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Les Français en Prusse – Chapitre 11

Les événements dont il va être question dans ce chapitre sont d’une date postérieure à ceux qui font principalement l’objet de ce travail, mais ils s’y rattachent intimement. Nous espérons démontrer, par des documents irrécusables que le sort des populations du royaume de Westphalie, dans lequel se trouvait comprise la Hesse, n’était pas aussi déplorable que le prétendent certains écrivains français.

Ce fut le 20 décembre 1807, que le souverain de ce royaume, créé par le traité de Tilsit et dont Cassel devenait la capitale, vint s’installer dans le château des Électeurs, Wilhemshoehe, qu’on appelait alors Napoleonshoehe, et qui plus tard devait être aussi la résidence d’un autre Napoléon, à la suite d’une catastrophe sans exemple dans l’histoire [1]On ne connaît que trop la catastrophe à laquelle nous faisons allusion. Mais on ignore généralement que Wilhemshoehe a aussi sa place marquée dans les fastes de l’industrie française. Ce … Continue reading .

Jusqu’à l’arrivée de Jérôme, ses futurs États avaient été administrés par une régence composée des conseillers d’État Siméoti, Jollivet et Beugnot. Ce dernier s’ennuyait fort de son tiers de royauté provisoire. Il écrivait à l’ancien ministre de France à Cassel, que quand on avait visité les jets d’eau, cascades et autres magnificences de Wilhemshoehe, « on n’aspirait plus qu’à une chose, retourner bien vite à Paris, pour y raconter combien tout cela était beau. »

Napoléon 1er avait promis aux populations de Hesse-Cassel un sort plus heureux, l’exonération des corvées militaires, une diminution et une répartition plus équitable des charges publiques. Ces promesses lui ont valu une sévère objurgation de l’écrivain que nous avons cité plus d’une fois. Suivant lui, « les malheureux Hessois, dont les ossements blanchirent avec les nôtres sur tous les champs de bataille, allaient bientôt savoir ce qu’ils devaient penser de ces roucoulements de colombe. Ils ne furent que trop tôt mis à même de faire la comparaison… » [2]Lanfrey, III, 496.

Cet écrivain s’imagine probablement que la population hessoise jouissait d’une félicité sans mélange sous cet électeur bassement insulté, qu’elle passa brusquement des délices de l’âge d’or aux tortures de l’âge de fer. Nous ne prétendons aucunement assimiler le règne de Jérôme Napoléon à ceux d’Antonin ou de Marc-Aurèle. Mais c’est aller aussi par trop loin en sens inverse, de prétendre que le sort de ces populations avait notablement empiré sous le régime français. Nous nous en référons sur ce point au témoignage des écrivains les plus hostiles aux Bonapartes, même au curieux et scandaleux pamphlet intitulé le royaume de Westphalie et Jérôme (1820).

La constitution de ce nouveau royaume était l’œuvre du ministre secrétaire d’État de Napoléon, Hugues Maret. On sait que l’éducation politique de ce personnage, probe et laborieux par excellence, s’était faite sous la Constituante. Le spectacle des excès révolutionnaires avait modifié ses anciennes tendances libérales, mais sans les détruire. Dans toutes les constitutions auxquelles il a mis la main, il s’est efforcé d’introduire quelque chose des réformes fondamentales inaugurées en 1789. Agir autrement leur eût semblé indigne de la France, de Napoléon lui-même, dont il a été le serviteur le plus fidèle, comme le plus fervent admirateur. Le statut de la Westphalie faisait, il est vrai, une large part à l’autorité royale. Mais pour ces populations précédemment assujetties aux abus d’un régime féodal suranné, c’était déjà un bienfait considérable, que l’établissement d’un statut constitutionnel qui « consacrait l’égalité absolue de tous les sujets devant la loi, » qui supprimait « tous privilèges de corporation, tous privilèges individuels, tout servage, sous quelque dénomination que ce fût » ; qui conservait sans doute la noblesse, mais « sans qu’elle donnât ni droit exclusif à aucun emploi, ni exemption d’aucune charge publique. » On voyait également figurer, parmi les lois organiques du nouveau royaume, le Code civil français, notre système monétaire, celui des poids et mesures, la publicité des jugements, l’institution du jury. Les États, appelés à voter les impôts et les lois, devaient se composer de cent membres, dont soixante-dix propriétaires fonciers, quinze commerçants et quinze lettrés nommés par les collèges de départements. C’était une nouvelle application de l’adjonction des capacités réalisée en Italie, adjonction particulièrement convenable dans le nouvel État, où les Universités tenaient une si grande place.

