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De Waterloo à Sainte-Hélène – Le dernier voyage

Avant d’entreprendre ce récit d’un voyage si extraordinaire, il faut présenter quelques-uns des acteurs qui vont intervenir.

Par ordre d’entrée en scène :

Emmanuel de Las-Cases. Sans doute le plus connu de mes personnages, puisqu’il est l’auteur du célèbre Mémorial de Sainte-Hélène.

Joseph Fouché. L’ancien ministre de la police de Napoléon a été nommé, après Waterloo, président de la commission chargée  d’ouvrir les négociations avec les Alliés, poste d’où il va pouvoir tirer toutes les ficelles de la tragédie.

Planat de La Faye

Nicolas Louis Planat de la Faye. Officier d’ordonnance de Napoléon.

Hortense de Beauharnais. Portrait de Isabey

Hortense de Beauharnais. La fille de Joséphine, qui fut reine de Hollande, est d’une fidélité inébranlable à Napoléon.

Général Gourgaud

Gaspard Gourgaud. Premier aide de camp de Napoléon

Capitaine Maitland

Capitaine de vaisseau Frederik Maitland, commandant le Bellérophon.

Albine de Montholon

Albine de Montholon, épouse du général de Montholon

William Warden, médecin à bord du Northumberland.

Docteur Warden

Amiral Keith, de son vrai nom George Keith Elphinstone, vicomte Keith, commandant la flotte de la Manche. Il approche les 70 ans, et cette mission marquera la fin de sa carrière.

Amiral Keith

John-Richard Glover. Il était le secrétaire de l’amiral Cockburn, sur le Northumberland.

William Henry Lyttelton, homme politique anglais

William Henry Lyttelton
William Henry Lyttelton

Denzil Ibbetson, commissaire militaire anglais à bord du Northumberland, chargé des approvisonnements.

Le rideau maintenant peut se lever !

 

Après la défaite de Waterloo, le 18 juin 1815, Napoléon, abattu, anéanti, de surcroît malade, avait pris la route de Paris, arrivant le matin du 21 à l’Élysée, « tout couvert de la poussière de la bataille », pour reprendre les mots de Las-Cases..

Arrivée de Napoléon à l'Elysée
Arrivée de Napoléon à l’Elysée

Immédiatement prévenus de son retour, Joseph, Lucien, les ministres, une foule de hauts dignitaires et de généraux s’empressent d’accourir au palais.

« J’apprends le retour de l’Empereur à l’Élysée, et je vais spontanément m’y placer de service. L’Empereur venait de perdre une grande bataille; le salut de la France était désor­mais dans la Chambre des représentants, dans leur confiance et leur zèle. L’Empe­reur accourait avec l’idée de se rendre, encore tout couvert de la pous­sière de la bataille, au milieu d’eux ; là, d’exposer nos dangers, nos ressources; de protester que ses intérêts personnels ne seraient jamais un obstacle au bonheur de la France, et de repartir aussitôt. On assure que plusieurs personnes l’en ont dissuadé, en lui faisant craindre une fermentation naissante parmi les députés.

Du reste, on ne saurait comprendre encore tout ce qui se répand sur cette malheureuse bataille ; les uns disent qu’il y a eu trahison mani­feste; d’autres, fatalité sans exemple. Trente mille hommes, comman­dés par Grouchy, ont manqué l’heure et le chemin ; ils ne se sont pas trouvés à la bataille; l’armée, victorieuse jusqu’au soir, a été, dit-on, prise subitement, vers les huit heures, d’une terreur panique; elle s’est fondue en un instant. C’est Crécy, Azincourt, etc. Chacun tremble, on croit tout perdu ! » (Las-Cases)

De fait, dans la capitale, l’agitation, voire la fermentation est grande. Chacun y va de ses propositions, à visage découvert ou non.

