[ed-logo id=’7324′]

Latest Posts

Permon, Laure – Duchesse d’Abrantès (1784 – 1838)

« Cette femme a vu Napoléon enfant, elle l’a vu jeune homme encore inconnu, elle l’a vu occupé des choses ordinaires de la vie, puis elle l’a vu grandir, s’élever et couvrir le monde de son nom! Elle est pour moi comme un bienheureux qui viendrait s’asseoir à mes côtés, après avoir vécu au ciel tout près de Dieu ! » 

Ainsi parlait Honoré de Balzac de Laure Junot, duchesse d’Abrantès. Et il est vrai que peu d’existences composent un roman d’amours et d’aventures aussi mouvementé que la sienne, avec une pareille succession d’imprévus et un pareil heurt de contrastes.

Ma mère et mes oncles m’ont assuré mille fois que Napoléon n’a eu dans son enfance aucun des caractères singuliers que le merveilleux lui prête. Il se portait bien et était même, jusqu’au moment où il vint en France, ce qu’on appelle un gros et beau garçon; enfin, il était ce que sont tous les enfants. (duchesse d’Abrantès)


Des deux familles, ce sont les Permon qui sont les plus aisés, mais les deux familles sont très proches, et c’est dans les bras de Permon que Charles va, le 27 février 1785, mourir. Quelques mois auparavant, le 6 novembre 1784, les Permon, alors à Montpellier, avaient vu avec bonheur la petite Laure entrer dans leur ménage.
La mère de Laure était une Comnène, descendante du dernier empereur grec, qui s’était liée à Ajaccio, encore enfant,  avec une certaine  Laetitia Ramolino. Et quand la première épouse Charles Permon, munitionnaire établi en Corse, puis receveur particulier des finances à Montpellier, l’autre se lie à Charles Bonaparte. 

Plus tard, le couple débarque à Paris où Charles achète une charge de receveur général. Bientôt, c’est la Révolution. La fillette assiste à des scènes qui vont rester pour toujours dans sa mémoire : la procession des députés aux Etats généraux qui allaient entendre, en l’église Saint-Louis de Versailles, la messe d’ouverture des États Généraux; puis des visites domiciliaires dans l’appartement que ses parents ont loué 2, impasse Conti; les hommes et femmes braillant, le  10 août, le long du quai. En septembre 1792, elle assiste, horrifiée, à l’exécution de la princesse de Lamballe « Charlat portait la tête, Grison le cœur de l’infortunée »

Bientôt, pourtant, il faut fuir les persécutions, se réfugier à Toulouse. Mais on est ruiné.

En arrivant à Paris, le premier soin de ma mère fut de s’informer de Napoléon Bonaparte. Il était alors à l’école militaire de Paris, ayant quitté celle de Brienne depuis le mois de septembre de l’année précédente. (…) Peu de jours après, ma mère vit Napoléon et cette disposition d’humeur était, en effet, des plus fortes. Il souffrait peu d’observations, même dans son intérêt et je suis persuadée que c’est à cette excessive irritabilité qu’il ne pouvait contraindre qu’il doit sa réputation, qu’il a conservée longtemps, d’une enfance et d’une jeunesse sombres et atrabilaires. (duchesse d’Abrantès)


Parmi eux, l’un d’eux vient assez souvent : c’est l’un des fils de Charles Bonaparte. Il est devenu au célèbre au siège de Toulon. Son nom : Napoleone Buonaparte. 

Bonaparte Consul - d'après Girodet
Bonaparte Consul – d’après Girodet

Laure se souviendra toute sa vie de ces rencontres et de l’aspect que le futur empereur avait alors: osseux, jaune, maladif, les traits anguleux et pointus encadrés par des « oreilles de chien », les cheveux mal peignés et mal poudrés, les mains longues et noires. Et puis ces bottes, mal cirées, trop larges pour ses jambes maigres – ne le surnomme-t-on pas le Chat botté : elles fument et dégagent une odeur âcre lorsqu’elles sont mouillées et qu’il les approche du foyer, ou craquent sur le parquet lorsqu’elles sont sèches, ce qui agace Mme Permon.

La Terreur passée, la mère de Laure ramène ses enfants à Paris, Charles restant dans le midi. Bientôt, elle tient salon, rue des Filles-Saint-Thomas, à l’hôtel de la Tranquillité. C’est là que les Corses de Paris se retrouvent, et jouent. 