En envoyant cette Constitution à son frère, l’Empereur y joignait les plus sages avis. Il lui disait, entre autres choses :

« ce que désirent avec impatience les peuples d’Allemagne, c’est que les individus qui ne sont point nobles et qui ont des talents, aient un égal droit à votre considération et aux emplois…. Les bienfaits du Code Napoléon, la publicité des procédures, l’établissement du jury, seront autant de caractères distinctifs de votre monarchie. Je compte plus sur leurs effets que sur le résultat des plus grandes victoires… Voilà bien des années que  je mène les affaires de l’Europe, et j’ai eu lieu de me convaincre que le bourdonnement des privilégiés était contraire à l’opinion générale. Soyez roi constitutionnel…. »

Malheureusement ces conseils si remarquables furent trop souvent perdus de vue par celui qui les recevait, et aussi par leur auteur.

Mais, comme on l’a dit avec raison, toutes ces réformes, introduites dans des constitutions, dans des chartes même mal exécutées, sont des semences qui ne sauraient périr. On a pu les étouffer momentanément, mais elles vivaient, fermentaient au fond des âmes. Les conseils des monarchies absolues comprenaient mieux Napoléon sous ce rapport que ne le comprennent aujourd’hui quelques Français, quand ils voyaient en lui le représentant de la Révolution. Eux-mêmes étaient entraînés dans cette voie par le cours irrésistible des choses. Dès 1807, le fameux baron de Stein, devenu premier ministre de ce qui restait de la Prusse, y reproduisait plusieurs de ces réformes de 89, que le gouvernement impérial établissait en Westphalie et en Pologne. Un édit autorisait les bourgeois à acquérir certains immeubles jusque-là réservés aux nobles, un autre abolissait la corvée, etc…. On était forcé, en un mot, d’imiter la France, pour pouvoir conspirer de nouveau contre elle avec quelque chance de succès.

Enfin l’établissement d’une organisation militaire calquée sur celle de la France, fut une amélioration immense pour la population du nouveau royaume, et principalement pour celle du ci-devant électorat. Cette vérité fera bondir certains démocrates, mais nous sommes en mesure de la démontrer mathématiquement.

D’après l’acte constitutionnel, l’armée, pour le royaume entier de Westphalie, devait être portée au moyen de la conscription à 25,000 hommes, tandis que sous le régime précédent, le chiffre de la seule armée hessoise s’élevait, on s’en souvient, à trente trois mille. « Le recrutement par le moyen de la conscription n’était pas nouveau en Allemagne, où, de temps immémorial on faisait tirer les paysans au sort…. Les Hessois surtout s’y soumettaient docilement, toutes les fois qu’il prenait fantaisie à leurs princes de les vendre…. [3]Le royaume de Westphalie et J. B., p. 56

Mais l’application de la loi française introduisait dans cette opération ce changement considérable, d’un caractère libéral.

Toutes les classes de citoyens allaient être désormais soumises à la conscription, dont les nobles étaient exempts précédemment…. La nouvelle organisation faisait également disparaître plusieurs règlements arbitraires pesant principalement sur les campagnes, où les Électeurs craignaient toujours de ne pas trouver assez de soldats pour l’exportation. Certaines industries étaient absolument interdites à ces serfs militaires. Aucun, par exemple, ne pouvait s’établir épicier, s’il n’était affecté de quelque infirmité le rendant tout à fait impropre au service. Après sa restauration, l’Électeur s’empressa de rétablir ces règlements; celui concernant l’épicerie était encore en vigueur en 1828 !

