En passant par Napoléon
Autour d’une visite impériale, à La Roche sur Yon, le 8 août 1808
(Robert Ouvrard – avec la complicité de Jean-Louis Vivier)
A l’occasion du bi-centenaire de la création de la ville
Nous sommes en 1808. Le 2 avril, Napoléon a quitté Saint-Cloud, pour se rendre à Bayonne, où il va rester jusqu’au 20 juillet, s’occupant des affaires d’Espagne. Le 5 mai il apprendra les évènements de Madrid et, le même jour, forcera le roi d’Espagne Charles IV à céder à la France ses droits sur la couronne d’Espagne.
Le 21 juillet, rassuré sur les évènements (Joseph a été nommé roi d’Espagne, Murat roi de Naples), l’empereur entreprend le voyage de retour vers la capitale. Il informe Cambacérès :
Mon Cousin
Je pars aujourd’hui pour Pau, j’irai voir Tarbes, Toulouse, Agen, Bordeaux et probablement Saintes, Niort, Napoléon (La Roche-sur-Yon), Nantes, Angers. (Correspondance de Napoléon Ier – tome XVII – 14220)
Effectivement, il est le 22 à Pau, le 23 à Tarbes, le 25 à Toulouse, le 30 à Agen. Le 1er août, c’est Bordeaux qui l’accueille, puis, le 4, Saintes, le 5, Rochefort, le 7, Niort, le 8, enfin, il est à Napoléon-Vendée.
C’est la première – et l’unique – visite que l’Empereur fait à cette ville nouvelle, qu’il a lui-même fondée, par un décret du 25 mai 1804 (5 prairial An XII).
Au palais de Saint-Cloud, le 5 prairial an XII Article 1er. Le chef-lieu du département de la Vendée sera transféré à La Roche-sur-Yon le premier fructidor prochain. |
Pour reprendre les mots de Georges Poisson, « c’est avant tout un souci de gestion administrative qui préside à la création de cette nouvelle ville ».
En effet, dans cette Vendée qui sort à peine de la révolte et qui, meurtrie, est sans doute encore silencieusement rebelle, on refuse toujours la conscription, et on n’hésite pas à monter des coups de main contre les autorités.
Depuis la création des départements, le chef-lieu est Fontenay-le-Comte, la Roche-sur-Yon ayant du se contenter d’être désignée chef-lieu de district. Dix années agitées et parfois sanglantes avaient suivi, au moment du soulèvement vendéen : une partie du bourg avait même été incendiée en 1794.
La paix ne devait s’instaurer qu’à la fin de 1802. Mais l’année suivante, la campagne vendéenne s’enflammait encore. Bonaparte envoie donc Gouvion Saint-Cyr rétablir l’ordre. Des discussions qu’il a alors, notamment avec un abbé du nom de Herbert, il conclue que si la Vendée est mal administré, c’est parce que son chef lieu est mal situé.
Et il l’écrit à Napoléon (mais il n’est encore que le Premier consul Bonaparte), qui décide aussitôt de transférer ce chef-lieu au centre du département.
Il choisi lui-même l’emplacement : ce sera cette petite commune d’environ 500 habitants, au pied d’une ancienne place forte, traversée par la route qui relie les Sables-d’Olonne à Saumur. D’autres habitations sont dispersées en pleine campagne. Au-delà de l’Yon, c’est déjà le Bourg-sous-La Roche.
Cette petite commune, c’est La Roche-sur-Yon.
Le nouvel empereur entend bien que son projet soit mené à bien. Le décret est donc accompagné d’une lettre au ministre de l’intérieur, Chaptal :
Saint-Cloud, 25 mai 1804
A M. Chaptal
Monsieur Chaptal, Ministre de l’intérieur, le l2 fructidor an X, j’ai arrêté différentes mesures pour la ville de Pontivy (1). Les plans ne m’ont pas été soumis, et je n’entends pas dire qu’il y ait rien de fait; et voilà près de dix-huit mois que les ordres sont donnés. J’ordonne de nouvelles mesures pour la Roche-sur-Yon. Je désire que soit porté aux établissements que j’y ordonne, par mon décret de ce jour, l’attention la plus suivie. Il ne faut point faire de vains projets. Il ne faut pas que d’ici à deux ans il se trouve que rien n’a é fait, comme je vois qu’il arrive pour Pontivy.