« C’est alors que je sentis la nécessité de mettre en œuvre toutes les ressources de ma position et de mon expérience. La déroute de l’empereur, sa présence dans Paris, qui soulevait l’indignation générale, me plaçaient dans la circonstance la plus favorable pour arracher de lui une abdication, à laquelle il s’était refusé quand elle aurait pu le sauver. Je mis en campagne tous mes amis, tous mes adhérents, tous mes agents avec le mot d’ordre.» (Joseph Fouché)

À l’Élysée, l’ambiance est délétère :

« Quel aspect différent avait alors ce palais de celui qu’il offrait il y a un mois 1 qu’était devenue cette foule de cour­tisans, de guerriers, de magistrats qui jadis obstruaient tous les appartements, et à l’empressement desquels l’Em­pereur ne pouvait suffire? Tout avait disparu, le palais était désert. On a beau être accoutumé à l’égoïsme et à l’ingra­titude des hommes, on a beau être rebattu de toutes les maximes de l’intérêt personnel, ces exemples frappent et déchirent l’âme et la remplissent d’indignation. Quelques amis véritables, tels que M. de Lavalette et les ducs de Bassano et de Rovigo, quelques officiers obscurs mais dévoués, étaient les seuls qu’on vît errer dans cette solitude. » (Planat de la Faye)

L’empereur réunit, dès le lendemain, le conseil des ministres en vue de décréter la Patrie en danger.  Mais, malgré l’intervention de Lucien devant les sénateurs, l’Empereur comprend rapidement que la partie est perdue et qu’il ne peut qu’abdiquer pour la seconde fois en faveur de son fils.

Finalement, et beaucoup plus rapidement qu’en avril 1814, sous la pression des hommes qui le trahissent, et des événements dont il n’est plus le maître, Napoléon dicte à son frère Lucien, le 22 juin 1815, en début d’après-midi, son abdication en faveur de son fils.

Le 23, il fait renouveler, par le général Bertrand, sa demande de deux frégates et fait demander à Fouché des passeports.

Le 25, quittant l’Élysée dans la calèche du grand maréchal Bertrand (et laissant le champ libre à Fouché), il se réfugie à Malmaison, auprès de la reine Hortense, pleine d’attention pour son beau-père :

« J’allai le recevoir avec un sentiment de douleur, en songeant que ce même lieu qui l’avait vu au plus haut point de la gloire et du bonheur, le revoyait aujourd’hui au dernier degré de l’infortune, car il n’y retrouvait pas même son amie d’autrefois, si tendre et si dévouée. Moi, la fille de cette amie, je ne pouvais lui offrir que quelques soins et je sentais avec chagrin mon insuffisance. Je lui fis part de tous mes arrangements qu’il approuva et je le laissai seul en le priant de me faire appeler quand il aurait besoin de moi. » (Hortense de Beauharnais)

C’est le début de ce qui n’est pas une fuite, mais y ressemble terriblement. Il a alors en tête de s’exiler aux Etats-Unis, à bord de deux frégates que le nouveau gouvernement français aura mis à sa disposition (ce sera fait dans la nuit du 26 au 27), avec des sauf-conduits pour lui permettre de passer sans encombre les bâtiments de la marine britannique.

Le 29 juin, alors que les troupes alliées se rapprochent dangereusement de Paris, et sous la pression du gouvernement provisoire, il quitte Malmaison, ayant revêtu des habits bourgeois, à trois heures du soir, après s’être recueilli un moment dans la chambre de Joséphine.

« Les moments devenaient pressants; l’Empereur, sur le point de partir, envoie offrir, par le général Becker lui-même, au gouvernement provisoire, de marcher comme simple citoyen à la tête des troupes. Il promettait de repousser Blücher, et de continuer aussitôt sa route. Sur le refus du gouvernement provisoire, nous quittons la Malmaison. L’Empereur et une partie de sa suite prennent la route de Rochefort par Tours; moi, mon fils, MM. de Montholon, Planat, Résigny, nous prenons par Orléans, ainsi que deux ou trois autres voitures de suite. » (Las-Cases)

Il a pris place dans une calèche amenée à la porte du parc, avec Bertrand, Savary et le général Becker (que le gouvernement a désigné commandant de la garde de l’empereur, pour le protéger, mais aussi pour être sûr de son départ de France), et qui va précéder de deux heures le cortège officiel, qui séjournait devant la grille d’honneur, afin de déjouer les manifestations d’enthousiasme.

