Coudreux – 1808 – Histoire du Consulat et du Premier empire

Thorn, le 1er janvier 1808.

Depuis ma dernière lettre, nous nous sommes encore rapprochés de la France. Nous occupons aujourd’hui la ville de Thorn, où nous espérons rester quelque temps. Notre nouvelle garnison est extrêmement agréable. Les femmes de Thorn sont aimables, jolies, et surtout folles de la danse et des plaisirs bruyants; nous leur don­nons dans huit jours un bal, qui sera brillant et qui, j’espère, nous fera honneur auprès de nos belles alliées.

En attendant, je suis accablé d’occupations. Je suis à la fois adjudant-major, adjudant de place, commissaire pour le bal, etc., etc., et je trouve à peine un moment pour me rappeler à ton souvenir et pour te faire les compliments d’usage à l’occasion du nouvel an.

Thorn, le 9 février 1808.

Notre départ de Varsovie pour Thorn est le seul motif du retard que tu as éprouvé dans ma correspondance.

On parle toujours de partir pour les grandes Indes. On prétend que les armées française, russe et persane se réuniront à Astrakhan. La Russie fournira5 dit-on, les canons, et la Perse, les munitions et les vivres. Si ce grand projet-là s’exécute, nous ne sommes pas près de nous revoir.

En attendant, nous venons de fraterniser de notre mieux avec les officiers russes prisonniers qui viennent de France, et que notre auguste Empereur renvoie dans leur pays avec tous les honneurs qui leur sont dus. Depuis huit jours, il n’a été question que de bals et de grands dîners; nous avons épuisé tous les magasins de vins de la ville de Thorn, et il serait de toute impossibilité de trouver ici maintenant une seule bouteille de champagne. Nous avons bu comme des enragés; les Russes se sont noblement grisés, et nous les avons renvoyés enchantés de nos procédés.

Après des bamboches aussi éclatantes, tu dois penser que les finances de messieurs les officiers du 15e sont terriblement délabrées : avant- garde, corps d’armée, réserve, tout y a passé. Il me reste encore 21 fr. 10 pour faire le garçon. Je serais donc véritablement dans la débine si le papa Cotillon, mon brave lieutenant-colo­nel, ne venait pas au secours de la deuxième personne de son état-major.

Thorn, le 17 février 1808.

Honneur soit rendu, mon cher capitaine, au zèle infatigable avec lequel tu travailles à l’ins­truction de tes guerriers! Que j’aimerais à voir nos Tourangeaux braver courageusement les rigueurs de la saison et ne rêver que tactique et maniement des armes! Les progrès les plus rapides seront le prix d’un dévouement aussi beau ! Il ne faut pourtant pas que l’enthousiasme les emporte trop loin; en ma qualité de militaire expérimenté, je vous recommande le sang-froid, et je vous engage surtout à ménager les jambes de vos instructeurs.

En lisant ta dernière lettre, mon bon ami, j’ai admiré la chaleur avec laquelle tu me parles de votre double déjeuner; par un concours admirable de circonstances, nous vidions à peu près dans le meme moment les flacons de bour­gogne et de champagne. Vous avez infaillible­ment bu à la santé de l’armée, et, comme nous ne manquons jamais de boire de notre côté à celle de notre beau pays, nos santés se sont reîicontrées à peu près à moitié chemin.

Encore une fois, l’accueil que nous avons fait aux officiers russes a été très brillant; mais, comme nos bourses ne sont pas à beaucoup près aussi ferrées que les vôtres, il en est résulté que sept ou huit jours de ripaille nous ont réduits à être sans le sol : c’est ainsi, par exemple,que je me suis vu un moment ruiné de fond en comble; j’étais même en état de faillite, puisque, devant payer un frédéric d’or, je ne possédais plus que 4 thalers. Pour réparer le désordre de mes finances, j’ai tiré 240 francs sur les amis de Paris payables le 12 du mois prochain; fais-moi donc l’amitié de leur con­firmer l’avis que je leur en ai donné, afin que mon mandat soit accueilli.

Les plaisirs et la danse vont toujours leur train, et j’ai parfaitement la réputation d’un homme galant. Il existe dans nos bals une dou­zaine de vieilles dames auprès desquelles je suis sans cesse aux petits soins. Je voudrais que tü me visses danser gravement une polonaise avec l’une d’elles, dont la plus jeune a plus de cin­quante années! Je suis d’honneur le cheval de bataille du régiment! Une polonaise avec une maman nous procure les demoiselles une heure de plus, et, grâce à mon intrépide assiduité, nous dansons toujours jusqu’à cinq heures du matin.

Adieu.

Thorn, le 15 mars 1808.