et d’une autre au maréchal Berthier :
Saint-Cloud, 25 mai 1804
Au maréchal Berthier
Mon Cousin, en fructidor an X, j’ai prescrit des mesures pour l’établissement de casernes à Pontivy ; les plans ne m’ont pas été présentés. Je désire qu’il n’en soit pas de même des dispositions contenues dans le décret d’aujourd’hui, relatif à la Roche-sur-Yon. Je désire donc, 1° que vous me fassiez connaître ce qui a été fait en exécution de l’arrêté de fructidor an X; 2° que vous me communiquiez les plans, s’ils sont arrivés.
Trois mois après la fondation de cette ville nouvelle (le décret se rapporte clairement à La-Roche-sur-Yon) le préfet de Vendée, Jean-François Merlet (2), signe un arrêté, qui lui donne le nom de Napoléon. Il n’a consulté ni les autorités locales, ni même les habitants. Mais il avait quand même sollicité l’accord de l’Empereur, qui avait répondu positivement le 16 août, et l’arrêté est définitivement signé le 28 août.
Sans attendre même cet arrêté, la préfecture est installée, le 19 août, en présence de toutes les autorités civiles et militaires (et sans doute religieuses). C’est Merlet qui a organisé la cérémonie, à laquelle il a convié des vétérans et la gendarmerie à pied et à cheval. Mais cela a été un peu à contrecœur : il va être désormais hébergé de façon plus que précaire, et qu’une tâche imposante l’attend : construire une ville nouvelle.
C’est l’ingénieur Cormier (3) qui est chargé de dresser les projets. Il arrive à La Roche-sur-Yon le 15 juin 1804. Rapidement, il prépare un vaste plan en damier, avec une place centrale, où les édifices administratifs sont alignés deux à deux, sur chaque coté du rectangle : église et presbytère, gendarmerie et poste, tribunal et théâtre, hôtel de ville et théâtre. A la périphérie, la préfecture, le lycée, les halles, au milieu de jardins. Si ce plan ne souleva pas vraiment d’objections, c’est au niveau de la réalisation que les choses se gâtèrent.
Péripéties d’un nom |
Date |
Dénominations officielles |
Dénominations spontanées |
28 août 1804 Avril 1814 25 avril 1814 mars 1815 juillet 1815 Février 1848 18 mars 1848 27 septembre 1870 |
La Roche-sur-Yon Napoléon Bourbon-Vendée Napoléon-Vendée La Roche-sur-Yon |
La Roche-sur-Yon
Napoléon |
Et ceci nous ramène à ce lundi 8 août 1808, jour choisi par Napoléon, pour visiter « sa » ville nouvelle.
La semaine précédente a été chargée pour l’Empereur, et difficile. Les mauvaises nouvelles, venant d’Espagne, se sont accumulées. Le 2, à Bordeaux, c’était l’annonce de la défaite de Dupont, à Baylen.
A Joseph Napoléon, Roi d’Espagne
Bordeaux, 3 août 1808.
Mon Frère, la connaissance que j’ai que vous êtes aux prises, mon ami, avec des événements au-dessus de votre habitude autant qu’au-dessus de votre caractère naturel, me peine. Dupont a flétri nos drapeaux. Quelle ineptie ! quelle bassesse ! Ces hommes seront pris par les Anglais. Des événements d’une telle nature exigent ma présence à Paris. L’Allemagne, la Pologne, l’Italie, etc. , tout se lie. Ma douleur est vraiment forte lorsque je pense que je ne puis être en ce moment avec vous et au milieu de mes soldats. J’ai donné l’ordre à Ney de s’y rendre. C’est un homme brave, zélé et tout de coeur. Si vous vous accoutumez à Ney, il pourrait être bon pour commander l’armée. Vous aurez 100,000 hommes, et l’Espagne sera conquise dans l’automne. Une suspension d’armes, faite par Savary, peut-être pourrait amener à commander et diriger les insurgés ; on écoutera ce qu’ils diront. Je crois que, pour votre goût particulier, vous vous souciez peu de régner sur les Espagnols.