Après avoir couché à Rambouillet (retraite inglorieuse, selon Chateaubriand), il continue, le lendemain, à 11 heures, en direction de Rochefort, par Vendôme, Tours, Châtellerault, Poitiers, Saint-Maixent,  croisant, en route, une nombreuse population enthousiaste, qui continue à l’acclamer.

À Niort, où on arrive à 10 heures le soir, l’effervescence est à son comble à l’arrivée de l’empereur, et celui-ci reçoit confirmation de la présence d’une escadre anglaise devant l’île d’Aix.

De Malmaison à Rochefort

À 8 heures du matin, le 3 juillet, il arrive enfin à la préfecture maritime de Rochefort. Il loge dans l’appartement de grand apparat, qu’il avait occupé avec Joséphine, en 1808, sur la route de l’Espagne.

Cette arrivée produit une énorme sensation dans la ville, toute la population accourt, envahissant les jardins de la préfecture aux cris de Vive l’Empereur ! Un enthousiasme qui ne faiblit pas de la journée et qui force Napoléon, le soir, à se montrer sur la terrasse, accompagné du préfet maritime, Casimir de Bonnefoux.

« La population de Rochefort vit encore en Napoléon son empereur. Tous les soirs les acclamations étaient continuelles sous ses fenêtres. Plusieurs généraux des armées de l’Ouest et du Midi se rendirent auprès de lui en personne, ou y envoyèrent des aides de camp pour l’assurer de leur dévouement et se concerter avec lui. Sa réponse constante fut : « Non. Le mal est maintenant sans remède. Il n’est plus en ma puissance de faire quelque chose pour la patrie. Une guerre civile serait aujourd’hui  sans objet, sans utilité pour ce royaume. À moi seul elle pourrait devenir s avantageuse, en ce qu’elle me procurerait peut-être les moyens d’obtenir personnellement des conditions plus favorables; mais il me les faudrait acheter par la perte inévitable de ce que la France possède de plus généreux et de plus magnanime. Un tel résultat me fait horreur. » (Las-Cases)

Dans la rade, les frégates la Saale (40 canons – commandant Philibert) et la Méduse (44 canons – commandant Ponet – celle qui entrera un peu plus tard tristement dans l’Histoire, mais sous un autre commandement) sont ancrées et semblent l’attendre pour appareiller. Mais, depuis le 29 juin, l’escadre anglaise, dont le nombre de bâtiments a été renforcé, rend de facto une sortie des navires français impossible, ce qui assombrit fortement l’empereur, bien que l’attitude du commandant Philibert ne lui laisse pas d’inquiétude sur sa loyauté et son courage.

Maquette de la frégate La Saale

Le 5 juillet, c’est le roi Joseph qui arrive à Rochefort, logeant lui aussi à la préfecture. Il continuera ensuite la route, vers Bordeaux, où il s’embarquera pour les Etats-Unis, où il arrivera le 28 août.

Le 8 juillet l’empereur, en fin d’après-midi, gagne Fouras, sous les acclamations des habitants de la ville et des environs. L’embarquement dans les baleinières se fait à dos d’homme, car il n’y a pas assez d’eau pour qu’elles puissent accoster, et c’est un nommé Beau qui porte Napoléon sur ses épaules. Les embarcations quittent le rivage sous les acclamations.

Le 8 juillet, à quatre heures du soir, l’Empereur quitte l’hôtel de la préfecture, dans la voiture du préfet, et s’embarque, près de Fouras, dans un des canots du port, pour se rendre à bord de la frégate la Saale. Les généraux Bertrand, Becker, Lallemand, Savary, Gourgaud et moi l’accompagnaient. À cinq heures dix minutes, il quitta la terre de France, au milieu des cris de regret de toutes les populations des environs, accourues sur le rivage au bruit de son départ, dans l’espérance de le retenir par les larmes de leur désespoir. La mer était hou­leuse. Le vent soufflait avec force, et l’atmosphère était brumeuse. Les dix rameurs luttaient avec peine contre la vague, et la marée, qui semblait s’associer à la douleur du peuple, et nous ramenait sans cesse au rivage. (Montholon)

À 19 heures, dans l’anse de la Coue, Napoléon monte à bord de la frégate la  Saale, où il est reçu avec tous les honneurs dus à un souverain, à l’exception des coups de canons, afin de ne point donner l’éveil aux Anglais.