J’arrive de Varsovie, où je fus envoyé dans les derniers jours du mois passé pour les affaires du régiment. J’étais chargé de deux missions assez importantes : il s’agissait pre­mièrement de défendre devant un conseil spé­cial la cause d’un soldat de mon ancienne com­pagnie qui a tué un paysan dans un château où il était en sauvegarde. Il fallait, en outre, justi­fier auprès de Son Excellence la conduite d’un officier qu’on avait accusé d’enlever une cer­taine baronne assez laide et surtout très maus­sade que son vieux mari redemandait pourtant à cor et à cri. L’officier, qu’on voulait desti­tuer, en a été quitte pour quinze jours d’arrêts, et le pauvre diable de chasseur, qu’on parlait de fusiller, pour trois mois de prison, avec invi­tation très formelle â l’une et l’autre partie de laisser désormais tranquilles les baronnes et les paysans.

Je suis donc rentré à Thorn, aussi fier de ce double succès que la circonstance pouvait le permettre, quand tes deux lettres des 15 et 24 février se sont trouvées là, comme mars en carême, pour me rabattre le caquet; dans la pre­mière tu prétends que nous nous faisons tuer comme des moutons ; dans la seconde tu me dis à peu près que nous mangeons notre argent comme des imbéciles! Je t’avoue, mon cher capitaine, que deux apostrophes aussi vigoureuses m’ont fait une vive impression; je ne pouvais te pardonner de me regarder comme un sot après un voyage aussi brillant que je venais de terminer, et, dans un mouvement d’une trop juste colère, je fus sur le point de t’écrire pour t’envoyer un cartel, mais je fis en­suite réflexion qu’il ne fallait jamais avoir de démêlés avec ses supérieurs, et, en ma qualité de simple lieutenant, je pris le parti de m’en tenir à quelques raisons solides pour te prouver que je n’ai pas d’aussi grands torts que tu vou­drais bien me le faire croire.

Je pose en fait que des gens d’honneur peuvent se battre au pistolet; je te citerai à l’ap­pui de cette assertion : 1° l’exemple de notre compatriote, M. Brulé, qui se fit tuer quelques années avant la Révolution par M. de Laf……… qui tira mieux que lui; 2° celui du brave général Reynier qui envoya dans l’autre monde le général Destaing  qui revenait d’Égypte et qui devait se marier huit jours après; 3° et enfin, celui tout récent du lieutenant général Bruden qui, pour cette fois, ne tua point son adversaire, le comte de Wefrey, quoiqu’ils aient tiré deux coups chacun et à dix pas de distance.

Je passe au deuxième chef d’accusation : Tu ne conçois pas, dis-tu, comment, de gaieté de cœur, nous mangeons notre argent pour des Russes que nous ne reverrons jamais! Vrai propos de bourgeois, mon cher capitaine! vrai propos de bourgeois, que j’ai beaucoup de peine à te pardonner! Quand il s’agit de donner à des officiers de nation étrangère une opinion avan­tageuse de la nôtre et du bon esprit qui règne dans nos régiments, crois-tu que nous nous amusions à calculer d’avance la dépense que nous allons faire pour eux? Nous sommes plus fiers que cela dans le 15e et nous eussions vendu nos chevaux, nos claques, nos boucles d’argent et autres objets de luxe, plutôt que de souffrir qu’il en passât un seul sans se griser en portant la santé de notre Empereur! Me voilà, je l’es­père, pleinement justifié à tes yeux; la manière victorieuse avec laquelle je viens de réfuter les divers paragraphes de tes deux dernières, t’en­gagera sans doute à être plus circonspect à l’avenir; je te le conseille même fort si tu ne veux pas attraper quelque mauvaise plaisan­terie à l’occasion de ta compagnie des gardes à pied, dont les journaux qui parlent de celles d’Orléans, d’Agen, de Toulouse, etc., n’ont pas encore dit un mot, de peur d’être forcés de n’en rien dire de bon.

Notre voyage aux Grandes Indes est sans doute quelque chose de fort incertain; provisoi­rement, nous venons d’être équipés tous à neuf, et on vient de distribuer en même temps aux soldats des bidons, des gamelles et des marmites ; tout cela prouve au moins qu’on n’a pas envie de nous renvoyer en France.

Si tu veux te donner la peine de regarder un moment la carte de Prusse, tu verras que nous sommes ici à cent cinquante lieues de Magdebourg.

M. Métivier sera demandé au général Mellavesne par M. le colonel Desailly.

Adieu, mon ami, crois-moi tout à toi de bonne amitié.

Adieu, mon ami, crois-moi tout à toi de bonne amitié.

Thorn, le 2 avril 1808.

Depuis ma dernière du 16 passé, j’ai reçu la tienne du 4 dernier. Je te remercie encore une fois, mon cher ami, des soins que tu as bien voulu prendre pour qu’on fît honneur à mon mandat sur MM. Gaudelet Dubernard et Cie, Cette maudite Pologne sera le tombeau de la moitié de nos officiers et la ruine de nos bourses. D’un côté une fièvre maligne nous enlève à chaque instant quelques-uns de nos camarades, et de l’autre, on discrédite la monnaie de Prusse, et on fait augmenter de 33 pour 100 les comestibles et les denrées. Nous prenons pourtant notre mal en patience, et nous aimons tant notre auguste Empereur, que nous irons encore cam­per l’été prochain si bon lui semble, sans laisser échapper le moindre murmure.

