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Hourra ! Je suis nommé officier !

Jérôme CROYET.

Docteur en Histoire, archiviste adjoint aux A.D. Ain

Conférencier à l’Université Lumière Lyon II

 

A l’image de Julien Sorel, le Premier Empire fait naître, dans toute une frange de la jeunesse française, l’espoir d’une promotion sociale et d’une vie aventureuse les armes à la main. Devenir officier devient pour les fils de la bourgeoisie un nouvel idéal mais les règles de promotions sous le 1er Empire, si elles paraissent simples, n’en sont pas moins complexes et soumises à des facteurs régulateurs : le législation et l’argent.

Par l’article 41 de la Constitution de l’an VIII, Bonaparte se réserve le droit ne nommer les colonels, qui ne reçoivent leurs brevets qu’après avoir commandé, devant Napoléon, les manœuvres à la parade. Le décret du 5 mai 1805, précise que les officiers doivent avoir 4 ans d’ancienneté dans un grade inférieur avant d’obtenir un avancement. Pour les officiers d’états-majors, l’avancement est différent puisqu’il faut avoir fait durant deux ans le service de leur grade actuel dans un régiment de leur arme.

Lorsqu’une promotion arrive, le bénéficiaire doit adresser à Paris, un extrait de naissance.

 

L’héritage révolutionnaire

Sous la Révolution déjà, même si les pénuries sont monnaies courantes, la promotion et le maintien du rang d’officier est synonyme de forte dépense à supporter par l’officier :

«Le soldat, quoique ayant beaucoup à souffrir, était cependant moins malheureux que l’officier. Celui-ci avait huit francs par mois en numéraire et le surplus de ses appointements en assignats ou en mandats. Mes appointements comme capitaine de 1ère classe était de 200 sous par mois ; ils valaient bien en valeur réelle 40 à 50 sous ; avec cela, il fallait m’entretenir d’habillement, de chaussure, etc., etc. ; on peut voir d’un seul coup d’œil quels beaux sires nous devions être. Le soldat n’avait à la vérité que trois francs par mois en numéraire, mais il n’avait à se pourvoir de rien ; la République l’entretenait ou devait l’entretenir de tout… Les choses en étaient à un tel point que par grâce spéciale, on autorisa une fois les officier à se faire délivrer une paire de souliers des magasins de la République. Comme adjudant-major ayant droit d’être monté, j’eus droit à une paire de bottes ; il m’advint même une capote de soldat, je ne me rappelle plus comment » [1]Les mémoires intégrales de capitaine Godet. Mémoire militaire annotés par Jérôme Croyet, 2004, à paraître. .

Cet nécessité de financer son uniforme est toutefois allégée par l’anarchie qui règne dans l’habillement des troupes révolutionnaires, ce qui facile alors quelque peu l’habillement des officiers :

« je me fis faire une lévite verte avec boutons bombés sans numéro, uniforme tout à fait de chasseur à cheval…Il n’y avait point de règle et il ne pouvait pas y en avoir dans l’état de dénuement où l’on laissait l’armée, les officiers surtout»[2]Les mémoires intégrales de capitaine Godet. Mémoire militaire annotés par Jérôme Croyet, 2004, à paraître.    

Sous le Consulat, avec le retour à la paix et l’uniformisation des tenues des troupes, cet échappatoire à la dépense s’arrête.

 

Des dépenses somptuaires

L’officier nouvellement promu doit s’acheter les emblèmes de son rang dans l’armée, et, entre autre, un uniforme. Le coût d’une tenue d’officier est alors très cher, si cher dans certains corps, comme les hussards, que des officiers nouvellement promus préfèrent rejoindre l’infanterie de ligne où la tenue est moins excessive et ne consiste qu’en l’achat d’une épaulette, des boutons dorés et d’un shako. En effet, dans l’infanterie, l’habit d’officier est le même que la troupe mais dans un drap plus fin, ce qui ne l’empêche pas d’être chère :

« mais ce n’était pas tout d’être nommé ; il fallait s’habiller, s’équiper et se pourvoir de chevaux. L’uniforme, richement brodé en argent était fort coûteux, et le harnachement ne l’état pas moins« [3]Planat de la Faye : Mémoires.   

HABIT DE PETIT UNIFORME D'OFFICIER DE L'ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES, ADJUDANT COMMANDANT, AU RÈGLEMENT DU 1er VENDÉMIAIRE AN XII, PREMIER EMPIRE.
HABIT DE PETIT UNIFORME D’OFFICIER DE L’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES, ADJUDANT COMMANDANT, AU RÈGLEMENT DU 1er VENDÉMIAIRE AN XII, PREMIER EMPIRE.

