1806 – Dix-Septième Bulletin de la Grande Armée
Potsdam, 25 octobre 1806
Le corps du maréchal Lannes est arrivé le 24 à Potsdam.
Le corps du maréchal Davout a fait son entrée le 25, à dix heures du matin, à Berlin.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo est à Brandeburg. Le corps du maréchal Augereau fera son entrée à Berlin demain 26.
L’Empereur est arrivé hier à Potsdam et est descendu au palais; dans la soirée il est allé visiter le nouveau palais, Sans-Souci et toutes les positions qui environnent Potsdam. Il a trouvé la situation et la distribution du château de Sans-Souci agréables. Il est resté quelque temps dans la chambre du grand Frédéric, qui se trouve tendue et meublée telle qu’elle l’était à sa mort.
Le prince Ferdinand, frère du grand Frédéric, est demeuré à Berlin.
On a trouvé dans l’arsenal de Berlin cinq cents pièces de canon, plusieurs centaines de milliers de poudre et plusieurs milliers de fusils.
Le général Hulin est nommé commandant de Berlin.
Le général Bertrand, aide de camp de l’Empereur, s’est rendu à Spandau; la forteresse se défend; il en a fait l’investissement avec les dragons de la division Dupont.
Le grand-duc de Berg s’est rendu à Spandau pour se mettre à la poursuite d’une colonne qui file de Spandau sur Stettin, et qu’on espère couper.
Le maréchal Lefebvre, commandant la Garde impériale à pied, et le maréchal Bessières, commandant la Garde impériale à cheval, sont arrivés à Potsdam le 24, à neuf heures du soir. La Garde à pied a fait quatorze lieues dans un jour.
L’Empereur reste toute la journée du 26 à Potsdam.
Le corps du maréchal Ney bloque Magdeburg.
Le corps du maréchal Soult a passé l’Elbe à une journée de Magdeburg et poursuit l’ennemi sur Stettin.
Le temps continue à être superbe; c’est le plus bel automne l’on ait vu.
En route l’Empereur, étant à cheval pour se rendre de Wittenberg à Potsdam , a été surpris par un orage et a mis pied à terre dans la maison du grand veneur de Saxe. Sa Majesté a été fort surprise de s’entendre appeler par son nom par une jolie femme; c’était une Égyptienne, veuve d’un officier français de l’armée d’Égypte, et qui se trouvait en Saxe depuis trois mois; elle demeurait chez le gouverneur de Saxe, qui l’avait recueillie et honorablement traitée. L’Empereur lui a fait une pension de 1,200 francs et s’est chargé de placer son enfant.
« C’est la première fois, a dit l’Empereur, que je mets pied à terre pour un orage; j’avais le pressentiment qu’une bonne action m’attendait là. »
On a remarqué comme une singularité que l’Empereur Napoléon est arrivé à Potsdam et est descendu dans le même appartement, le même jour et presqu’à la même heure que l’empereur de Russie lors du voyage que fit ce prince, l’année passée, qui a été si funeste à la Prusse. C’est de ce moment que la Reine a quitté le soin de affaires intérieures et les graves occupations de la toilette pour se mêler des affaires d’État, influencer le Roi, et susciter partout ce dont elle était possédée.
La saine partie de la nation prussienne regarde ce voyage comme un des plus grands malheurs qui soit arrivé à la Prusse. On ne se fait point l’idée de l’activité de la faction prussienne pour porter Roi à la guerre malgré lui. Le résultat du célèbre serment fait sur le tombeau du grand Frédéric, le 4 novembre 1805, a été la bataille d’Austerlitz et l’évacuation de l’Allemagne par l’armée russe à journées d’étapes. On fit, quarante-huit heures après, sur ce sujet, une gravure qu’on voit dans toutes les boutiques, et qui excite le rire même des paysans. On y voit le bel empereur de Russie, près de la Reine, et de l’autre côté le Roi qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric; la Reine elle-même, drapée d’un châle, à peu près comme les gravures de Londres représentent lady Hamilton, appuie la main sur son cœur et a l’air de regarder l’empereur de Russie. On ne conçoit point que la police de Berlin ait laissé répandre une aussi pitoyable satire.
Toutefois l’ombre du grand Frédéric n’a pu que s’indigner de cette scène scandaleuse. Son génie, son esprit et ses vœux étaient avec la nation qu’il a tant estimée, et dont il disait que, s’il en était roi, il ne se tirerait point un coup de canon en Europe sans sa permission.