Correspondance de Napoléon – Janvier 1806

Paris, 29 janvier 1806

NOTES.

Au travail de mercredi prochain, chaque ministre apportera ce qui concerne son département, un rapport sur la situation de l’État de Parme. Ce rapport fera connaître l’organisation de la législation actuelle et les mesures à prendre pour que le pays de Parme soit administré comme les diverses parties de la France.

Sa Majesté désire que désormais les ministres l’entretiennent, surtout dans le conseil de mercredi, des détails de finances concernant leur département respectif, et des discussions que chacun d’eux aurait eues avec le trésor public.

Ils apporteront en même temps à ce conseil l’état des ordonnances qu’ils auront et le tableau de la situation de leur service.

Sa Majesté recevra les ministres à son lever et à son coucher, toutes les fois qu’ils jugeront à propos de s’y trouver. Il leur donnera ensuite audience s’ils désirent l’entretenir des affaires de leur département.

Lundi prochain, à neuf heures du matin, il y aura conseil général des finances.

Les ministres apporteront à ce conseil :

1° Les comptes de leurs dépenses de l’an XIII;
2° L’état de ce qu’ils ont dépensé et ordonnancé pendant les trois mois et dix jours de l’an XIV;
3° Les budgets séparés de leur ministère pour les trois mois et dix jours de l’an XIV, et pour les douze mois de l’an 1806.

Le ministre de l’intérieur présentera, dans un tableau séparé, l’état des fonds spéciaux de son ministère et des payements qui lui ont été faits sur ces fonds.

 

Paris, 30 janvier 1806

A M. Talleyrand

J’ai l’honneur d’adresser à Son Excellence le ministre des relations extérieures une note que l’Empereur a dictée et sur laquelle il désire un rapport. Je prie Son Excellence d’agréer l’hommage de mon respect.

NOTE

Je ne désire pas que la Prusse prenne un accroissement considérable de territoire. Cet accroissement la rendrait plus redoutable à la Russie, mais la rendrait aussi plus redoutable à la France. La Prusse peut être décidée par des relations particulières ou par des relations générales : par ces dernières, comme partageant les plaintes de monarchie universelle; par des relations particulières, par son contact avec la Hollande et le bas Rhin. Telle qu’elle est aujourd’hui, la Prusse est une grande puissance, et, sous le point de vue de rapports généraux, ce serait une grande faute de la laisser s’augmenter. Mais, si des considérations particulières portaient à tolérer cette augmentation, le remède serait de créer en Allemagne un État tout nouveau qui obtiendrait un accroissement égal à celui de la Prusse, et qui serait, par des relations de famille ou géographiques, dans le système de la France. Le siège de cette puissance parait être naturellement Wesel et Düsseldorf. Le noyau en serait formé : 1° du duché de Berg; 2° du duché de Clèves; cela fait 300,000 hommes. Il faudrait chercher dans ses autres positions au moins 500,000 hommes, ce qui formerait une puissance de 800,000 et fournirait un nombre de troupes égal à celui de l’augmentation prussienne. Si à cela on ajoute ce que l’on a dit ci-dessus de détacher la Prusse de la Hollande et du bas Rhin, l’on pourrait étendre les États du nouveau prince, lui donner Münster, Hesse-Darmstadt et tout ce qui pourrait y être joint, s’il était question de Hambourg ou autres villes hanséatiques ou intermédiaires; s’il l’était d’annuler les petits princes, et par là l’empire germanique, il faudrait faire connaître ce qu’y gagneraient les princes sous l’influence de la France : ceux sous l’influence de l’Autriche ou de la Russie. Tous les princes en Souabe accroîtraient les trois grands alliés de la France; ceux qui seraient à la convenance de Darmstadt et du nouveau prince de Düsseldorf pourraient être censés accroître l’influence de la France. Il ne resterait plus à voir que ce qu’y gagneraient la Prusse, la Saxe, Hesse-Cassel, lesquels, avec l’Autriche, formeraient en Allemagne les seules neuf grandes puissances. Je désire un rapport qui me fasse bien connaître les noms, la population, la richesse des pays qui pourraient former un nouvel État, ainsi que les convenances territoriales de tous les princes existants entre ces neuf puissances, avec une carte à l’appui partageant l’Allemagne entre ces nouveaux neuf princes.

 

Paris, 30 janvier 1806

Au cardinal Fesch

Mon Cousin, je trouve bien petites et bien puériles toutes vos réflexions sur le cardinal Ruffo. Vous êtes à Rome comme une femme. Vous avez eu tort de conseiller à ce cardinal de se rendre à Paris. Ne vous mêlez point de choses que vous n’entendez pas.