La journée du 1er Prairial, Laure s’en souviendra aussi : un proscrit, Salicetti, est venu se réfugier chez eux, ensanglanté; dans la pièce voisine le général Bonaparte, qui n’est d’ailleurs pas dupe, tente d’arracher à Mme Permon le secret de sa cachette. Pour sauver le proscrit, la famille s’échappe dans le Midi. Elle revient plus tard à Paris, en plein 11 vendémiaire ! Laure voit alors Bonaparte faire une brève apparition, pour manger une grappe de raisin et boire une tasse de thé !

Il faut croire que tous ces évènements sont trop forts pour Charles Permon : il rend son âme à Dieu le 16 vendémiaire.

Général Jean-Andoche Junot (Philippoteaux - Versailles)
Général Jean-Andoche Junot (Philippoteaux – Versailles)

Nous voici maintenant sous le Directoire et les fêtes célébrant les victoires des armées françaises en Italie. Au palais du Luxembourg, un jeune chef de brigade, apporte les drapeaux conquis là-bas. Son nom : Junot. C’est un fidèle du général Bonaparte.

Mme Permon s’est installée avec sa fille et son fils dans un appartement sis rue Sainte-Croix. Les fêtes, d’ailleurs, n’arrêtent pas, où Laure rencontre Mme Tallien, Mme Hamelin, mais aussi Bonaparte, accompagné de ses aides de camp Junot et Muiron. 

Les évènements se précipitent, qui sont autant de souvenirs que Laure enregistre dans sa mémoire. Bientôt, c’est le 18 Brumaire et l’élévation de Bonaparte à la magistrature suprême. A la fin de 1804, les dames Permon, Mme Laetitia et Pauline, qui sont au théâtre Feydeau, entendent annoncer par un acteur : Citoyens, le général Bonaparte a manqué d’être assassiné à Saint-Cloud par les traîtres à la Patrie !

Le soir du 21 juin 1800, Laure et sa mère reviennent de Saint-Mandé : des feux de joie illuminent Paris qui vient d’apprendre la victoire de Marengo. Mais pour Laure, qui vient d’avoir 16 ans, c’est le tournant de sa vie : après bien des négociations, des visites, c’est le mariage avec le commandant de la place de Paris, le général Junot, âgé de vingt-neuf ans, grand, bien découplé, blond avec de doux yeux bleus, souriant et splendide dans son uniforme rutilant, chamarré d’or et sommé de panaches. Le Premier Consul a même signé le contrat et facilité l’établissement du nouveau ménage et les Junot font désormais partie de l’entourage immédiat du Premier Consul. 

L'attentat de la rue Saint-Nicaise
L’attentat de la rue Saint-Nicaise

Le 24 décembre 1803, Laure est à l’Opéra. Elle entend l’explosion qui manque de tuer le Premier Consul rue Saint-Nicaise; elle le voit, calme et maître de lui, entrer dans sa loge comme si rien ne s’était passé. 

Les bienfaits de Bonaparte s’accumulent sur le ménage Junot : dotations, bijoux, l’hôtel Peilhon, la maison de Petit-Bièvre, et les grades. Laure déjeune chez Mme Bonaparte, à  Malmaison. 

laure-junot-maison
Le Petit-Bievre

Fin 1804, c’est l’Empire. Pour Junot, le modeste compagnon de Toulon, les honneurs se succèdent : général de division, grand officier de l’Empire, colonel général des hussards, premier aide de camp de l’Empereur, grand-croix de la Légion d’Honneur, ambassadeur en Portugal, gouverneur de Parme et de Plaisance, gouverneur général de Paris et commandant de la 1e division militaire, enfin duc d’Abrantès. Il possède des majorats en Westphalie, en Prusse, au Hanovre, en Illyrie, en Italie. Il voyage à la même vitesse que l’Empereur et il a ses propres relais. 

Hotel d’Abrantes

À l’hôtel d’Abrantès, les réceptions sont brillantes, la table raffinée, la cuisine soignée. On y voit défiler les beaux de l’armée, les étrangers de marque, même des poètes comme Lebrun et Bouilly. Tous les quinze jours, dîner de quatre-vingts couverts pour les maréchaux, les généraux, les colonels. Le Petit-Bièvre est abandonné pour la magnifique propriété que possédait Ouvrard au Raincy. [1]Le munitionnaire Gabriel-Julien Ouvrard, qui louait le château depuis 1799, l’acheta en 1806 mais fit banqueroute l’année suivante. Le château revint à Claude-Xavier Carvillon … Continue reading

Image
La seule gravure qui semble exister de cette demeure, de style gréco-romain commandée par Ouvrard en 1802 et bâtie sur les plans de l’architecte Berthault, date a priori de 1808 (Merci Diominique)

La « gouverneuse » de Paris, comme dit Napoléon, est aussi « dame pour accompagner » de Madame Mère. Elle mène la vie de cour : réceptions, bals, quadrilles costumés, soupers pantagruéliques, intrigues, médisances.