Ainsi, le fils du député de l’Ain Thomas Riboud, lors de sa sortie de St Cyr, le 18 mai 1811 pour prendre son poste au 10e régiment d’infanterie de ligne, fait dépenser 1288 livres à son père pour s’équiper. Le sous lieutenant Girod de Resne du 2e escadron du 5e dragons, originaire de Salins dans la Jura, occupe les fonctions d’aide de camp du général Scalfort. Lorsqu’il est promu officier au 4e chasseurs, doit se rééquiper en entier et à ses frais :

“ Vous n’ignorez pas la dépense que je vais être forcé de faire par ma nomination à un nouveau grade qui me force d’avoir recours à tous nos petits accessoires pour ne rien prendre sur ma fortune ” [4]Lettre du sous lieutenant Girod de Resne, du 5e régiment de Dragons, à son ami Latat, 18 thermidor. Coll. part. BIV/14. .

De même, le lieutenant de Bontin, nommé au 7e chasseurs, se plaint du prix de son équipement :

“ je crois que mon cheval ne me coûtera pas autant que vous l’aviez imaginé, et que 25 louis seront le bout du monde ; mais l’équipement sera fort cher. Il me faudra un frac à revers, un paletot ou une veste, un carrick, un shako, une giberne d’argent, un pantalon galonné et un autre pour la grande tenue, le sabre, le ceinturon, le grand uniforme, l’équipement de mon cheval et quelques petites choses que j’oublie probablement. Tout cela me chagrine beaucoup, parce que je ne croyais pas vous faire faire autant de dépenses ” [5]Lettre du lieutenant de Bontin, du 7e chasseurs. SERIGNAN : “ une carrière militaire sous le Premier Empire (1809-1813) ”. .

Afin de ménager leurs effets coûteux, les officiers préfèrent porter en campagne des habits bourgeois, de drap sombre, sur lesquels figurent les insignes de leur grade :

« mon général m’équipa, aux frais des magasins généraux, d’un uniforme de soldat de drap grossier, d’un sabre, d’un cheval avec son harnachement, le tout décoré assez incongrûment d’épaulettes » [6]Wolfe Tone : « Mémoires ».  .

Afin de ne pas trop se ruiner en effets neufs, certains officiers ne font que racheter des distinctives de grade d’occasions, tel Coignet. Si l’uniforme est une dépense énorme, l’officier doit afficher son grade par l’emploi d’un domestique et l’usage de plusieurs chevaux.

 

L’art du paraître

Le 6 mai 1809, apprenant qu’il est nommé sous lieutenant, Parquin, ne pouvant pas de payer les deux chevaux nécessaires à son grade demande à ses chasseurs du 20e régiment, qu’il compte sur eux pour le monter : après la bataille, ses hommes lui ramènent plusieurs chevaux pris à des hussard et des uhlans. Si les finances de l’officier le permettent, il peut donner libre cours à des goûts de  luxe, et, comble du raffinement, il peut se permettre d’avoir un domestique, tel Griois, avec son fidèle domestique Baptiste ou Barrès au 47e régiment d’infanterie de ligne en 1813, ou un équipage de chevaux superbes, tel Girod de Resne en Italie :

« mes chevaux sont devenus superbes…j’ai acheté une jolie voiture bombée, forme de calèche à cinq places avec les harnais plaqués et que j’ai eu de t’enconter pour moitié prix de sa valeur. Toute neuve et pour ainsi dire pas encore finie, mes chevaux sont le plus belle attelage de la ville » [7]Lettre du chef d’état major Girod de Resne, à son ami Latat, 11 novembre 1807. Coll. part. BIV/14. .

Si le raffinement de l’équipage est un vrai luxe, celui du domestique ne l’est pas toujours. Le rôle du domestique est de prendre soin et de veiller aux affaires de son officier pendant que celui ci est absent. Alors que certains d’entre eux utilisent leur place à leur profit, d’autres sont de fidèles serviteurs, dévoués à leur “ maître ”, tel celui de Barrès qui lui sauve son cheval et son portemanteau de la retraite de Leipzig et lui procure à manger lors de la campagne de 1813 en Saxe. Toutefois, l’utilité d’un domestique est souvent limitée à la bonne volonté de ce dernier et, dans certains cas, des officiers doivent se séparer de leur domestique, ces derniers ayant de base, une mauvaise réputation :

« Je viens d’être contraint de renvoyer mon domestique, ce jean foutre là, que j’ai comblé de bonté et de bienfaits, avait finit par louer mes chevaux…j’ai fait mettre pied à terre à mon domestique…j’ai ôté mon turc d’entre les mains du domestique, je l’ai donné à tenir à mon ordonnance et ai mis le sabre à la main et le leur ait foutu une volé et une raclé du plat que le diable en aurait eut pitié et ensuite je les ai fait prendre par la garde » [8]Lettre du chef d’état major Girod de Resne, à son ami Latat, 13 septembre 1807. Coll. part. BIV/14.  .

Le goût du luxe peut pousser certains officiers, jusqu’à s’acheter une calèche

“J’ai payé ma voiture sur mes économies d’appointement…j’ai…fait confectionner pour plus de 2 000 francs de linge et d’effets, culottes, habits, ect…de manière que je puis dire que je n’ai pas une belle garde robe mais bien une magnifique ” [9]Lettre du chef d’état major Girod de Resne, à son ami Latat, 11 novembre 1807. Coll. part. BIV/14. .

