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1810 – Incendie – Masson – Le Consulat et le Premier empire

1er juillet 1810

L’incendie de l’ambassade d’Autriche à Paris

Les faits[1]

 

Frédéric Masson
Frédéric Masson

 

C’est au ci-devant hôtel de Mme de Montesson — plus tard vendu à Ouvrard et à Michel — qui, prenant son entrée sur la Chaussée d’Antin, se rejoint au Pavillon ci-devant d’Orléans et étend son jardin jusqu’à la rue Taitbout dans toute cette longueur sur la rue de Provence. Dans une partie de ce jardin, on a construit, sur des charpentes, à la hauteur des apparte­ments de l’hôtel où l’on accède par une galerie en bois, une très grande salle de bal. Le toit est en toile résinée, les plafonds en papier verni; un lustre immense pend au milieu, et, sur les murailles de la salle et de la galerie, des demi-lustres sont partout appliqués. La décoration, toute légère, est de gaze et taffetas, où courent des fleurs artificielles. Il y a eu, jusqu’à l’arrivée de Leurs Majestés, un fort beau concert pour les douze cents invités. L’Empereur et l’Impératrice, dont la venue a été annoncée par des fanfares, traversent la salle de concert, et, par un escalier, descendent dans le jardin où, à l’exemple de ce qui s’est fait à Neuilly, on a multiplié les surprises. Au temple d’Apollon, on a un chœur des Muses; dans l’allée de la Cascade, on écoute l’harmonie placée dans la grotte souterraine ; le berceau de vigne, décoré de fleurs et de glaces, mène à un superbe buffet; et l’on y a un concert français et allemand avec solo de glass-cord, instrument  nouveau ; là, au temple de la Renommée — fanfares, chœurs, parfums — et au Pavillon impérial, où, d’une estrade on assiste à une fête de château et à un bal champêtre, dans le décor du Ritterschloss de Luxembourg; enfin, feu d’artifice. On rentre dans le salon d’honneur, et de là, par la galerie dans la salle de bal. L’Empereur en fait le tour, et il est au moment de se retirer par une porte derrière le trône lorsque, à la galerie, un courant d’air pousse un rideau de gaze d’un des demi-lustres. M. Dumanoir, M. de Trobriant, Boni de Castellane essaient de l’arracher, mais, en un moment la salle est en feu, et, des trois issues, une seule, sur le jardin reste libre. Un des premiers, Eugène a vu le danger ; il vient à l’Empereur, qui achève sa ronde, et lui parle bas. L’Empereur, « avec sa décision des champs de bataille », traverse le bal d’un pas alerte et mesuré, arrive à l’estrade, prend le bras de l’Impératrice comme pour se promener dans la salle : « Sortons, dit-il, le feu est ici. » A la première issue, ils disparaissent.

Les femmes de la Cour ont eu le temps de s’évader par la petite porte derrière le trône; mais, tout de suite après, cette sortie est fermée par les flammes. Il ne reste que la porte sur le jardin, avec le haut perron où les êtres s’entassent, se bousculent, s’abattent et roulent. Cris d’épouvanté, hurlements de douleur, pétillements de l’incendie, fracas des lustres qui tombent et des menuiseries qui s’écroulent; au dehors, les appels de foule, et, dans les coins noirs, des scènes d’une brutalité sauvage : les bandits de la rue escaladant les murs du jardin, arrachent aux femmes les bijoux qu’elles portent, et, avec, des morceaux de chair. De morts sur la place, seulement la princesse Pauline Schwarzenberg, née Arenberg-Hohenfeld, la femme du prince Joseph, la belle-sœur de l’ambassadeur, celle-là dont les trente-six ans et les huit enfants n’ont pas atteint la beauté, la femme la plus à la mode de Vienne, pleine d’agréments, d’esprit talents, car ses paysages à l’eau-forte méritent une place dans les portefeuilles d’amateurs. Ne trouvant pas sa fille dans le jardin, elle est rentrée pour la chercher dans la salle embrasée; le parquet a manqué sous ses pieds et elle a été précipitée, vivante encore, dans un bassin où son corps a été consumé. Le lendemain meurent la princesse de la Leyen, sœur du duc Dalberg, Mme Labensky, femme du consul de Russie, d’autres; les blessés sont bien plus nombreux, mais on ne s’informe d’eux qu’à l’oreille.

Après avoir conduit l’impératrice, l’Empereur est revenu, en petit chapeau et en redingote grise, pour diriger les sauvetages, marquer sa confiance à l’ambassadeur, et dissiper les bruits inévitables : car, partout déjà, on veut que ce soit un attentat. N’est-ce pas assez de la négligence, du service mal réglé, des pompiers ivres ou absents, des pompes manquant, des musiciens pillant, de la populace ruée aux bijoux ? Comme il faut un coupable, on arrête Bénard, l’architecte qui a construit la salle et qui, dit-on, a défendu aux pompiers d’entrer dans l’hôtel, et, avant trois mois, Dubois, le préfet de police, sera destitué.

Marie-Louise n’a pas eu le temps d’avoir peur, et il faut s’en louer, car si les espérances prématurées elle avait fait part à Vienne se sont dissipées, elle en a maintenant de plus sérieuses. Le médecin les a confirmées et il les fait remonter au mois de juin. Dieu veuille que cela soit vrai, écrit-elle à son père, car l’Empereur en a une joie immense. »


NOTES

[1] In „L’impératrice Marie-Louise“, Frédéric Masson, p. 249 et suiv. Paris, 1902