A Fontainebleau, la duchesse d’Abrantès revêt l’uniforme de chasse prescrit aux invités. A Grosbois, quand la Cour va chez Berthier, le confort est rudimentaire : on empile huit de ces dames dans une chambre de bonne avec un seul petit miroir pour se coiffer et s’habiller. A l’Hôtel de Ville, elle trône.

Plus tard, elle se rappellera parfaitement deux spectacles grandioses : en août 1804, la distribution des croix aux braves de la Grande Armée, à Boulogne; 2 décembre, à Notre-Dame, le sacre dont les formalités se dérouleront presque sous ses yeux. Ce jour là, Junot a revêtu son uniforme de colonel général des hussards, ruisselant d’or.

Général Junot, Duc d'Abrantés, Colonel Général de Hussards - 1809 ...
Général Junot, Duc d’Abrantés, Colonel Général de Hussards – 1809 …
 A Laure, Duch. d’A.

Victor Hugo (1802-1885)

[ Les Rayons et les Ombres]

Le conseil municipal de la ville de Paris a refusé de donner six pieds de terre dans le cimetière du  Père-Lachaise pour le tombeau de la veuve de Junot, ancien gouverneur de Paris.  Le ministre de l’intérieur a également refusé un morceau de marbre pour ce monument. (Journaux de février 1840.) (V. H.)

XII

Puisqu’ils n’ont pas compris dans leur étroite sphère,
Qu’après tant de splendeur, de puissance et d’orgueil,
Il était grand et beau que la France dût faire
L’aumône d’une fosse à ton noble cercueil;

Puisqu’ils n’ont pas senti que celle qui sans crainte
Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux
 A le droit de dormir sur la colline sainte,
 A le droit de dormir à l’ombre des héros;

Puisque le souvenir de nos grandes batailles
Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ;
Puisqu’ils n’ont pas de cœur; puisqu’ils n’ont point d’entrailles
 Puisqu’ils t’ont refusé la pierre d’un tombeau;

C’est à nous de chanter un chant expiatoire !
C’est à nous de t’offrir notre deuil à genoux !
C’est à nous, c’est à nous de prendre ta mémoire
Et de l’ensevelir dans un vers triste et doux !

C’est à nous cette fois de garder, de défendre
La mort contre l’oubli, son pâle compagnon;
C’est à nous d’effeuiller des roses sur ta cendre;
C’est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !

Puisqu’un stupide affront, pauvre femme endormie,
Monte jusqu’à ton front que César étoila,
C’est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas: Ne crains rien! je suis là !

Car j’ai ma mission ! car, armé d’une lyre,
Plein d’hymnes irrités ardents à s’épancher,
Je garde le trésor des gloires de l’empire;
Je n’ai jamais souffert qu’on osât y toucher!

Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles !
Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours,
Ton noble esprit planait avec de nobles ailes,
Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !

Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres,
Livrée à la tempête et femme en proie au sort,
Jamais tu n’imitas l’exemple de tant d’autres,
Et d’une lâcheté tu ne te fis un port !

Car toi, la muse illustre, et moi, l’obscur apôtre,
Nous avons dans ce monde eu le même mandat,
Et c’est un nœud profond qui nous joint l’un à l’autre,
Toi, veuve d’un héros, et moi, fils d’un soldat !

Aussi, sans me lasser, dans cette Babylone,
Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau,
J’ai dit pour l’empereur: Rendez lui sa colonne !
Et je dirai pour toi: Donnez-lui son tombeau !

Février 1840. [12 mars 1840]

Lorsqu’elle est ambassadrice en Portugal, elle s’amuse aux réceptions des cours de Madrid et de Lisbonne, regardant avec curiosité cette famille de Bragance « où personne ne se ressemble ». 

En 1805, Laure retrouve Paris, Junot est à Austerlitz. Ce dernier a de nombreuses liaisons, au vu et au sus de tous, et en premier de Laure. Le drame n’est pas loin, dont les deux vont être responsables. Junot se lie ouvertement avec la sœur de l’empereur, Caroline Murat quand, de son coté, Laure s’attiche de Metternich , ce qui est loin d’être du goût de Napoléon !

