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De Valmy à Austerlitz – La diplomatie française en quête de paix.

Colonne BoulogneLa colonne de Boulogne

Introduction

Qui porte la responsabilité de la reprise de la guerre avec l’Angleterre, au mois de mai 1803 et à la formation d’une nouvelle Coalition ? Les historiens n’ont jamais cessé d’être fascinés par cette question et on pourra discuter à l’infini des responsabilités de chacun dans la formation d’une nouvelle coalition et dans le retour d’opérations militaires sur le continent, oubliées depuis quatre ans.

D’une manière générale, les Français, de Thiers et Bignon à Arthur-Levy et Sorel, privilégient la thèse de la responsabilité anglaise, quand, on pourrait presque dire naturellement, les auteurs anglais (Furse, Bowden, Clark) s’engagent en sens inverse.

Nous allons essayer, ici, de donner quelques éléments surtout relatifs à la position française, les conférenciers qui vont suivre devant nous exposer les points de vue russes, suédois et italiens (hélas, point d’anglais ce matin à notre table…)

 

1792 – 1801. De la guerre à la paix

Revenons tout d’abord quelques années en arrière.

Le 20 avril 1792, l’Assemblée législative française avait déclaré la guerre au roi de Bohême et de Hongrie (ce qui, dit en passant, permettait – du moins dans un premier temps, d’éviter d’entraîner dans le conflit le Saint-Empire germanique). Au début, seule la Prusse, en Europe, se range aux côtés de l’Autriche. Mais lorsque la Belgique, puis Anvers, sont occupées, l’Angleterre de Pitt noue la Première Coalition : autour des premiers belligérants vont se ranger les Provinces-Unies, le Saint-Empire, le Piémont-Sardaigne et l’Espagne.

La jeune république va plier mais ne point rompre (l’exemple phare étant Valmy), si bien que la coalition va finalement se disloquer : retrait de la Toscane en février 1795, de la Prusse le 5 avril (traité de Bâle), de la République batave (qui devient l’alliée de la France), de l’Espagne (nouveau traité de Bâle) en juillet. Bientôt l’Autriche, sous les coups d’un jeune général en Italie, va être elle aussi contrainte à la paix, en octobre 1797. L’Angleterre reste alors seule en lice.

A la recherche de l’alliance avec la Prusse

Le général Bonaparte
Le général Bonaparte

Ce jeune général, du nom de Bonaparte, se comporte déjà en homme politique averti.. Revenant de sa première campagne d’Italie, il écrit au chargé d’affaires à Berlin, Sandoz-Rollin :

La France doit favoriser la Prusse dans les compensations qui lui seront attribuées au congrès de Rastadt (qui suit le traité de Campoformio) ; c’est son alliée d’amitié et de nature

Certes, il n’innove pas. Depuis que la Prusse a laissé tomber les grandes monarchies d’Europe et signé à Bâle un traité de paix avec la France, elle est devenue, le centre de gravité de la défense des frontières françaises, tampon aux incursions du nord, où arme contre toute incursion venant du sud. Les politiciens français prônent alors allègrement l’alliance avec la cour de Berlin :

Il est de notre intérêt d’établir le roi de Prusse chef de la ligue germanique ….Un point important pour lui est l’espoir de la couronne impériale… (Rewbell – 19 février 1796)

Vous dirais-je que le Directoire est attaché au roi de Prusse, qu’il a à cœur d’agrandir sa puissance et de la mettre en état de résister aux deux cours colossales qui l’environnent (lire : Autriche et Russie) … Notre intérêt politique est d’entretenir la meilleur amitié avec la Prusse et de saisir toutes les occasions d’augmenter sa force et sa puissance (Carnot – mai 1796)

Jamais la République française ne souffrira qu’on attaque le roi de Prusse ; elle volera à son secours sans engagement, sans traité et sans alliance (Delacroix, ministre des Relations Extérieures – 1797)

Le Directoire annonce également que

« si la Russie faisait mine de vouloir attaquer la Prusse, les armées de la République seraient à sa disposition »

Frédéric_Guillaume_III
Frédéric_Guillaume_III

En fait, on s’illusionne grandement en France, sous le règne finissant de Frédéric-Guillaume II – souverain quelque peu inconséquent et insaisissable, tout autant que de faible caractère – mais également sous celui de son successeur – Frédérique-Guillaume III, de mœurs plus équilibrées, mais « ne sachant ni ce qu’il devrai croire, ni ce qu’il devait faire », selon l’expression de Talleyrand..