Le reste de la suite impériale embarque sur la Méduse.

Le 9 juillet, Napoléon fait une courte visite de l’île d’Aix, passant les troupes en revue et inspectant les travaux de fortification ordonnés lors de son passage en 1808.

« Sa Majesté va visiter l’île d’Aix, parle des batteries et des fortifications. Les habitants La suivent partout en criant Vive l’Empereur ! Puis elle retourne à bord. » (Gourgaud)

Lorsqu’il retrouve la Saale, le préfet maritime de Rochefort, l’y attend, qui lui présente un arrêt de la Commission du gouvernement, qui déclare traître à la patrie tout officier qui tenterait de le débarquer  sur le sol français. Il n’y a plus de doutes à avoir : le Gouvernement français a fait de lui un proscrit. Mais il reçoit tout de même l’autorisation de communiquer avec l’escadre anglaise.

Les plans pour le faire évader se multiplient, tous plus ou moins réalistes.

Les avis sont partagés : les uns veulent qu’Elle se rende à bord de la Bayadère, en rade de Bordeaux, ou sur un navire américain, à l’ancre dans la rivière, tandis que les deux frégates sortiront pour attirer d’un autre côté l’attention de la croisière anglaise. D’autres conseillent de s’en aller sur un petit bâtiment de l’espèce de ceux appelés mouches, qui est là. D’autres de se maintenir à l’île d’Aix ou d’aller rejoindre Clausel à Bordeaux (Gourgaud)

Le 10 juillet, après de longue réflexion, l’empereur  envoie Savary et Las Cases sur le Bellérophon, pour s’enquérir des sauf-conduits attendus.

Le 10 juillet, à l’aube, l’officier de quart me rendit compte qu’une petite goélette se détachait de l’escadre française et se dirigeait vers nous. Aus­sitôt, j’ordonnai qu’on se tînt prêt à faire voile en chasse, car je supposais qu’on avait envoyé ce bateau en reconnaissance. Comme il approchait, il hissa un pavillon de trêve ; il nous accosta à 7 heures du matin. C’était la mouche, annexe des bâtiments de guerre de l’île d’Aix, ayant à bord le général Savary, duc de Rovigo, et le comte Las Cases, chambellan de Buonaparte, porteurs d’une lettre du comte Bertrand, grand maréchal du Palais, adressée à l’amiral commandant les croisières britanniques devant le port de Rochefort. (Capitaine Maitland)

Au cours de la conversation (précisons que Las-Cases a fait croire qu’il ne parle pas l’anglais), Maitland, qui en fait ne cherche qu’à gagner du temps, souligne que, les deux pays étant toujours en guerre, il se verra obligé de s’opposer à la sortie du port de Rochefort de n’importe quel vaisseau français, mais il suggère clairement, sans en avoir aucunement le pouvoir, que l’empereur pourrait demander l’asile à l’Angleterre, se référant au libéralisme britannique. Les deux officiers français, en retournant sur la Saale, prennent pour argent comptant ces assurances, qui n’ont pourtant aucune valeur officielle.

Le même jour, ayant appris que Napoléon a quitté Paris, l’amiral Keith donne l’ordre au contre-amiral Hotham de surveiller étroitement les ports de Rochefort et de La Rochelle

Le contre-amiral Hotham

Le 12 juillet, à 10 h 30 du matin, Napoléon se rend, avec toute sa suite, sur l’île d’Aix, et s’installe dans la maison du commandant de la place (celui-ci est alors absent !), où il  va occuper la chambre à balcon donnant sur le jardin, d’où il peut distinguer la rade des Basques.

Au même moment, on entend les batteries du Bellérophon. En fait, c’est pour saluer l’entrée des Alliés dans Paris, dont ils ont été informés par les journaux !