D’après toutes les apparences, Sa Majesté sera déjà passée dans vos murs, au moment où tu recevras celle-ci (ndlr : Napoléon traversera Tours le 3, sans s’arrêter, en route pour Bayonne). J’aime à croire que nos Tourangeaux se seront fait remarquer dans cette circonstance, par leur empressement et le plus vif enthousiasme. Je lis depuis quelques jours les journaux français avec beaucoup d’at­tention, dans l’espoir de t’y voir figurer à la tête de tes gardes à pied!

Il faut convenir, mon ami, que tu viens d’éprouver des contre-temps bien désagréables! Mais du courage et de la patience! Un jour vien­dra où messieurs les Anglais ne bloqueront plus nos vaisseaux dans nos ports; le commerce ira son train, et tu gagneras alors, dans un seul mois, autant d’argent que moi pendant vingt ans de services et de gloire.

Que dis-tu de notre nouvelle noblesse? Si mon brevet d’adjudant-major fût arrivé à Tilsit huit jours plus tard, je serais aujourd’hui M. le chevalier! Mais on ne peut être payé deux fois! Je me console cependant de mon obscurité, en pensant que je serai capitaine le 1er janvier pro­chain, et, tout bien calculé, j e ne crois pas y perdre. D’ailleurs, qui peut répondre qu’avant six mois nous ne nous battrons pas comme des enragés? N’avons-nous pas encore deux ou trois rois à détrôner en Europe, sans compter les projets d’expéditions aux Indes et en Amérique?

Je conserve donc l’espoir de devenir noble à mon tour, et comme il est probable que je ne serai plus bon à rien quand je demanderai ma retraite, je t’engage à travailler sérieusement à la fortune de M. Émile, afin qu’il puisse un jour devenir l’héritier et le successeur de M. son oncle dans tous ses titres et dignités.

Adieu, mon ami, je vous embrasse de grand cœur et suis tout à vous.

Thorn, le 18 avril 1808.

Depuis huit jours nous n’avons plus de com­munications avec la rive gauche de la Yistule; les glaces ont emporté notre pont et obstruent encore la rivière. La Yistule a dans ce moment près d’une demi-lieue de largeur; le fameux pont de Thorn, que nous regardions comme un chef-d’œuvre de solidité, n’a pas résisté cinq minutes. Cette débâcle a vraiment eu quelque chose d’épouvantable; depuis vingt ans on n’avait rien vu de semblable.

Thorn, ce 14 juin 1808.

J’ai bien reçu, mon cher ami, les deux der­nières lettres que tu m’as écrites. Depuis trois semaines nous avons eu tant d’occupations que je n’ai pas trouvé un moment pour y répondre plus tôt.

Tandis que vous faisiez de brillants prépa­ratifs à l’occasion du voyage de Leurs Majestés le roi et la reine d’Espagne (Entrée en France du roi Charles IV et de la reine Marie-Louise à la suite des événements d’Espagne. Arrivés à Bordeaux, le 16 mai, les souverains catholiques n’arrivè­rent que le 23 à Fontainebleau.), nous avions le bonheur de posséder à Thorn notre général de divi­sion, M. le comte de l’empire Friand. Nous avons manœuvré devant lui plusieurs jours de suite, et nous avons enfin subi la nouvelle orga­nisation voulue par les derniers décrets de Sa Majesté Impériale.

Notre régiment est donc actuellement com­posé de o bataillons, dont deux en Portugal et trois à Thorn; nous avons toujours le même colonel, quatre chefs de bataillon, cinq adju­dants majors, dix adjudants et dix chirurgiens. J’ai conservé ma place au premier bataillon.

Le séjour de la Pologne nous coûte toujours beaucoup d’argent, et beaucoup de soldats; en même temps que nous payons tout au poids de l’or, la fièvre et le scorbut nous enlèvent tous les jours quelques-uns de nos chasseurs. Je suis le seul officier de la garnison qui n’ait pas été atteint. Ma robuste santé résiste à tout.

En récompense, ma bourse est dans un état déplorable; c’est aujourd’hui le 14, et déjà je n’ai plus le sou; pour comble de malheur, le retour de la belle saison nous occasionne encore de nouveaux frais; nos uniformes, que la dernière campagne avait cruellement outragés, n’osent plus prendre l’air; il faut tout renou­veler à un prix excessif. Prends donc bonne note, mon cher ami, de mon mandat de ce jour de 240 francs payable à 20/30 jours de date sur MM. Gaudelet Dubernard et Cio de Paris. Je compte sur un accueil favorable; il sera comme à l’ordinaire envoyé à M. Bellet, notre quartier à Paris.

