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Sainte-Hélène – Bertrand – Janvier 1818

Le cottage des Bertrand à Sainte-Hélène
Le cottage des Bertrand à Sainte-Hélène

1er Janvier.

Il arrive de Rio de Janeiro une corvette qui a été expédiée à l’arrivée d’un bâtiment d’Angleterre qui en était parti le 10 octobre (1817). Elle-même avait quitté l’Angleterre 8 jours avant. Elle porte des dépêches pour le Gouverneur et pour l’amiral qui sont relatives à l’Empereur. Le Gouverneur envoie des lettres au général Gourgaud, à Mme Montholon et au Grand Maréchal, qui en reçoit une de son père (du 21 juin), de Jules (18 juillet), et Mme Bertrand, une de la princesse Pauline (8 juillet). Elle (la princesse Pau­line) envoie quelques bagages à l’Empereur et demande de ses nouvelles. Il y avait aussi un paquet de lettres pour l’Empereur, qui en renfermait une ou deux de Madame (Mère), une de la princesse Pauline, une du cardinal (Fesch). Ces lettres sont arrivées par le bâtiment de la veille,

L’Empereur reçoit à 5 heures ses officiers, ses dames et les enfants. Mme Montholon est malade. Il donne des corbeilles de bonbons aux dames et aux enfants.

L’arrivée du bâtiment annoncé. Dès l’arrivée du bâti­ment, le Gouverneur envoie des Times d’avril, mai et juin. Le docteur apporte vingt numéros du New Times, du Ier au 20 septembre et un journal de Portsmouth qui contient le mot de Mme Bertrand en présentant son enfant à l’Empereur : le seul étranger qui l’ait approché dans cette île sans la permission du Gouverneur ou du Secrétaire d’Etat.

Le docteur donne lecture d’une lettre d’un officier anglais qui écrit de France que les Français sont idolâtres de l’Empereur, conservent son souvenir et veulent le transmettre à leurs enfants.

Le New Times qui paraît payé par les Bourbons et rédigé par Peltier donne des nouvelles de France dans un grand détail, dans le sens ultra-royaliste. Il dit que Gouvion Saint- Cyr a proposé la cocarde tricolore, ce qui fait supposer que les Bourbons sentent le besoin d’avoir une armée et que Gou­vion n’aura pas vu d’autres moyens que de proposer la cocarde.

Le comte Molé, ministre de la Marine, dit que les Jaco­bins valent mieux que les ultras. On réélirait un cinquième de la Chambre et, d’après le nouveau mode d’élection qui donnera 9.000 électeurs, la Chambre sera nationale.‘ Il est impossible que les Bourbons puissent supporter une Chambre nationale. Ils auraient dû conserver la Chambre introuvable.

 

2 janvier

Arrivée des journaux de juillet, août du Constitutionnel, août, septembre du Times.

Mmes Balcombe qui avaient passé deux jours chez Mme Bertrand partent.

Il paraît qu’il y a une grande agitation en France et en Europe, à Berlin, Breslau et au Wurtemberg.

Le docteur va à Plantation House. Le Gouverneur lui demande des nouvelles de l’Empereur. Il répond qu’il est plus malade. Il lit plusieurs gazettes. Dans un Morning Chronicle, on voit que dans les journaux allemands on a imprimé l’Appel de Santini, qui proteste ou crie contre le traitement qu’éprouve le général. Un article de Yl’Exprinter parle très mal du Gouverneur et de ce qui se passe ici.

Le Gouverneur envoie au comte Bertrand une dépêche renfermant six extraits d’instructions diverses :

  • relativement au buste (du roi de Rome), le Gouver­neur a bien fait de l’envoyer. Il était autorisé à le retenir ou à en différer l’envoi, par la manière clandestine dont il était arrivé ;
  • Lord Bathurst écrit à lady Jernigham et à Mme Dillon pour leur faire connaître que les passes que demandait Mme Bertrand doivent être soumises aux règlements : tout demandeur qui ne sera pas pourvu de son ordre pour cela, le Gouverneur ne doit pas lui permettre de rentrer;
  • relativement à la lettre du général Bertrand à Mme Dil­lon, lord Bathurst a chargé de faire l’achat nécessaire des brochures que demandait le général;
  • ordre de bâtir une maison dans l’enceinte ou de réparer l’ancienne. On ne doit pas bâtir hors de l’enceinte. Le Gouverneur doit le faire sur-le-champ, sans en référer en Angleterre ;
  • vu le caractère du général Bonaparte, le Gouverneur doit s’adresser directement à lui pour les affaires et faire écrire aux personnes de sa suite par un officier d’état-major;
  • relativement aux cadeaux Elphinstone, le Gouver­neur a bien fait de les envoyer, mais s’il en arrivait avec des emblèmes de souverain, il ne doit pas les remettre.