L’empereur va rester à Aix jusqu’au 15 juillet, donnant l’apparence du plus grand calme.

À l’aube du 14, Las-Cases et Lallemand sont de nouveau envoyés sur le Bellérophon, afin de sonder une fois encore les intentions du capitaine Maitland, dans le cas où Napoléon demanderait l’hospitalité à l’Angleterre. Après le déjeuner, Las Cases déclare à Maitland :

« L’Empereur a un si vif désir d’arrêter toute effusion de sang qu’il se rendra en Amérique de la manière que le gouvernement britannique voudra bien autoriser, à bord d’un bâtiment de guerre français, d’un navire armé en flûte, d’un bateau marchand, voire d’un navire de guerre britannique. » (Capitaine Maitland)

À quoi Maitland réplique :

« Je ne suis aucunement autorisé à accepter un arrangement de cette nature, et je ne crois pas que mon Gouvernement consentirait à l’admettre. J’estime pourtant que je puis me risquer à re­cevoir Buonaparte pour le transporter en Angle­terre », ajoutant que dans ce cas, il ne peut prendre aucun engagement en ce qui concerne la réception qui lui sera faite parce que, même dans cette hypothèse, il agirait bous ma responsabilité personnelle, sans certitude d’être approuvé par le gouvernement britannique.

En quittant le navire, dans le milieu de la matinée, Las-Cases dit à Maitland :

«  De toutes façons je crois bien que vous verrez l’Empereur à bord du Bellérophon

À la mi-journée du 14 juillet, l’empereur réunit un conseil privé pour débattre de l’alternative qui se présente à lui : s’échapper, ou demander l’hospitalité à l’Angleterre et se rendre sur le Bellérophon. Gourgaud et Montholon se prononce pour la première proposition, Savary, Bertrand et Las-Cases pour la seconde. Napoléon décide alors de se confier à la « générosité britannique ».

Las-Cases et Gourgaud reçoivent aussitôt l’ordre de se rendre sur le Bellérophon, où ils arrivent à 7 heures du soir. Gourgaud est porteur de la célèbre lettre de Napoléon au prince régent, qu’il a pour mission de porter lui-même à Londres.

« Altesse Royale, en but (sic) aux factions qui divisent mon pays et à l’inimitié des plus grandes puissances de l’Europe, j’ai terminé ma carrière politique, et je viens comme Thémistocle, m’asseoir sur le foyer du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse Royale, comme au plus puissant, au plus constant, et au plus généreux de mes ennemis  (13 juillet 1815) »[

Lettre de Napoléon au prince Régent

On notera que cette lettre est datée du 13 juillet : la décision de Napoléon était donc déjà prise lorsque, le 14, Las-Cases et Lallemand sont allés sonder le capitaine du Bellérophon.

Rappelons ici que, selon Plutarque, Thémistocle, héros des batailles de Marathon et de Salamine, chassé d’Athènes suite à des discordes civiles, se réfugia en Épire puis en Perse, où il fut bien accueilli.

À la nuit tombée, Gourgaud embarque sur la corvette Slaney, qui doit l’emmener en Angleterre. Las Cases reste à bord du Bellérophon.

 

Le 15 juillet, à l’aube, Napoléon monte à bord du brick l’Épervier, sous pavillon parlementaire. Il est accompagné de Bertrand, Savary, Montholon, Lallemand, Las-Cases, de Mmes Bertrand et Montholon, ainsi que du général Becker, qui va bientôt, à la demande de l’empereur, retourner à terre. Il a de nouveau revêtu sa célèbre tenue de colonel des chasseurs de la garde, l’épée au côté.

Il est accueilli avec enthousiasme et émotion par l’équipage, pourtant composé de jeunes marins, dont certains ont d’ailleurs participé à la cérémonie du Champ de Mai.

Le vent et la marée contraires (l’Épervier va même être contraint à mettre en panne) amènent le capitaine du Bellérophon  à envoyer un de ses canots : Maitland, n’est par ailleurs pas disposé à laisser l’amiral Hotham, dont le navire est en vue, lui enlever l’honneur de terminer une affaire qu’il a menée presque à sa fin !