Une maladie dont je ne te parlais pas fait aussi tous les jours de nouveaux progrès dans le 3e corps d’armée! C’est la fureur d’épouser les dames polonaises. Les officiers du 15e régi­ment en paraissent particulièrement atteints. Deux de nos lieutenants-colonels se marient dans quinze jours; trois capitaines et deux lieu­tenants dans un mois, et pour comble de bam­boches, tous nos vieux troupiers font arriver de France à peu près une douzaine de vilaines femmes qui vont bien relever dans ce pays la réputation des dames françaises que la figure de nos vivandières avait un peu altérée. J’espère que l’envie du mariage ne me possédera pas de sitôt; cependant je ne voudrais pas en répondre, car encore une fois nos épouseurs sont vraiment possédés d’une espèce de rage, qui ressemble beaucoup à une épidémie. Adieu, mon cher ami. Parle-moi du passage de la Cour d’Es­pagne, et crois-moi de tout ton cœur ton sincère ami.

Thorn, ce 27 juin 1808,

Je te confirme, mon bon ami, ma dernière lettre du 15 courant, par laquelle je t’annonçais mon mandat de 240 francs sur MM. Gaudelet Dubernard et Cîe de Paris.

Il m’est arivé depuis deux événements désa­gréables qui viennent encore me couper la bourse d’une manière cruelle. Le 24 de ce mois sur les six heures du matin, je dormais d’un profond sommeil; mon domestique, qui venait d’entrer chez moi pour y prendre mes habits, laissa ma porte ouverte, et, une heure après, quand je sortis de mon lit, je m’aperçus qu’on m’avait enlevé ma bourse, une fort belle montre en or, une paire d’éperons en argent et mes épaulettes.

En ma qualité d’adjudant de place, j’eus de suite à mes ordres tous les agents de la police; deux heures après on m’amena un personnage entre les mains de qui je retrouvai ma montre et mes autres effets, mais mes espèces sont définitivement perdues.

Pour comble de guignon, mon domestique mena le même jour mon cheval au vert dans rintérieur des fortifications; une vipère le piqua à la jambe gauche de derrière, un peu au-dessus du paturon; on le ramena avec beaucoup de peine à r écurie, et en dépit des secours de tous les artistes vétérinaires de la ville, j?ai eu le malheur de perdre ma belle Vestale, dont je refusais encore 22 louis d’or il y a quinze jours.

Je ressens vivement cette double perte qui me fait tort de plus de trente louis.

Thorn, ce 26 juillet 1808.

Je viens de recevoir, mon cher ami, ta der­nière du 27 du mois passé; elle ne m’est par­venue qu’après vingt-quatre jours de marche; ce retard a sans doute été occasionné par la crue considérable des rivières qui ont endommagé presque tous les ponts; celui de Thorn a presque entièrement été rompu par d’énormes radeaux que la force du courant avait entraînés.

La guerre est ici à l’ordre du jour; on ne dit point avec qui, mais on s’attend à se mettre en mouvement d’un moment à l’autre. Nous venons d’envoyer chercher à Posen quatre-vingt mille cartouches à balles et deux paires de souliers par homme. Les troupes qui occupent les avant- postes ont aussi reçu des munitions; on vient également d’envoyer à Varsovie douze bateaux chargés de canons, de poudre et de boulets. Veut-on réellement recommencer à se battre, ou bien sont-ce seulement des démonstrations dont le but serait d’intimider quelque cabinet qui n’accorde pas assez vite ce qu’on lui demande? Nous vous laissons, messieurs les politiques, le soin de résoudre la question. En attendant, nous sommes prêts, et malheur à ceux qui nous forceront de nous mettre à leurs trousses. Tout le monde est tellement convaincu que nous ne tarderons pas à avoir quelque occupation, que chacun fait déjà ses dispositions; nos dames de France ont reçu l’ordre de rétrograder; nos vieux officiers font leur testament et dispo­sent gravement d’un millier d’écus économisés depuis quinze ou vingt années; nos jeunes gens, pendant ce temps-là, demandent à grands cris de l’argent pour payer leurs dettes, et tous attendent avec impatience l’ouverture d’une nouvelle campagne qui ne manquerait pas de nous procurer de l’avancement, des croix et des lauriers! Moi-même, mon cher ami, je veux mettre aussi de l’ordre dans mes affaires, et tu trouveras ci-inclus un double de mon compte avec toi. J’espère pourtant que je recevrai encore quelques lettres de toi à Thorn, car nous avons la louable habitude de ne commencer la guerre qu’aux environs de septembre et octobre, c’est-à-dire quand les moissons sont faites, et par conséquent les greniers remplis.