L’opinion générale est que les nouvelles nous sont favo­rables.

Le Phaeton arrive. Il porte une malle du 6 septembre. On n’a, au Cap, que des nouvelles du 29 septembre. A Planta­tion House, on en a du 8 octobre. Reade a dit que l’on ne saura jamais pourquoi on avait expédié ce bâtiment. Ce serait un secret.

« Bourrienne était de moitié avec la compagnie qui four­nissait l’armée. C’était une compagnie de voleurs qui me désolait et qui m’empêcha d’équiper mon armée de Réserve qui était d’une si grande importance dans le moment. Toutes les fournitures étaient détestables, et je ne pouvais habiller mes conscrits. J’écrivis des lettres terribles aux ministres, et je dois cette justice à Bourrienne que, quoique ces lettres fussent contre lui et ses intérêts, elles étaient fidèles, telles que je les dictais. Il flairait l’argent et semblait humer les sommes que j’énonçais dans mes lettres aux divers ministres.

Je fis acheter pour la reine Hortense la maison de Mme Situons. On la fit un million. C’était cher. Cependant, je payai. Longtemps après, étant sorti avec Bessières, je crois, et me trouvant près de Mme Simons, j’entrai chez elle et dans la conversation lui dis :

— Vous m’avez vendu bien cher.

— Son juste prix, répondit-elle : 500.000 francs, ce que je l’ai achetée moi-même.

— Je l’ai payée un million.

— A la bonne heure ! mais je ne l’ai vendue que 500.000. Bourrienne et Talleyrand se sont partagé le reste (…).

Bourrienne avait corrompu toute la Maison. Il faisait des affaires avec Joséphine et Hortense. Tout passait par ses mains. C’était une faute. Rien n’est pire. On dépensait plus ou autrement sous le Consulat que sous l’Empire, parce que cela n’était pas réglé. Sous l’Empire, pour acheter cette maison, le maréchal Duroc l’aurait fait estimer par l’archi­tecte. L’intendant aurait émis son avis.

Dans ce temps, Talleyrand était avec Bourrienne de moitié, mais il trouvait que Bourrienne allait bien vite et lui disait qu’il se perdrait :

— Oh non ! disait Bourrienne, c’est impossible. J’ai cou­ché dans la tente de l’Empereur en Egypte.

Talleyrand me demanda ensuite ce que cela voulait dire ! Je répondis que j’avais une tente composée de plusieurs pièces, que les officiers d’état-major couchaient dans une par­tie. Pour peu que Bourrienne eût été joli garçon, Talleyrand en eût conclu qu’il y avait eu des liaisons plus intimes.

Bourrienne, un jour, fondant presque en larmes, me demanda de lui prêter un million.

— Et pourquoi? dis-je.

— Je veux tout vous dire.

Et il me conta l’embarras où étaient ses affaires.

— Comment! Vous étiez de moitié avec ces fripons qui me volent et vous étiez mon secrétaire! Sortez d’ici.

Je ne l’ai plus revu. Je fis bien, mais j’eusse dû lui dresser le derrière et l’emprisonner. J’avais des moyens de l’attaquer. Il me connaissait bien. Il ne fallait pas faire de moi un ennemi. Il croyait que je ne pourrais pas me passer de lui, que nul autre ne pouvait écrire sous ma dictée. Il se trompait. Je demandai au prince Joseph s’il pouvait me don­ner quelqu’un. Il m’envoya Méneval qui, au bout de huit jours, le remplaça parfaitement.

