1812 – Cinquième Bulletin de la Grande Armée
Wilna, le 6 juillet 1812.
L’armée russe était placée et organisée de la manière suivante au commencement des hostilités[1] :
Le premier corps commandé par le prince Wittgenstein, composé des cinquième et quatrième divisions d’infanterie, et d’une division de cavalerie, formant en tout dix-huit cents hommes, artillerie et sapeurs compris, avait été longtemps à Chawli. Il avait depuis occupé Rosiena, et était le 24 juin à Keydanoui.
Le deuxième corps, commandé par le général Bagavout[2], composé des quatrième[3] et dix-septième[4] divisions d’infanterie, et d’une division de cavalerie présentant la même force, occupait Kowno.
Le troisième corps, commandé par le général Schomoaloff, composé de la première division de grenadiers, d’une division d’infanterie et d’une division de cavalerie, formant vingt-quatre mille hommes, occupait New-Troki.
Le quatrième corps, commandé par le général Tutschkoff[5], composé des onzième et vingt-troisième divisions d’infanterie et d’une division de cavalerie, formant dix-huit mille hommes, était placé depuis New-Troki jusqu’à Lida.
La garde impériale était à Wilna.
Le sixième corps, commandé par le général Doctorow[6], composé de deux divisions d’infanterie et d’une division de cavalerie, formant dix-huit mille hommes, avait fait partie de l’armée du prince Bagration. Au milieu de juin, il arriva à Lida, venant de la Volhynie pour renforcer la première armée. Ce corps était, à la fin de juin, entre Lida et Grodno.
Le cinquième corps, composé de la deuxième division de grenadiers, des douzième, dix-huitième et vingt-sixième divisions d’infanterie, et de deux divisions de cavalerie, était le 30 à Wolkowisk.
Le prince Bagration commandait ce corps, qui pouvait être de quarante mille hommes.
Enfin, les neuvième et quinzième divisions d’infanterie et une division de cavalerie, commandées par le général Markow[7], se trouvaient dans le fond de la Volhynie.
Le passage de la Vilia, qui eut lieu le 25 juin, et la marche du duc de Reggio sur Janow et sur Chatoui, obligèrent le corps de Wittgenstein à se porter sur Wilkomir et sur la gauche, et le corps de Bagawout à gagner Dunabourg par Mouchnicki et Gedroitse. Ces deux corps se trouvaient ainsi coupés de Wilna.
Les troisième et quatrième corps, et la garde impériale russe, se portèrent de Wilna sur Nementschin, Swentzianoui et Vidzoui. Le roi de Naples les poussa vivement sur les deux rives de la Vilia. Le dixième régiment de hussards polonais, tenant la tête de colonne de la division du comte Sébastiani, rencontra près de Lebowo un régiment de cosaques de la garde qui protégeait la retraite de l’arrière-garde, et le chargea tête baissée, lui tua neuf hommes et fit une douzaine de prisonniers. Les troupes polonaises, qui jusqu’à cette heure ont chargé, ont montré une rare détermination. Elles sont animées par l’enthousiasme et la passion.
Le 3 juillet, le roi de Naples s’est porté sur Swentzianoui, et y a atteint l’arrière-garde du baron de Tolly. Il donna ordre au général Montbrun de la faire charger ; mais les Russes n’ont point attendu, et se sont retirés avec une telle précipitation, qu’un escadron de uhlans, qui revenait d’une reconnaissance du côté de Mikaïlitki, tomba dans nos postes. Il fut chargé par le douzième de chasseurs, et entièrement pris ou tué : soixante hommes ont été pris avec leurs chevaux.
Les Polonais qui se trouvaient parmi ces prisonniers ont demandé à servir, et ont pris rang, tout montés, dans les troupes polonaises.
Le 4, à la pointe du jour, le roi de Naples est entré à Swentzianoui : le maréchal duc d’Elchingen est entré à Miliatoui, et le maréchal duc de Reggio à Avanta.
Le 30 juin, le maréchal duc de Tarente est arrivé à Rosiena ; il s’est porté de là sur Poneviegi, Chawli et Tesch.
Les immenses magasins que les Russes avaient dans la Samogitie ont été brûlés par eux ; perte énorme, non-seulement pour leurs finances, mais encore pour la subsistance des peuples.
Cependant le corps de Doctorow, c’est-à-dire le sixième corps, était encore, le 27 juin, sans ordres, et n’avait fait aucun mouvement. Le 28, il se réunit et se mit en marche pour se porter sur la Dwina par une marche de flanc. Le 30, son avant-garde entra à Soleinicki. Elle fut chargée par la cavalerie légère du général baron Bordesoult[8], et chassée de la ville. Doctorow se voyant prévenu, prit à droite, et se porta sur Ochmiana. Le général baron Pajol y arriva avec sa brigade de cavalerie légère, au moment où l’avant-garde de Doctorow y entrait. Le général Pajol le fit charger ; l’ennemi fut sabré et culbuté dans la ville. Il a perdu soixante hommes tués et dix-huit prisonniers. Le général Pajol a eu cinq hommes tués et quelques blessés. Cette charge a été faite par le neuvième régiment de lanciers polonais.