Pour mon compte particulier, je serai charmé de quitter Thorn. En môme temps que nous y dépensons un argent d’enfer, nous avons encore le désagrément d’y être tourmentes par des ma­ladies de toutes espèces;les fièvres et le scorbut nous ont déjà enlevé quatre-vingt-douze soldats depuis six mois et nous avons constamment trois cents malades aux hôpitaux. Jusqu’à ce moment, j’ai eu le bonheur de conserver ma santé, mais aussi je suis sans cesse sur le qui- vive. Je dépense régulièrement trente sols par jour en tabac, en cochléaria, en eau de Dantzig, et autres drogues anti-scorbutiques. Le scorbut est devenu pour nous une maladie incurable ; tous ceux qui en ont été atteints ont succombé.

Tu dois trouver, mon cher ami, que je dé­pense un argent considérable, mais tu peux faci­lement calculer ma dépense et ma recette de tous les mois.

Je reçois du gouvernement 44 thalers de Prusse (un thaler nous est compté pour 3 fr. 14 et ne vaut réellement que 3 fr. 12).

Ma pension me coûte…………………… 30     thalers.

Mon cosmétique………………………… 2      —

Mon blanchissage………………………. 4      —

                                                                         36

Il me reste donc 8 thalers pour payer le bot­tier, le tailleur, le perruquier,, etc., et faire le garçon. En France, au contraire, avec 45 francs j’ai une excellente pension et, tous frais défal­qués, il me resterait encore tous les mois 72 à 80 francs de net. Nous avons donc quelque raison de ne pas chérir ce pays-ci.

Tu dois voir clair comme le jour que je serais gueux comme un rat d’église si je n’avais pas de temps en temps recours à toi, car enfin, outre qu’il faut vivre, il faut encore acheter tous les ans des habits, du linge, etc., etc. Je borne au reste ma dépense le plus que je peux et je t’as­sure que j’estime l’argent tout ce qu’il vaut.

Je n’ai pu encore réussir à trouver un cheval pour remplacer ma Vestale. Je me sers provi­soirement du cheval de mon domestique qui n’est pas mauvais, mais qui est bien d’ailleurs un des plus vilains coursiers de la division. Il va donc encore m’en coûter là une trentaine de louis et peut-être même davantage, car les bons chevaux sont d’une rareté prodigieuse et exces­sivement chers; la dernière guerre a tout en­levé; une chose également désagréable, c’est qu’on ne trouve pas communément des che­vaux hongres, messieurs les Polonais ayant l’habitude de se servir de chevaux entiers.

Si je parviens à me monter comme il faut, la caisse du régiment me fournira les fonds néces­saires et je rembourserai ensuite M. le quartier maître en un mandat sur les régiments de Paris.

Adieu, mon ami, je ‘vous embrasse tous de bien bon cœur.

Tout à toi.

27 juillet 1808.

Nous avons été toute la nuit sur pied. Le tonnerre est tombé hier au soir à cinq heures sur un magasin rempli de cordages et de chanvre; tout a été brûlé. C’est une perte con­sidérable pour le propriétaire. Ce bâtiment n’étant qu’à portée de pistolet de l’arsenal, toute la ville était dans des transes horribles; heureu­sement, il n’est point arrivé d’accident quoique le feu ait duré jusqu’à neuf heures du matin. Adieu, je vais me mettre au lit; j’ai tant crié et j’ai été tellement mouillé que je crains d’avoir attrapé la fièvre.

Thorn, ce 12 août 1808.

J’ai reçu ta lettre du 14 passé. Je conviens que j’ai eu le plus grand tort d’étaler mes es­pèces et mes bijoux sur une table de nuit, mais cependant cette malheureuse table n’était pas à quatre pieds de moi.

L’incendie dont je t’ai parlé dans ma dernière m’a valu trois accès de fièvre très violents. Le quinquina est venu de suite à mon secours et, depuis huit jours, ils n’ont pas reparu. J’espère donc en être entièrement débarrassé. Mon indis­position ne m’a pourtant pas empêché d’aller à la foire de Lowitsch avec mes officiers supérieurs nouvellement mariés. Cette foire, la plus consi­dérable de la Pologne, vaut presque la foire de Guibrai. Il s’y fait un commerce considérable en tout genre, et particulièrement en bois de construction et en grains. Nos messieurs y ont acheté très cher de très beaux équipages. J’y ai aussi fait l’emplette d’une assez belle jument russe qui m’a coûté vingt-huit louis d’or. Jus­qu’à ce moment j’en suis extrêmement content, et quoique cette dépense soit énorme, je m’en console par l’espoir d’être bien monté pour quelques années. J’ai vu vendre à la foire un cheval cosaque trois cent cinquante ducats de Hollande! C’est un cheval dont un Français n’aurait pas donné vingt louis; le seigneur polo­nais n’a pourtant pas fait un mauvais marché; les bons chevaux cosaques sont effectivement inappréciables.

La caisse du régiment m’a fait toutes les avances dont j’ai eu besoin pour l’achat et pour l’équipement de mon cheval et j’ai remboursé monsieur l’officier payeur en deux mandats sur Paris dont je te plie, mon ami, de prendre bonne note, afin qu’ils reçoivent tout l’accueil que mérite la confiance qu’on m’a accordée ici.