Le Roi (Louis XVIII) a fait une grande folie de ren­voyer la Chambre introuvable vers qui allait un bel espoir. Il devait maintenir cette Chambre, qui aurait formé une opinion forte dans Paris, la tenir fermement sur ce qui pou­vait réellement alarmer la nation, tel que les biens nationaux. Il fallait cinquante ans pour qu’on soit sans inquiétude; il fallait, au reste, pour entretenir la tranquillité sur ce point, moins des lois que des arrêtés provenant du Conseil qui confir­mait toutes les ventes. Les biens nationaux n’ont pas besoin d’être maintenus mais d’être protégés, car, si on laissait faire les tribunaux, ils évinceraient tous les propriétaires. A peine y a-t-il une vente qui soit enregistrée. C’est pour cela qu’il fallait évoquer toutes ces affaires au Conseil et que j’avais pour principe qu’il fallait confirmer toutes les ventes. Ce fut pour assurer la vente des biens nationaux, comme aussi pour faire rentrer au Trésor quelques fonds — et pendant plusieurs années cela a produit une vingtaine de millions — que j’ordonnai une mesure qui fit d’abord crier, mais dont les propriétaires sentirent ensuite l’importance : c’était d’obli­ger tous les propriétaires à obtenir une décharge et quittance générale de leur payement, qui validât leur acquisition. Cette action est complète, non seulement quand on a payé, mais quand on a quittance. Il y avait des propriétaires qui avaient payé et qui ne redevaient que 50, ou 150 francs; cela suffisait pour empêcher que la vente ne fût consommée. D’autres avaient payé, et d’après l’Echo des propriétaires croyaient être acquittés et ne l’étaient pas. Il fallait que cela fût véri­fié, que le vendeur et l’acquéreur fussent d’accord sur l’échange des propriétés. Quand cela a été fini, les propriétaires ont été fort contents et ont senti l’importance (de cette mesure), quoique, dans l’origine, ils eussent été mécontents d’une mesure qui leur faisait donner quelque argent, mais qui, en réalité, avait consolidé leur fortune.

Tout Français, quelle que soit son opinion, devait dési­rer la conservation de la Chambre introuvable: les royalistes parce qu’elle avait formé une opinion forte dans Paris et procuré les mesures qui pouvaient assurer leur existence, les révolutionnaires, parce que les étrangers qui ne connais­saient pas la France y auraient pris confiance, auraient cru les choses finies et auraient retiré leurs troupes. Dans la réa­lité, rien n’aurait été changé, et quand la nation aurait voulu, elle aurait chassé les Bourbons. Le système des ultras avait ses dangers sans doute, mais enfin, c’était le seul qui pût conduire le Roi à quelques résultats, à moins qu’il n’eût voulu embrasser réellement le parti de la nation, ce qu’il ne veut pas. C’est une folie du Roi et un malheur pour la France que d’être livrés aux constitutionnels. Il n’y a rien de pire que l’esprit constitutionnel. Ils ont assez d’autorité et d’influence pour détruire et faire le mal comme pour faire le bien.

La Constituante n’avait ni armée ni finances. Aujour­d’hui, les constitutionnels et leurs pamphlétaires ne veulent ni conscription ni finance. Cependant l’une et l’autre sont nécessaires.

Les nouvelles de la Gazette feront grand mal à la France. Elles effrayeront les étrangers et les empêcheront de regarder les affaires comme finies. La Convention les effrayait moins parce que la Terreur portait avec elle son remède, au lieu que la Russie elle-même n’est pas à l’abri de l’esprit constitutionnel, que la noblesse russe désire formellement des chambres.

Le résultat sera probablement le partage de la France. L’Autriche prendra l’Alsace, la Lorraine; les Pays-Bas, la Suisse, la Franche-Comté; le roi de Suède, le Danemark. Il y aura ensuite des morcellements. Ils feront le comte d’Ar­tois duc de la Vendée. Ils auront un duc de Bretagne, de Normandie. Ils seront de petits princes qui feront des alliances entre eux, mais avec des troubles pour 50 ans et non le repos dont on a besoin. Il arrivera dans cet intervalle des événements qu’on ne peut prévoir, des morts, des circons­tances qui changeront la politique de certains cabinets. La France prendra le mors aux dents, et après bien des troubles, on n’aura préparé que de nouvelles semences de division et de guerre.

Il eût été plus sage de me laisser après l’île d’Elbe et le Champ de Mai. Je n’étais plus dangereux pour l’Europe.