Je me porte mieux que jamais. Je dis à Maret de vous envoyer un chiffre pour correspondre sur les choses secrètes. Berthier vous envoie quelques notes sur la situation de l’armée d’Espagne.
Dites-moi que vous êtes gai, bien portant et vous faisant au métier de soldat ; voilà une belle occasion pour l’étudier. J’ai écrit à la Reine de se rendre à Paris.
Le 5, à Rochefort, avec ses ministres,il a travaillé toute la journée, préparant le transfert de la moitié des troupes qui sont en Prusse. Il envoie une longue note à Clarke, le ministre de la guerre, sur la situation en Espagne.
Et hier, à Fontenay-le-Comte, il a reçu une dépêche de Joseph, lui laissant entendre qu’il va être forcé d’abdiquer. Il est entré dans une violente colère. Un moment, semble-t-il, il songe à interrompre son voyage.
Il n’en fait rien, et, le 8 août, à onze heures, Napoléon et Joséphine arrivent dans la préfecture vendéenne. Selon les témoins de l’époque, de nombreux admirateurs l’attendent avec impatience. A l’entrée de la ville, u Pont-Rouge, une délégation e notables a accueilli l’Empereur. A leur tête, Louis-Auguste Lansier, maire de la ville depuis sept ans (4). Ce dernier prononce le discours de circonstance, puis est reçu en audience par l’Empereur, ce qui lui permet de présenter quelques requêtes : achèvement rapide des routes, pavage des rues, construction accélérée des tribunaux et des prisons, d’un hôpital civil, du lycée, de l’hôtel de ville, de l’église et du presbytère, ouverture d’un canal de navigation. Un vrai catalogue.
Napoléon fait ensuite un tour de la ville, car il tient à vérifier l’état des travaux. Et là, la surprise va bientôt céder à la colère. D’abord, il peut constater que très peu de bâtiments sont sortis de terre. Mais il y a plus : le ministre de l’intérieur, Crétet, homme du Dauphiné, où le torchis est largement employé, a eu l’idée d’introduire ce mode de construction en Vendée, à l’occasion de ce projet. Des maçons lyonnais sont venus pour montrer aux ouvriers locaux comment mouler la terre glaise et la faire sécher au soleil. Seulement, le climat, ici, est plutôt humide : le résultat n’est pas à la hauteur des espérances. Lorsqu’il voit ces maisons en pisé, ces casernes en torchis, l’Empereur tire son épée et l’enfonce jusqu’à la garde dans les murs de terre.
Puis Napoléon se retire dans une chambre qui lui a été préparée, à la Grande Auberge (5), où il va recevoir, consulter, écouter. Après quoi, vers 17 heures, il quitte La Roche-sur-Yon, bien que tout avait été préparé pour qu’il y passe la nuit. (6)
Mais avant de partir, il a pris prend le temps de destituer l’ingénieur Cormier, responsable des travaux. Il sera remplacé par un autre ingénieur des ponts et chaussées, Claude Raphaël Duvivier (7), qui sera à pied d’oeuvre en février 1809. C’est lui qui réalisera l’hôtel de ville, réclamé par Napoléon lors de cette visite. Après quelques allers-retours pour raison de coûts trop élevés, le projet sera finalement adopté et les travaux commenceront en 1810.
Le préfet Merlet fait également les frais de la visite impériale : il est, au début de 1809, remplacé par un homme de 26 ans, Prosper de Barante (8)
A La Roche sur Yon – qui fêtera cette année le bicentenaire de sa création – une statue équestre de Napoléon, oeuvre du sculpteur Nieuwerkerke et érigée en 1854, orne la place Napoléon. Elle possède en son pied une plaque qui énumère les différents noms portés par la ville. L’appellation Napoléon-Vendée se retrouve sur les murs de a gare, ainsi que sur plusieurs tombes au cimetière: celle du général Rousseau comporte celle de Bourbon-Vendée. De nombreuses rues, depuis 1968, portent des noms évocateurs de l’épopée : Rivoli, Bérézina, 100 Jours, Ile d’Elbe, Rivoli.