A Berlin, on reste anti-français. Lorsque Sieyès, en mai 1798, est envoyé à Berlin, le roi ne lui reconnaît que le titre d’envoyé extraordinaire (l’abbé avait également en poche celui d’ambassadeur), et est tenu à l’écart par les personnalités officielles.

Cela ne décourage pourtant pas le gouvernement français.

Le sieur Talleyrand et le général Bonaparte m’ont dit que rien n’assurerait mieux le repos de l’Allemagne et n’affermirait la paix du monde qu’une alliance entre Votre Majesté et la République française (Sandoz-Rollin au gouvernement de la Prusse – 28 mars 1798)

Et Paris enfonce le clou :

En ce moment décisif pour la paix ou la guerre, si la Prusse (…) choisit justement cet instant pour former son alliance avec la République, il est évident que la guerre devient impossible (…) Notre proposition n’a d’autre but que la paix, rien que la paix (L’ambassadeur Caillard au Cabinet du Roi)

 

La Deuxième Coalition

L’expédition d’Égypte va de nouveau entraîner l’Europe dans la guerre. En effet, la prise de Malte entraîne la déclaration de guerre de son protecteur, la Russie de Paul Ier, et l’invasion de l’Égypte, celle de l’Empire ottoman. En décembre 1798, le royaume de Naples se joint à cette nouvelle coalition. Le 12 mars 1799, Vienne ayant autorisé le passage des troupes russes sur son territoire, se voit déclarer la guerre par le Directoire. C’est la Deuxième Coalition, qui enregistrera d’abord des succès sur le Rhin et en Italie.

 

Brumaire

Le 18 brumaire
Le 18 brumaire

A la fin de 1799, lorsque Bonaparte (que Pitt n’hésite pas à qualifier, déjà, d’usurpateur…) s’empare du pouvoir, il hérite :

  • d’un coté, de la France des frontières naturelles,
  • de l’autre d’un pourtour de républiques alliées, qui sont plutôt des protectorats français hérités des républiques sœurs du Directoire.

Il lui faut d’abord préserver cet acquis, alors que l’Autriche meurtrie se prépare de nouveau à la guerre.

Alors, on se tourne de nouveau vers Berlin.

Dès qu’il prend en main les destinées de la France, il écrit à Frédéric-Guillaume III, pour l’assurer que la France est décidée à rester en paix avec la Prusse, et par cela même, d’assurer la paix de l’Europe, dans le respect des traités. C’est Duroc qui emporte la lettre à Berlin : il sera parfaitement trompé sur les sentiments réels de la Cour à l’égard de la France, où cette dernière n’est pas, c’est le moins que l’on peut dire, en odeur de sainteté. Et la réponse de Berlin se borne aux félicitations banales dues au nouveau gouvernement français.

L’illusion de Bonaparte, comme de ses prédécesseurs, consistant à penser que l’alliance prussienne permettrait :

  • de contre-balancer la puissance de l’Autriche
  • d’avoir la possibilité d’occuper ou de faire occuper le Hanovre, point faible de l’Angleterre sur le continent ;
  • de fermer les ports du nord aux navires anglais.

subit là un sérieux revers.

Charles-Maurice de Talleyrand -Périgord
Charles-Maurice de Talleyrand -Périgord

Le 21 janvier 1800, Bonaparte écrit à Talleyrand :

Quel parti serait-il possible de tirer de la Prusse pour accélérer la paix générale continentale ou partielle, avec quelqu’une des puissances belligérantes ? Quelle espèce de notification pourrait-on lui faire pour l’engager de plus en plus en notre faveur ? Et la décider à se mettre à la tête de la ligue du Nord, ce qui mettrait un frein à l’ambition démesurée de la Russie ?