Caroline Bonaparte,
Caroline Bonaparte,

Le 13 janvier 1810, à l’issue d’une soirée restée fameuse donnée chez Caroline, Junot fait à Laure une scène terrible, manquant même l’étrangler. Napoléon intervient : ordre est donné à la duchesse de suivre son mari en Espagne où il va faire campagne. Elle quitte Paris, le 2 février 1810, en tête-à-tête avec Junot. Ils sont bientôt à Burgos, où ils découvrent rapidement les horreurs de la guerre d’Espagne.

Laure, qui est enceinte, manque de se faire enlever à Salamanque par le célèbre bandit don Julian. Elle accouche à Ciudad-Rodrigo. Elle retrouve bientôt Salamanque, et l’accueil empressé du général Thiébault. Répit dans cette dure guerre : les plaisirs de la société renaissent. On fait de la musique, on compose des romances. Junot rejoint sa femme : le couple revoit Paris avec un réel plaisir.

Le général Thiébault

A Paris, où Marie-Louise a remplacé Joséphine. Mais on s’amuse de moins en moins, les deuils assombrissant trop de familles. Bientôt Junot part batailler en Russie pendant que Laure se repose à Aix-les-Bains. Elle y rencontre Maurice de Balincourt : c’est tout de suite la grande passion. 

Début de 1813, Junot reparaît, méconnaissable : une ruine, un vieil homme, voûté, abîmé de rhumatismes, s’appuyant sur une canne, quelque chose de repoussant et d’hébété dans la physionomie . La moelle épinière est touchée. Napoléon le nomme gouverneur Venise et lui confie le commandement provisoire des Provinces Illyriennes. C’est là qu’il devient fou; il ira mourir en Bourgogne, à Montbard, chez son père. Au même moment, Laure accouche à Genève d’un enfant mort. 

Laure est veuve, elle a vingt-neuf ans, quatre enfants à élever, et 1400 000 francs de dettes. Loyalement, énergiquement, elle les paiera, faisant feu de toutes ses ressources. 

L’Empereur tombé, elle se venge de lui, criant  (mais elle n’est pas la seule !): « Vive le Roi ! » avec Balincourt. Elle sert la police de Blacas. Elle revoit Metternich, qui ne réussit cependant pas à sauver aucun des majorats de Junot. Pendant les Cent-Jours, elle se retire au château de Champigny, chez Maurice de Balincourt. Elle y accouche d’une fille qui ne vit pas.

Après la deuxième abdication, elle se réinstalle dans son hôtel parisien. Elle se permet encore des dîners et quelques fêtes, bien que la liquidation de sa situation ne lui laisse guère de ressources. C’est son amant qui l’aide, et paie, d’un coup, 300 000 francs. Mais cette source tarit. Elle écrit à Balincourt une émouvante lettre d’adieu, et, à Louis XVIII, une supplique. A sa pension de 6.000 francs, le roi ajoute 20 000 francs prélevés sur ses fonds personnels, et Charles X fera de même.

Elle s’installe à Versailles, rue de Montreuil, près de la barrière. C’est là que commence sa liaison avec Balzac. Pourtant, elle n’a plus la beauté de jadis :

Honoré de Balzac
Honoré de Balzac

Je vois encore (…) la duchesse d’Abrantès descendant, ou, pour mieux dire, dévalant de Montreuil à Versailles, dans un accoutrement pitoyable, les cheveux en désordre, quelques fois roulés dans des papillotes de couleur, coiffée de travers, avec un bonnet à la folle ou à la Charlotte Corday, en tulle sale, fripé, dont les brides étaient tachées de graisse et de café, ou à demi brûlées par la cigarette à l’opium. Point de corset, un peignoir de laine ou de toile peinte auquel manquaient plusieurs boutons. (…) la duchesse n’avait sauvé du naufrage de ses élégances que la noblesse du maintien et la manière de porter un châle; à ces deux signes, on reconnaissait la vraie grande dame (…) (Lambinet)

Une correspondance commence. Il donne à Laure des conseils, et, bientôt, l’encourage à publier ses Mémoires. Une étrange collaboration s’entame : il écrit  des chapitres entiers des Mémoires, et, de 1830 à 1838, Laure publiera une bonne soixantaine  de volumes. Balzac s’est occupé du contrat avec l’éditeur Ladvocat, ainsi que de la publicité (la plus grande partie du premier volume est même de sa plume). Cette collaboration reste au début ignorée, mais, lorsque le succès est là,  il essaye de se rebiffer, et d’y être associé

Pourquoi voulez-vous que je me laisse ôter le peu de mérite qu’il peut y avoir dans cette pauvre oeuvre ?

