Blocus continental – Conclusions – Le Consulat et le Premier empire
Il serait par trop simpliste de retenir de ces six dernières années de blocus l’échec de la série de mesures prise par l’Empereur pour tenter de mettre à genoux l’Angleterre.
Certes, le blocus continental ruina la façade maritime de la France ainsi que toute l’industrie qui dans l’ arrière-pays travaillaient pour le commerce maritime. Alors que les côtes étaient les plus industrialisées au XVIlle siècle, l’industrie se déplaça vers l’est et le nord pour donner naissance aux grands centres industriels de la France au XIXe et XXe siècle.
Pour François Crouzet l’une des causes majeures du sous développement des régions maritimes fut l’effondrement de leurs industries traditionnelles pendant cette période[1]. Elle perdit également son commerce colonial et son rôle de redistributeur des produits exotiques en Europe. Lorsque le trafic maritime repris dans les grands ports comme Bordeaux ou Nantes après 1815 celui-ci n’atteignit plus jamais un niveau élevé.
Les « guerres françaises » comme les appellent les britanniques ont fait perdre à nos ports leur fonction « d’entrepôts internationaux ». L’une des raisons en étant la perte d’intérêt que représentaient les Antilles au bénéfice des nouveaux marchés sur lesquels les britanniques exerçaient des quasi monopoles (principalement en Amérique du sud). Après la paix, les industries du continent ne purent s’adapter suffisamment vite afin de concurrencer les britanniques.
Mais en contre partie les effets protectionnistes du blocus entraînèrent une croissance industrielle illustrée dans le domaine du coton qui vit l’essor des filatures mécaniques. L’exportation de ce protectionnisme permit la survie de cette industrie en Europe alors que la concurrence anglaise menaçait d’anéantir les filatures à main alors très répandues. On a vu apparaître pendant cette période les grands centres textiles de Lille, Roubaix et Tourcoing [2].
Par ailleurs, la politique d’annexion des pays « contrebandiers » leur permit de bénéficier des avantages qui étaient ceux de la France dans ses rapports commerciaux avec l’Europe. La France constituant pour eux un marché sur lequel les autres industries européennes ne pénétraient pas.
Le bilan du blocus continental peut aussi être résumé pour la France: effondrement du secteur maritime, stagnation de la sidérurgie et de l’agriculture, progrès dans la chimie et surtout dans l’industrie du coton. La production industrielle globale connue ainsi un sensible accroissement.
S’agissant de la Grande Bretagne, même si elle s’en sort mieux que le continent, il serait faux de penser que le blocus continental n’a eu aucune répercussion importante sur son économie. Sur les six années qu’a duré le blocus, il ne s’est montré inefficace que pendant un peu plus de deux ans et demi. Mais le blocus échoua bel et bien, politiquement et économiquement. L’Angleterre n’a jamais été prête à capituler, et même si les structures économique et sociale connurent de grandes difficultés, elles résistèrent.
Deux causes peuvent expliquer l’échec du blocus. En premier lieu des causes extérieures, le blocus n’ayant jamais été appliqué suffisamment longtemps, de la faute même de l’Empereur qui l’hypothéquera à deux reprises en reprenant sa politique de campagne en Europe.
Il y eu d’autre part des facteurs internes à cet échec qui venaient du fait que les hommes d’affaire du continent refusèrent ces mesures qui risquaient de les ruiner. La bourgeoisie européenne resta solidaire de la bourgeoisie anglaise, et la population frappée par la misère participait également à saper les efforts impériaux en s’immisçant dans la contrebande.
Il ne faut pas non plus mésestimer l’esprit d’initiative et la souplesse des hommes d’affaires britanniques qui ont su s’adapter et prendre des risques sur les nouveaux marchés. et ne sous-estimons pas également l’imposante maîtrise des mers que l’Angleterre gardera pendant près d’un siècle et demi.
Les effets du blocus ont conduit à une diminution des investissements dans l’industrie qui en souffrit plus que d’autres secteurs d’activité comme l’agriculture, le transport ou même l’Armée, conduisant à une stagnation de la capacité productive de l’industrie britannique. Mais en revanche il n’a jamais réduit le retard technologique du Continent. Mais paradoxalement il fut nécessaire pour l’implantation et le développement de la Révolution lndustrielle en Europe qui naquit dans le secteur du coton bien protégé dans un cocon protectionniste des attaques d’outre Manche [3] .
« C’est moi qui ai créé l’industrie française » dira Napoléon en 1812 à Caulaincourt, et avec elle celle de nombreux pays d’Europe. Elle a trouvé son terreau dans les législations napoléoniennes prônant la liberté d’entreprise et supprimant les corporations de l’Ancien Régime. En imposant ces mesures à l’Europe on vit la transformation d’un capitalisme foncier en capitalisme banquier, préparant l’essor futur du capitalisme sur le Continent.
L’Europe est sortie de la guerre plus riche en hommes, capitaux [4] et en produits [5] , elle avait donné aux européens le goût de la paix, l’appétit des grandes entreprises, des aventures dans le cadre du monde, rendu possible par le capitalisme industriel. [6]
[1] Op. cit., de la supériorité de l’Angleterre sur la France pp.285 à 286.
[2] L’Europe fut marquée par un grand développement de l’industrie du coton qui compta à la fin de l’Empire plus de 1,5 millions de brochures, alors qu’elles étaient quasi inexistantes sous la Révolution, op. cit. la supériorité britannique pp. 288-289.
[3] Ce système ultra protectionniste sera maintenu en France jusqu’en 1860.
[4] L’Empereur qui voulait vider l’Angleterre de son numéraire n’y parvint que partiellement. Mais il réussit à en tirer une quantité non négligeable non par le système des licences car l’Angleterre interdisant ce mode de paiement, mais en ayant autorisé les Smogglers, contrebandiers anglais qui sur de petites embarcations faisaient le voyage entre l’Angleterre et Dunkerque, à transporter des marchandises françaises en contre paiement numéraire. Le blocus continental fut un facteur important de la dépréciation de la livre sterling. L’inflation qui se développa paralysa l’effort de guerre et fut en partie la cause de l’échec de la cinquième coalition. Ainsi, à la fin de l’Empire en 1815, l’endettement de la Grande-Bretagne sera énorme alors que la France disposera encore de grandes réserves d’or.
[5] Édouard Labrousse, historien.
[6] Le Consulat et l’Empire, op. cit. p. 68