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Le régiment de cavalerie légère de la Garde (Polonais) à Wagram

Passage du Danube le 5 juillet 1809
Passage du Danube le 5 juillet 1809

[1]  Jamais je n’ai entendu une telle canonnade que pendant cette première journée de la bataille de Wagram. Cette canonnade paraissait peut-être aussi forte parce que nous étions déployés en ligne immobile et que, n’étant pas au milieu du feu, nous n’étions pas assourdis par les coups de canon très voisins.

Dans la vaste plaine, un feu ininterrompu de mousqueterie, et, si l’on peut faire des comparaisons, ce feu crépitait comme une eau bouillante, tandis que le feu des canons faisait comme les basses dans un orchestre.

Quoique le feu fût très nourri, le premier jour, notre régiment ne le vit pas de près; nous étions au commencement à l’aile droite, ensuite nous allâmes au centre et la nuit nous surprit ainsi, une nuit éclairée par la lueur de plusieurs villages qui brûlaient.

Le collègue Milutowski m’écrit que, le 25 juillet, il couvrait l’aile droite avec des hussards et des dragons dont plusieurs furent faits prisonniers; au même endroit le lieutenant Prazmovski manqua d’être pris par l’ennemi, mais je ne me rappelle pas ces détails.

Comme il y avait 6 escadrons de notre régiment, il était difficile à un officier, gardant son peloton, de voir ce qui se passait dans les 30 autres. Je répète donc que (pendant que le feu se ralentissait, mais était assez intense pour que, par erreur, l’infanterie saxonne fût aux prises avec l’infanterie française) [2] notre régiment campa presque au centre auprès d’un immense parc d’artillerie; moi, comme convalescent, je passai la nuit sous un canon qui me donna son hospitalité. Le feu avait dû quand même se ralentir, puisque je fus réveillé en sursaut par le bruit du canon, à l’aurore.

Plaque commémorative du "Sachsenklemm"
Plaque commémorative du « Sachsenklemm »

Mon ordonnance venait de conduire mon étalon andalou pour le faire boire, quand retentit la sonnerie: à cheval l Je montai sur le cheval normand, acheté à Olszewski [3] , sellé avec une selle de domestique et, immédiatement, nous nous rendons en colonne de cavalerie, escadrons déployés, au galop, vers l’aile gauche. Dans notre colonne se trouvaient aussi les hussards bleus saxons, réputés comme très courageux.

Aussitôt partis, le capitaine Jerzmanowski fut blessé et mon cheval fit un tel écart que je crus qu’il était frappé par un biscaïen. Mes soldats, bienveillants, s’écrient: « Notre lieutenant est perdu ! » Je me retourne, ne sachant moi-même ce qui venait de se passer; mais, derrière moi, le cheval alezan du vaillant soldat Lewandowski tombe avec son cavalier. Mon cheval continue à sauter; la balle a dû passer entre ses jambes en le blessant par le courant d’air ou par le sable qui le couvrait. Ce coup de feu ne tua qu’un cheval dans mon peloton.

Nous avançons toujours en colonne, précédés maintenant d’une énorme batterie [4] (on dit 100 pièces) avec toute notre cavalerie.

Le résultat de cette marche fut que nous fîmes reculer le prince Lichtenstein qui, par un mouvement hardi et vigoureux sur notre aile gauche, manqua de nous séparer de nos ponts sur le Danube. C’était un beau spectacle, pour nous autres Polonais, de marcher en colonne d’une quinzaine de mille cavaliers derrière une batterie de près de cent canons d’artillerie légère; nous marchions vers la direction des montagnes Kahlenberg et Bisamberg du sommet desquelles Jan III, il y a 126 ans, faisait descendre ses étendards au secours de Vienne et de la Chrétienté… [5]

Napoléon en personne dirigeait ce superbe mouvement. Il quitta alors notre aile gauche et notre régiment, allant vers la droite du centre de l’énorme champ de bataille, resta déployé sur une seule ligne, avec son aile gauche en avant.

