Thérèse Figueur (1774-1861)
Née à Talmay [1]Également ville natale du major Claude Le Roy, dont Christophe Bourachot vient de rééditer les Souvenirs. , près de Dijon, le 17 janvier 1774, orpheline l’âge de neuf ans, Thérèse se trouve en Avignon avec son oncle, Joseph Viart, sous-lieutenant dans le régiment de Dienne-Infanterie, qui l’a recueillie lorsque la province, irritée par la proscription des Girondins par la Convention le 2 juin 1793, se rebelle contre Paris et arme des troupes. La Convention leur donne le nom de Fédéralistes. Parmi eux, Thérèse Figueur qui confesse avoir eu, à cette époque, des sympathies royalistes. Soldats d’occasion, les Fédéralistes ne tiennent pas devant les Républicains du général Carteaux, et la troupe avec laquelle combat Thérèse Figueur en tenue de canonnier – habit bleu de roi, pantalon de coutil rayé bleu et blanc – est défaite près de Marseille. Emmenée prisonnière à Lambesc malgré de très véhémentes protestations, dans lesquelles son sobriquet puiserait son origine (ou peut-être après son enrôlement), la jeune fille soldat se voit confrontée à une alternative simple : l’enrôlement sous la bannière de la République ou le « rasoir national » (entendez: la guillotine). Sagement, elle choisit le premier terme, et s’enrôle dans la Légion des Allobroges. A l’automne 1793, elle se retrouve au siège de Toulon (elle est blessée à la poitrine) auquel l’un des subordonnés du général en chef, Dugommier, prend une part active avec ses canons pour chasser les Anglais qui occupent la ville. Ce subordonné deviendra célèbre sous le nom de Napoléon.
Mlle Sans-Gêne guerroie ensuite à l’armée des Pyrénées-Orientales en lutte contre les Espagnols. Là, lorsque le Comité de Salut Public décrète que les femmes ne pourront plus servir dans l’armée française, les officiers de l’armée des Pyrénées orientales signent une pétition pour demander une exception pour Thérèse : celle-ci peut rester.
Elle fait ensuite la deuxième campagne d’Italie. Sa conduite lui attire une certaine sympathie de la part de Bonaparte qui l’invite à venir tenir le rôle de dame de compagnie auprès de Joséphine. En dépit des avantages attachés à la fonction, Thérèse se lasse vite de cette existence douillette et morne.
L’Empire fraîchement institué lui permet de reprendre définitivement le collier militaire. Attachée au régiment de dragons, la demoiselle Sans-Gêne assiste « couverte de boue des pieds la tête et la figure toute noire de poudre« , à la capitulation d’Ulm, qui, le 20 octobre 1805, oblige dix-huit généraux autrichiens et vingt-cinq mille soldats à défiler devant leurs vainqueurs.
La bataille d’Austerlitz ne laisse, le croira-t-on, aucune impression particulière à Thérèse ! Mais celle d’Iéna, 9 mois plus tard, lui donne la satisfaction du devoir (bien) accompli, car elle a fait sa « petite partie dans le grand concert que nous donnâmes dans les plaines d’Iéna à messieurs les Prussiens« .
Peu après, grièvement blessée sur la route de Berlin lors d’une chute de cheval, le dragon Figueur revient à Paris par petites étapes. Elle est soignée à l’hôpital de la Charité, puis, encore très affaiblie par ses blessures, elle reste dix-huit mois hors du service, pratiquement confinée dans la chambre qu’elle loue rue de Bourgogne.
En 1809 elle est en Espagne où le régiment de la Jeune Garde auquel elle a été attachée doit aller combattre dans la région de Séville, mais ne dépassera pas Burgos, une guérilla particulièrement active et efficace interdisant tout long déplacement à quiconque souhaitait arriver entier à destination. Thérèse fait donc le coup de sabre autour de Burgos, tout en réussissant un véritable exploit : être adoptée par la population du lieu. Le soldat s’effaçant devant la femme, Thérèse distribue du pain aux mendiants, nombreux dans la ville, aide à soigner les malades et les blessés dans les hôpitaux, et elle recueille même les chiens errants dont l’alcade a ordonné l’extermination. Ces braves chiens justifieront la protection dont ils ont bénéficié en escortant les convois qu’ils avertissaient, par leurs aboiements, de l’embuscade toute proche: « Vous voyez, dira plus tard cette bonne Samaritaine, qu’il y a du bon dans toute forme de compassion. »
La chance vacille un jour de la fin du mois de juillet 1812 : alors qu’elle se promène sans escorte aux alentours de Burgos, Thérèse est faite prisonnière par le célèbre chef guérillero – un curé ! – Geronimo Merino. L’humanité et le dévouement qu’elle a manifestés envers les Espagnols lui valent cependant un régime de faveur : elle n’est ni violée, ni torturée, ni découpée en quartiers. Merino la remet à un régiment écossais dans lequel, quoique prisonnière, elle est heureuse de retrouver la fraternité des armes, mais pas pour longtemps, car elle est confiée aux Portugais. Insultes, crachats, nourriture et cachots infects, rien ne distingue la geôle de Lisbonne de son équivalent espagnol.
Puis, c’est la délivrance, sinon la liberté. En compagnie d’autres prisonniers, elle est embarquée à destination de l’Angleterre. Après trente-neuf jours de mer, elle arrive à Lymington, près de Southampton. Assignée à résidence dans le village de Bolderwood, elle est logée chez un tailleur fort courtois qui lui loue un « petit parloir très propre avec un lit dans une armoire« . Comme prisonnier de guerre, il lui est alloué un petit pécule de cinq shillings par jour. Avec la viande à un shilling la livre et le loyer à six shillings par semaine, il n’y a pas de quoi faire des folies. Heureusement, un jardinet, dont le tailleur lui laisse l’usage, permet la prisonnière d’améliorer son ordinaire. La gastronomie anglaise, à base de « monstrueux gigots« , laisse le dragon Figueur de marbre. En revanche, en vrai soldat, Thérèse ne se refuse pas une lampée de bière, « un bon pot par jour« (huit pence), car elle la trouve vraiment « supérieure« .
Libre au moment de la première abdication de l’Empereur, elle ne peut, malgré ses efforts, être présente à Waterloo. Pour Thérèse Figueur, le 18 juin 1815 sonne le glas de la vie militaire. Pendant la Restauration de 1815, elle tient un petit restaurant à Paris avec une dame Garnerin.
Le 2 juillet 1818, elle se marie avec un ami d’enfance, Clément Sutter, ancien dragon lui-même et rescapé de la campagne de Russie. Il la laisse veuve onze ans plus tard. Et ce n’est pas une aventurière, mais une pauvre petite vieille sans le sou qui achève sa vie à l’hospice des Petits-Ménages, où elle meurt le 4 janvier 1861, à l’age de quatre-vingt cinq ans, seule et jamais consolée de ne pas avoir reçu la Croix des mains de l’Empereur.