Faites prendre possession du palais de Venise à Rome. J’ai écrit au prince Joseph de vous donner main-forte, si cela est nécessaire. N’écoutez point tout ce qu’on pourra dire. Ce palais est compris dans les dépendances des États de Venise. Faites-en prendre possession au nom du roi d’Italie.

 

Paris, 30 janvier 1806

Au maréchal Berthier

Monsieur le Maréchal Berthier, j’ai reçu vos lettres des 19 et 20. Je présume qu’à l’heure qu’il est vous êtes à Munich. M. Haugwitz n’étant pas encore arrivé, veillez à ce que mon armée reste en mesure de faire la guerre et d’agir avec la rapidité de la pensée, afin que, si le cas arrivait, mes projets ne fussent pas démasqués. Le 7e corps de l’armée est à Francfort. La division Dupont sera bientôt à Darmstadt. J’ai écrit qu’il n’y avait pas d’inconvénient à ce que le corps de M. le maréchal Mortier se dirigeât sur l’évêché d’Eichstaedt. Je vous laisse le maître de faire exécuter ce mouvement.

Par ce moyen, MM. les maréchaux Bernadotte et Mortier, avec une division de cavalerie, des dragons et de l’artillerie, seront prêts à partir d’Eichstaedt pour Francfort.

Écrivez à tous les généraux qu’ils doivent rappeler les corps qui auraient repassé le Rhin, et se tenir en mesure d’exécuter mes ordres. J’attends avec impatience que je puisse connaître le jour où ces corps d’armée se seront rendus à Eichstaedt.

J’ai donné ordre que les différents piquets que M. le maréchal Kellerruann envoyait à Metz fussent dirigés sur Ulm, d’où vous les enverrez à leurs corps respectifs.

Du moment où j’aurai décidé si mon armée doit repasser le Rhin ou rester en Allemagne, je vous enverrai des ordres ou j’irai moi-même vous rejoindre.

 

Paris, 30 janvier 1806

Au prince Joseph

  1. Miot part aujourd’hui pour se rendre près de vous. J’espère qu’il ne vous rejoindra qu’à Naples. Vous pouvez l’employer dans l’administration de la guerre. Mon intention est qu’on occupe sur-le-champ les palais appartenant au royaume de Naples et à l’État de Venise qui sont à Rome. Donnez main-forte au cardinal, et appuyez-le pour qu’on se mette sur-le-champ en possession palais.

 

Paris, 30 janvier 1806

Au prince Joseph

Je suppose qu’à l’heure où vous recevrez cette lettre vous serez maître de Naples. Je ne puis que vous répéter que mon intention bien positive est de conquérir le royaume de Naples et la Sicile, et m’en rapporter à vos instructions antérieures. Maître de Naples, vous devez envoyer deux corps : l’un sur Tarente, et l’autre vis-à-vis la Sicile. Vous devez donner les assurances les plus formelles que le roi de Naples ne remontera plus sur son trône. Vous ferez entendre que cela est nécessaire au repos du continent, puisque deux fois il l’a troublé.

 

Paris, 31 janvier 1806

A M. Fouché

Monsieur Fouché, Ministre de la police, on soupçonne M. Calmelet et un nommé Bataille, dont il se sert comme architecte et tapissier, de s’entendre d’une manière contraire à mes intérêt, et je serais assez porté à ajouter foi aux différents renseignements qui me parviennent, quand je considère qu’ils ont présenté un compte d’un million de dépenses dans une maison du prince Eugène qu’ils ont arrangée, et où certainement ils n’ont pas dépensé 200,000 francs. Je désire que vous chargiez quelqu’un d’observer les changements survenus dans sa maison à Paris , et dans sa maison de campagne, qui est sur le chemin de Fontainebleau, depuis quatre ou cinq mois; de connaître le bruit public sur son compte, de savoir où sont ses papiers et le véritable état de ses affaires, afin que, si ces soupçons se confirmaient, j’en fasse un bon et sévère exemple . Depuis mon retour, la dilapidation qui se commet est telle qu’on doit connaître les dilapidateurs comme les ennemis de l’État. Calmelet pour ma Maison, Roger pour le trésor public, pour l’administration de la guerre un nommé Gau, qui est conseiller d’État, sont des hommes à surveiller.

Je vous prie de regarder comme une affaire importante d’environner ces individus d’une surveillance spéciale, pour, d’ici à quinze ours, me faire connaître l’opinion du public et tout ce qui peut asseoir une idée sur cet objet.