Le lieutenant monta sur le pont de l’Épervier et fit en anglais le discours obligé. Cet habit de la marine anglaise, cet Anglais qui ne disait pas un mot de français, cette chaloupe ramée par des matelots anglais, enfin cette séparation matérielle, positive, d’avec la France, tout cela me fit éprouver quelque chose de si amer, quo j’en ressens encore aujourd’hui l’impression aussi vive que dans le moment même.

L’Empereur descendit dans la chaloupe, s’y assit. Nous l’y suivîmes; non pas toute la suite, mais les généraux, M. de Las-Cases, Mme Bertrand, moi et nos enfants. Les officiers et le reste de sa suite furent transportés à part. L’équipage de l’Épervier était consterné; il semblait que nous fussions devenus muets… Scène solennelle, qui n’eut point la terre pour témoin,  mais le ciel, la mer… et nos cœurs amis pour en garder le souvenir ! (Albine de Montholon)

Embarquement sur le Bellerophon
Embarquement sur le Bellerophon

À 6 heures 30, précédé de Bertrand, il monte à bord du Bellérophon, où il est reçu par le capitaine Maitland, qui prétexte de l’heure matinale pour éviter de lui faire rendre les honneurs.

Buonaparte portait un  grand  manteau olive passé sur un uniforme vert avec collet et pare­ments écarlates, revers de couleur verte à passepoil écarlate, basques à retroussis brodés de cors de chasse en or, boutons unis en pain de sucre, épaulettes d’or. C’est la tenue des chasseurs à cheval de la Garde impériale. Il portait l’étoile, ou Grand’Croix de la Légion d’honneur et la petite croix de cet ordre, ainsi que la Couronne de Fer ; l’Union, à gauche, pendait à la boutonnière du revers. Il avait un petit bicorne avec une co­carde tricolore, une épée ordinaire à poignée d’or, des bottes d’uniforme, un gilet blanc et des cu­lottes. Le lendemain, il mit des souliers à boucles d’or, des bas de soie, et garda cette tenue par la suite tant qu’il fut à mon bord. (Capitaine Maitland)

Se décoiffant, Napoléon s’adresse à Maitland: « Je suis venu me placer sous la protection de votre prince et de vos lois. », ajoutant  « Le sort des armes m’amène chez mon plus cruel ennemi, mais je compte sur sa loyauté« .

L’Empereur fut établi dans la grande chambre de la dunette ; la pièce qui précède lui servait de salle à manger, et à nous de salon de service. À droite et à gauche, deux cabinets avaient été construits à la hâte : l’un pour simuler un cabinet de toilette, et l’autre pour servir de logement au valet de chambre. » (Montholon)

Chaque nuit, un aide de camp couchera sur un matelas en travers de la porte de l’empereur, et le service se fera sur le Bellérophon comme il eût été fait à l’Élysée et Maitland se soumettra à cette étiquette

Dans l’après-midi, le contre-amiral Henry Hotham, qui commande le Superb, lui rend visite. Lorsqu’on lui présente Napoléon, il s’adresse à lui en l’appelant Majesté, il se découvre, et, tout le temps qu’il sera à bord, il restera tête nue, donnant à tout l’équipage une sorte de signal. Désormais, chacun se découvrira quand l’empereur sera sur le pont.

Ce dernier, loin de se considérer, pour le moment, comme prisonnier, va, sur l’invitation de Maitland, présider  le dîner, servit, là aussi sur l’ordre du capitaine du Bellérophon, dans la vaisselle impériale par son maître d’hôtel en livrée impériale, invitant même l’amiral à prendre place à sa droite, la comtesse Bertrand étant à sa gauche.

C’est ce jour-là qu’il rencontre pour la première fois le docteur O’Meara, médecin du navire, qui l’accompagnera à Sainte-Hélène.

Il se couche ce soir-là à 19 h 30, dans le lit de camp qu’il a fait installer dans sa cabine. À ses compagnons de voyage, il confie que les marques de déférence qui lui ont été prodiguées de la part des marins britanniques, traduisent sans aucun doute les bonnes intentions de leur gouvernement à son endroit.