Notre garnison de Thorn est toujours rui­neuse pour nous en raison de l’excessive cherté des marchandises et des pensions. Croirais-tu qu’on paye ici 60 francs un chapeau qu’on achète à Paris 32 francs.

Le scorbut continue à nous enlever beaucoup de monde. Cette terrible maladie vient de prendre un caractère singulier : elle attaque les nerfs avec violence, et tous ceux qui ont été atteints depuis quinze jours, sont entièrement estropiés. On fait partir ces jours-ci trente-six soldats et deux officiers pour les eaux de Warmbrunn en Silésie. On croit que c’est le seul moyen de les tirer d’affaire. Je suis obligé d’aller faire trois fois par semaine la visite de l’hôpital, et je t’assure que je prends toutes mes précautions pour ne pas gagner ce détestable mal.

Il a été convenu entreM. Morin, notre officier payeur, et moi, qu’il me ferait tous les mois une haute paye de 5 fr. 70, dont je le rembourserai seulement tous les quatre ou cinq mois, pendant tout le temps que nous resterons ici. J’aurai réellement besoin de cette augmentation, nos appointements suffisant à peine aux dépenses ordinaires, de manière que les trois quarts et demi de nos officiers sont sans le sol. M. Morin m’a compté cette somme à partir du mois der­nier. Comme tu le vois5 mon cher ami, je dé­pense considérablement d’argent, mais conviens qu’il est vraiment désolant d’être sans cesse obligé de calculer à un thaler près.

Thorn, ce 31 août 1808.

Je viens de recevoir, mon cher ami, ta lettre du 14 courant; j’avais déjà appris par les jour­naux que vous aviez eu le bonheur de posséder dans vos murs Leurs Majestés Impériales et Royales! Il paraît que vous étiez parfaitement sur vos gardes et que vous les avez reçues d’une manière digne d’elles et de vous.

Nous partons de Thorn le 10 septembre pour nous rendre en Silésie. Notre destination est Glogau, ville très forte située sur les bords de l’Oder. Les 111e et 33e régiments qui sont de brigade avec nous ont déjà commencé leur mou­vement.

Je compte sur toi, mon cher ami, pour l’ac­quit de mes deux mandats sur Paris dont ma dernière du 13 courant te donnait la note.

Toutes les nouvelles sont à la guerre; les Autrichiens n’auront assurément pas beau jeu.

Adieu, j’aurai le soin de t’écrire souvent.

Je vous embrasse tous de grand cœur.

Nimptsch, ce 4 octobre 4808.

Avant mon départ de Thorn, j’ai reçu, mon cher ami, ta lettre du 28 août passé. Pour un capitaine de gardes d’honneur, il faut avouer que tu as quelquefois un style bien bourgeois! Une somme de 300 francs n’est sans doute pas une bagatelle, mais crois-tu donc qu’on puisse se monter pour rien dans un pays comme la Pologne où la guerre a enlevé plus de soixante mille chevaux de toute espèce? Le mien, qui me coûtait vingt-huit louis, n’était que fort ordinaire et pourtant il n’était pas payé trop cher…

Nimptsch, ce 4 octobre 1808.

Je suis actuellement propriétaire d’une des plus belles bêtes que l’on puisse voir. C’est une jument normande, âgée de 6 ans, provenant du général français Levai, qui est retourné en France à la suite d’une blessure très grave, qu’il avait reçue à la bataille d’Eylau. M. le pre­mier président du comité de Thorn l’a payée quarante-cinq louis, à l’époque où les chevaux étaient presque pour rien, par la raison que nos cavaliers se montaient alors partout sans com­pliments ni cérémonies. Voici en deux mots l’histoire de la Belle Coquette.

J’étais adjudant-major de la place de Thorn. Deux jours avant mon départ, messieurs les Magistrats voulurent me prouver leur gratitude par un cadeau d’une trentaine de frédérics d’or que je leur renvoyai sur-le-champ. M. le prési­dent fît alors mettre dans mon écurie, à la place du mien, son propre cheval, et je reçus en même temps un billet ainsi conçu : « Monsieur le Major, je vous prie d’accepter, en échange de votre cheval, celui que je vous envoie : c’est une excellente bête; je vous assure que vous en serez parfaitement content. » Mon colonel m’ayant permis de faire cet échange, Coquette est restée entre mes mains, et pour son début, elle vient de faire avec moi en cinq jours le che­min de Thorn à Breslau, c’est-à-dire quarante- deux milles. J’en suis effectivement satisfait.

Depuis le premier du mois, nous sommes cantonnés; nous occupons trois petites villes, savoir : le 1er bataillon, Nimptsch; le 2e à Strehlen, et le 3e Ohlau. La troupe est casernée très agréablement et les officiers logent en ville.

