Lettres de Marie-Louise – Mai 1814

Schaffhouse, 8 mai 1814

Mon cher Ami.

Il y a bien longtemps que je ne t’ai pas écrit, je ne sais comment faire passer mes lettres, je n’ai pas même la ressource de les adresser au Vice Roi, car il est allé à Munich. J’ai reçu tes deux bonnes petites lettres du 27, l’une à Bâle et l’autre aujourd’hui. Tu sais combien je t’aime et tu peux penser alors au plaisir qu’elles ont du me causer, mais il n’a pas été sans mélange, l’idée de te savoir exposé aux insultes du peuple m’a cruellement affectée, j’ai du courage pour souffrir les maux qui me sont personnels, mais je n’en ai pas pour supporter ceux que tu as pu endurer.

J’écrirai à mon père que tu a été content de ton commissaire, cela lui fera plaisir. Je lui ai écrit l’autre jour [le 4 mai] par rapport aux intérêts pécuniaires, sois sûr, mon cher Ami, que tu es toujours présent à ma pensée, que je voudrais pouvoir arranger tes intérêts au mieux et que je voudrais pouvoir te prouver toute ma tendresse.

Ton fils t’embrasse, il se porte bien, il a été un peu dérangé ces jours-ci, mais Corvisart a dit que cela venait de ce qu’il mangeait trop de viande froide dans la journée, de sorte que nous faisons arrêter pour lui faire manger de la soupe. Il fait des progrès d’une grande intelligence, et il parle à merveille, il fait l’admiration de toutes les personnes qui le voient, on le trouve un bien bel enfant. Ma santé est passable, le voyage me fatigue aussi beaucoup mais j’espère que les eaux me remettront entièrement. On m’a reçue à merveille partout tant en France qu’en Suisse. J’ai vu de bien beaux pays, j’ai vu le lac de Zurich et le lac de Constance qui sont d’une beauté remarquable mais je ne suis pas capable à présent de jouir des beautés de la nature, je suis trop triste, je reste insensible à tout, hormis au plaisir d’avoir de tes lettres.

J’ai été bien contente de voir que la Princesse Pauline voulait aller avec toi, elle a un bien bon coeur, mais elle est bien heureuse de pouvoir te suivre. J’attends avec bien de l’impatience de tes nouvelles, je te prie de m’écrire bien souvent, j’envoie cette lettre par la princesse Metternich, je ne sais pas d’autre moyen pour le moment. Je suis ici chez la princesse de Waldsee, j’en pars demain pour traverser le Tyrol, et je serai le 20 à Vienne d’où je t’écrirai plus au long; je t’écrirai aussi encore dans la route. Je t’embrasse et t’aime de tout mon coeur.

Ta fidèle Amie Louise

(Cette lettre ne parviendra pas à Napoléon

 

Schönbrunn, 24 mai 1814

Mon cher Ami.

Je ne t’ai pas écrit depuis bien longtemps, j’en ai bien souffert mais ne m’accuses pas d’oubli, cela serait la chose qui me ferait encore le plus cuisant des chagrins que j’ai éprouvé jusqu’à présent. Je crains même que cette lettre ne te parvienne pas, j’essaie cependant toujours, j’aime mieux qu’elle s’égare que d’avoir à me reprocher d’avoir manqué une occasion où j’aurais pu t’en donner de mon fils.

Comme je passe tristement mon temps loin de toi, je sens tous les jours ce vide de plus en plus, je fais des voeux pour te revoir. Ta bonne lettre du 24 [ = 27 avril] m’a été remise à Melk, c’est mon père qui me l’a envoyée, j’ai été bien contente en apprenant que tu es arrivé heureusement; cette nouvelle tardait à venir, et je t’assure que j’en étais bien tourmentée. Je suis aussi bien contente de voir que tu trouves l’île jolie, j’espère que le climat en est sain, et que ta santé n’en souffrira pas, j’espère que tu m’enverras quelqu’un qui pourrait me décrire tout cela, comme je le questionnerais, mais je t’impatienterais à force de questions. Je veux te broder un meuble pour ta chambre, je veux qu’elle ne soit ornée que de ma main.

Ton fils t’embrasse, il ne s’est jamais mieux porté qu’à présent, il grandit et se fortifie d’une manière étonnante, et il devient aussi tous les jours plus spirituel et plus intelligent, on trouve ici qu’il te ressemble beaucoup, c’est une raison de plus pour qu’il me soit bien cher. Je ne conçois pas qu’il n’ait pas été fatigué du voyage, je ne lui ai jamais vu le teint aussi frais qu’à présent, il me parle beaucoup de toi, je lui en parle encore plus.

J’ai été reçue à merveille ici, j’ai été bien touchée de la manière dont ma belle mère et toute ma famille ont bien voulu me recevoir, mais j’ai été mécontente de moi, je n’ai pas eu de plaisir à les revoir, je deviens indifférent à tout, je voudrais que cela puisse me rendre insensible, j’en aurais besoin.

Ma santé se remet un peu, je suis moins souffrante mais je ne vais pas bien encore, je suis fatiguée, j’espère que les eaux me remettront et que je n’aurai plus à te parler d’une chose aussi ennuyeuse que celle là, que pour te dire que je me porte entièrement bien.

M. Corvisart me charge de le mettre à tes pieds, il est obligé d’aller faire un séjour à Paris pour ses affaires, mais il m’a promis de revenir au bout d’un mois me rejoindre à Aix, en attendant il me donne M. Métivier [Mitwen] et un chirurgien nommé M. Herault qu’il me garantit bon.

La Duchesse, le général Caffarelly, M. de Saint-Aignan partent aussi lundi, je resterai donc seule avec mes tristes pensées, j’aime à m’y entretenir, la gaieté est finie pour jamais chez moi.

Le Comte de Lobau (Mouton, maréchal de France) arrive aujourd’hui ici, il doit rester 3 jours avec moi, je serai contente de le recevoir, il a été si attaché à toi que je serai contente de causer avec lui.

Je te prie de me donner de tes nouvelles, je les attend avec bien de l’impatience, en attendant je t’embrasse et t’aime bien tendrement.

Ta fidèle Amie Louise