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Quel type d’homme fut donc Napoléon?

Napoléon Ier sur le trône Impérial, par Ingres, 1806, musée de l'Armée.

Napoléon Bonaparte suscite les émotions. Certains le trouvent héroïque et considèrent ses adversaires comme Napoléon Bonaparte suscite les émotions. Certains le trouvent héroïque et considèrent ses adversaires comme réactionnaire et manquant d’imagination. D’autres le pensent fou d’ambition et responsable de la plupart des malheurs de son époque. Entre ces extrêmes, il y a ceux qui trouvent quelques cotés de l’homme excellents et d’autres regrettables. Cet article propose une étude de l’homme Napoléon, visant à déterminer comment ses actions et les résultats qu’il a atteint peuvent être opposés à l’opinion de ses détracteurs.

Traître à la Révolution ?

Un des accusations souvent élevée contre Napoléon est qu’il « a trahi » les idéaux les plus élevés de la Révolution française, retardant le progrès de la démocratie en France et en Europe. Ceux qui avancent cet argument oublient apparemment que la Révolution a eu aussi son côté noir et fût passablement loin d’être une société idéale. La vie n’était pas plus sûre ni plus prospère. La France n’était pas plus amicale envers l’Europe sous le Comité de sûreté publique ou le Directoire qu’elle ne s’est avérée l’être sous le Consulat ou l’Empire. Les premières réalisations de Napoléon sont un remarquable compromis  entre des idéaux révolutionnaires et les besoins d’un pays saigné à blanc par les excès de gouvernements ayant échoué dans leur tâche. Il a signé la paix d’Amiens, qui mettait fin à des années de guerre. Sa participation enthousiaste et son appui à la codification des lois, concrétisa et assura la révolution sociale. Il a négocié le Concordat et a fait la paix avec l’église catholique, mais en termes révolutionnaires, la subordonnant à l’État, la confession dominante de France retrouvant  son influence affermissante et unificatrice de la vie quotidienne.

Pourtant, compte tenu des conditions particulières qui s’offraient à lui, on dit souvent qu’il aurait pu aller plus loin et établir un état véritablement démocratique, but dont on peut argumenter qu’il serait allé à l’encontre des tendances politiques, tant en France que sur le continent. Les démocraties étaient plus conceptuelles que réelles à cette époque, l’expérience américaine étant encore dans sa prime jeunesse, et on peut avancer que la violence de la décennie précédente avait rendu la population française indifférente aux vertus de la démocratie.

Hors de France, on peut aussi avancer que, que la France ait été un état totalitaire ou une démocratie, était indifférent pour à ses ennemis. Si différence il y avait, une démocratie aurait peut-être causé plus de crainte parmi les états réactionnaires que la monarchie civile qui se mettait  en fait en place. Si ce fut le cas, Bonaparte a agi sans doute plus par pragmatisme que par idéalisme, essayant de résoudre des problèmes étrangers et domestiques par l’établissement d’un gouvernement stable qui semblait, théoriquement, plus acceptable à chacun. Il se peut qu’il ait raisonnablement imaginé que quiconque était capable de réaliser cette transition méritait les rênes du pouvoir.

Un belliqueux ?

Bonaparte est  aussi fréquemment jugé responsable des guerres « napoléoniennes » et considéré comme leur cause principale. On avance qu’il aurait pu empêcher ces guerres avec plus d’habileté diplomatique, et convaincre le reste de l’Europe que le nouveau gouvernement de la France, considéré du point de vue idéologique comme une menace, n’était pas un ennemi. Toutes les fois que cette politique a échoué, il aurait dû gagner les guerres qu’il ne pouvait éviter et négocier des traités généreux, faisant des amis d’anciens ennemis, montrant au monde que la diplomatie, et non pas la guerre, était l’instrument approprié des hommes d’État.

Pourtant, un seul homme, agissant  unilatéralement, pouvait-il s’opposer à des siècles de rivalité et d’agression, mettre fin à l’état de guerre récurrente en Europe ? Durant les deux siècles précédents, il ne se passait pas une décennie sans un conflit ou un autre. Y-eut-il un seul chef d’État de cette époque pour seulement envisager comme possible une paix durable, ou bien ceci n’est-il qu’un concept moderne ?

L’usage, par Bonaparte, de la guerre, pour défendre et agrandir la France était rien moins qu’une chose exceptionnelle, sauf que ce recours fut uniformément réussi, chose que les Bourbons auraient pu lui envier. Si faire la guerre est aujourd’hui considéré strictement comme une politique de dernier recours et en soi inutile, il ne semble pas qu’il y eut un seul acteur important de l’époque de Napoléon qui n’y ait eu recours pour arriver à ses fins. S’il peut être juste d’accuser Bonaparte de ne pas avoir créé une paix durable, une étude de ses contemporains et de leurs politiques montrerait vraisemblablement qu’ils en furent également responsables.

 

Un corrompu ?

