées sous la mitraille, n’osant pas avancer, ne voulant pas reculer, et renonçant à l’espoir de la victoire. Le roi de Naples décide leur incertitude ; il fait charger le quatrième corps de cavalerie qui pénètre par les brèches que la mitraille de nos canons a faites dans les masses serrées des Russes et les escadrons de leurs cuirassiers ; ils se débandent de tous côtés. Le général de division comte Caulaincourt[7], gouverneur des pages de l’empereur, se porte à la tête du cinquième de cuirassiers, culbute tout, entre dans la redoute de gauche par la gorge.

Dès ce moment, plus d’incertitude, la bataille est gagnée : il tourne contre les ennemis les vingt-une pièces de canon qui se trouvent dans la redoute. Le comte Caulaincourt qui venait de se distinguer par cette belle charge, avait terminé ses destinées ; il tombe mort frappé par un boulet : mort glorieuse et digne d’envie !

Il est deux heures après midi, toute espérance abandonne l’ennemi : la bataille est finie, la canonnade continue encore ; il se bat pour sa retraite et pour son salut, mais non plus pour la victoire.

La perte de l’ennemi est énorme : douze à treize mille hommes et huit à neuf mille chevaux russes ont été comptés sur le champ de bataille ; soixante pièces de canon et cinq mille prisonniers sont restés en notre pouvoir.

Nous avons eu deux mille cinq cents hommes tués et le triple de blessés. Notre perte totale peut être évaluée à dix mille hommes : celle de l’ennemi à quarante ou cinquante mille. Jamais on n’a vu pareil champ de bataille. Sur six cadavres, il y en avait un français et cinq russes. Quarante généraux russes ont été tués, blessés ou pris : le général Bagration a été blessé.

Le général Louis-Pierre Montbrun tué par un boulet
Le général Louis-Pierre Montbrun tué par un boulet

Nous avons perdu le général de division comte Montbrun, tué d’un coup de canon ; le général comte Caulaincourt, qui avait été envoyé pour le remplacer, tué d’un même coup une heure après.

Les généraux de brigade Compère[8], Plauzonne[9], Marion[10], Huart[11], ont été tués ; sept ou huit généraux ont été blessés, la plupart légèrement. Le prince d’Eckmühl n’a eu aucun mal. Les troupes françaises se sont couvertes de gloire et ont montré leur grande supériorité sur les troupes russes.

Telle est en peu de mots l’esquisse de la bataille de la Moskwa, donnée à deux lieues en arrière de Mojaïsk et à vingt-cinq lieues de Moscou, près de la petite rivière de la Moskwa.

Nous avons tiré soixante mille coups de canon, qui sont déjà remplacés par l’arrivée de huit cents voitures d’artillerie qui avaient dépassé Smolensk avant la bataille. Tous les bois et les villages, depuis le champ de bataille jusqu’ici, sont couverts de morts et de blessés. On a trouvé ici deux mille morts ou amputés russes. Plusieurs généraux et colonels sont prisonniers.

L’empereur n’a jamais été exposé ; la garde, ni à pied, ni à cheval, n’a pas donné et n’a pas perdu un seul homme. La victoire n’a jamais été incertaine. Si l’ennemi, forcé dans ses positions, n’avait pas voulu les reprendre, notre perte aurait été plus forte que la sienne ; mais il a détruit son armée en la tenant depuis huit heures jusqu’à deux sous le feu de nos batteries, et en s’opiniâtrant à reprendre ce qu’il avait perdu. C’est la cause de son immense perte.

Tout le monde s’est distingué : le roi de Naples et le duc d’Elchingen se sont fait remarquer.

L’artillerie, et surtout celle de la garde, s’est surpassée. Des rapports détaillés feront connaître les actions qui ont illustré cette journée.

 

[1] La Moskowa

[2] La rivière Koloch

[3] Il s’agit de la redoute de Chévardino.

[4] Jean Bathélemot de Sorbier (1762 – 1827), commandant l’artillerie de la Garde.

[5] Joseph Marie Pernetty (1766 – 1856)

[6] Louis-François Foucher de Careil (1762 – 1835), commandant l’artillerie du IIIe corps (Ney)

[7] Auguste-Jean-Gabriel e Caulaincourt (1777 – 1812), qui va être tué dans cette action (voir plus bas).

[8] Claude-Antoine Compère (1774 – 1812)

[9] Louis-Auguste Marchand Plauzonne (1174 – 1812)

[10] Charles-Stanislas Marion (1758 – 1812), commandant la 2e brigade de la division Ledru du IIIe corps

[11] Léonard Huard de Saint-Aubin (1170 – 1812)