Le 16 juillet, un dimanche, un déjeuner est offert à bord du Superb, par le contre-amiral Hotham.

« Tout avait été préparé sur le Superbe comme pour une fête souveraine, et l’Empereur fut reçu avec les honneurs dus aux têtes couronnées; l’amiral et tous les officiers de l’escadre rivalisèrent de témoignages de respect, et nous fûmes frappés des soins que tous mirent à nous faire oublier notre position. »

Le vaisseau est pavoisé, l’équipage, dans les vergues, en grande tenue, la musique sur la  (Montholon)dunette. Avant le déjeuner, à la demande de l’empereur, l’amiral fait visiter son navire, du pont jusqu’à la cale, et lui présente ses officiers.

(L’empereur)  fut content de l’amiral sous tous les rapports. Cet amiral a de bonnes formes et une physionomie heureuse. En général, je n’ai rien trouvé dans les officiers de la marine anglaise qui justifiât le nom que leur donnait le roi George IV : il les appelait des loups de mer. Je les ai trouvés francs, simples, bons et remplis d’attentions délicates, depuis leur drog qu’ils vous font prendre contre le mal de mer, jusqu’à la dis­crétion et l’obligeance qu’exigeait notre posi­tion. (Albine de Montholon)

Dès son retour, vers 14 h 30, Maitland met à la voile vers l’Angleterre et la baie de Torbay, accompagné du Myrmidon, qui accueille à son bord ceux des personnes de la suite de Napoléon qui n’ont pu embarquer sur le Bellérophon. Napoléon observe les manœuvres jusqu’à la sortie du pertuis d’Antioche, tout en parlant de la Syrie, et de l’amiral Sydney Smith.

Pendant que nous levions l’ancre et que nous appareillions, Buonaparte, demeuré à la coupé, posa de nombreuses questions sur ce qui se pas­sait. Il dit : Vous exécutez cette manœuvre bien autre­ment que nous. Ce que j’admire le plus sur votre bâtiment, poursuivit-il, c’est le silence absolu de vos hommes, leur bon ordre. À bord d’un navire français, chacun parle, donne des ordres. Tout le monde jacasse : un vrai troupeau d’oies !(Capitaine Maitland)

Sur ce vénérable vaisseau, qui a perdu un mât à Aboukir, subit le feu français à Trafalgar et est tout juste capable de croiser, non sans risques, au large des côtes françaises, une routine se met rapidement en place ; Napoléon, qui se couche relativement tôt (entre 8 et 9 heures), se lève tard, et déjeune seul. Après avoir passé la matinée à bavarder avec ses compagnons d’infortune. Il s’habille en début d’après-midi puis fait généralement une promenade sur le pont autour de 17 h, suivie d’un dîner pris en commun avec Maitland et ses officiers, à 18 h.

Marins et officiers enlèvent leurs chapeaux, se tiennent à distance lorsque Napoléon vient sur le pont et ne parlent pas avec lui sauf s’il les invite à le faire.

HMS Bellerophon

 

«L’Empereur ne fut pas longtemps au milieu de ses plus cruels enne­mis, de ceux que l’on avait constamment nourris des bruits les plus absurdes et les plus irritants, sans exercer sur eux toute l’influence de la gloire. Le capitaine, les officiers, l’équipage, eurent bientôt adopté les mœurs de sa suite; ce furent les mêmes égards, le même langage, le même respect. Le capitaine ne l’appelait que Sire et Votre Majesté; s’il paraissait sur le pont, chacun avait le chapeau bas, et demeurait ainsi tant qu’il était présent, ce qui n’avait pas eu lieu dans les premiers in­stants; on ne pénétrait dans sa chambre qu’à travers ses officiers; il ne paraissait à sa table que ceux du vaisseau qu’il y avait invités; enfin Napoléon, à bord du Bellérophon, y était empereur. Il paraissait sou­vent sur le pont, et conversait avec quelques-uns de nous ou avec des personnes du vaisseau. » (Las-Cases)