Napoléon Bonaparte est souvent décrit par ses détracteurs comme un individu corrompu, privé de la moralité, qui ne savait pas voir que ses actions étaient dangereuses, dommageables, et la cause de grandes souffrances. Ses succès dans la guerre l’ont incité à compter sur la guerre comme instrument politique, et il était peu sensible à son coût humain. L’exécution du duc  d’Enghien fut un crime, l’emprisonnement du pape immoral, et la quête par Napoléon d’une domination totale reflète une psychologie perturbée. L’adage de Lord Acton « la puissance corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument » est constamment identifié à Bonaparte, comme en étant la vérification exemplaire.

Mais cette « dépravation » théorique de Bonaparte fut-elle une chose étrangère à ses contemporains ? On peut supposer qu’il en fut ainsi, sinon on n’en ferait pas tellement cas; pourtant comment cette affirmation résiste-t-elle quand Bonaparte est comparé aux autres monarques ou société dans leur ensemble ? Bonaparte ne devrait pas être jugé sur une base morale, en le comparant à un idéal théorique, mais par rapport à ses contemporains, à des personnes nées à son époque, et vivant dans son monde. Il n’est pas difficile de trouver des comparaisons de corruption. La Grande-Bretagne a financé et a facilité une tentative d’assassinat sur le Premier Consul. Le tsar Alexandre a été impliqué dans le meurtre de son père. En Amérique, Washington et Jefferson ont possédé des esclaves, et Jefferson a utilisé le « nettoyage ethnique » pour étendre ses territoires.  Certains de ces « incidents » étaient assez normaux à leur époque, alors que nous les trouvons maintenant indéfendables. Si Bonaparte était corrompu, il fut certainement en notable compagnie.

Un mégalomane ?

Napoléon est souvent décrit comme étant sous l’emprise d’un gigantesque ego. Son amour du pouvoir, le coup d’état de Brumaire, son refus de démocratie et l’établissement de l’empire, tout est considéré comme témoignage d’une ambition effrénée. Toute comparaison avec des leaders contemporains est considérée comme non pertinente, voire futile, vraisemblablement parce qu’on considère Bonaparte comme supérieur, et qu’ayant été confronté à des occasions uniques, il a tout gaspillé dans la  recherche d’un agrandissement personnel.

Mais si Bonaparte fut en effet unique, et supposé accomplir des exploits dont d’autres hommes ne pouvaient que seulement rêver, n’avait-il pas besoin d’un ego aussi grand que ses ambitions ? Réaliser la démocratie en France et la paix en Europe n’était pas une tâche pour un modeste homme; alors, l’ambition de Napoléon est-elle condamnable simplement parce qu’elle a poursuivi des buts que nous désapprouvons, ou parce qu’il a poursuivi ces buts en utilisant des méthodes que nous désapprouvons ?

Chef d’un état tout puissant, Napoléon a fait de ses propres ambitions celles de la France. Avec un peu moins de pouvoir, il aurait pu agir comme il le souhaitait, et c’est par rapport à cela qu’on le juge. Pourtant, presque tous les états européens furent le reflet des egos de leurs monarques, et peu d’entre eux eurent l’intention de stimuler la démocratie, de limiter leurs frontières, ou d’améliorer des droits civiques. Au contraire ils utilisèrent tous leur position pour satisfaire leurs ambitions, élargir leurs frontières, et augmentent leur contrôle sur la noblesse et le peuple. Il y avait peu de respect pour les petits États, comme ceux en Italie ou en Pologne et les frontières furent re dessinées après chaque conflit. Bonaparte, en telle compagnie, semble être considéré comme mégalomane en grande partie parce qu’il n’a pas hérité de sa position, mais y a accédé, en utilisant les mêmes moyens agressifs  que ceux nés avec le pouvoir, et faisant la même chose plus efficacement.  Il apparaît que les absolutistes peuvent être pardonnés de leurs péchés pour la raison qu’ils sont nés avec, alors que les parvenus sont coupables pour les avoir librement choisis.

Conclusions

Naturellement, Bonaparte ne fut rien moins que pur, rien moins que démocrate, et rien moins qu’un pacifique. Mais, enfin, qui d’autre, occupant un trône en Europe à cette époque, pouvait se targuer de l’être ? Peut-on l’accabler de péchés si tristement communs ? Qu’est-ce donc qui, lorsqu’il s’agit de Napoléon Bonaparte, le rend l’objet de critiques si particulières ?  Est-ce parce qu’il tient une place particulière dans notre imagination, une place que nous voudrions bien être un exemple de notre meilleur coté ?  Son génie, sa chance et le contexte sont-ils suffisants pour le condamner, non pas tant pour ce qu’il fit, mais pour ce qu’il ne réussit pas ? 

Finalement, notre plus grande déception n’est-elle pas, avec Bonaparte, qu’il fut simplement humain ?

 

Cet article est une traduction d’une contribution de , publiée sur le site des NapoleonicSeries. Qu’il reçoive ici l’expression de mes remerciements.