Il y avait dix ans de paix assurée. On connaissait par quel système je m’étais élevé et avais été culbuté. J’ai toujours pris les ennemis les uns après les autres; je n’ai pu résister à leur entente. La France n’avait jamais eu affaire à toute l’Europe. Avant moi, la République n’avait jamais eu la guerre avec la Russie, et quand elle est venue, la Prusse, l’Espagne et d’autres puissances étaient en paix. Les troupes furent envoyées de la Vendée, du Rhin et de l’Italie. Mon nom eut tenu toute l’Europe réunie. Ces choses ne se renou­velleront pas deux fois. D’ailleurs quand j’avais eu affaire à l’Allemagne, la Confédération du Rhin n’était rien : composée de petits états. Au lieu qu’aujourd’hui la Westphalie, le Wurtemberg ont réellement des armées.

Dans dix ans, j’aurais eu cinquante ans. Mon main­tien était ce qu’il y avait de plus sage, outre qu’en faisant la guerre, on a couru de grandes chances. Si on n’avait pas réussi ?

La Russie n’a pas d’intérêt à annuler la puissance de la France, car c’est agrandir la nation allemande qui est son ennemie naturelle. La Russie mangera l’Autriche, c’est un mal inévitable. Elle sera maîtresse de l’Europe.

 

Le Gouverneur a fait demander au docteur (O’Meara) les preuves de sa nomination à la place qu’il occupe.

 

Les habitants des environs de Chantilly se plaignent de ce que les animaux qui servent aux plaisirs de la chasse du prince de Condé détruisent les moissons.

Les choses étaient bien différentes de mon temps, où les lois seules régnaient. Au lieu que le prince de Condé croit tenir de ses aïeux tous ses droits. Sous l’Empire, les choses étaient fort différentes. Le gibier des forêts impériales n’allait généralement que sur les terres qui en dépendaient, qui étaient affermées. On accordait une déduction sur le prix de la ferme pour le dégât que commettait le gibier. Ainsi personne n’avait à se plaindre. Outre cela, les fermiers ne manquaient jamais quand je chassais de présenter quelque pétition pour un dédommagement, ce que j’ai toujours accordé, quoique, d’après le bail, je pouvais ne pas le faire. Il en résultait que les fermes ne rendaient réellement rien. C’était un sacrifice aux plaisirs de la chasse.

D’ailleurs tout individu avait le droit de tuer le gibier qui passait sur son terrain, et cela se faisait sans que jamais il y ait eu plainte ou menace de l’autorité.

Il arriva que chassant un jour le cerf, le cerf passa sur la terre d’un particulier qui le tua en plein champ. Les chas­seurs étaient furieux et de ce manque d’égard et de se voir frustrés des espoirs de la chasse. Je dis que c’était fort bien et fis, le lendemain, insérer le fait au Moniteur en disant que le propriétaire avait très bien fait, modération qui fit trouver sa conduite et son manque d’égards plus blâmables. Tels furent toujours mes principes et ma conduite.

Jamais de mon temps de pareilles plaintes ne se fussent élevées. On savait que je ne voulais pas abuser, et l’eussé-je fait, on savait que cela ne pourrait aller loin et qu’il y avait des lois.

Ici le cas est différent. Le droit de chasse, les Bourbons ne veulent pas le tenir de la loi, mais de leurs ancêtres. De mon temps, jamais on n’eut vu pareilles plaintes. Ils (les fermiers) auraient présenté une pétition d’indemnité, auraient eu plus que leur récolte ne valait et auraient été contents. On trouvera ainsi dans toutes les circonstances cet esprit de justice et de confiance aux lois, au lieu de cet esprit despo­tique qu’on m’a reproché. »

 

L’Empereur a dîné au salon. Mme Bertrand a été forcée de rester auprès de son fils qui était malade. Le temps a été mauvais. Reade n’est pas venu.

En attendant qu’il ait une réponse, le Gouverneur fait préparer les bâtisses :

— Voudriez-vous qu’on bâtisse en bois quelque chose de provisoire à Longwood ?

 

— J’ai parlé à l’Empereur au sujet de la lettre du Gou­verneur, mais lorsque j’ai voulu la lire, la traduire, il m’a dit de (ne pas) le tracasser et qu’on le laisse mourir en repos.

— Si on veut envoyer quelqu’un à Plantation House conférer avec le Gouverneur sur cela…

— Le Gouverneur sait qu’on a déjà répondu à cela. Il y a 18 mois, il écrivit au Grand Maréchal à ce sujet. Je lui ai répondu la lettre que voici.