Afin de tenir son rang, l’officier bénéficie d’une ordonnance, qu’il entretient à ses frais. Cette dernière est un “ soldat de confiance ” [10]BARRES (Jean Baptiste) : Souvenirs d’un officiers de la Grande Armée. Editions Taillandier, 2004. , qui est détaché de le compagnie pour accompagner l’officier et le cas échéant, l’aider ou notamment, lors des campagnes de 1812 et 1813 en Saxe, à trouver à manger. Cet usage assez ancien existe dans toutes les armes et à n’importe quel grade, tel Godet, capitaine à la 21e demi-brigade légère qui à un chasseur comme ordonnance, en 1796, ou le général Griois qui a un canonnier d’ordonnance, puis deux, lors de la campagne de Russie, qu’il nourrit et qui a pour rôle de l’accompagner de partout.

 

Des sous

L’officier lors de sa nomination reçoit une indemnité de première mise, qui lui permet de s’habiller et de s’équiper à ses frais. L’arrêté du 9 frimaire an XI, détermine les objets que l’administration militaire doit fournir aux nouveaux sous-lieutenants sortants du rang, sur la masse générale. Ils touchent un habillement, un armement, un équipement et des uniformes complets avec les marques distinctives de leur grade, ainsi que 300 francs. Les sous-lieutenants des troupes à cheval recevront en plus un cheval de leur choix.

Mais après cette première mise théorique, (Coignet, ne parvient qu’à obtenir un sabre et une paire d’épaulettes usées), l’officier s’habille et s’entretient à ses frais. Le coût de la vie devient vite élevé d’autant plus que sa solde est irrégulièrement versée. Tout les officiers ne sont pas riches et l’indemnité de première mise accordée aux sous lieutenants est bien modeste par rapport à la dépense à faire : 250 francs pour un sous lieutenant des troupes à pied et 650 francs pour un sous lieutenant monté, plus une gratification de 300 francs quelque soit l’arme. Même si les officiers bénéficient généralement d’une prime à l’occasion du départ et de la fin de campagne, la première mise ne peut suffire à l’entretien et le remplacement des effets usés en campagne, où son seul revenu est sa solde : 1 000 francs pour un sous lieutenant des troupes à pied et 1 150 francs pour un sous lieutenant monté. En effet, Bontin dépense 2 200 francs pour son habillement et son équipement : 1 122 francs de tailleur, 168 francs au chapelier, 376 francs au sellier, 60 francs les pistolets, 43 francs le portemanteau, 267 francs pour le ceinturon et la giberne.

Lorsqu’un colonel est nommé dans un régiment, les effets des officiers s’en font généralement ressentir : en effet, il faut uniformiser sa tenue avec celle désirée par le colonel, ce qui engendre, dans la cavalerie, de nouvelles dépenses :

“ le colonel vient de changer l’uniforme de petite tenue. C’est toujours bien désagréable. Mon régiment a eu trois colonels en un rien de temps, et tous trois ont changé l’uniforme…il a fait vendre à perte, aux officiers, leurs shakos qui avaient coûté de 160 à 190 francs, pour leur imposer le colback ” [11]Lettre du lieutenant de Bontin, du 7e chasseurs. SERIGNAN : “ une carrière militaire sous le Premier Empire (1809-1813) ”. .

Malgré ces dépenses et ces perspectives financières douloureuses, l’attrait de l’épaulette ne cesse de croître durant le 1er Empire, le rôle de l’officier étant savamment magnifier dans la société françaises d’alors par le régime impériale. Malgré la chute de Napoléon, le prestige des officiers et de leurs tenues ne disparaît pas, au contraire, né il va désormais s’épanouir et en 1845, le capitaine Sonis du 7e hussards écrit :

« le nouvel uniforme est si dispendieux qu’il a fallu payer de toutes sortes de privations l’échelon franchi » [12]Lettre du capitaine Sonis du 7e hussards, Tradition Magazine, n°18/19. .


 

 

References

References
1 Les mémoires intégrales de capitaine Godet. Mémoire militaire annotés par Jérôme Croyet, 2004, à paraître.
2 Les mémoires intégrales de capitaine Godet. Mémoire militaire annotés par Jérôme Croyet, 2004, à paraître.
3 Planat de la Faye : Mémoires.
4 Lettre du sous lieutenant Girod de Resne, du 5e régiment de Dragons, à son ami Latat, 18 thermidor. Coll. part. BIV/14.
5, 11 Lettre du lieutenant de Bontin, du 7e chasseurs. SERIGNAN : “ une carrière militaire sous le Premier Empire (1809-1813) ”.
6 Wolfe Tone : « Mémoires ».
7, 9 Lettre du chef d’état major Girod de Resne, à son ami Latat, 11 novembre 1807. Coll. part. BIV/14.
8 Lettre du chef d’état major Girod de Resne, à son ami Latat, 13 septembre 1807. Coll. part. BIV/14.
10 BARRES (Jean Baptiste) : Souvenirs d’un officiers de la Grande Armée. Editions Taillandier, 2004.
12 Lettre du capitaine Sonis du 7e hussards, Tradition Magazine, n°18/19.