Il n’insiste pas. Mais le succès des Mémoires ne se fait pas démentir.

8 décembre 1830

à Madame la duchesse D’ Abrantès

Vous me comblez, Madame. Les petites images sont charmantes, la statuette est charmante,  la lettre est plus charmante encore. Vous écrivez comme vous parlez, une lettre de vous, c’est vous. C’est spirituel, c’est suprême, c’est bon. 

J’avais donné ce chiffon de papier à  mon père. Il m’ est revenu dans sa succession. Permettez-moi de le mettre à vos pieds. C’est le manuscrit de l’ode à la colonne. A qui l’offrirais-je si ce n’est à vous ? Vous êtes une de nos  duchesses militaires, et femme du premier ordre en outre, ce qui ne gâte rien.

Soyez donc assez bonne pour garder ce griffonnage en souvenir de moi. J’y joins votre album, sur lequel je transcris une des strophes de l’ode.

Maintenant il faut que vous soyez assez aimable pour venir dîner avec nous ainsi que messieurs vos fils, jeudi 19 décembre. Je vous  ferai dîner avec l’excellente famille de Bernard De Rasmont qui vous aime et qui vous admire.

Répondez-moi un bon oui pour tous les trois, à six heures.

Adieu.

A bientôt, Madame la duchesse.

Si jamais je vous envoie sous enveloppe l’amitié profonde que j’ai  pour vous, je n’écrirai pas dessus : fragile .

J’irai vous voir dès que je serai sorti d’un travail infernal qui m’obsède en ce moment, et je mettrai tous mes hommages les plus dévoués à vos pieds.

                Victor Hugo.


Pourtant, la situation financière de Laure va bientôt aller en se dégradant, les régimes se succédant à un rythme accéléré (après les journées de 1830, elle redevient même bonapartiste !). Sa pension désormais envolée, les difficultés s’amoncellent. D’autant qu’Honoré (il a 39 ans, Laure 54, elle n’est plus vraiment séduisante….) lui a préféré la duchesse de Castries, puis l’Etrangère (madame Hanska).

Mon cher enfant, lui écrit-elle en 1832, je suis pour vous une vraie sœur. Croyez-moi, ne prenez pas ce chemin, il est mauvais. Je m’occupe de vous sérieusement (…)

La misère menace. Bien que malade, Laure écrit, de son lit, d’une plume que rien n’arrête. Mais elle doit se battre avec l’éditeur, pour lui arracher l’argent qu’il doit. Courageuse, face au monde, cependant, elle rit, fait de l’esprit, continue à jouer la comédie de salon. Elle est alors celle que Théophile Gautier appelle : la duchesse d’Abracadabrantès. Cette bonne humeur feinte est désespérée. Elle conserve pourtant un dernier espoir, celui d’être épouser par le marquis de Custine, qui jouit d’une fortune immense (mais d’une réputation peu enviable). Espoir vain, le marquis se dérobe, faisant s’écrouler la dernière planche de salut.

Elle habite maintenant un pauvre logement rue de Navarin. Les créanciers viennent chercher, pour les vendre, les quelques restes de son mobilier. C’en est trop pour Laure : une jaunisse se déclare. Elle se réfugie dans une maison de santé, rue de Chaillot et meurt, elle qui avait connu le sommet de la richesse et de la gloire, le 7 juin 1838, sur un grabat, dans une mansarde. 

Certains se souviennent d’elle, pourtant. Mme Récamier vient s’agenouiller au pied de son lit. La reine Marie-Amélie paie les frais des funérailles. Chateaubriand suit le convoi, à pied, d’un bout à l’autre. La plupart des célébrités littéraires du temps l’accompagnent.


 

Lieux de mémoire

References

References
1 Le munitionnaire Gabriel-Julien Ouvrard, qui louait le château depuis 1799, l’acheta en 1806 mais fit banqueroute l’année suivante. Le château revint à Claude-Xavier Carvillon des Tillières qui le loua au général Junot. Ouvrard confia la démolition et la reconstruction d’un édifice de taille plus modeste à l’architecte Louis-Martin Berthault. Ce dernier remania également le parc. Ce château de construction néo-classique est connu par une gravure de 1808.