 

Paris, 31 janvier 1806

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 23. Vous me demandez une décision sur les arsenaux du Tyrol. Si je n’ai rien statué là-dessus, il faut d’abord m’en envoyer l’état, afin que, sur le contenu, je juge ce que je dois faire. Vous ne me dites point, dans votre lettre, le jour où le corps du maréchal Bernadotte arrivera à Eichstaedt.

Vous portez, dans votre lettre du 23, un compte de quatre millions provenant du sel, de l’artillerie, etc., dont le payement a été fait en numéraire. Faites-moi connaître dans quelle caisse a été versé ce numéraire, et si vous l’avez joint aux huit millions; ce qui fait douze millions qui devraient arriver à Strasbourg.

Faites-moi connaître aussi en quelle monnaie sont les huit millions reçus le 22 à Saint-Poelten, afin que je désigne le lieu où ils doivent être portés, et ce qui doit en être fait.

 

Paris, 31 janvier 1806

Au prince Eugène

Mon Fils, je n’ai pas encore de nouvelles de vous depuis votre départ de Munich; cependant il me tarde d’apprendre que vous êtes arrivé à Vérone. A l’heure qu’il est, mon armée doit avoir envahi Naples. Les ressources du pays vénitien doivent vous suffire pour nourrir et habiller l’armée qui est sous vos ordres, et j’espère pouvoir économiser, pour les autres dépenses auxquelles je suis obligé, en France, et spécialement pour la marine, la contribution que me paye tous les ans mon royaume d’Italie. Je vous ai envoyé un commissaire de marine pour Venise. Je suis pressé d’avoir l’état exact, bataillon par bataillon, escadron par escadron, de tout ce qui compose votre armée, ainsi que de ce qu’elle coûtera. Prenez des précautions pour qu’il ne passe, de Naples à Vienne, aucun courrier qui ne soit intercepté. Établissez aussi un bureau pour intercepter la correspondance des Anglais.

 

Paris, 31 janvier 1806

Au prince Joseph

Le marquis de Gallo a quitté le service de Naples; il se rend près de vous pour vous servir de tous ses moyens. Il sera le premier Napolitain qui vous prêtera serment. On suppose que le prince royal est resté à Naples; si cela est, faites-le arrêter et conduire en France sous bonne escorte; c’est là mon ordre exprès; je ne vous laisse aucune latitude sur cet objet. Après ce qui me revient, il paraît que la Maison royale est embarquée, qu’on vous livrera tous les forts, qu’on ne fera aucune résistance. Dans ce cas, vous formerez sur-le-champ un corps de 22 à 23,000 hommes, que vous dirigerez sur Reggio pour passer sur-le-champ en Sicile. Dans ce premier moment d’épouvante et de confusion, le passage sera plus facile à franchir que dans toute autre circonstance.

Voici la proclamation que j’avais faite à Schönbrunn; j’avais tardé à la rendre publique parce que je ne voulais pas avancer que vous alliez à Naples sans en être sûr. Elle sera demain dans le Moniteur et communiquée à toutes les cours. C’est assez vous dire que la race des rois de Naples a cessé de régner.

J’attends avec impatience un état de situation exact de votre armée, ainsi que des lieux où se trouvent tous vos 3e ou 4e bataillons. Je vous enverrai des conscrits autant qu’il faudra pour porter vos corps au grand complet de guerre. Solde, habillement, entretien, vous devez suffire à tout.

Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il faut faire traduire ma proclamation en italien et l’afficher dans toutes les villes et carrefours du royaume.

S’il est un certain nombre de grands ou d’individus qui vous gênent, envoyez-les en France et supposez que je vous ai envoyé des ordres pour cet effet. Point de demi-mesures, point de faiblesse. Je veux que mon sang règne à Naples aussi longtemps qu’en France. Le royaume de Naples m’est nécessaire.

 

Paris, 31 janvier 1806

Au vice-amiral Decrès

Je n’ai pas encore définitivement arrêté le plan de guerre pour la flottille; cela dépendra entièrement du moment où mon armée sera tout à fait disponible. Mon plan pour l’escadre, pour la campagne prochaine, est déjà adopté. Je veux inonder les mers de douze croisières. Une partie est sortie; il faut que vous me présentiez une instruction pour faire sortir l’autre partie. Celles qui sont sorties sont : 1° Linois, 2° Lhermitte, 3° Leissègues, 4° Willaumez, 5° la Piémontaise et la Canonnière.