La Silésie est un pays magnifique qui vaut presque la Touraine; c’est avec raison que le vieux Frédéric en faisait tant de cas; elle offre des ressources inépuisables; avant la guerre, c’était un vrai pays de cocagne! Actuellement, tout y est très cher et cependant une excellente pension ne coûte que soixante francs par mois. On boit d’excellent vin de France à trente sols la bouteille. J’espère que nous pourrons nous dédommager un peu ici des dépenses excessives que nous avons faites en Pologne où tous nos officiers se sont ruinés; il n’en est pas un qui ne redoive à la caisse un et deux mois d’appoin­tements.

Dans ta lettre du 28 août qui est, entre nous soit dit, une sévère mercuriale, tu prétends que j’allais un train d’enfer? Cela peut être vrai, mais de grâce fais encore une fois mon compte. Je reçois par mois 160 francs, c’est-à-dire 44 thalers; j’en payais trente pour ma pension; il en restait donc quatorze pour mon entretien, celui de mon cheval et mes plaisirs. Si tu veux faire attention avec cela qu’un adjudant-major est obligé de vivre à l’état-major de son régiment et qu’il doit être en tenue du matin jusqu’au soir, tu ne seras pas étonné qu’avec 70 francs par mois j’étais encore les trois quarts du temps sans le sol; pense donc, mon cher ami, qu’on n’est pas à son aise dans un pays où l’on paie un chapeau 60 francs, une paire de bottes 50 et le reste à proportion. J’entre avec toi dans tous ces détails pour te convaincre que, loin d’aller un train d’enfer, je menais au contraire un très petit train, puisque je ne dois pas un denier à personne.

L’arrangement que j’ai fait avec l’officier payeur à partir du 1er juillet ne subsistera pas longtemps et je te prie de me faire l’honneur de croire que, dans notre métier mieux que dans aucun autre, on apprend à ne point jeter son argent par les fenêtres.

Maudite Pologne ! Quand nos chasseurs sont arrivés à la barrière où on lisait en grosses lettres : Silésie, ils ont jeté des cris de joie! Cha­cun faisait ses adieux aux Polonais de cent manières différentes, toutes plus drôles les unes que les autres î

Frankenstein, ce 2 novembre 1808.

Depuis ma dernière en date de Nimptsch, j’ai reçu, mon cher ami, celle que tu m’as adressée à Glogau. J’avais déjà lu dans nos journaux le détail de mille réceptions brillantes que vous avez faites en France aux soldats de la Grande Armée et j’ai vu avec un bien grand plaisir que les habitants de Tours ont eu l’honneur d’être cités dans un article particulier; un accueil aussi flatteur et, entre nous soit dit, si peu ordinaire, va encore redoubler le courage de nos braves et infatigables légions et messieurs les révoltés ne seront pas aux noces quand elles vont leur tom­ber sur les bras. Si les Anglais osent les attendre, ils verront ce que c’est que d’avoir affaire aux baïonnettes d’Austerlitz et de Friedland.

J’aurais bien voulu que le 3e corps d’armée fût aussi destiné pour l’Espagne; malheureuse­ment, il est décidé que nous passerons l’hiver en Saxe. Nous avons déjà reçu notre ordre de départ, et avant huit jours nous aurons évacué la Silésie.

Nous avons fait Lier nos adieux à M. de  Salaignac, lieutenant dans mon ancienne com­pagnie, qui vient de passer aide de camp de M. le général de division Drouet (d’Erlon), gouverneur de Bayonne. C’est un brave et estimable offi­cier, qui emporte nos regrets et notre amitié. Je lui ai donné une lettre pour toi et il te la remettra à son passage à Tours, Je te prie, mon cher ami, de lui préparer d’avance quelques mots de recommandation pour tes amis de Bordeaux, Mont-de-Marsan, Bayonne, Bilbao et Madrid. En meme temps que tu l’obligeras beaucoup, tu rendras peut-être un grand service à tes amis d’Espagne. Il est extrêmement officieux, et, pendant le séjour que nos troupes ne manque­ront pas de faire dans le pays conquis, il peut trouver l’occasion de leur être utile.

Je ne t’engage point à lui faire bon accueil; je compte trop sur ton attachement pour moi pour ne pas être persuadé d’avance que tu verras avec plaisir un de mes meilleurs cama­rades.  Offre-lui de l’argent; il n’aura pas de besoin, mais il me saura le meilleur gré de ton procédé. M. de Salaignac est enfin un jeune homme d’excellente maison, et aussi recommandable pour ses bonnes qualités que pour ses talents.

Le départ de ce jeune officier laisse une place vacante dans le cœur de M. le colonel qui lui était tendrement attaché. J’ai l’espoir de parvenir à le remplacer auprès de lui; je suis déjà en bon chemin.

Adieu, mon cher capitaine. Je vous embrasse tous de grand cœur.

Tout à vous.

Frankenstein, ce 12 novembre 1808.