Le général Doctorow voyant le chemin coupé, rétrograda sur Olchanoui. Le maréchal prince d’Eckmühl, avec une division d’infanterie, les cuirassiers de la division du comte Valence et le deuxième régiment de chevau-légers de la garde, se porta sur Ochmiana pour soutenir le général Pajol.
Le corps de Doctorow, ainsi coupé et rejeté dans le midi, continua de longer à droite, à marches forcées, en faisant le sacrifice de ses bagages, sur Smoroghoui, Danowcheff et Kobouïluicki, d’où il s’est porté sur la Dwina. Ce mouvement avait été prévu. Le général comte Nansouty, avec une division de cuirassiers, la division de cavalerie du général comte Bruyères et la division d’infanterie du comte Morand, s’était portée à Mikaïlitchki pour couper ce corps. Il arriva le 3 à Swir, lorsqu’il débouchait, et le poussa vivement, lui prit bon nombre de traînards, et l’obligea à abandonner quelques centaines de voitures de bagages.
L’incertitude, les angoisses, les marches et les contre-marches qu’ont faites ces troupes, les fatigues qu’elles ont essuyées, ont dû les faire beaucoup souffrir.
Des torrents de pluie ont tombé pendant trente-six heures sans interruption.
D’une extrême chaleur, le temps a passé tout-à-coup à un froid très-vif. Plusieurs milliers de chevaux ont péri par l’effet de cette transition subite. Des convois d’artillerie ont été arrêtés dans les boues.
Cet épouvantable orage, qui a fatigué les hommes et les chevaux, a nécessairement retardé notre marche, et le corps de Doctorow, qui a donné successivement dans les colonnes du général Bordesoult, du général Pajol et du général Nansouty, a été près de sa destruction.
Le prince Bagration, avec le cinquième corps, placé plus en arrière, marche sur la Dwina. Il est parti le 30 juin de Wolkowski pour se rendre sur Minsk.
Le roi de Westphalie est entré le même jour à Grodno. La division Dombrowski[9] a passé la première. L’hetman[10] Platow[11] se trouvait encore à Grodno avec ses cosaques.
Chargés par la cavalerie légère du prince Poniatowski, les cosaques ont été éparpillés : on leur a tué deux cents hommes et fait soixante prisonniers. On a trouvé à Grodno une manutention propre à cuire cent mille rations de pain, et quelques restes de magasins.
Il avait été prévu que Bagration se porterait sur la Dwina en se rapprochant le plus possible de Dunabourg ; et le général de division comte Grouchy a été envoyé à Bognadow. Il était le 3 à Traboui. Le maréchal prince d’Eckmühl, renforcé de deux divisions, était le 4 à Wichnew. Si le prince Poniatowski a poussé vivement l’arrière-garde du corps de Bagration, ce corps se trouvera compromis.
Tous les corps ennemis sont dans la plus grande incertitude, L’hetman Platow ignorait, le 30 juin, que depuis deux jours Wilna fût occupé par les Français. Il se dirigea sur cette ville jusqu’à Lida, où il changea de route et se porta sur le midi.
Le soleil, dans la journée du 4, a rétabli les chemins. Tout s’organise à Wilna. Les faubourgs ont souffert par la grande quantité de monde qui s’y est précipitée pendant la durée de l’orage. Il y avait une manutention russe pour soixante mille rations. On en a établi une autre pour une égale quantité de rations. On forme des magasins. La tête des convois arrive à Kowno par le Niémen. Vingt mille quintaux de farine et un million de rations de biscuit viennent d’y arriver de Dantzick.
[1] Cet « ordre de bataille“ est loin de correspondre à la réalité.
[2] Karl Fiodorovitch Baggovout (1761 – 1812)
[3] Commandée par le major-général duc Eugène de Würtemberg.
[4] Commandée par le lieutenant-général Alsufevev.
[5] Nikolai Alekseyevich Tuchkov (Tuchkov I) (1765 – 1812). Il sera mortellement blessé à Borodino.
[6] Dmitri Dokhtourov (1756 – 1816)
[7] Yevgeny Ivanovich Markov (1769 – 1828)
[8] Étienne Tardif de Bordesoulle (1771 – 1837), commandant la 2e brigade de cavalerie légère du 1er corps d’armée (Davout)
[9] Jean-Henri Dombrowski (1755 – 1818), commandant la 17e division d’infanterie, du 5e corps d‘armée (polonais).
[10] Commandant de Cosaques
[11] Matvei Ivanovich Platov (1753 – 1818), commandant le corps de Cosaques de l‘armée russe.