Je désire faire sortir,

6° Allemand, pour bloquer la Baltique et ravager les côtes d’Irlande; 7° Missiessy avec 3 ou 4 vaisseaux de Brest, les frégates et bâtiments légers qu’on pourra avoir, pour ravager la pêche de Terre-Neuve; 8° 2 frégates de Cadix; 9° 2 autres frégates de Cadix; 10° 2 frégates de Rochefort; 11° La Guerrière, la Syrène ; 12° La Revanche, la Furieuse.

Ces douze croisières, qui couvriraient toutes les mers pendant tout l’été, produiraient une inquiétude réelle dans le commerce anglais, et leur rentrée aurait lieu vers la fin de la saison, en octobre ou novembre.

Les 6 frégates qui partent de Lorient et Rochefort pourraient porter 12 ou 1500 hommes à la Martinique.

Si la Topaze a été réparée à Lisbonne, on pourrait l’envoyer du côté du Brésil pour s’emparer de tous les bâtiments portant des marchandises anglaises, sous quelque pavillon que ce soit.

Il faudrait diriger plusieurs de ces frégates de manière à faire beaucoup de mal aux Suédois.

Enfin il faudrait donner un nouveau mouvement à l’escadre de Cadix, la réparer, la faire venir à Toulon, s’il est possible, et, si l’on ne peut rendre mobiles que 2 ou 3 vaisseaux, les envoyer dans la grande mer; enfin diriger les travaux de manière que le Courageux, à Lorient, et l’Ajax,à Rochefort, fussent mis à l’eau avant le mois de mars; que le Tonnant, à Rochefort, et le Glorieux et l’lnflexible, à Lorient, fussent mis à l’eau au 1er septembre, ainsi que le Commerce de Paris, à Lorient; ce qui ferait 6 vaisseaux cette année.

Quant à Anvers, 5 vaisseaux doivent être finis cette année. Je ne vois pas d’inconvénient de les porter, au lieu de 24 vingt-quatrièmes, à 16 vingt-quatrièmes, mais d’en mettre 1 ou 2 nouveaux sur les chantiers, si cela est possible, de sorte que, dans un an de paix et de grande activité, on pût, à Anvers, mettre 10 vaisseaux à la mer.

Si l’on avait à Brest des bois pour faire les 4 ou 5 vingt-quatrièmes d’un vaisseau à trois ponts, qu’on appellerait l’Austerlitz,cela paraîtrait convenable pour entretenir un peu d’activité à Brest, et vu d’ailleurs que des vaisseaux de cet échantillon ne peuvent pas se faire partout. A Lorient, Rochefort et Toulon, on pourrait mettre de nouveaux vaisseaux en construction.

Ne ferait-on que quelques vingt-quatrièmes chaque année à ces vaisseaux, ce seraient des matériaux tout préparés pour pouvoir, en douze ou quinze mois de paix, mettre à la voile 36 vaisseaux neufs.

Je désire également que vous me fassiez dresser le projet d’un vaisseau qui serait mis sur les chantiers de Venise et construit au du royaume d’Italie.

On s’arrangerait de manière à avoir à Venise une escadre de 6 vaisseaux et d’autant de frégates que peuvent armer les matelots du pays, et qui ne laisseraient pas de nous être utiles pour protéger le commerce du Levant, soit contre les Turcs et les Russes, soit pour sortir de la Méditerranée. Il faudrait que ces vaisseaux pussent facilement entrer à Alexandrie.

Je désire que le ministre m’apporte, dimanche après la messe, un rapport sur toute cette dépêche.

Il faudrait envoyer à Cayenne 2 bricks avec les fusils nécessaires à cette colonie. Ces bricks resteraient dans cette colonie et seraient seulement employés en corsaires.

Enfin, puisque notre système de guerre contre les Anglais est une guerre contre leur commerce, il faut se servir de toutes les goélettes, petits bâtiments, et tout mettre en mer.

 

Paris, 31 janvier 1806

Au vice-amiral Decrès

Monsieur Decrès, faites partir demain le capitaine de vaisseau Jacob, pour qu’il aille prendre le commandement de la marine à Naples. Il emmènera avec lui quatre officiers de marine, dont deux ayant le grade de lieutenant et deux d’enseigne. Il prendra les ordres du prince Joseph, qui l’emploiera de la manière la plus utile. Faites partir, dans la journée de demain, un capitaine de vaisseau pour Venise, et un officier attaché à votre ministère, pour visiter les ports de la Dalmatie.