REPERES BIBLIOGRAPHIQUES
- Roger Lévêque. Napoléon, ville de Vendée. La naissance de la Roche sur Yon. 1998
- Jean Tulard. Dictionnaire Napoléon. Fayard, Paris, 1999.
- Jean Tulard, Louis Garros. Itinéraire de Napoléon au jour le jour. Tallandier, Paris, 1992
- Correspondance de Napoléon Ier, tome XVII.
- Jean Savant. Les préfets de Napoléon. Hachette; Paris 1958
ainsi que les très nombreuses brochures publiées par la Mission du Bicentenaire, à La Roche sur Yon
NOTES
(1) C’est à Pontivy que l’ingénieur des Ponts et sous-préfet de la ville, Gilbert Chabrol de Volvic (1773-1843), un ancien de la campagne d’Égypte, avait proposé, en 1805, de construire des casernes sur la rive droite du Blavet et, de l’autre coté, une véritable ville nouvelle, Napoléonville, dont il donna lui-même les plans.
(2) Jean-François Merlet, né en 1761 à Martigné-Briand en Maine-et-Loire, mort en 1830, dirigea le chantier de Napoléon-Ville, vaste projet de modernisation urbaine de la ville de la Roche-sur-Yon, initié par Napoléon 1er pour sa gloire personnelle. Il avait rallié le parti révolutionnaire en 1789, et était devenu procureur-syndic du district de Saumur l’année suivante. Elu député en 1791, il fut porté à la présidence de l’Assemblée. L’avènement de la Convention et des partisans de la Terreur contraignit Merlet à se réfugier chez des amis dans sa région natale. Le Consulat le réhabilita en le nommant préfet de Vendée. C’est dans cette fonction qu’il eut en charge le projet de Napoléon-Ville. Jean-François Merlet devint baron de l’Empire (1808), préfet du Maine-et-Loire (1809) et de la Ruhr.
(3) Marie-François Cormier, 1769-1844. Originaire de Vendée (il est né à Sallertaine), il avait participé à la guerre de Vendée, comme ingénieur militaire, du coté des républicains. Après son « limogeage », en août 1808, il fut incité à demander une affectation à Naples, mais, sur son refus, envoyé en Bavière, en pleine guerre de 1809. Ayant finalement donné satisfaction dans la mission qui lui avait été confiée,, il sera nommé, la même année, à Tours, où il terminera sa carrière comme inspecteur général.
(4) Louis-Auguste Lansier était né en 1767, au sein d’une famille bourgeoise. Son père était homme de loi et Louis-Auguste fait donc des études de droit. Après son mariage avec une yonnaise, Marie-Anne Caillé, il s’installe dans la ville. En 1790, partisan modéré des idée modernes, il est élu au district. Durant les années de guerre civile, il doit se cacher. Lorsque la paix revient, il est nommé juge de paix, puis maire de La Roche, en 1801. Il va diriger la commune jusqu’en 1812. Il reprendra ce poste durant les Cent-Jours, alors que, de nouveau, les Vendéens sont en ébullition. Il restera à ce poste jusqu’en 1818, année de son décès.
(5) Emplacement de l’actuelle Galerie Empire
(6) Sa route va le conduire aux Quatre-Chemins, Saint-Fulgent, Saint-Georges-de-Montaigu, où il dormir quelques heures, avant de repartir pour Nantes, où il arrivera le 9 à trois heures du matin.
(7) Claude Raphaël Duvivier, 1771-1821.
(8) Prosper Brugière, baron de Barante, 1782-1866. Le Oswald du Corinne de Germaine de Staël, était auditeur au Conseil d’État, il suivit la campagne de 1806-1807, à l’intendance générale. Ses critiques des abus des armées impériales, lui valent une certaine disgrâce, qu’il met à profit pour donner, avec succès libre court à sa vocation littéraire. Il va rester préfet de Vendée jusqu’e 1813, année où il est transféré à la préfecture de Loire-Inférieure, où il restera jusqu’au 20 mars 1815. Il s’opposera alors aux Cent-Jours, rentant de soulever les départements de l’Ouest. Il terminera sa carrière comme secrétaire général du ministère de l’intérieur.