Depuis ma dernière du 2 courant, je n’ai point reçu de tes nouvelles. Pourquoi, mon cher ami, restes-tu donc aussi longtemps sans m’écrire? Si M. de Salaignac n’est point passé au moment où tu recevras celle-ci, il ne devra point tarder à paraître. Je te renouvelle la prière que je t’ai déjà faite, de le traiter comme un de mes cama­rades.

Le jour de notre départ est fixé au 17 de ce mois. Nous ne connaissons point encore notre destination; nous savons seulement que nous traverserons la Saxe pour nous rapprocher des bords du Rhin. Je me mettrai en route le 16 pour aller d’avance faire le logement de mon régiment. Nous quitterons la Silésie comme nous quittons tous les pays où nous séjournons quelque temps, c’cst-à-dire sans regret. Nous n’en regardons pas moins ce pays-ci comme un des plus beaux de l’Allemagne.

Nous ne faisons plus actuellement partie de la Grande Armée, et nous serons à l’avenir dési­gnés sous le nom d’Armée du Rhin. La Grande Armée a été dissoute par un décret de Sa Majesté.

J’attends avec impatience des nouvelles d’Es­pagne; dis-moi donc bien vite, mon ami, tout ce que tu pourras en apprendre. Je vous souhaite à tous toutes sortes de prospérité et je vous embrasse de bien grand cœur.

Tout à toi.

Kulmbach, ce 21 décembre 1808.

Je commence à désespérer de toi, mon cher capitaine. Je te croyais mort ou parti pour l’Es­pagne avec ta compagnie! Le moyen, en effet, d’imaginer que tu es chez toi, que tu te portes bien, que tu n’as pas grand chose à faire, et que tu me laisses pourtant trois grands mois sans répondre à une seule de mes lettres.

Je suis étonné que Salaignac ait tant tardé à paraître : il devait être à Tours dans les der­niers jours de novembre. Tant pis pour lui s’il a fait le paresseux; on se sera battu sans lui en Espagne, et, à sa place, j’en aurais été bien fâché. A propos de l’Espagne, il paraît que nos affaires ont été grand train. Néanmoins, d’après diffé­rents rapports particuliers, nos soldats ont eu quelques grands coups de collier à donner. Jus­qu’à ce moment, il ne paraît pas que les Anglais veuillent en tâter.

Pour un ancien dragon, pour un ancien com­mandant de place, et enfin pour un capitaine de gardes d’honneur à pied, il faut convenir que tu n’as pas de notre métier des idées très étendues ni très exactes! Tu me demandes froidement si je suis proposé pour avoir la croix; si je serai capitaine bientôt; si j’aurai une compagnie avec. Conviens donc de bonne fois mon cher ami, que tu n’es plus bon qu’à garder la maison et par­dessus tout à porter l’épaulette! Je veux bien cependant t’expliquer tout cela, mais à condition que tu n’y reviendras plus.

D’abord, j’observe que la croix d’honneur ne s’accorde qu’à la suite de quelque grande affaire où l’on perd beaucoup de monde et où l’ennemi en perd encore dix fois davantage : il faut donc attendre, pour l’avoir, que mon régiment se trouve encore une fois ou deux au milieu des balles et des boulets! Secondement, je te répète que je serai capitaine le 12 janvier qui vient! c’est-à-dire capitaine adjudant-major, au lieu de lieutenant adjudant-major, ce qui ne change que le grade et pas du tout le traitement pécuniaire ! Troisièmement, enfin, je te répète que je ne suis pas libre de prendre une compagnie, et que jamais un adjudant-major ne prend de com­pagnie, à moins qu’il ne déplaise souveraine­ment à son colonel, ou qu’il ne puisse plus ni marcher ni monter à cheval. L’adjudant-major intelligent, qui sait faire son métier et ména­ger en même temps l’estime et l’amitié de ses chefs et de ses camarades, est sans contredit un officier très heureux et d’autant plus à même de jouir de mille faveurs particulières, qu’il ne se dit pas un mot dans le régiment pour le bien du service et qu’il ne se donne pas un ordre de deux lignes sans que tout cela lui passe par les mains. C’est assez vous expli­quer, mon cher et très honoré capitaine, que, si vous serviez dans mon régiment, vous ne manqueriez pas une seule occasion de m’ôter votre chapeau et de m’inviter à déjeuner.

Tu verras par la date de celle-ci que nous avons entièrement quitté la Prusse et que nous occupons actuellement la principauté de Bay- reuth; on croit que nous n’y serons pas long­temps, et que nous nous rapprocherons de Mayence.

Nous avons marché trente jours pour venir de Frankenstein à Bayreuth et Kulmbach; nous avons traversé tout le royaume de Saxe, et nous avons vu en passant la belle ville de Dresde, que je ne puis comparer à aucune de nos villes de France que je connais. C’est une ville qui n’a que neuf cents maisons et quatre-vingt-cinq mille habitants.