Dans cette position nous étions le point de mire de l’artillerie ennemie. On nous avait envoyés là dans ce but; la canonnade dura plusieurs heures, mais ne fut pas très meurtrière pour nous. Je ne me rappelle pas de pertes d’officiers. Nous étions ainsi placés quand, au nom de l’Empereur, on nous apprit que la bataille était gagnée, que le général Davout, sur notre aile droite [6], avait décidé de la victoire.

Dans l’après-midi, nous devions faire partie d’un grand mouvement de cavalerie, destiné à profiter de la victoire et à couper la ligne centrale de l’armée ennemie pour la séparer de son aile droite. Cette attaque de cavalerie devait être commandée par le maréchal Bessières, mais un biscaïen l’avait blessé ainsi que son cheval [7]; le commandement de ce mouvement projeté fut destiné au général La Salle [8], mais une balle de fusil le frappa au front et mit fin à la carrière de ce héros, ami de la Pologne.

Le commandement fut pris par le général Walther [9], mais ce dernier n’avait reçu aucun ordre de l’Empereur et n’avait ni la capacité nécessaire, ni la force morale de prendre sur lui une aussi grande et aussi délicate responsabilité.

Le général Walther (Lefèvre) Musée de l'Histoire de France, Château de Versailles
Le général Walther (Lefèvre) Musée de l’Histoire de France, Château de Versailles

Finalement le général Macdonald décida notre colonel Krasinski à commencer l’attaque de cavalerie. Nous avancions dans cette plaine infinie, le régiment déployé; alors le colonel Krasinski, exalté par l’ordre de Macdonald, entama immédiatement l’attaque avec le premier escadron de son régiment et s’écarta pour un temps assez long de notre ligne qui, restant à notre droite, fut commandé par le major Delaître [10]; le major Dautancourt [11]  [12]conduisait 4 escadrons de l’aile gauche. Pendant ce temps se montre le 2e régiment des uhlans du prince Schwarzenberg.

2e régiment de uhlans-Schwarzenberg (à droite)

L’adjudant-major Duvivier arriva à notre escadron et, n’attendant pas le commandement du major Delaître, il nous commanda de charger de suite vigoureusement ces uhlans. Notre 3e escadron, sous les ordres du chef d’escadron Stokowski, se mit immédiatement en mouvement. Cependant, tandis que les deux régiments allaient en venir aux mains, on vit des tranchées creusées par l’infanterie autrichienne qui rendaient le contact difficile, aussi bien pour les uhlans que pour nous. Pendant ce temps, les uhlans, voyant que nous n’avions pas de lances et que nous les attaquions le sabre au poing, jetèrent leurs lances et dégainèrent.

C’était trop tard et cela prouvait qu’ils n’avaient aucune confiance en eux-mêmes. Par petits groupes, en un clin d’œil, sortant des tranchées, nous les culbutâmes. D’autres escadrons des uhlans de Schwarzenberg leur venaient en aide (les régiments de cavalerie légère autrichienne comptent beaucoup d’hommes). Alors commença la poursuite de ces nouveaux uhlans et on vit le triste spectacle de deux régiments ennemis s’invectivant grossièrement en notre langue nationale.

Pendant que nous combattions victorieusement les uhlans, les dragons de Rysz viennent à leur secours; nous sommes, de notre côté, aidés par les chasseurs à cheval de la Garde. Les dragons et les uhlans sont dispersés; notre régiment, au contraire, se rassemble et se prépare à un nouveau combat.

Tel est le récit de notre rôle à Wagram, vu de ma position, c’est-à-dire du 2e peloton de la 3e compagnie, au milieu des frères Jankowski, dont l’aîné commandait le 1er peloton et le cadet le 3e peloton. Le capitaine Roztworowski commandait l’escadron de combat sous les ordres du chef d’escadron Stokowski.

Je puis simplement témoigner des faits que j’ai vus de près, c’est-à-dire que le capitaine Duvivier, le capitaine Roztworowski et Antoine Jankowski, comme toujours et partout, se distinguèrent dans cet engagement.