 

Le Grand Maréchal est allé chercher dans sa chambre cette lettre :

— Sans doute, vous apportez la première lettre. Le Gouverneur doit connaître cela. (Il laisse la lettre).

On insiste pour avoir une réponse.

— Mais elle a déjà été faite. Lisez.

L’interlocuteur reprend la lettre et s’arrête à la fin de la première page :

— Tout cela est désobligeant pour moi à lire. (Il laisse la lettre). Est-ce là votre réponse? Voulez-vous exposer à l’Empereur cette conversation puis vous répondrez.

Il sort et le Grand Maréchal le salue.

L’Empereur dicte le chapitre XXII de la bataille de Zurich.

Dîner chez l’Empereur. Il trouve Mme Bertrand fort élégante.

Mme Montholon éprouve des douleurs pour accoucher.

L’amiral vient chez le Grand Maréchal. (Il était à dîner chez l’Empereur). Il pensait le rencontrer chez sa femme. Il dit qu’il reviendra. Effectivement il revient à 4 heures 1/2. On prévient le Grand Maréchal qui sort de chez l’Empereur. L’amiral demande à voir l’Empereur. Le Grand Maréchal répond que l’Empereur est souffrant, que dans la nuit il a pris un bain à minuit, qu’il n’a pu dîner, qu’il est fâché de ne pouvoir voir l’amiral.

Celui-ci dit que, bien entendu, s’il n’est pas venu, c’est qu’il a été malade; que ce n’est que depuis 10 jours qu’il est sorti; que lorsque le Grand Maréchal et le général Gourgaud sont venus chez lui, il était sur son sopha et n’a pu les voir; qu’il croyait être venu à l’heure convenable; que le Grand Maréchal lui avait dit la dernière fois que 3 heures était l’heure la plus convenable; qu’il paraît qu’on a changé l’heure du dîner; que l’Empereur dînait, avant, à 8 heures et à présent à 3 heures.

Le Grand Maréchal avait communiqué à l’Empereur qu’il paraît que l’amiral a juré qu’on ne se souciait pas de le voir. Il affecte d’être ennemi du Gouverneur, ce qui est absurde. Dans un personnel d’état-major d’un bataillon, on peut l’être de tel ou tel individu. Au dîner du Camp, il a affecté de ne causer qu’à Reade. Le Gouverneur s’est em­pressé de sortir à cause de cela. Voilà où mène une première faute.

Mme Montholon accouche d’une fille à midi.

L’Empereur sort, et le docteur Livingstone arrive en disant : dès la matinée suivante, elle ne souffrira plus. Le docteur pense que la douleur a dû être très pénible et très grande; que c’est une des plus grandes douleurs qu’on puisse souffrir. L’Empereur dit au Grand Maréchal qu’elle n’a pas beaucoup souffert; que cela le confirme dans l’opinion que la douleur est limitée comme le plaisir et qu’elle n’est pas infer­nale comme on le prétend. Quand la douleur est trop grande, l’homme s’évanouit.

L’Empereur plaisante le Grand Maréchal, comme il l’a fait plusieurs fois, sur le petit Henri (Bertrand) : « Il fau­drait le manger, il serait très bon. Si on était en mer sans rien, ne mangerait-on pas son fils ? Il y a plusieurs exemples, dans les sièges, de femmes qui ont mangé leur enfant. »

On parle de la proposition que fit Merlin à Mayence de manger les blessés pour prolonger la défense. L’Empereur demande : l’auriez-vous fait ? Le Grand Maréchal répond que non : l’évacuation était peu de chose comparée aux inconvénients pour la société qu’est l’anthropophagie : c’est un crime affreux, désolant à dévoiler. Les historiens anciens cherchaient à en étouffer le souvenir. Il en est ainsi de l’inceste.