La loi militaire du royaume de Westphalie avait encore sur le régime précédent l’avantage de rendre les grades supérieurs accessibles aux sous officiers roturiers. La fantasmagorie des « ossements hessois blanchissant sur tous-les champs de batailles », ne résiste pas à l’examen des faits. Il n’y eut d’employé dans la guerre de la Péninsule, que six mille hommes du royaume entier de Westphalie, qui figurèrent principalement au siège de Gironne. La plupart des officiers se conduisirent bien, mais les soldats, qui avaient devant eux des Allemands à la solde de l’Angleterre, désertaient en masse pour les aller joindre parce que ceux- là étaient mieux payés. Il n’en fut pas de même en 1812 ; le contingent Westphalien se battit courageusement et fit de terribles pertes. Mais la totalité de ce contingent ne s’élevait qu’à dix-huit mille hommes, toujours pour le royaume entier. Pendant la campagne de 1813, les troupes Westphaliennes étaient profondément travaillées par les agents de l’Angleterre et ceux du Tugendbund (Société de la Vertu). Les vertus qu’on leur prêchait, n’étaient autres que la fuite et la désertion. Ces manœuvres n’eurent en général que trop de succès : dès le début de la campagne, un régiment entier de cavalerie passa à l’ennemi.

Plus tard on vit une colonne de 600 soldats Westphaliens, que commandait un général également Westphalien, s’enfuir à toutes jambes, sans brûler une amorce devant dix éclaireurs prussiens armés comme l’on sait de ces méchants pistolets et de ces lances à banderoles que nos paysans appelaient des gaules en 1870. Suivant un témoin oculaire, les fuyards, dans cette dernière campagne, ne ralliaient plus, ils s’empressaient de changer leurs uniformes pour des habits de paysans [4]Il y eut toutefois d’honorables exceptions, notamment dans le corps de l’artillerie. .

Somme toute, pendant la dernière moitié du dix-huitième siècle, il avait péri en combattant contre nous dans l’Inde et l’Amérique, vingt fois plus de soldats appartenant à la Hesse seule, qu’il n’a péri de 1808 à 1813, de gens du royaume entier de Westphalie sous les drapeaux français.

A peine réintégré dans ses États, l’Électeur y fit ce qu’auraient voulu faire alors en France ces royalistes qui « n’avaient rien appris ni rien oublié » ; il restaura purement et simplement l’ancien régime. « La censure fut établie. Cette mesure, dit un auteur allemand contemporain, était la conséquence nécessaire du fait de la restauration dans une contrée qui, sous une domination étrangère, avait vu diminuer ses impôts, abolir des corvées onéreuses, aliéner les biens du prince, ceux de la noblesse et du clergé. Lorsqu’on voulut rétablir les corvées, etc…; considérer comme des spoliateurs les acquéreurs de biens vendus, le mécontentement devint général…. Rien n’était plus impolitique, plus injuste que le décret qui déclara que les nouveaux acquéreurs seraient admis à réclamer, pour toute indemnité, le montant de la plus value des biens que reprenaient les anciens propriétaires.. [5]Stein .

Pour parfaire le tableau du bonheur de ces populations rendues à leur maître légitime, il faut dire encore que leurs impôts étaient fort augmentés. De tout ce qui avait été fait en son absence, l’Électeur n’avait respecté qu’une chose, le système français d’impositions. Seulement il y avait rajouté les anciennes charges. Il en agissait ainsi par avidité et non par besoin ; non seulement sa fortune n’avait fait que prospérer pendant ses années d’exil, mais il avait touché de l’Angleterre environ deux millions d’indemnité, et à peu près autant de la France. Le pauvre homme !


 

 

References

References
1 On ne connaît que trop la catastrophe à laquelle nous faisons allusion. Mais on ignore généralement que Wilhemshoehe a aussi sa place marquée dans les fastes de l’industrie française. Ce domaine avait été, au commencement du dix-huitième siècle le premier théâtre des expériences d’engins à vapeur de l’illustre et malheureux Papin, attaché comme ingénieur au service de l’Électeur alors régnant. Ce fut aussi de Cassel qu’il partit en 1707 sur un bateau qu’il manœuvrait lui-même avec une machine à feu. Il n’alla pas loin, il est vrai; cette barque, prototype rudimentaire de la navigation à vapeur, fut arrêtée et mise en pièces, quelques lieues plus bas, par les mariniers du Weser. (V. la Vie de Papin, publiée d’après des documents nouvellement découverts, par M. de la Saussaye, de l’Institut).
2 Lanfrey, III, 496.
3 Le royaume de Westphalie et J. B., p. 56
4 Il y eut toutefois d’honorables exceptions, notamment dans le corps de l’artillerie.
5 Stein