Un peu plus tard, Bonaparte va même jusqu’à dire à l’ambassadeur de Prusse :

Le roi de Prusse voudrait-il opérer une réconciliation utile entre la France et la Russie ? Je m’engagerais alors à ne faire la paix avec l’Autriche que sous les conditions qui seront jugées les plus convenables au maintien de l’équilibre général… En Allemagne, je tiens à la ligne du Rhin dans le sens déterminé par Campo-Formio, mettant de coté tout ce qui a été dérogé par l’ancien Directoire… Je laisserai encore au roi de Prusse le choix de rentrer, à la paix, en possession de ses provinces transrhénanes, s’il préférait de les conserver à les échanger.

En fait, à Saint-Pétersbourg on ne veut rien entendre de « l’usurpateur corse » . Et lorsque Bonaparte réalise que la lenteur de la Prusse à répondre à ses sollicitations ne sont que manœuvres, il informe l’ambassadeur prussien qu’il décline, provisoirement, la médiation de la Prusse. Il fera la guerre « puisqu’on l’y force »

Le mois suivant, la Prusse élabore en secret, avec la Russie, une convention contre la France, jouant, le croit-elle, la carte des vainqueurs.

 

L’après Marengo

Bataille de Marengo (Lejeune)
Bataille de Marengo (Lejeune)

Bien évidemment, Marengo (14 juin 1800) lui fait reprendre ses esprits et l’amène bien vite à refaire des offres de service à la France, soit de médiation générale soit de réconciliation avec la Russie. Si la réponse du premier Consul n’est pas vraiment diplomatique, elle n’en est pas moins empreinte de bon sens :

Ce n’est pas après Marengo, mais avant, qu’il fallait se décider à agir, attendu qu’à présent il n’a plus besoin de personne pour traiter avec l’Autriche abattue.

Mais comme la Cour de Berlin laisse entendre qu’elle est à l’origine de la Ligue des neutres, Bonaparte, comme chaque fois que l’on se présente en ennemi de l’Angleterre, s’adoucit et finit par accepter les offres en vue d’inciter Paul Ier à être le médiateur de la paix générale. Car il pense que, face à la France, à la Russie et à la Prusse, unies, et à une Autriche battue, l’Angleterre devra se soumettre.

Il se leurre, bien sûr. D’autant plus que le roi de Prusse, dans le même temps, négocie avec la Russie, et signe, avec elle, un traité d’alliance offensive et défensive, qui, par ailleurs, n’offre aucun avantage à celle-ci, mais assure son concours illimité.

Le tsar Paul IerComme si cela ne suffisait pas pour compliquer les choses, Paul Ier, dans un de ses revirements propre à son caractère, se prend, après Marengo, d’enthousiasme pour Bonaparte. Celui-ci en profite pour renvoyer chez eux quelques 7.000 prisonniers russes, équipés de la tête aux pieds aux frais de la République. Lesquels se mettent en route…. le jour où Paul Ier est assassiné ! Mais il avait eu le temps de se mettre à la tête de la Ligue du Nord, de chasser le prétendant au trône de France de Mittau, et d’exprimer des sentiments violents envers l’Angleterre, attitude propre, on en convient, à s’attirer la bienveillance du Premier Consul !

Le courant passe donc de nouveau entre les deux pays. Bonaparte propose à Paul Ier d’attacher son nom au percement du canal de Suez, (« travail facile et de peu de temps » !), pour anéantir le commerce anglais. Paul Ier répond par la proposition d’une invasion de l’Inde.

On le voit, les relations entre les deux pays, rompues depuis dix ans, reprenaient vie, sans le concours de la Prusse. Celle-ci se trouve mise à l’écart, et n’aura pas de place à la table des négociations, où elle aurait bien aimé veiller à ce que l’Autriche ne soit pas trop bien traitée où ne se réconcilie trop avec la France. C’est la un sérieux revers pour la cour de Berlin, qui envoie un nouvel ambassadeur – le marquis de Lucchesini – dont le rôle sera essentiellement de surveiller les relations qui semblent s’instaurer entre Paris et Vienne.

 

La paix continentale

Le 9 février 1801, la paix est signée à Lunéville. L’article 6 reconnaît le rattachement de la totalité de la rive gauche du Rhin à la France, et l’article 7 traite des dédommagements qu’il y aura lieu de trouver, au sein même du Saint-Empire mourant, aux princes héréditaires dépossédés.