Ce qui se passait dans les autres escadrons, je ne pus m’en rendre compte exactement; je sais seulement que le 1er escadron, qui était commandé par le colonel Krasinski, alla au feu plus que le nôtre, à un tel point qu’il ne resta plus aucun officier dans la 1e compagnie.

Le chef d’escadron Kozietulski, le capitaine Lubienski (François), le lieutenant Jaraczewski furent blessés; le lieutenant Sliwowski, le lieutenant Mogielnicki et deux officiers nouvellement nommés: Marczynski et Wielhorski, furent tués.

Les avis sont partagés au sujet du feu d’artillerie dirigé sur nous par l’ennemi, et quant au nombre de canons dont nous nous sommes emparés.

Mon collègue Milutowski ne rapporte rien d’autre que moi-même touchant cette mémorable bataille.

Mon regretté collègue Niegolewski, dans son ouvrage, dit que nous avons pris 45 canons; quant au 26e bulletin, il indique que les chasseurs ont pris 4 canons et nous autres, deux seulement. Ce bulletin assure que les chasseurs, à eux seuls, ont culbuté 3 bataillons d’infanterie, et moi je soutiens que les chasseurs n’allèrent nulle part, ce jour-là, sans nous, et qu’ils ne faisaient que nous soutenir.

Contrairement à ce qu’avancent M. Thiers et le 26e bulletin, il semblerait que le peintre du panorama de cette bataille était le mieux informé; là, nous occupons la place qui nous est due. Ayant perdu tant d’officiers tués et blessés, nous avions certainement aussi de grandes pertes en soldats. Le trophée de notre charge fut le chef d’escadron prince Auersperg, ainsi que plusieurs officiers.

Ce fut un grand jour pour toute l’armée française et aussi pour nous, car, pour la première fois, à Wagram, nous avons combattu avec tout notre régiment réuni, et cela, pour le plus grand contentement de Napoléon.

 

NOTES
(celles en gras sont de l’édition originale – les autres sont de la rédaction)

[1] Souvenirs du Régiment de Cavalerie légère de la Garde de Napoléon ler, depuis sa création: 1807, jusqu’à la fin 1814, par Joseph Zaluski, ancien général de brigade de l’état-major général de l’armée polonaise, ancien officier et chef d’escadron de la Garde de l’empereur des Français. Cracovie, 1865.

[2] L’auteur fait ici allusion à l’épisode qui vit les Saxons être pris entre deux feux, à Wagram. Le nom d’une place – Saxenklemm – perpétue à Deutsch-Wagram, cet incident malheureux.

[3] Olszewski, lieutenant en premier. Blessé à Essling par un boulet de canon, il reçut de l’Empereur une dotation de 2.000 francs sur le pays de Bayreuth.

[4] La célèbre batterie des cent canons de la bataille de Wagram

[5] Référence à l’arrivée providentielle de Jan III Sobiewski (1629 – 1696), en 1683, sur les hauteurs du Kahlenberg et du Leopolsberg, qui provoqua la levée du siège de Vienne par les Turcs. Aujourd’hui, les Polonais de Vienne célèbre tous les ans cet évènement.

[6] A Markgrafneusiedl.

[7] „Voilà un beau boulet ! Il fait pleurer ma Garde“, aurait dit Napoléon en voyant passer le maréchal sur une civière. Bessières fut soigné quelques temps à Vienne, avant de revenir en France y achever sa guérison.

[8] Antoine-Charles-Louis Lasalle (1775 – 1809).

[9] Frédéric-Henri Walther (1761 – 1813). Il commande à Wagram la cavalerie de la Garde

[10] Antoine-Charles-Bernard Delaitre (1776 – 1838).

[11] Pierre d’Autancourt (1771 – 1832). Il a été mêlé à l’affaire du duc d’Enghien. remplissant les fonctions de capitaine rapporteur.

[12] Le général Zaluski se trompe, car Dautancourt n’assista pas à la bataille de Wagram. Dans ses Mémoires, il raconte que, le 13 juin, il partit de Chantilly avec le 5e et dernier détachement des chevau-légers polonais et ne rejoignit le régiment que le 5 août à Leopolsdorf.