L’empereur dit :

« Ce sont des choses très différentes. La vertu des femmes n’est qu’une convention. Les Juifs et Ies Athéniens épousaient leurs sœurs. Il ne répugnait pas à un père de coucher avec ses filles, comme Loth avec les siennes, mais il répugnerait bien autrement à un fils de coucher avec sa mère. Ce dernier cas, je crois, est rare. La diffé­rence entre ces deux derniers cas est très grande. Le père est, au fond, pour peu de chose dans la procréation des en­fants; il y est pour une étincelle électrique, on ne sait trop de quelle manière. Au lieu que la mère y est pour tout; elle a porté neuf mois un enfant dans son sein. C’est donc une chose très différente. Le père n’est jamais bien sûr de l’être, du moins dans la génération des créatures; pour la mère, cela est toujours incontestable. »

 

Le Grand Maréchal dit : l’inceste est un mal bien plus dangereux que l’adultère, parce qu’une fille peut renvoyer l’amant avec qui elle a fauté, non le père ou le frère avec qui elle a eu des rapports qu’on ne peut tolérer.

 

La vertu, dit l’Empereur, est tellement une chose de convention que la fille, si elle est bien élevée, détourne la tête, de peur des inconvenances qu’il y a à beaucoup de choses. C’est une sottise de Bernardin de Saint-Pierre dans Virginie et c’est une folie d’écrire que Virginie aima mieux se noyer que de laisser voir ses seins. Cela n’est pas dans la nature et dénote un caractère simple. Les femmes, comme en Egypte, cachent leur figure aux dépens du reste !

L’impératrice (Marie-Louise) était toute simple et ne se doutait de rien quand elle arriva. Elle me disait volontiers, les premiers soirs : J… encore ! Depuis, elle s’en défendit quand elle sut ce que c’était. En rougissant, elle me disait qu’elle n’avait jamais dit cela, que c’était pure invention – de ma part. Lorsqu’elle arriva je lui demandai ce qu’on lui avait dit à Vienne. On lui avait répété qu’elle aurait une entrée directe aux Tuileries, qu’on la placerait aux pieds de l’Empereur, que probablement il la relèverait et qu’ensuite elle ferait ce qu’il voudrait.

— Eh bien, lui dis-je, je veux ce soir coucher avec vous.

— Très bien, dit-elle.

Et elle en était fort impatiente, par cette curiosité naturelle aux femmes. Elle savait qu’il y avait un mystère, mais d’ailleurs n’en avait aucune idée et était bien aise de le connaître.

Elle avait une grande qualité, c’était de dire toujours la vérité. Elle se conduisait de manière à n’avoir rien à cacher. C’était le contraire de Joséphine qui mentait tou­jours et commençait toujours par dire : Non, à tout, quitte à revenir après :

— Vous avez vu Mme B.

— Non.

— Vous l’avez vue.

— Ah oui ! effectivement, je n’y pensais plus.

— Bon, disais-je. D’abord sur la défensive, d’abord nier et ensuite convenir.

L’impératrice Marie-Louise ne voulait lire aucun roman. Elle disait que cela gâtait l’esprit, qu’elle avait assez de sa musique, de son dessin, de ses coquetteries pour passer son temps et qu’elle n’avait pas besoin de livres. »

 

Le Grand Maréchal dit à l’Empereur que la fille de Mme Montholon est née coiffée. Il répond : Et moi aussi, je suis né coiffé.

 

L’Empereur se couche de bonne heure, soit qu’il soit fatigué de la dictée continue, soit pour toute autre raison.

N(overraz ?) va chez M. Balcombe.

Le Gouverneur a dit qu’il était fort extraordinaire que l’Empereur ne voulût voir que le docteur O’Méara et lui Balcombe quand il avait refusé de voir le général Bingham, l’amiral et le gouverneur de l’Ile de France.

Balcombe a répondu que l’Empereur avait le champ libre et qu’apparemment il avait été satisfait de la manière dont il avait été reçu (aux Briars). Le Gouverneur dit que ses filles ont reçu des corbeilles, mais que les assiettes ont été envoyées par Napoléon et demande si Balcombe les a rendues et qui lui avait dit de les rendre. Il répond que c’est Mme Bertrand. Le Gouverneur dit qu’il ne doit jamais chez le docteur O’Meara dire rien de ce qui regarde la maison.

L’Empereur dit qu’il voit son médecin, son pourvoyeur ou son cuisinier, cela est dans l’ordre.

Le soir, conversation sur l’artillerie divisionnaire. L’Empereur veut supprimer les caissons, les gargousses de fer blanc.

L’Empereur envoie au Grand Maréchal les corrections sur la campagne de Hollande du duc d’York.